Réponse de la Chambre de commerce de Lyon au mémoire de M. Gournay du 24 février 1753

Réponse de la Chambre de commerce de Lyon
au mémoire de M. Gournay du 24 février 1753.

 

[G. Escande Sécrestat, Les idées économiques de Vincent de Gournay, Bordeaux: impr. de Y. Cadoret, 1911: 157-172.]

 

Les Prévôts des marchands et Échevins de la ville de Lyon s’étant extraordinairement assemblés avec les directeurs de la Chambre de commerce, en exécution des ordres du Conseil pour former leur dernier avis sur un mémoire du Bureau de commerce concernant l’utilité ou le désavantage qui se trouveraient à donner un liberté générale et indéfinie dans toutes les communautés de la ville soumises depuis longtemps à l’observation des règlements, la matière ayant été déjà traitée dans plusieurs assemblées où ledit mémoire a été mûrement examiné, de même que les diverses réponses qui y ont été faites par les principales communautés de cette ville.

Sont d’avis les contestations qui divisent celles des tireurs d’or, des guimpiers, des fabricants et des passementiers de la ville de Lyon ont engagé l’auteur du mémoire d’en découvrir le principe et la cause, ces recherches l’ont amené à la réflexion que leur art les rendant en quelque façon mixtes et dépendantes pour la composition et perfection de l’étoffe, il n’est pas surprenant qu’elles entreprennent tous les jours les unes contre les autres, et n’élèvent entre elles quelque nouvelle difficulté ; pour terminer donc tout procès, il propose d’anéantir toutes les communautés et avec elles les statuts et règlements qui imposent un joug aux aspirants, la contrainte à ceux qui sont en possession de fabriquer et par une suite nécessaire du système il réclame la liberté, ouvre la porte à tous ceux qui voudront faire fabriquer, Français et étrangers sans distinctions et substitue l’émulation et l’ambition à l’inutilité des apprentissages et des épreuves de l’art ; de là, passant aux avantages de cette liberté, il expose les progrès qu’elle a opérés chez nos rivaux, tandis que les règles et les lois qui enchaînent nos fabricants et nos ouvriers ont entraîné le dépérissement de nos manufactures et ont imposé des servitudes plus préjudiciables encore à l’État que gênantes et ruineuses pour ces artistes. Il est évident que les intentions de l’auteur sont dictées par un amour vraiment patriotique, l’on découvre dans le tissu de son mémoire un dessein formé de porter nos fabriques au plus haut point d’étendue et de perfection, de diminuer la concurrence de celles qui sont établies dans l’étranger, de les détruire même, s’il est possible, par l’accroissement et la supériorité des nôtres, mais les moyens qu’il propose peuvent-ils opérer cet effet ? Doit-on confondre les opérations du commerce général, dont le vaste génie de l’auteur nous paraît si bien saisi, avec les détails qu’exige toute espèce de manufacture ? Doit-on adopter, sans distinction de l’objet, la maxime qu’une chose se conserve par le même principe qui l’a établie ? N’est-il enfin aucune différence entre le premier âge d’un établissement et celui où ayant pris de profondes racines, il étend ses branches, donne des fruits abondants et paraît n’exiger que le maintien des lois sous lesquelles il s’est formé : ce sont les points les plus essentiels à examiner. Il n’est pas douteux que nous ne devions à la liberté l’établissement de la fabrique de la soierie de Lyon ; les Lucquois, nos auteurs, en jetèrent les fondements, et elle s’accrut à l’ombre de cette liberté qui donnait accès à tous les ouvriers étrangers, utiles dans ces premiers temps pour nous instruire dans l’art de fabriquer ; ils firent des élèves qui peu à peu se multiplièrent, et bientôt cet objet devenant digne de l’attention du souverain, il parut nécessaire de donner une forme à cette manufacture, et lui prescrire des règles et des lois pour parvenir plus sûrement à la perfection de l’étoffe, rendre la fidélité de l’ouvrier moins équivoque, et établir la confiance du consommateur. 

L’expérience nous apprend que c’est à l’exacte observation de ces règlements qui se sont succédé les uns aux autres que l’on doit les progrès de la fabrique des étoffes, qui sont mêmes devenus bien plus sensibles depuis les règlements de 1667. C’est à cette époque qu’elle prit une forme constante, que la loi guida ses opérations et qu’elle commença à acquérir les lumières et les avantages dont elle jouit aujourd’hui. Sous le bénéfice de pareilles lois, les autres manufactures de cette ville et du royaume prospérèrent également, mais en suivant l’auteur du mémoire, l’on s’attache plus particulièrement à examiner celle qui intéresse celle des étoffes qui embrasse la partie essentielle de notre ville, d’autant plus que les raisons de politique et d’utilité sont communes entre elles.

