De la société conjugale (Partie 3 sur 3), par Louis Wolowski

Dans la suite de son étude sur la mariage et le divorce, Louis Wolowski étudie particulièrement les conditions de la répudiation des époux à l’époque de la Rome ancienne. Il souligne que l’immuabilité du mariage fut longtemps un dogme accepté, et que l’introduction du divorce fut fatal pour les mœurs et la stabilité de la société. Tout concourt, d’après lui, à prouver qu’une société libre doit être fondée sur des mariages irrévocables.




DE LA SOCIÉTÉ CONJUGALE

CHAPITRE II

Le mariage libre. — Le divorce.

Qui labores, pericula, dubias atque asperas res facilè toleraverant, iis otium, divitiæ, optandæ aliis, oneri, miseriæque fuere.

SALLUSTE, Catilin., c. 10.

« Rome était un vaisseau tenu par deux ancres dans la tempête, la religion et les mœurs.[1] »

Ces paroles de l’immortel auteur de l’Esprit des Lois s’appliquent directement à la législation du mariage. Tant que la religion et les mœurs exercèrent leur empire à Rome, la permanence du lien conjugal ne fut point ébranlée ; la sainteté des rapports entre époux contribua plus que toute autre institution à maintenir les traditions vigoureuses des fondateurs de la cité ; c’est grâce à ce respect pour le mariage qu’il n’y a point eu de peuple où la dissolution se soit plus tard introduite que chez les Romains[2].

Sans attribuer une autorité irrécusable aux témoignages qui se réunissent pour signaler au sixième siècle de Rome le premier exemple du divorce, il est néanmoins permis d’en conclure que, durant une longue série d’années, la séparation arbitraire des époux, la rupture capricieuse de l’union matrimoniale, furent proscrites par les mœurs et par les lois. La célébrité attachée au nom de Carvilius Ruga, qui répudia sa femme pour cause de stérilité, rappelle l’exécration vouée au nom du premier meurtrier. Elle révèle le lien intime qui existe entre les garanties dont est entourée la société conjugale, et l’intégrité de la société civile.

Le relâchement du lien matrimonial portait en lui le germe de la corruption publique. Aux mœurs pures et sévères de la Rome antique succéda le débordement le plus licencieux, du moment où s’évanouit le respect pour le lien sacré du mariage, et la liberté périt dans ce naufrage de la pudeur[3].

Aussi quelle distance sépare

Cette femme romaine

Qui demeurait chez elle, et filait de la laine[4]

de celle dont parle Tertullien, et dont tous les membres ploient sous le poids de l’or et des bijoux[5]!

L’instinct de la puissance, qui guidait le peuple-roi, lui avait fait rencontrer dans la chasteté du ménage domestique, un élément de vigueur pour la cité. Pour une nation qui marchait à la conquête du monde, et dont les armées, composées de citoyens, n’admirent des mercenaires dans leurs rangs qu’au temps de la décadence, la question de la population devait avoir une importance plus grande encore que partout ailleurs.

Au lieu de recourir aux moyens artificiels pour accroître le nombre des futurs maîtres de l’univers, comme cela eut lieu plus tard, Rome se fia d’abord à l’influence des habitudes vertueuses ; elle entoura la sainteté du mariage d’une espèce de culte, car le génie de ses fondateurs avait pressenti que la continence publique était naturellement jointe à la propagation de l’espèce[6].

Les lois qui ont en vue d’encourager le mariage et de multiplier le nombre des enfants dénotent toujours une certaine dépravation dans les mœurs ; aussi sont-elles vaines et méprisées.« Partout où il se trouve une place où deux personnes peuvent vivre commodément, il se forme un mariage, a dit Montesquieu, qui semble avoir ici pressenti la doctrine de Malthus. La nature y porte assez, lorsqu’elle n’est point arrêtée par la difficulté de la subsistance[7]. » Et il ajoute : « Les peuples naissants se multiplient et croissent beaucoup. Ce serait chez eux une grande incommodité de vivre dans le célibat : ce n’en est point une d’avoir beaucoup d’enfants. Le contraire arrive lorsque la nation est formée. »

Ces vérités élémentaires semblent devoir rencontrer une exception chez un peuple constitué plutôt pour la conquête que pour la production, pour la guerre que pour le travail. La nation a beau être formée, elle a besoin sans cesse d’élargir les rangs de ses légions ; chaque enfant qui naît à la république devient pour elle un instrument de domination. Les limites du territoire n’imposent plus une limite à l’accroissement du nombre des habitants, car ceux-ci se nourrissent des dépouilles de l’univers.

Et cependant la merveilleuse harmonie qui préside aux destinées humaines ne permet pas que les oppresseurs se multiplient outre mesure, afin d’alourdir le joug de l’oppression ; elle ne permet pas qu’un peuple abdique impunément la sainte loi du travail ! Les Romains eurent beau, oublieux des enseignements de leur propre histoire, multiplier les faveurs acquises au mariage, élever les honneurs et les droits de la paternité, et lâcher la bride à la facilité de réparer l’erreur d’une première union, par des unions mieux assorties, ils rencontrèrent dans leurs habitudes vicieuses un obstacle au développement de la population : le mépris des occupations serviles les plongeait dans l’oisiveté, ou bien les esclaves faisaient aux citoyens libres une concurrence meurtrière ; quant à cette mutation fréquente du lien conjugal, qu’amenait la facilité du divorce, loin d’aider à remplir la cité de nouveaux citoyens, elle était destructive de la population, par le relâchement des mœurs.

Ce sont les mœurs seules, et non les lois, qui donnent naissance à une nation nombreuse et forte[8]. Pour résoudre ce grave problème de la population, il suffit, comme l’a dit Portalis[9]: « de consolider les vrais fondements de l’ordre social, d’ouvrir les principales sources de la félicité publique. Quelques auteurs ont demandé que l’on encourageât les mariages, ils n’ont besoin que d’être réglés.

« Le législateur n’a rien à faire à cet égard, la nature a tout fait… Il y aura toujours assez de mariages pour la prospérité de l’État ; l’essentiel est qu’il y ait assez de mœurs pour la prospérité des mariages. »

Si ces belles paroles avaient besoin d’être confirmées par le témoignage suprême de l’histoire, elles ne rencontreraient nulle part, mieux qu’à Rome, une consécration éclatante.

En étudiant de près :

… Combien coûta de peine

Ce long enfantement de la grandeur romaine[10],

on découvre aisément le lien intime qui unit l’état de la cité et l’état de la société conjugale, les vertus publiques et la pureté des mœurs.

L’atteinte portée à l’honneur de deux femmes donna le signal de l’expulsion des rois et de la chute des décemvirs ; Lucrèce et Virginie témoignent en faveur de la sévérité des habitudes, qui conduisit Rome à ses hautes destinées.

Alors, c’était sur la permanence du lien conjugal que reposait l’avenir de la république ; le respect de ces unions indissolubles suffisait pour entretenir une race énergique et aguerrie. Quand la loi des Douze Tables condamna le célibat[11], quand les censeurs relevèrent, sous serment, la liste des hommes mariés, en faisant payer une amende à ceux qui se refusaient à remplir envers la patrie le premier devoir du citoyen[12], on voyait bien dans ces mesures la trace de la préoccupation que faisait naître la question de la population, et un préservatif contre la corruption ; mais elles se bornaient à consacrer l’empire des bonnes mœurs, en invitant au mariage. Nous verrons tout à l’heure par quel abus, et en vertu de quelle subtilité d’interprétation, cette précaution des censeurs tourna contre le but qu’ils voulaient atteindre, et comment elle ouvrit une large issue au divorce.

Entraîné par une partialité prononcée en faveur de cette institution, et dominé par les préjugés de son époque, en ce qui touche le problème de la population, Montesquieu, dans ses Lettres persanes, supposa qu’il fallait venir en aide, au moyen des lois, à la propagation de l’espèce humaine, et que le divorce servirait puissamment au développement de la population.

« Depuis que la religion chrétienne et la mahométane ont partagé le monde romain, les choses, a-t-il dit, sont bien changées ; il s’en faut de beaucoup que ces deux religions soient aussi favorables à la propagation de l’espèce, que celle de ces maîtres du monde.

