Conférence sur les droits de douane soi-disant compensateurs et sur leurs effets

« Conférence de M. Martineau faite à Bordeaux le 20 juin 1890, sous le patronage de la Société d’économie politique, sur les droits de douane soi-disant compensateurs et sur leurs effets » (Revue économique de Bordeaux, n°12, juillet 1890).


CONFÉRENCE DE M. MARTINEAU

Faite à Bordeaux le 20 juin 1890, sous le patronage de la Société d’économie politique.

M. E. Martineau, juge d’instruction à Rochefort, a fait une conférence dans l’amphithéâtre de l’Athénée, sur les droits de douane soi-disant compensateurs et sur leurs effets. Il faisait beau et chaud, et beaucoup de Bordelais, comme c’était prévu, ont préféré prendre le frais ou rester à la campagne ; néanmoins il s’est trouvé environ 350 auditeurs de choix que la chaleur n’a pas intimidés ; et c’était plaisir de les voir écouter et applaudir le conférencier, un véritable apôtre, dont Bastiat eût été fier.

La séance a été ouverte à huit heures trois quarts par M. Marc Maurel, président de la Société, assisté de MM. J.-B. Lescarret, vice-président d’honneur ; Fernand Faure, vice-président ; Louis Lalanne, secrétaire général ; Ar. Le Roux-Kergoët, secrétaire de la rédaction de la Revue économique de Bordeaux ; Villate, commissaire des dépenses.

M. Marc Maurel a présenté M. Martineau à l’Assemblée, et a dit que la Société d’économie politique se fait un devoir de défendre les vrais principes. Il fait remarquer que ces principes sont surtout niés par les protectionnistes ; comme les protectionnistes perçoivent des taxes sur tous les Français au détriment du Trésor, il n’est pas étonnant qu’ils répudient les principes, puisque ces principes les condamnent.

M. Martineau commence sa conférence en remerciant le bureau de la Société d’économie politique de l’honneur qui lui a été fait en l’admettant à porter la parole à Bordeaux pour défendre le principe de la liberté des échanges contre la coalition des appétits protectionnistes.

En présence du courant de réaction économique actuel, il importe de faire appel à la discussion, en se fiant à la victoire définitive du bon sens et de la raison.

Cela dit, l’orateur résume brièvement les principes que Bastiat a appliqués à la question de la liberté du commerce.

« La nature et le travail de l’homme concourent à la création des richesses : or, si l’on réfléchit que les matériaux et les forces que la nature met à la disposition des hommes sont des éléments gratuits, et que les choses ne commencent à avoir de valeur qu’à partir de l’intervention de l’effort humain, il en résulte que la liberté des échanges est un bienfait pour les peuples en ce sens que chacun d’eux participe aux avantages que la nature a donnés aux autres au point de vue du climat, de la fertilité du sol, de sa richesse minéralogique, etc. C’est la conséquence du principe que la concurrence, force égalitaire et démocratique, oblige les producteurs à livrer, par-dessus le marché, aux acheteurs des produits ainsi échangés en ne se faisant payer que les services humains seuls pourvus de valeur. »

Cependant les protectionnistes nient ou dédaignent ces principes si importants. Il faut, disent-ils, organiser des lois de défense contre l’invasion des produits étrangers, et l’orateur arrive ainsi à l’examen de la question posée : Des droits de douane soi-disant compensateurs.

« Nous ne sommes pas des prohibitionnistes, disent les adversaires de la liberté, nous sommes des compensateurs. Le pays est écrasé par des charges lourdes et il est équitable que les étrangers qui viennent sur notre marché nous faire concurrence prennent leur part des impôts et des charges qui nous accablent. » 

Tel est leur langage et c’est sur ce terrain des droits compensateurs que M. Martineau engage la discussion.