L’invention est produite par la méditation, par les combinaisons, souvent par le hasard, mais il en est autrement d’un art connu, il a des principes et des règles qui n’ont été établies qu’après beaucoup de réflexions, de raisonnements et d’expériences ; il est donc d’une absolue nécessité de les connaître pour devenir imitateurs, eh ! quelle autre route doit-on tenir pour y parvenir ! si ce n’est de former des ouvriers en faisant des apprentis ; c’est, suivant les règlements, à l’âge de douze à quinze ans qu’ils peuvent entrer en lice ; à dix-neuf ou vingt ans, ils ont acquis le grade de compagnon et parvenus enfin à l’âge de vingt-quatre à vingt-cinq ans, ils sont en état d’être mis au rang des maîtres. Un homme est-il capable avant ce temps-là de former un établissement ? Les lois n’interdisent-elles pas la faculté de contracter aucun engagement valable avant l’âge de la majorité, et si elles y dérogent pour fait de commerce, il n’en est pas moins vrai qu’elles ont envisagé l’homme jusqu’à cet âge enchaîné par les passions, moins libre et moins ferme dans ses résolutions, et même incapable de régir son propre bien ; il est donc nécessaire qu’il y ait des apprentis et des compagnons pour former un corps de fabrique, les lois auxquelles ils sont soumis souvent servent non seulement d’acheminement à la perfection de l’art, mais encore de frein pour les mœurs ; supprimez cette espèce de servitude ou pour mieux dire de dépendance si nécessaire à l’âge le plus critique, vous privez la fabrique de bons ouvriers que la subordination lui aurait acquis, et vous donnez de mauvais sujets à l’État. 

La longueur de ces épreuves paraît à l’auteur du mémoire devoir rebuter les aspirants, mais les réceptions abondantes d’apprentis que l’on fait chaque année nous prouvent le contraire ; d’ailleurs comment pourrait-on réduire le terme des cinq années d’apprentissage, en faut-il moins pour s’instruire dans les principes de l’art dont le mécanisme a tant d’étendue ; les deux premières années se passent en instruction et en démonstrations toujours infructueuses pour le maître, puisqu’il est engagé envers son apprenti à le loger et nourrir à ses frais pendant cinq ans ; ce n’est donc que par le travail qu’il fait les trois dernières années que le maître peut se dédommager de la dépense qu’il a faite ; ce terme expiré, cet enfant parvient au grade de compagnon, il peut dès lors travailler chez tel maître qu’il lui plaît, et par cette liberté acquérir la connaissance de tous les genres d’étoffes, et apprendre la manière de les travailler. S’il est né avec du talent, quel moyen plus sûr pour le perfectionner ; et après avoir essayé de différents genres, il se destine enfin à celui pour lequel il a le plus de dispositions, et où il réussit le mieux ; chemin faisant, s’il est sage et économe, il peut par ses épargnes fournir à la dépense de sa réception à la maîtrise, et voilà un maître ouvrier acquis à la fabrique. 

Bien loin que ces prétendues gênes fassent déserter notre fabrique, nous pouvons affirmativement dire que c’est aux règlements et à leur exacte observation que nous devons l’accroissement immense et la supériorité qu’elle a acquise sur toutes ses rivales ; c’est cette progression rapide que nous pouvons démontrer par les dénombrements faits en divers temps, mais avant que d’en venir là, il est à propos de détruire le préjugé où l’on est que les apprentissages ne sont pas connus en Angleterre. 