Dans cette dernière la polygamie était défendue, et en cela elle avait un très grand avantage sur la religion mahométane : le divorce y était permis, ce qui lui en donnait un autre non moins considérable sur la chrétienne[13]»

Cette dernière assertion, sur laquelle Montesquieu insiste avec une grande vivacité[14], nous semble pleinement erronée. L’admirable travail de Malthus a fait bonne justice de cette crainte que le monde n’allât en se dépeuplant ; il a prouvé que pour juger de la prospérité de l’État, ce n’était pas le nombre des naissances, mais la durée de la vie des habitants qu’il fallait prendre en considération. Nous savons aujourd’hui quelle est la confiance que méritent les calculs réfutés par Malthus ; ils avaient cependant inspiré au philosophe de la Brède ces singulières paroles[15]:

« Il ne faut donc point s’étonner si l’on voit chez les chrétiens tant de mariages fournir un si petit nombre de citoyens. Le divorce est aboli, les mariages mal assortis ne se raccommodent plus ; les femmes ne passent plus, comme chez les Romains, successivement dans les mains de plusieurs maris, qui en tiraient dans le chemin le meilleur parti qu’il était possible. »

Sans doute les idées de Montesquieu se sont singulièrement modifiées plus tard, et l’auteur de l’Esprit des lois sut découvrir des aspects inconnus à l’auteur des Lettres persanes ; sur cette grave question de la population, comme en général sur toutes les questions économiques, l’opinion de ce grand penseur est souvent incertaine et flottante. La vérité se fait jour néanmoins, elle brille alors de tout l’éclat qui appartient au génie.

Comment Montesquieu, qui professa une si vive admiration pour les lois Pappiennes, et qui mit sur le compte du divorce l’accroissement du peuple romain, ne s’est-il point aperçu, que c’est tout au contraire à partir du moment où le mariage rigoureux céda le terrain au mariage sans la manus, où la permanence du lien conjugal disparut pour faire place à la facilité du divorce, que le progrès de la population libre s’arrêta, et qu’il fallut faire appel aux affranchis et aux étrangers pour remplir le vide causé par la disparition des citoyens !

La corruption des mœurs contribua plus que les guerres civiles à ce dépeuplement de la cité, sur lequel nous aurons occasion de revenir bientôt, en traitant des lois Pappiennes.

Le coup d’œil, d’habitude si ferme et si juste de Montesquieu, nous paraît en défaut dans cette circonstance. Il nous a été difficile de comprendre comment l’auteur de l’Esprit des lois, lorsqu’il a tracé le tableau de la grandeur et de la décadence de l’empire romain, a pu passer sous silence l’influence des mœurs et des lois sur la constitution de la famille, et l’influence de la famille sur la prospérité de l’État.

Toujours fidèle à cette pensée que la liberté du mariage avait contribué à la puissance de Rome, Montesquieu s’exprime ainsi :

« Les règlements que firent les Romains pour augmenter le nombre de leurs citoyens, eurent leur effet, pendant que leur république, dans la force de son institution, n’eut à réparer que les pertes qu’elle faisait par son courage, par son audace, par sa fermeté, par son amour pour la gloire, et par sa vertu même. Mais bientôt les lois les plus sages ne purent rétablir ce qu’une république mourante, ce qu’une anarchie générale, ce qu’un gouvernement militaire, ce qu’un empire dur, ce qu’un despotisme superbe, ce qu’une monarchie faible, ce qu’une cour stupide, idiote et superstitieuse avaient successivement abattu : on eût dit qu’ils n’avaient conquis le monde que pour l’affaiblir et pour le livrer aux barbares[16]. »

Ces règlements, dont Montesquieu célèbre la sagesse, ne furent qu’un palliatif impuissant contre la désorganisation de la société conjugale, contre la plaie du divorce ; là se trouvait la véritable source du mal qui énerva la vieille vertu romaine, et qui précipita la chute de la république.

Tant que le mariage rigoureux, avec les trois formes d’acquisition de la puissance maritale, la confarreatio, la coemptioet l’usus, conserva une influence souveraine et transporta la femme dans la famille de l’époux, la dissolution du lien conjugal, autrement que par la mort, fut fort rare, si elle n’était pas impossible. Elle n’apparut d’abord que sous la forme du châtiment réservé à la femme coupable de délits prévus et punis par la loi. En laissant de côté certaines différences de détail, le récit de Plutarque et celui de Denys d’Halicarnasse amènent une conclusion analogue. Celui-ci parle du lien indissoluble créé par les cérémonies sacrées de la confarréation[17]. Seulement, en cas de délit, la femme avait son mari pour juge, et la volonté de celui-ci déterminait la rigueur de la peine. Les proches parents de la femme étaient appelés à siéger dans ce tribunal domestique. Romulus ordonna de punir le plus sévèrement l’adultère et l’usage du vin, et pendant longtemps ces délits ont été frappés chez les Romains avec une implacable rigueur.

Au dire de Plutarque[18], entre les lois que fit Romulus, il y en a une qui paraît très dure : c’est celle qui, en défendant aux femmes de quitter leurs maris, autorise les maris à répudier leurs femmes quand elles ont empoisonné leurs enfants, qu’elles ont de fausses clefs ou qu’elles se sont rendues coupables d’adultère. Si le mari répudie la femme pour toute autre cause, la loi ordonne que la moitié de son bien soit évolue à la femme, l’autre moitié consacrée à Cérès, et qu’il soit lui-même dévoué aux dieux infernaux.

Nous ne prétendons pas nous appesantir sur l’explication rigoureuse de ces deux passages, qui ont tant de fois exercé la critique ingénieuse et patiente des érudits. À nos yeux, en effet, cette prétendue loi de Romulus se réduit à une tradition, qui conserve la trace des idées adoptées dans la Rome primitive. Il nous suffit de savoir que le mariage ne pouvait être dissous que pour des causes déterminées, en vertu d’un jugement, et que la répudiation arbitraire, par la simple expression de la volonté du mari, était regardée et punie comme un crime.

La puissance acquise au moyen de la manus ne permettait point à la femme de se révolter contre l’autorité de ce père que le mariage lui avait donné, et la loi aussi bien que les mœurs prévenaient l’abus de la puissance.

Tout ce qu’il serait possible d’admettre, et encore ce point est-il fort douteux, ce serait que par suite d’un accord mutuel, le mari et la femme aient été admis à rompre les liens de la puissance, en vertu de cérémonies analogues à celles qui l’avaient fait acquérir, au moyen de la disfarreatio dans le mariage religieux, et de la remancipatio dans le mariage civil, contracté avec la coemptio ou complété par l’usus. Alors l’union conjugale redevenait le matrimonium du droit des gens, contracté par la simple expression de la volonté commune des époux, et auquel la manifestation d’une volonté contraire pouvait mettre un terme.

Mais tous les témoignages historiques s’accordent pour attester que la permanence du mariage était la loi commune, mise sous la sauvegarde de la religion et des mœurs. L’absence du divorce et du droit de répudiation donne à la conventio in manum un cachet de similitude avec la société conjugale, telle qu’elle existe de nos jours, telle que la consacre la religion catholique. Dans un excellent travail sur la liberté du divorce chez les Romains[19], M. Klenze fait remarquer que l’ancienne Rome était encore plus sévère que la nouvelle, qui admet la séparation de lit et de table, et qui borne l’effet de l’indissolubilité du lien conjugal à l’empêchement d’un second mariage. Le droit canon laisse aux époux séparés leurs droits et leurs biens. Le vieux droit romain, à le juger d’après les indices qui nous sont parvenus, condamnait le mari à la perte de sa fortune et à la perte du droit de cité (capitis deminutio media).

On a dit que le mari pouvait répudier sa femme, puisqu’il avait sur elle droit de vie et de mort, et que la répudiation n’aurait été que l’adoucissement d’une sentence capitale. Nous croyons, avec Cujas[20], que ce pouvoir exorbitant n’a point été dévolu au mari, ou que tout au moins une sentence rendue dans le tribunal domestique, avec l’assistance des parents de la femme, était exigée par la loi. L’exemple si fréquemment cité d’Egnatius Métellus, qui tua sa femme coupable d’avoir bu du vin, vient à l’appui de notre opinion, puisque Pline l’ancien, qui raconte ce fait, ajoute que Romulus amnistia le meurtrier[21]. Si Métellus avait agi en vertu d’un droit, il n’aurait pas eu besoin du pardon de Romulus[22].