Ce système repose sur cette base que les droits de douane ainsi établis sont supportés par l’étranger : s’il était démontré que cela n’est pas exact, en ce sens que l’étranger les paie à titre d’avance seulement et s’en fait rembourser par les consommateurs français, la base du système s’écroulant entraînerait avec elle le système tout entier.

C’est cette démonstration que l’orateur s’attache à faire, et en raison de l’importance capitale de ce point, il importe de rappeler tous ses arguments.

Tout d’abord, s’appuyant sur un passage du discours de M. Viger, rapporteur du projet de loi sur les maïs (séance du 2 juin dernier de la Chambre des députés au Journal officiel), il fait remarquer que, le droit de douane étant fait pour repousser l’invasion des produits étrangers, il n’entre qu’une quantité insignifiante — c’est le mot du rapporteur — du produit grevé de la taxe.

Il faut donc éliminer tout ce qui n’entre pas — étant repoussé par la barrière protectrice — et qui partant ne paie pas la taxe d’entrée.

Reste à voir — sur la quantité insignifiante qui peut entrer — si le droit de douane est payé par l’étranger ou par le consommateur national.

Ici les arguments abondent pour prouver que c’est le consommateur qui paie : Faisant appel à l’expérience, et rappelant que la douane est un octroi national, l’orateur dit que c’est un fait bien connu de tout le monde que le droit de douane, comme le droit d’octroi, est supporté définitivement par le consommateur.

Comment pourrait-on le nier, alors que les protectionnistes le reconnaissent eux-mêmes ; et mettant les leaders de la protection, MM. Méline et Pouyer-Quertier, en contradiction avec eux-mêmes, M. Martineau a prouvé par des citations topiques, extraites de discours de ces orateurs, que ces Messieurs, après avoir prétendu que ce sont les étrangers qui paient définitivement le droit de douane, ont été amenés à reconnaître que les étrangers ne font que l’avance du droit et s’en font ensuite rembourser par le consommateur. (V. discours de M. Pouyer-Quertier à l’assemblée des Agriculteurs de France du 8 février dernier. — Autre discours à la réunion de l’Association de l’industrie nationale du 6 mars dernier. — Discours de M. Méline à l’Officiel du 9 juin dernier, dans la discussion de la taxe sur les maïs).

Enfin, un dernier argument, qui à lui seul serait décisif, est que les droits de douane sont des impôts de consommation, c’est-à-dire payés tout entiers par les consommateurs avec le prix d’achat de cette marchandise.

Si cette démonstration est solide — et quoi de plus probant que la contradiction de langage des protectionnistes ? — elle ruine jusque dans ses fondements le système soi-disant compensateur.

Cette soi-disant compensation n’est, en réalité, qu’une injustice odieuse, puisqu’elle fait payer à des consommateurs français déjà grevés d’impôts la part d’impôt des producteurs protégés, au mépris du principe qu’il incombe à chaque citoyen de payer sa part d’impôts.

C’est là, en réalité, une dîme, un servage de la plèbe, en violation de la règle qu’on ne doit d’impôt qu’à l’État.

Faisant appel à Bordeaux, l’orateur a terminé en l’invitant à jouer le rôle de Manchester, et à prendre la tête du mouvement en faveur de la liberté.

Ses intérêts l’y invitent ; en repoussant les importations, le système protecteur ferme les débouchés et empêche les exportations : d’abord par les représailles qu’il suscite, ensuite par les charges qu’il fait peser sur les industries d’exportation qu’il met dans l’impossibilité de soutenir la concurrence sur les marchés étrangers ; de plus il ôte le fret à notre marine commerciale.

Il faut arracher la France à cette oligarchie qui opprime la masse du travail national, et qui, exploitant la sottise et l’ignorance humaine, fuit avec soin la discussion parce qu’elle a peur de la lumière.

Souhaitons que M. Martineau, dont la parole est convaincue et persuasive, revienne souvent à Bordeaux faire entendre des vérités malheureusement trop oubliées par la génération actuelle.

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