Il est de fait que les naturels du pays et les étrangers sont assujettis à un apprentissage de sept ans. Si l’aspirant n’est pas bourgeois de Londres, il est obligé de payer un droit de communauté pour fabriquer ou faire fabriquer ; chez ces peuples, comme chez les Hollandais, les arts qui sont regardés comme propres à la nation sont renfermés dans des communautés qui ont leurs statuts, tels sont les drapiers en Hollande, les chapeliers et avec eux les drapiers et faiseurs de bas en Angleterre, et ils n’ont garde d’admettre les étrangers à ces manufactures. Les fabriques de soieries sont également en corps de communautés dans la ville de Londres ; l’on ne travaille sans maîtrise aux étoffes de soie que dans les faubourgs ; ces lieux de franchise servent d’appas pour attirer nos ouvriers français et ceux des autres nations, mais elle n’a point lieu pour les draps et pour les chapeaux, et ils n’admettent, on le répète, aucun étranger dans ces fabriques. La raison de cette exclusion est aisée à sentir, ils ont besoin de secours pour la perfection et le goût de l’étoffe, et ils connaissent leur supériorité dans ces autres genres qui ne leur laissent rien à désirer ; leur politique est bonne, car en effet, il faut toujours combiner si nous pouvons gagner plus que nous ne pouvons perdre en associant des étrangers à nos travaux. Si nous sentons que nous sommes encore faibles, c’est le cas de nous fortifier par le secours des lumières étrangères ; si au contraire nous pouvons dire sans prévention que nous avons acquis la supériorité sur eux, soyons jaloux de la conservation de ce trésor, et tenons-nous sur nos gardes, dans la crainte qu’on ne vienne nous l’enlever.

L’époque de 1685 fut fatale à notre fabrique, moins par la privation des ouvriers qu’elle lui enleva, que par les établissements qu’elle occasionna en Angleterre et en Hollande qui se sont considérablement augmenté ; malgré cette concurrence, quelle progression n’a pas fait la nôtre depuis ce temps-là ! L’on ne comptait, en 1685, que 2 000 métiers, qui occupaient à peine 10 000 personnes ; par un état fait, en 1739, il en résulte un nombre de 7 500 métiers et 48 500 personnes qui en étaient dépendantes, et enfin pour le dernier qui vient d’être fait, nous possédons 10 000 métiers et 60 000 personnes y sont occupées.

Le luxe qui s’est si universellement répandu, le port de l’étoffe de soie devenu si commun à tous, les États ont favorisé cette augmentation, il n’est pas douteux qu’elle n’eût été bien plus forte, s’il n’y avait pas eu des fabriques établies en Angleterre, en Hollande et ailleurs, mais le coup est frappé, et nous ne devons nous attacher aujourd’hui qu’à mériter une préférence, soit par la perfection et la fidélité de nos ouvrages, soit par l’élégance du gout ; nous pouvons nous flatter d’en être en possession, puisque chaque jour nous voyons aborder ici un nombre infini de marchands de toutes les nations, et surtout de l’Allemagne qui viennent enlever nos étoffes ; il est vrai que nous avons perdu un débouché chez les Anglais et les Hollandais, mais ils n’étaient ci-devant qu’intermédiaires entre nous et les peuples du Nord. Aujourd’hui, nous fournissons à droiture toutes les parties de l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Prusse, la Pologne, et nous avons enfin pénétré jusque dans la Russie qui forme un objet des plus essentiels de notre consommation. Rien ne ressemble moins à la triste peinture que l’on nous fait du dépérissement de notre manufacture. Dans cet état, il serait dangereux d’introduire cette liberté que l’on nous propose, bientôt les fabriques étrangères s’enrichiraient de nos dépouilles, nous verrions des colonies entières se détacher pour venir s’instruire et se former à notre école, et porter chez eux notre industrie et notre goût ; nous verrions ces marchands allemands jusqu’à présent acheteurs de nos étoffes, contracter des sociétés avec nos commissionnaires étrangers, et former de nouveaux établissements pour les transplanter dans leurs contrées, lorsqu’ils auraient acquis des lumières suffisantes pour se passer de nous ; nous verrions une multitude de fabricants de toutes espèces et de toutes nations s’immiscer à faire des étoffes, courir à l’achat des soies, la faire augmenter de prix au point qu’ils seraient les victimes de leurs épreuves au moment de leur naissance : dans quel chaos nous trouverions-nous plongés ; plus de règles, plus de fidélité, et par une suite funeste la confiance de nos consommateurs s’évanouissant, nous entasserions un amas d’étoffes informes qui entraîneraient la destruction totale du fabricant et de la fabrique ; mais non, ces malheurs ne sont que dans les spéculations, attachons-nous à ce qui existe, et jetant un œil de complaisance sur l’état florissant de notre fabrique, disons avec confiance que si la liberté lui a donné naissance, la règle l’a fortifiée et a dirigé ses opérations, l’industrie et le génie ont étendu sa réputation, il ne nous reste donc à désirer que des temps calmes et heureux pour lui assurer une continuité de prospérités.