Plutarque paraît limiter le droit de répudiation aux trois cas qu’il énumère, et sur l’interprétation desquels les auteurs ne sont pas d’accord ; car les uns attribuent à la supposition de part, ce que d’autres traduisent par la falsification des clefs ou par l’abandon des soins du ménage, dont la possession des clefs était le symbole. Cette restriction s’accorde avec les paroles de Caton, rapportées par Aulu-Gelle[23]. Aux yeux du censeur, commettre un adultère ou boire du vin, c’est pour la femme un crime également punissable.

Quant au pouvoir du tribunal domestique, il ne saurait être révoqué en doute ; Tite-Live[24]et Tacite[25]en parlent dans deux passages célèbres.

Toujours est-il que la dissolution volontaire du mariage n’existait pas ; le mariage, auquel avant la loi des Douze Tables, la puissance maritale venait constamment s’adjoindre, offrait un régime inconciliable avec la rupture capricieuse du lien conjugal ; la fortune des époux et toute leur existence étaient confondues dans la forte unité de la maison conjugale.

La loi des Douze Tables qui fraya la voie au mariage sans la manus, en autorisant l’usurpation de trois nuits, qui interrompait l’action de l’usus, contenait également au sujet de la répudiation des dispositions qui paraissent avoir été plus larges que celles de la loi de Romulus, rapportée par Plutarque[26]. Cicéron y fait allusion dans sa deuxième Philippique, quand, raillant les débordements d’Antoine, il le vante du sublime effort qui lui a fait renvoyer sa comédienne[27]. « Quel homme de bien ! s’écrie-t-il, l’action la plus honnête de sa vie est d’avoir divorcé avec une comédienne ! »

Quelles étaient les causes de divorce que la loi des Douze Tables permettait d’alléguer ? On l’ignore, mais elles devaient peu s’éloigner de la simplicité des dispositions primitives, signalées par Plutarque ; plus de deux siècles s’écoulèrent avant que l’usage du divorce s’établit, accueilli d’abord par la réprobation publique, mais bientôt généralisé sous l’influence des mœurs de la Grèce, et des habitudes plus molles que répandit la richesse succédant à la rusticité des anciens.

Dans l’intervalle, les censeurs veillèrent à la pureté des mœurs et à la proscription du célibat. En dressant les listes du cens, ils s’informaient de la position des citoyens et leur faisaient affirmer sous serment qu’ils étaient mariés, lorsque ceux-ci le déclaraient. La formule du serment était conçue de manière à établir le but du mariage, qui est la continuation de l’espèce humaine : uxorem se liberorum quærendorum causâ habiturum. Mais au fond l’uxor liberorum quærendorum causâ signifie d’une manière plus solennelle la même chose que le simple terme d’uzor[28].

Denys d’Halicarnasse, Valère-Maxime, Aulu-Gelle et Plutarque racontent que Sp. Carvilius Ruga profita du sens littéral de cette formule, pour répudier sa femme qui était stérile, et qu’il échappaà la note censoriale. Le prétexte était habilement choisi chez un peuple aussi rigoureusement attaché aux paroles solennelles des formules ; Carvilius Ruga se couvrit d’un apparent respect pour la religion du serment, en prétendant qu’il ne voulait pas être parjure, et qu’il était forcé de se séparer de sa femme du moment où celle-ci ne pouvait point lui faire espérer de postérité.

C’est Aulu-Gelle qui rapporte l’acte de Carvilius avec le plus de détails[29]. Il en fixe la date à l’an 523 depuis la fondation de Rome ; son récit est d’autant plus remarquable, qu’il est puisé dans un livre sur les dots, écrit par Servius Sulpicius, et que la création des cautiones rei uxoriæ se rattache à ce premier exemple de divorce arbitraire.

Aulu-Gelle accepte comme vraie l’excuse hypocrite alléguée par Carvilius Ruga ; il suppose que le serment prêté devant les censeurs obligeait ce dernier à se séparer d’une femme qu’il chérissait.

Mais le mariage de Carvilius Ruga n’était certes pas la première union qui fût stérile à Rome ; les censeurs auraient donc fréquemment usé de la même rigueur[30]; cette partie du récit d’Aulu-Gelle est inadmissible ; autrement pourquoi cet acte aurait-il acquis une célébrité exceptionnelle ? Si Carvilius Ruga n’avait fait qu’obéir à la sainteté du serment, ou à l’injonction des censeurs, il n’aurait point encouru l’animadversion publique. Or, Denys d’Halicarnasse, qui a vécu cinquante-cinq ans avant Jésus-Christ, et par conséquent à moins de deux siècles de distance de la répudiation prononcée par Carvilius Ruga, raconte comme une chose généralement connue[31], que durant cinq cent vingt années il n’y eut aucun divorce à Rome. C’est seulement, dit-il, vers l’époque de la cent trente-septième olympiade, sous le consulat de M. Pomponius et de C. Papirius, que Carvilius Ruga, citoyen d’une position distinguée (ἀγήρ ςῠϰὰφανὴς) doit s’être, pour la première fois, séparé de sa femme, parce qu’il avait été contraint par les censeurs de jurer qu’il vivait avec elle dans l’intention d’avoir des enfants (τὲϰγῶν ἒνεϰα γυναιϰὶμὴσυνςιϰεῐν). Celle-ci était stérile. Cette conduite, bien que forcée, l’exposa à la haine constante du peuple.

Évidemment, cette dernière phrase implique contradiction ; si l’acte de Carvilius souleva le blâme public, ce qui n’est pas douteux, il ne devait avoir que les faux dehors de la légalité. Valère-Maxime, qui s’accorde, du reste, avec Denys d’Halicarnasse sur le fait en lui-même, et qui lui assigne la même date (l’an 520 de Rome), dit que le blâme infligé à cet acte se fondait sur ce que le désir d’avoir des enfants ne devait point l’emporter sur la fidélité conjugale[32].

Plutarque est encore plus explicite dans l’éloge qu’il fait de Romulus[33]. « Le temps, dit-il, est un témoin sûr de la pudeur, de l’amour et de la constance qu’il mit dans l’union conjugale. Pendant l’espace de deux cent trente ans, on ne vit pas un seul mari qui osât quitter sa femme, ni une femme son mari ; et comme chez les Grecs, les gens versés dans l’antiquité peuvent nommer le premier homme qui tua son père ou sa mère, de même tous les Romains savent que Spurius Carvilius fut le premier qui répudia sa femme ; encore en donna-t-il pour raison sa stérilité. »

Cette réprobation éclatante se serait-elle attachée à un acte légitime?Aurait-on adopté comme le point de départ d’un nouvel état des choses le divorce de Carvilius, s’il n’avait pas fourni le précédent sur lequel se modela un droit nouveau ?

Plutarque s’éloigne beaucoup de la date précisée par les trois auteurs que nous avons précédemment cités ; mais son allégation isolée ne saurait prévaloir contre cet accord, fortifié par Tertullien, qui reporte encore plus tard l’époque du divorce de Carvilius, en rappelant que durant environ six siècles, Rome fut libre de toute rupture du lien conjugal[34]. Cujas adopte l’opinion de Tertullien[35].

Les savantes recherches de M. de Savigny[36]ont suffisamment démontré que la formule du serment exigé par les censeurs n’avait pas la portée que lui attribua insidieusement Carvilius Ruga. Celui-ci joua sur les mots pour violer impunément la loi, comme le fit plus tard le mauvais plaisant, dont parlent Aulu-Gelle[37]et Cicéron[38], pour se livrer à un simple jeu d’esprit. Interrogé par le censeur pour qu’il déclarât en conscience (ex animi tui sententià) s’il était marié : Je le suis, s’écria-t-il ; mais, j’en atteste le Ciel, ce n’est pas à mon gré (habeo equidem uxorem, sed non, hercle, ex animi mei sententià). Le censeur était Caton ; il punit cette plaisanterie déplacée, en retranchant le railleur de la première classe[39].

Les censeurs sont donc lavés du reproche d’avoir provoqué le divorce de Carvilius. Mais pourquoi adressaient-ils cette question, faisaient-ils prêter ce serment ? C’était pour engager au mariage, ou pour punir les célibataires, en vertu de ce précepte ancien : libes esse prohibento. En dressant la liste des citoyens, ils demandaient seulement une déclaration de l’état de chacun, sans imposer un engagement pour l’avenir. Carvilius se para d’une religiosité hypocrite, pour manquer au devoir conjugal, en jouant sur le sens littéral de la formule.

Pour justifier cette application tardive du divorce à Rome, M. Klenze s’est livré à d’ingénieuses investigations. Il attribue à l’affaiblissement du pouvoir du tribunal domestique et de l’autorité de la censure l’oubli où sont tombées, parmi les patriciens, les anciennes règles, et il explique ainsi comment on est passé, de l’indissolubilité absolue de l’ancien mariage patricien, jusqu’à la licence des temps d’Auguste.

Suivant ce jurisconsulte, le divorce avait toujours été admis chez les plébéiens, et Carvilius Ruga appartenait à cette race inférieure[40]; il n’aurait donc pas contracté mariage suivant le rite de la confarréation, le seul dont parlent Denys d’Halicarnasse et Plutarque.

Mais, s’il en était ainsi, si la confarréation seule avait attribué au mariage le privilège de l’indissolubilité, si ce privilège n’avait pas été acquis généralement au mariage rigoureux, accompagné de la puissance maritale, comment s’expliquerait la célébrité attachée au divorce du plébéien Carvilius ? Comment s’établirait la coïncidence remarquable entre la désuétude où tomba la manus et la multiplicité croissante des divorces ?

N’est-il pas plutôt permis de penser que durant les cinq premiers siècles de Rome, la répudiation, acte de la volonté du chef de la famille, eut seule cours dans des cas précisés par la loi ou la coutume, et en vertu d’un jugement?

Du reste, M. Klenze le reconnaît lui-même à la fin de son intéressante dissertation.

« Carvilius, dit-il, donna l’exemple d’un nouveau mode de divorce, et fit multiplier des cas analogues. Sans doute, il fut le premier à se séparer de sa femme, sans obéir aux limitations admises jusque-là ; il négligea de recourir au jugement des cognats, puisqu’il n’avait aucun reproche légitime à formuler contre sa femme ; il échappaà la peine censoriale, puisqu’il démontra aux censeurs, en se servant de leur propre formule, qu’il agissait religiosè dans cette séparation. On peut donc, à bon droit, regarder ce divorce comme le premier, car il méprisa le premier les règles qui limitaient le pouvoir du mari, et ouvrit ainsi un champ libre à la séparation des époux.

« Le peuple oublia les anciennes règles, et rattacha Carvilius le point de départ de la nouvelle doctrine, comme cela a lieu d’habitude dans l’histoire où l’on choisit un événement, au-delà duquel les investigations deviennent superflues. »

Tous les interprètes du droit romain se sont occupés de cette question du divorce de Carvilius, qui acquiert une grande importance, parce qu’elle conduit à l’établissement d’un ordre nouveau pour la société conjugale.

Zimmern[41] a simplement envisagé ce fait, comme le premier exemple de séparation sterilitatis causa. Le savant Hugo rapporte cette histoire à l’introduction, mal comprise, de la cautio rei uxoriæ[42], M. Hasse suppose qu’un empêchement politique et religieux prévenait la dissolution du lien conjugal ; il attribue un grand empire à l’influence des mœurs : le relâchement de celles-ci brisa la barrière opposée au divorce[43].

M. Waechter penche vers l’opinion de Montesquieu ; il croit que la pratique du divorce remonte chez les Romains à une époque plus ancienne que celle de Carvilius, à partir de laquelle on aurait vu seulement les séparations se multiplier[44].

Montesquieu, dans le chapitre qu’il a consacré à la répudiation et au divorce chez les Romains[45], suppose que les députés de Rome rapportèrent d’Athènes, pour l’insérer dans la loi des Douze Tables, la faculté accordée à la femme aussi bien qu’au mari, de demander le divorce. La fiction de l’ambassade législative formule assez bien l’influence progressive qu’exercèrent les habitudes grecques sur la société romaine ; nous pensons aussi que c’est à cette influence qu’il faut attribuer le déclin de la manus et le règne du mariage libre[46], ainsi que l’introduction du divorce ; mais au lieu de supposer un texte inconnu de la loi des Douze Tables, il nous paraît plus conforme à la vérité historique de mettre cette révolution sur le compte des modifications apportées par la coutume et de l’altération subie par les mœurs.

La loi grecque, naturalisée à Rome, prit l’empreinte de la rudesse italique, de cette libre expression de la volonté, qui élevait chaque membre de la cité au rang de législateur dans le sein de la société domestique.

Athènes interposait l’autorité publique entre les époux qui demandaient le divorce.

« Un mari obligé de répudier sa femme, dit l’abbé Barthélemy, doit auparavant s’adresser à un tribunal auquel préside un des principaux magistrats. Le même tribunal reçoit les plaintes des femmes qui veulent se séparer de leurs maris[47]. »

Il reproduit les mêmes indications dans un autre passage[48].

« Le divorce sera permis, mais à des conditions qui en restreindront l’usage. Si c’est l’époux qui demande la séparation, il s’expose à rendre la dot à sa femme, ou du moins à lui payer une pension alimentaire, fixée par la loi ; si c’est la femme, il faut qu’elle comparaisse elle-même devant les juges, et qu’elle leur présente sa requête.»

Les renseignements fournis par Gans[49]et par Heffler s’accordent avec cette règle ; la maison commune était le terrain du mariage ; le renvoi de la femme par le mari se nommait άποπομπὴ, et l’abandon de la maison conjugale par la femme αποδειφις. Mais ces deux auteurs pensent que la femme seule dut s’adresser à l’archonte, tandis que le mari usait librement de son droit de répudiation.

À Rome, du moment où le divorce fut admis dans l’usage habituel, cette liberté de répudiation fut réciproque entre le mari et la femme, sans être assujettie à aucune forme particulière, puisqu’on alla jusqu’à reconnaître les effets d’une répudiation tacite !

Montesquieu accuse d’invraisemblance le récit relatif au divorce de Carvilius Ruga. Il suffit, dit-il, de connaître la nature de l’esprit humain, pour sentir quel prodige ce serait que, la loi donnant à tout un peuple un droit pareil (le droit de répudiation), personne n’en usât[50].

Mais c’est le droit dont il parle qui n’existait pas, puisque cette prétendue faculté du divorce se bornait au renvoi de la femme, en vertu d’un jugement qui constatait sa culpabilité, dans des cas déterminés. Le législateur n’invitait pas les citoyens à manquer de respect aux auspices, quand il n’autorisait la dissolution du mariage entre époux vivants que comme châtiment d’un délit commis par la femme ; et la loi ne pouvait être accusée de corrompre les mœurs, puisque ce sont, au contraire, des mœurs plus relâchées qui ont fait violence à l’esprit de la loi, par une interprétation captieuse.

Nous attachons peu d’importance à vérifier l’exactitude scrupuleuse d’une date, ou les termes précis d’une disposition légale, à cette époque reculée. La tradition ne procède que par des indications générales ; elle suffit cependant pour faire constater tout ce qu’il est utile de savoir. Quand, ce que nous ne saurions admettre, le divorce de Carvilius Ruga ne serait qu’une fable, cette fable acceptée par la croyance populaire n’en aurait pas moins un sens profond. Elle prouverait toujours que fort longtemps il n’y eut point de séparation à Rome entre époux vivants ; elle prouverait le respect attaché, dans les temps anciens, au pacte conjugal.

Le mariage primitif, accompagné de la puissance, répugnait à cette idée de séparation, qui dut premièrement naître dans le mariage libre.

Il ne faut pas que cette désignation induise en erreur sur la nature du lien matrimonial dans une pareille union. Nous n’adoptons le terme de mariage libre que par opposition au mariage rigoureux, qui faisait de la femme la fille du mari. Ce terme signifie simplement que l’épouse ne subit point la manus, qu’elle reste dans la famille de son père, et par conséquent qu’elle ne participe point aux biens de l’époux, qu’elle n’obtient aucun droit de succession. La séparation des patrimoines est absolue dans cette hypothèse, comme la confusion des patrimoines était absolue dans l’organisation du mariage rigoureux ; si la femme apporte au mari quelques valeurs ou une certaine somme, pour contribuer aux charges du ménage commun, ces valeurs deviennent la propriété de l’époux.