Mais nous ne nous prévenons pas au point de croire que nous n’ayons plus rien à acquérir, et que l’étranger ne puisse répandre aucune lumière sur nos opérations mécaniques ; nous voyons souvent paraître de ces artistes étrangers qui viennent nous offrir d’enrichir notre fabrique de leurs talents : bien loin de les rebuter et de les éloigner de nous, nous les accueillons et tâchons de les fixer dans notre ville ; le Consulat qui préside à la perfection et au progrès des arts, obtient pour eux une dérogation aux règlements, et la liberté de leur accorder des permissions particulières pour travailler ; il fait plus, il les admet de plein saut à la maîtrise et fournit aux frais de leur établissement. Nous convenons que la multiplicité des mains opère une diminution sur le salaire, mais comme le nombre de nos ouvriers s’est accru par succession de temps, et à mesure que la consommation est devenue plus considérable, nous n’éprouvons dans la main-d’œuvre qu’une augmentation proportionnée à celle des denrées, et dans cette partie nous établissons l’étoffe à meilleur marché qu’aucune autre fabrique étrangère. L’activité et l’assiduité du travail de nos ouvriers, fort supérieures à toutes les autres nations, font qu’en les payant moins, ils font plus d’ouvrage et gagnent beaucoup plus ; de sorte que si par quelques moyen l’on parvenait à en augmenter le nombre au point qu’il y en eût de surnuméraires comme nous l’éprouvons dans ces moments de langueur auxquels le commerce des étoffes n’est que trop sujet, ce seraient autant de misérables qui peupleraient nos places et nos rues, comme nous l’avons vu en 1750. Nous envisageons donc le nombre actuel des ouvriers à peu près suffisant pour la consommation courante, trop grande lorsqu’elle diminue, insuffisante, à la vérité, dans ces temps de faveur, mais qui ne sont que momentanés ; il reste à décider s’il est plus avantageux ou d’être privé d’une grande consommation qui n’est jamais que passagère, ou de voir détruire et se disperser un nombre infini de sujets dans l’instant où l’on rentre dans l’état ordinaire.

Il est peu de commerce sujet à des variations si fréquentes que celui des étoffes ; ses mouvements sont périodiques ; ils dépendent du sort des récoltes qui décident du prix de la soie ; ainsi chaque année la scène change ; cette matière a pris une augmentation de 30 à 40% depuis 15 ans, on doit l’attribuer en partie à la concurrence qui se trouve à l’achat entre les pourvoyeurs des fabriques étrangères et de nos nationaux, mais bien plus encore à la progression qu’a fait le luxe : elle a été si rapide que les plantations des mûriers et leurs productions n’ont pas marché à pas égal ; par surcroît nous avons été privés des soies d’Espagne, et elles ont formé un vide si considérable, que c’est à cette époque que la disette s’est vraiment fait sentir ; à l’imitation de l’Espagne, les États du Pape, les duchés de Parme et de Modène ont fermé leurs portes aux soies grèges, et, enfin, nous avons vu cette année défendre la sortie de toute espèce de soie du territoire de Messine : pour favoriser la restauration de cette manufacture presque éteinte depuis l’époque de la peste, et pour lui faciliter le débouché de ses étoffes, il s’est formé une Compagnie de commerce pour le Levant, dans laquelle le souverain a pris un intérêt, et a affranchi leurs étoffes de tous droits de sortie et les retours des droits d’entrée ; toutes ces sources nous ayant été interdites, et l’abondance de la soie n’étant pas proportionnée à la consommation, le surhaussement du prix a été inévitable ; n’attribuons donc point à l’avidité de nos fabricants le prix auquel ont été porté nos étoffes, mais uniquement de la matière qui en forme l’intrinsèque, ni à leur cupidité la diminution de leur poids, convenons au contraire que c’est un effet de leur industrie de sauver par l’emploi des soies plus légères une partie de leur cherté qui les met dans le cas de les établir à plus bas prix qu’aucune autre fabrique étrangère ; d’ailleurs la concurrence établie entre un nombre si considérable de marchands fabricants est bien capable d’empêcher le monopole qu’on leur prête si gratuitement, et qu’ils ne puissent s’attribuer un bénéfice arbitraire.

Laissons donc substituer les choses dans l’état où elles sont, et si nous avons pu démontrer assez sensiblement que c’est aux règles et à la constitution de notre fabrique que l’on est redevable des progrès immenses qu’elle a faits dans l’espace de soixante-dix ans, nous ne craindrons point d’adopter la maxime qu’une chose se conserve par le principe qui l’a établie.

Si sans changer le fond des règlements qui sont en vigueur aujourd’hui, et sans troubler l’harmonie qui règne entre le maître marchand, le maître ouvrier, le compagnon et l’apprenti, l’on trouvait des moyens propres à faire de plus en plus prospérer nos fabriques, l’on recevrait ces faveurs avec reconnaissance, et comme une suite de la protection dont le Conseil daigne les honorer, en voici quelques-uns qui nous paraîtront mériter cette attention.

1° Accorder la liberté de faire fabriquer des étoffes dans différentes espèces de largeur, pour imiter celles des fabriques étrangères, en prescrivant au fabricant de mettre à la lisière de l’étoffe une marque distinctive, sans prétendre cependant rien changer aux largeurs et portées des étoffes que nous sommes en usage de fabriquer, et qui sont connues pour telles dans l’étranger, pour ne pas altérer la confiance qu’il nous accorde.

2° Y permettre l’emploi des soies écrues, toujours à l’imitation des étoffes étrangères, surtout de celles dévidées sous les mêmes conditions énoncées ci-dessus.

3° Renouveler les défenses pour le port des étoffes prohibées qui font un vide immense dans notre consommation, et tenir la main à l’exécution ; il est notoire qu’elles se vendent et se portent publiquement à Paris et dans les provinces.

4° Engager la Compagnie des Indes à apporter en France les soies par préférence aux étoffes, dont malgré les défenses notre royaume est inondé ; quelle différence dans la balance de notre commerce d’étoffes ?

5° Ordonner que les deuils de cours ne soient pas portés ni dans la capitale, ni dans les provinces, mais seulement à la cour : l’on ne saurait imaginer le préjudice qui en résulte à notre fabrique lorsqu’il en survient quelqu’un à l’entrée d’une saison, la vente de cette saison est totalement perdue, et l’étoffe qui lui était destinée perdant le prix de sa nouveauté, constitue le fabricant ou le marchand qui l’a achetée pour la revendre dans une perte certaine.

6° Perfectionner les moérages comme à Londres et l’apprêt des étoffes comme à Venise, serait un avantage très considérable pour notre fabrique.

7° Rendre les soies abondantes, matière si précieuse, en augmentant les plantations de mûriers en France et jusque dans nos colonies, les parties qui s’en recueillent dans ce royaume formant l’avantage le plus réel que nous ayons sur les fabriques d’Angleterre et de la Hollande.

8° Renouveler l’arrêt du 20 février 1725, qui interdit la sortie des soies teintes, à l’exception cependant des soies à coudre, et défendre notamment la sortie de celles de Tripoli montées pour filer l’or et l’argent, soit pour chaîne de galons, soit pour le liage ; ne laissons pas profiter l’étranger du bienfait de nos eaux et de notre climat qui nous donnent des couleurs plus vives et plus belles qu’ils ne peuvent les avoir.

9° L’intérêt de la fabrique des passements ou galons d’or et d’argent demande un article particulier. L’on s’aperçoit depuis quelque temps que leur consommation est interceptée et qu’elle diminue ; l’on ne peut l’attribuer qu’à la concurrence des fabriques étrangères et en particulier à celle de Genève pour la consommation de l’Espagne et des Indes ; un moyen sûr pour la mettre de niveau est de supprimer le droit de marque et autres et de diminuer celui de l’affinage des matières d’or et d’argent. Voici un détail de ces droits :

Droit de marque à 20s par marc sur un lingot de 50m,
y compris les 4s par M …………………………………  60

Droit d’affinage à 20s par M ………………………… . . 50

De plus sur le lingot doré ……………………………… 12

Droits des tireurs d’or à l’argue pour la com. ………… 4

 Total ………………….. 126

D’où il résulte une charge de 5% sur la somme de 2 500 fr., valeur de ce lingot, objet immense pour une fabrique qui se contente d’un bénéfice bien au-dessous du montant de ces frais, et qui la met hors d’état d’entrer en concurrence avec les fabriques étrangères qui, étant affranchies de ces droits, peuvent établir leurs ouvrages à des prix que nos fabricants ne peuvent pas suivre sans s’exposer à une perte visible ou du moins à un travail infructueux. 

Telles sont les réflexions que la connaissance du détail de nos fabriques et du local nous a dictées, et les moyens qu’on a cru pouvoir proposer à la sagesse du Conseil pour un acheminement à de plus grandes prospérités ; ils nous paraissent entrer dans les vues utiles et louables de l’auteur du mémoire.

Délibéré le dit jour 24 février 1753.

Signé : 

Flachat de St-Bonnet. — Rieussec. — Torrent. — Bietrix. — Pitiot. — Layeuvre l’aîné. — Brou l’aîné. — Duclaux. — Briassou.

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