Entre ces deux systèmes si tranchés vient se placer le régime dotal, qui, destiné d’abord uniquement à autoriser la femme à réclamer la restitution de dot, en cas de divorce, s’appliqua plus tard à protéger la conservation de cette dot, en l’entourant de garanties spéciales.

Mais le mariage libre était tout aussi parfait, tout aussi sacré que le mariage avec la manus. Des témoignages nombreux se réunissent pour démontrer qu’en dehors de la solennité du farreum, ou de la mancipation par achat, les autres cérémonies nuptiales accompagnaient également le mariage non rigoureux, comme le mariage rigoureux, plutôt avec le caractère d’une fête et d’usages symboliques, que comme condition requise pour la validité de l’union conjugale.

La simple expression de la volonté constituait le mariage libre ; l’expression d’une volonté contraire devait donc suffire pour le dissoudre, comme cela se pratiquait dans tous les contrats civils[51]. Mais sans doute d’abord le consentement mutuel des époux dut être exigé ; car autrement la forme de la rupture eût différé de la forme du contrat.

L’interruption de l’usus, autorisée par les Douze Tables, permit aux femmes d’échapper à la puissance maritale. Nous avons eu occasion d’expliquer le motif de cette innovation ; elle devait, dans l’intention des patriciens, empêcher le mélange trop intime des deux ordres, par les alliances matrimoniales.

Ces alliances furent rares, malgré le plébiscite Canuléien ; mais dans les unions ordinaires, contractées sans les solennités de la confarréation et de la coemption, le mariage put se séparer d’une manière permanente de la manus ; et quand les usages de la Grèce commencèrent à s’infiltrer dans la société romaine, le mariage athénien rencontra un terrain préparé pour le recevoir. Sous cette influence, la manus déclina de plus en plus, les mariages libres s’établirent avec la force de la coutume.

Mais Athènes admettait le divorce, aussi bien en vertu de l’initiative prise par la femme, qu’en vertu du droit de répudiation attribué au mari. Ces idées pénétrèrent peu à peu dans le mariage non rigoureux, et la volonté de l’un des époux suffit pour amener la séparation, sans qu’on eût besoin de recourir au consentement mutuel.

Du moment où ces habitudes furent prises, le mariage rigoureux ne pouvait demeurer immobile au contact d’une révolution survenue dans les rapports entre époux. L’affaiblissement des croyances religieuses et l’extinction des anciennes familles patriciennes, majores gentes, rendaient, du reste, de plus en plus rares les unions contractées avec le farreum; les cérémonies de la diffarreatio, qui dissolvaient la puissance religieuse du mari, continuèrent donc à être exceptionnelles ; elles s’appliquaient au cas de condamnation de la femme ; c’est sans doute à cause de cela qu’elles avaient ce caractère lugubre dont parle Plutarque[52], quand il raconte le divorce du flamine, autorisé, pour la première fois, par Domitien.

L’achat de la femme se résolvait par la remancipation[53], en vertu de laquelle le mariage rigoureux se transformait en mariage non rigoureux, et obéissait alors aux mêmes règles.

Les unions qui furent à l’abri du divorce furent des unions exceptionnelles, une fois que la barrière qui protégeait la sainteté du pacte conjugal fut renversée. L’audace de Carvilius dut sembler un procédé bien timide quelque temps plus tard, alors que le prétexte le plus frivole suffit pour motiver la répudiation, et que le caprice d’une femme brisait à volonté le lien matrimonial.

Valère-Maxime cite, en les approuvant, plusieurs exemples de la sévérité des anciens Romains, qui renvoyèrent leurs épouses : Sulpicius Gallus, parce que sa femme s’était montrée dehors la tête découverte ; Antistius Vetus, parce que la sienne avait parlé à une affranchie mal famée ; Sempronius Sophus, parce que sa femme avait été au spectacle à son insu[54].

La facilité du divorce suggéra la pensée d’indignes spéculations. Des citoyens épousaient des femmes impudiques, afin de gagner leur dot en les répudiant sous l’accusation d’impudicité[55].

On connaît l’exemple de Paul Émile, qui se dispensa d’alléguer aucune cause, lorsqu’il répudia Papiria, la mère du célèbre Scipion et de Fabius Maximus ; et Plutarque l’approuve en disant que, souvent des offenses légères, mais fréquentes, suite de dégoûts secrets, d’incompatibilité d’humeur, et qui ne sont connues que du mari, rendent odieuse la société de certaines femmes, et inspirent pour elles une aversion insurmontable[56].

Sylla répudie Cécilia pour épouser Métella[57]; Pompée, malgré la sévérité de ses mœurs, abandonne une épouse tendrement aimée pour s’unir à Émilie, fille de Sylla. Celle-ci était mariée et enceinte ; la double répudiation eut lieu cependant[58].

Cicéron lui-même, et nous dirons avec Heineccius, qu’il est difficile de rencontrer un Romain plus scrupuleux observateur de l’honnête, Cicéron répudia Térentia pour payer ses dettes avec la fortune d’une autre femme, et Publia, parce qu’elle n’avait pas suffisamment partagé son affliction à la mort de Tullia[59].

César n’a-t-il pas renvoyé Pompéia, sa femme, en alléguant le simple soupçon d’une faute commise avec Clodius, et en disant que les siens ne devaient pas même être soupçonnés: Interrogatusque cur igitur repudiasset uxorem, « quoniam, inquit, meos tam suspicione, quàm crimine, judico carere oportere. » (Sueton., Cæs., 74).

Les femmes prenaient leur revanche avec la même légèreté ; nous voyons un des amis de Cicéron, Cælius, lui mander, comme la chose la plus simple, que Paula Valeria, sœur de Triarius, a divorcé sans cause, avec son mari, le jour où celui-ci devait être de retour. Elle épouse D. Brutus, ajoute-t-il[60].

Et comment s’en étonner lorsqu’on voit Cicéron citer parmi les exemples qui prouvent combien l’étude du droit est nécessaire à l’orateur, le cas suivant :

Un homme abandonne sa femme enceinte en Espagne, et revient à Rome où il en épouse une autre sans avoir répudié la première ; il meurt sans testament et laisse un fils de chacune de ses deux femmes. Était-ce donc une question peu importante, demande Cicéron ! Il s’agissait de l’état de deux citoyens, de l’état du fils né de la seconde femme, et de celui de sa mère. Celle-ci aurait été déclarée concubine si l’on jugeait qu’un second mariage ne suffisait pas pour rompre le premier, et qu’il était nécessaire de remplir les formalités du divorce[61].

Quelles étaient ces formalités ? Nous le dirons tout à l’heure. Bornons-nous à constater ici que l’on en était venu jusqu’à discuter gravement si un second mariage n’équivalait point à la répudiation d’une première femme, moyen commode d’échapper au reproche de la polygamie. La moindre gêne devenait pesante aux Romains, puisqu’ils allaient jusqu’à s’affranchir du simple envoi d’un libelle de répudiation !

La question du divorce en vertu du mariage subséquent était, du reste, fort controversée parmi les plus habiles jurisconsultes, ainsi que l’atteste un des interlocuteurs du dialogue De l’orateur, Antoine[62], qui s’attache à montrer combien la science du droit est incertaine.

Faut-il rappeler ici les déplorables effets qu’entraîna cette facilité du divorce, et tracer le tableau de la dégradation dans laquelle furent entraînées les mœurs romaines ? Mais il faudrait pour cela citer tous les écrivains, tous les poètes, tous les orateurs, tous les philosophes de Rome, qui dénoncent presque à chaque page cette triste dépravation ! La violation constante du pacte conjugal a fourni ample matière à l’indignation de Juvénal, à la verve caustique et impitoyable de Martial, aux réflexions sévères de Sénèque. Loin de protéger la pureté du mariage, cette facilité du divorce multipliait les fautes des femmes ; elle semblait servir d’aiguillon à leurs emportements, et la présence de l’époux ne faisait que provoquer l’adultère, en donnant plus de charme aux amours défendus[63].

Combien le témoignage de l’histoire, à la fin de la république et sous l’empire, ne justifie-t-il point ces paroles de Carion-Nisas, dans le célèbre discours prononcé au Tribunat pour repousser de notre Code la faculté du divorce[64]!

« Divorce, nouveau lien, éternelle recherche du bonheur, systèmes décevants, qui jettent l’homme dans une inconstance sans terme et sans fin, et ne produisent, en dernier résultat, que le dégoût et le désespoir. »

Ce dégoût du lien matrimonial se manifeste vivement chez les Romains ; ils fuyaient le mariage, dont on leur avait cependant rendu la chaîne si légère !

La Grèce ne fit pas seulement pénétrer à Rome le mariage libre et le divorce ; elle inocula aussi aux descendants de Romulus une horrible corruption, dont l’exemple avait été donné par ces villes grecques, où un vice aveugle régnait d’une manière effrénée, où l’amour n’avait qu’une forme que l’on n’ose dire[65].

Les mœurs nouvelles, dit Montesquieu, contribuèrent beaucoup à dégoûter les citoyens du mariage, qui n’a que des peines pour ceux qui n’ont plus de sens pour les plaisirs de l’innocence. C’est l’esprit de cette célèbre harangue au peuple du censeur Métellus Numidicus, citée également par Malthus :

« Romains, si nous pouvions vivre sans femmes, nous nous épargnerions tous un grand embarras ; mais puisque la nature a voulu que nous ne puissions pas vivre commodément avec elles, et que sans elles nous ne puissions pas exister du tout, il faut pourvoir à la perpétuité de l’État plutôt qu’à une satisfaction passagère[66]. »

La corruption des mœurs détruisit la censure, établie elle-même pour détruire la corruption des mœurs ; lorsque cette corruption devient générale, la censure n’a plus de force[67].

C’est ainsi que les vertus domestiques, que la constitution de la famille et des rapports entre époux, réagissent sur la cité. La population, dont on a voulu invoquer l’intérêt en faveur du divorce, déclina au contact de ces désordres.

Gibbon, dont le témoignage ne sera certes pas suspect, et que l’on ne saurait accuser de s’être laissé dominer par les préoccupations religieuses, accuse la facilité du divorce d’avoir corrompu Rome. Cette expérience si libre et si complète des Romains, dit-il[68], démontre, malgré la théorie spécieuse formée sur cet objet, que la trop grande liberté du divorce ne contribue pas au bonheur et à la vertu. La facilité des séparations détruirait la confiance mutuelle et aigrirait les disputes les plus minutieuses. La femme, qui en cinq années ose se livrer aux embrassements de huit maris, ne peut plus avoir de pudeur, et Martial a raison de lui préférer une courtisane[69].

Dans ce quarante-quatrième chapitre de son histoire, Gibbon trace le tableau suivant des effets du mariage libre : « Quand les matrones romaines furent devenues les compagnes volontaires et les égales de leurs maris, une nouvelle jurisprudence s’établit, et le mariage se rompit comme toutes les autres associations, par le désistement d’un des associés. Pendant trois siècles de prospérité et de corruption, ce principe passa en pratique et entraîna de funestes abus. Les passions, l’intérêt ou le caprice excitaient chaque jour à demander la dissolution du mariage ; un mot, un signe, un message, la bouche d’un affranchi déclaraient la séparation, et la plus tendre des liaisons humaines devenait une association passagère d’argent ou de plaisir. Selon les diverses conditions de la vie, cet arrangement nuisait tour à tour aux deux sexes ; une femme inconstante portait ses richesses dans une nouvelle famille ; elle abandonnait à son premier époux un grand nombre d’enfants, qui peut-être n’étaient pas de lui ; une femme qui avait été belle se trouvait, à l’époque de sa vieillesse, rejetée dans le monde, sans ressources et sans amis. »

Voici quel fut le divorce chez les Romains et quels furent ses résultats ; c’est dans ce triste désordre que le régime dotal prit naissance, comme un remède contre la spoliation des femmes, organisée par des maris temporaires, et comme un moyen de favoriser de nouvelles unions.

L. WOLOWSKI.

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[1] Montesquieu, Esprit des Lois, liv. VIII, ch. XIII.

[2] Tite-Live : Nulla unquam respublica nec major, nec sanctior, nec bonis exemplis ditior fuit : nec in quam civitatem tam seræ avaritia luxuriaque immigraverint. Hist. rom., Préface.

[3] La corruption des femmes fut la cause première des maux qui accablèrent Rome, hoc fonte derivata clades, dit Horace dans une de ses plus belles odes (liv. III, 6), celle adressée aux Romains, et dont nous rappellerons les principaux passages :

 « Fœcunda culpæ sœcula nuptias

 Primùm inquinavere, et genus et domos ;

Hoc fonte derivata clades

In patriam populumque fluxit.

Molus doceri gaudet Ionicos

Matura virgo, et lingilur artubus :

Jam nunc et incestos amores

De tenero meditatur ungui.

Mox juniores quærit adulteros

Inter mariti vina ; neque eligit

Cui donet impermissa raptim

Gaudia, luminibus remotis ;

Sed jussa coram non sinè conscio

Surgit marito, seu vocat institor,

Seu navis Hispanæ magister,

Dedecorum pretiosus emptor…

 … Ætas parentum, pejor avis, tulit

Nos nequiores, mox daturos

Progeniem vitiosiorem. »

[4] « Domum servavit, lanam fecit. » Gruter, Corpus inscript.

[5] Apologet. VI : « Nunc in fœminis præ auro nullum leve est membrum, præ vino nullum liberum est osculum. »

De hab. muliebri, in fine : « Saltus et insulas tenera cervix fert. Graciles aurium cutes kalendarium expendunt, et sinistra per singulos digitos de saccis singulis ludit. Hæ sunt vires ambitionis, tantarum usurarum substantiam uno et muliebri corpusculo bajulare. »

[6] Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XXIII, ch. II.

[7] Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XXIII, ch. X.

[8] Tacite, De mor. German., c. XIX : « Plusque ibi boni mores valent, quàm alibi bonæ leges. »

[9] Exposé des motifs du titre du mariage. Locré, Legisl. civ., tom. IV, p. 526.

[10] Tantæ molis erat Romanam condere gentem.

VIRGILE, Enéid., I, 33.

[11] Cœlibes esse prohibento.

[12] Valère Maxime, liv. II, chap. 9 : De Censoria severitate (an. urb. 301) : « Camillus et Posthumus censores æra pœnæ nomine eos, qui ad senectutem cœlibes pervenerant, in ærarium deferre jusserunt : iterum puniri dignos, si quo modo de tam justa constitutione queri sunt ausi, cum in hunc modum increparentur : Natura vobis, quemadmodum nascendi, ita gignendi legem scribit ; parentesque vos alendo, nepotum nutriendorum debito (si quis est pudor), alligaverunt. Accedit his quòd etiam fortunâ longam præstandi hujusce muneris advocationem estis assecuti : cùm interim consumpti sint anni vestri, et mariti et patris nomine vacui. Ite igitur et nodosam (a) exsolvite stipem utilem posteritali numerosœ (V. Festus, Uxorium; Gell. 1, 6 ; II, 15 ; Sueton., Aug. 89).

Horum severitatem M. Valerius Max, et C. Junius Bubulcus Brutus censores in consimili genere animadversionis imilali, L. Antonium senatu moverunt, quòd, quam virginem in matrimonium duxerat, repudiasset, nullo amicorum in consilium adhibito. At hoc crimen nescio an superiore majus : illo namque conjugalia sacra spreta tantùm, hoc etiam injuriosè tractata sunt. Optimo ergo judicio censores indignum eum aditu curiæ existimaverunt. »

Aulu-Gelle rapporte (Noct. attic., lib. XVI, p. 10) une discussion qu’il avait eue au sujet du mot Proletarius. Il consulta un de ses amis, versé dans le droit civil, sur le sens de celle expression employée par Ennius :

Proletarius publicitus seutisque, eroque

Oruatur ferro…

Le même terme se rencontre dans la loi des Douze Tables. Aussi n’admet-il pas l’excuse mise en avant, pour éviter l’interprétation, qu’on soit jurisconsulte et non grammairien. Un savant poète, Julius Paulus, propose alors l’explication suivante :

Qui in plebe Romanâ tenuissimi, pauperriniique erant, neque ampliùs quàm mille quingentum æris in censum deferebant proletarii appellati sunt… Cùm re familiari parvâ minùs possent rempublicam juvare, sobolis tamen gignendæ copiâ civitatem frequentarent.

C’étaient ces prolétaires qui acquittaient leur dette envers la cité en la peuplant, que Salluste avait en vue, quand il disait : Et homini polentiam quærenti egentissimus quisque opportunissimus.

(a) Quam cœlibes minùs promptè et inviti atque difficulter pendebant (Note de J. Kappius). D’autres lisent uxoriam.

[13] Lettres persanes, CXIV.

[14] V. surtout, ibid., la lettre CXVI tout entière.

[15] Lettres persanes, CXVI.

[16] Esprit des lois, liv. XXIII, chap. XXIII.

[17] Dion. Halicarn., lib. II.

[18] Romulus, XXIX, traduction de Ricard.

[19] Die Freiheit der Ehescheidung nach allerm Römischen Rechte-Zeitscrhift für geschichtliche Rechts-wissenschaft, t. VII, p. 21.

[20] III. 156. C. Cujas. Observ., lib. VI, c. 25. —Capitis deminutionem non feri ad tempus :

« In manum conventio non fit ad tempus sed perpetuæ consuetudinis cogitatione et voto.

Lege Romuli adulteram privato mariti et cognatorum judicio morte puniri : quem errorem hausit ab iis qui hanc quasi Romuli legem condiderunt, adulterii convictam vir et cognati uti volent necanto : non ego credulus illis. Halicarnasseus ξιμιοῦν dixit, quòd est multam infligere, non mortem. Gellius quoque multare, non necare. Lege Juliâ eamdem pœnam esse constitutam, quod refutavimus supra. »

[21] Plin., Hist. nat., XIV, 13 : « Invenimus inter exempla Egnatii Mecenni uxorem, quòd vinum bibisset è dolio, interfectam fuste àmarito, eumque cædis à Romulo absolutum. »

[22] Wachter : Uber Ehescheidungen bei den Rómern, entre à cet égard dans des détails intéressants, p. 62 et 63, en note.

Plutarque (Quæstiones rom., 20), pour expliquer pourquoi les dames romaines ne portaient jamais de myrte à la Bonne Déesse, dit : Faut-il croire qu’un aruspice nommé Faulius, ayant découvert que sa femme avait bu du vin, la châtia avec des verges de myrte ?

Le même auteur parle, dans un autre endroit (Quæst. rom., 6), de l’usage des femmes romaines, qui embrassaient leurs proches en les saluant : « Est-ce, comme on le dit généralement, parce que l’usage du vin était défendu aux femmes, et que, pour reconnaître celles qui en auraient bu, on les obligeait à baiser leurs parents sur la bouche ? »

Valère Maxime constate que l’usage du vin était interdit aux femmes (II, 5) : « Vini usus olim Romanis fœminis ignotus fuit, ne scilicet in aliquod dedecus prolaberentur : quia proximus à Libero, patre intemperantiæ, gradus ad inconcessam Venerem esse consuevit. »

Le même auteur, en rapportant le fait raconté par Pline, semble l’attribuer à l’exercice du droit légitime du mari :

« Magno scelere horum severitas ad exigendam vindictam concitata est. Egnatii autem Metelli longè minori de causâ ; qui uxorem quòd vinum bibisset fuste percussam interemit. Idque factum non accusatore tantùm, sed etiam reprehensore caruit ; unoquoque existimante, optimo illam exemplo violatæ sobrietatis pœnas pependisse. Et sanè quæcumque fœmina vini usum immoderatè appetit omnibus et virtutibus januam claudit et delictis aperit. » — VI.

Terlullien s’exprime dans le même sens (Apologet., VI) :

« Circa fœminas quidem etiam illa majorum instituta ceciderunt, quæ modestiæ, quæ sobrietati patrocinabantur ; cùm aurum nulla norat, præter unico digito quem sponsus oppignerasset pronubo annulo ; cùm mulieres usque adeo vino abstinerent, ut matronam ob resignatos cellæ vinariæ loculos sui inediâ necarint. Sub Romulo verò quæ vinum attigerat, impunè à Mecenio marito trucidata est. Idcireo et oscula propinquis offerre necessitas erat, ut spiritu judicarentur. »

Mais le récit de Pline se concilie mieux avec les autres traditions historiques. Nous pensons, avec Wachter (loc. cit.), que le mari n’a jamais eu seul le droit de condamner sa femme à mort,à moins qu’il ne l’ait surprise en flagrant délit d’adultère :

« De jure autem occidendi ita scriptum est (in oratione Catonis, quæ inscribitur De dote) : in adulterio uxorem tuam si deprehendisses, sinè judicio impunè necares : illa te, sive tu adulterarere, digito non auderet contingere, neque jus est. » Aulu-Gelle, Nuits att., X, 23.

[23] M. Cato non solùm existimatas sed mulctatas quoque à judice mulieres refert non minùs si vinum in se, quàm si probrum et adulterium admisissent. Verba M. Catonis adscripsi ex oratione quæ inscribitur De dote, in quâ id quoque scriptum est, in adulterio uxores deprehensas jus fuisse maritis necare. Vir, inquit, cùm divortium facit, mulieri judex pro censore est : imperium quod videtur, habet : si quid perversè, tetrèque factum est à muliere, mulctatur : si vinum bibit, si cum alieno viro probri quid fecit, condemnatur. » (Noctes altic., X, 22.)

[24] XXXIX, 18. Mulieres damuatas (De Bacchanalibus) cognatis, aut in quorum manu essent, tradebant ut ipsi in privato animadverterent in eas.

[25] Annal., XIII, 32. Pomponia Græcina insignis femina Plaulio nupta, ac superstitionis externæ rea, marili judicio permissa. Isque prisco instituto, propinquis coram de capite famâque conjugis cognovit et insontem nuntiavit.

[26] Heineccius, Antiq. rom., Adpend., lib. I, cap. I, XLIV. Si vir mulieri repudium mittere volet, causam dicito harumce unam.

[27] Mimam suam suas res sibi habere jussit, ex Duodecim Tabulis causam addidit, claves ademit, foras exegit. Quàm porrò spectalus civis ! quàm probatus ! cujus ex omni vitâ nihil est honestius, quàm quòd cum mimâ fecit divortium. Philip. secund., 28.

[28]M. de Savigny (loc. cit.) dit (p. 272, en note) que cette expression pouvait servir à distinguer en tout temps le mariage véritable du concubinat. Depuis la loi Julia et Pappia Poppea, elle pouvait encore être employée pour mettre en opposition les unions sérieuses et celles qui n’avaient été contractées qu’en apparence, pour faire éviter les peines du célibat.

[29] IV, ch. III, Noctes attic. : « Memoriæ traditum est, quingentis ferè annis post Romam conditam, nullas rei uxoriæ neque actiones neque cautiones iu urbe Romanâ aut in Lalio fuisse ; quia profecto nihil desiderabantur, nullis etiam tunc matrimoniis divertentibus. Servius quoque Sulpicius in libro quem composuit De dotibus, tum primùm cautiones rei uxoriæ necessarias esse visas scripsit, cùm Spurius Carvilius, cuiRuga cognomentum fuit, vir nobilis (?), divortium cum uxore fecit ; quia liberi ex eâ, corporis vitio, non gignerentur, anno urbis conditæ quingentesimo vigesimo tertio, M. Allilio, P. Valerio coss. Atque is Carvilius traditur uxorem quam dimisit, egregiè dilexisse, carissimamque morum ejus gratiâ babuisse ; sed jurisjurandi religionem animo atque amori prævertisse ; quòd jurare à censoribus coactus erat uxorem se liberorum quærendorum gratiâ habiturum. »

[30] Liv. II.

[31] M. de Savigny : Ueber die erste Ehescheidung. Zeitscht. für geschichte. Rechtswisch, V. 271.

[32] II, 4 : « Repudium inter uxorem et virum à conditâ urbe usque ad vicesimum et quingentesimum annum nullum intercessit. Primus autem Sp. Carvilius uxorem sicrilitatis causâ dimisit. Qui quanquam tolerabili ratione motus videbatur, reprehensione tamen non caruit : quia nec cupiditatem quidem liberorum conjugali fidei præponi debuisse arbitrabantur. » (Dion., II ; Plut., Rom. et Num., lib. XX ; Tert., De monog. ; Tert., Apolog.)

[33] Parallèle de Thésée et de Romulus, 8.

[34] Apologet. VI : « Ubi est illa felicitas matrimoniorum de moribus utiquè prosperata, quà per annos ferè sexcentos ab urbe condità nulla repudium domus scripsit ? »

 — De Monogamiâ. – Adeò repudium à primordio non fuit, ut apud Romanos post annum sexcentesimum urbis conditæ, id genus duritiæ fuisse denotetur.

[35] Observ., lib. I, c. XXXIX, t. III, p. 23, édit. de Naples.

[36] Uber die erste Ehescheidung in Rom. Mémoires de l’Académie de Berlin, 1814-1815, p. 61 ; et Zeitschrift für geschichtl. Rechtswis, V, 269.

[37] Cap. XX, lib. IV, Noct. attic. : « Censor adigebat de usoribus solemne jusjurandum. Verba erant ita concepta : ut tu ex animi tui sententià uxorem habes ? Qui jurabat cavillator quidam et canicola et nimis ridicularius fuit. Is locum esse sibi joci dicundi ratus, cùm ita, utì mos erat, censor dixisset : Ut tu ex animi tui sententià uxorem habes ? « Habeo equidem, inquit, uxorem, sed non, hercle, ex animi mei sententià. » Tum censor eum, quod intempestivè lascivissel, in ærarios retulit ; causamque hanc joci scurrilis apud se dicti subscripsit. »

[38] Ridiculè etiam illud. L. Porcius Nasica Censori Catoni, cùm ille : « Ex tui animi sententià tu uxorem habes ? » — «Non, hercule, inquit, ex mei animi sententia. » De Orat., II, 64.

Cicéron explique ailleurs (Acad., II, 47) cette formule qui signifie qu’on prête serment d’après sa conscience, sa conviction :

« Quam rationem majorum etiam comprobat diligentia : qui primùm jurare ex animi sui sententià, quemque voluerunt… »

[39] C’est ainsi que nous entendons ces mots in ærarios retulit ; un autre passage d’Aulu-Gelle donne à cet égard une explication plus complète :

« Classici dicebantur non omnes qui in classibus erant, sed primæ tantùm classis homines, qui centum et viginti quinque millia æris ampliusve censi erant. Infra classem autem appellabantur secundæ classis, ceterarumque omnium classium qui minore summâ æris quàm supra dixi censebantur. Hoc eò strictim notavi, quoniam in M. Catonis oratione, quà Voconiam legem suasit, quæri solet, quid sit classicus, quid infra classem. (Noct. att., VII, 16.)

[40] Son aïeul Sp. Carvilius Maximus Ruga avait, dit M. Klenze, été collègue, comme consul (520-526), de Papirius Cursor, le même avec la victoire duquel Tite-Live termine sa première décade ; or, celui-ci était, d’après Velléius (II, 128), de l’ordre équestre.

[41] Rechtsgeschichte, I, Th.

[42] Rechtsgeschichte, I.

[43] Das güterrecht der Ehegatien, Chap. VII.

[44] Ueber Ehescheidungen bei den Römern, p. 82.

[45] Esprit des Lois, liv. XVI, chap. XVI.

[46] Tel est aussi l’avis de M. Ginoulhiac, dans son Histoire du régime dotal et de la communauté.

[47] Voyage du jeune Anacharsis. — Il cite à cette occasion Petit, Leg. attic., 457, 9, et continue en ces termes :

« En général, les femmes d’un certain état n’osent pas demander le divorce, et, soit faiblesse ou fierté, la plupart aimeraient mieux essuyer en secret de mauvais traitements que de s’en délivrer par un éclat qui publierait leur honte ou celle de leur époux. Il est inutile d’avertir que le divorce laisse la liberté de contracter un nouvel engagement. »

Suivant le témoignage de cet auteur, la faculté du divorce n’épurait guère les mœurs, car il ajoute :

« La sévérité des lois ne saurait éteindre dans les cœurs le désir de plaire, et les précautions de la jalousie ne servent qu’à l’enflammer. Les Athéniennes, éloignées des affaires publiques par la constitution du gouvernement et portées à la volupté par l’influence du climat, n’ont souvent d’autre ambition que celle d’être aimées, d’autre soin que celui de leur parure, et d’autre vertu que la crainte du déshonneur. Attentives pour la plupart à se couvrir de l’ombre du mystère, peu d’entre elles se sont rendues fameuses par leurs galanteries.

« Cette célébrité est réservée aux courtisanes ; la loi les protège, pour corriger peut-être des vices plus odieux (a), et les mœurs ne sont pas assez alarmées des outrages qu’elles en reçoivent : l’abus va au point de blesser ouvertement la bienséance et la raison. Une épouse n’est destinée qu’à veiller sur l’intérieur de la maison, et qu’à perpétuer le nom d’une famille en donnant des enfants à la République (b). Les jeunes gens qui entrent dans le monde, des hommes d’un certain âge, des magistrats, des philosophes, presque tous ceux qui jouissent d’un revenu honnête, réservent leur complaisance et leurs attentions pour des maîtresses qu’ils entretiennent, chez qui ils passent une partie de la journée, et dont quelquefois ils ont des enfants, qu’ils adoptent et qu’ils confondent avec leurs enfants légitimes (c). »

(a) Athen., lib. XIII, 569.

(b) Demost., In Necer., 881.

(c) Athen., lib. XIII. 576, 577. Pet., Leg. att., p. 141.

[48] Voyage du jeune Anacharsis, Introduction.

[49]Erbrecht, I, 310.

[50] Esprit des lois, liv. XVI, chap. XVI.

[51] Nihil tam naturale est quàm eo genere quidque dissolvere, quo colligalum est ; ideo verborum obligatio, verbis tollitur, nudi consensus obligatio contrario consensu dissolvitur. Ulpianus, lib. XLVIII, ad Sabinum. D. De regul. juris, 35 : « Omnia quæ jure contrahuntur, contrario jure pereunt. » Caius, lib. I, Regularum. D. De regul. juris, 100.

[52] Diffarreatio, genus sacrificii, quo inter virum et mulierem fiebat dissolutio. Dicta disfarreatio quia fiebat farreo libo adhibito. Festus.

At sacerdotes reliqui, qui interfuerunt, quum ejusmodi matrimonium dissolveretur, multa horrenda, inaudita et tristia fecerunt. Quæst. rom., 50.

[53] Remancipatam Gallus Ælius esse ait, quæ mancipata sit ab eo cui in manum convenerat. Festus.

[54] Valère-Maxime, VI, 3 :

  1. Horridum quoque Sulpicii Galli maritale supercilium. Nam uxorem dimisit quòd eam capite aperto foris versatam cognoverat ; abscissa sententia, sed tamen aliquâ ratione munita. « Lex enim, inquit, tibi meos tantùm præfinit oculos, quibus formam tuam approbes ; his decoris instrumenta compara : his esto speciosa ; horum te certiori crede notitiæ. Ulterior tui conspectus supervacuà irritatione arcessitus, in suspicione et crimine hæreat necesse est.»
  2. Nec aliter sensit Q. Antistius Vetus repudiando uxorem, quòd illam in publico cum quâdam libertinâ vulgari secretò loquentem viderat. Nam, ut ita dicam, incunabulis et nutrimentis culpæ, non ipsà commolus culpâ, citeriorem delicto præbuit ultionem, ut potiùs caveret injuriam, quàm vindicaret.
  3. Jungendus est his P. Sempronius Sophus, qui conjugem repudii notâ affecit, nihil aliud quàm se ignorante ludos ausam spectare. Ergo dum sic olim feminis occurritur, mens earum à delictis aberat.

[55] Valère-Maxime, liv. VIII, chap. II, De privatis judiciis: « Multò animosiùs, et ut militari spiritu dignum erat, se in consimili genere judicii C. Marius gessit. Nam cùm C. Tilinius Minturnensis Fanniam uxorem, quam impudicam de industriâ duxerat, eo crimine repudiatam, dote spoliare conaretur, sumptus inter eos judex, in conspectu habità quæstione, seductum Titinium monuit, ut incepto desisteret, ac mulieri dotem redderet. Quod cùm sæpius frustra fecisset, coactus ab eo sententiam pronuntiare, mulierem impudicitiæ ream sestertio nummo, Titinium summâ totius dotis damnavit ; præfatus idcirco se hunc judicandi modum secutum, quòd liqueret sibi, Titinium patrimonio Fanniæ insidias struentem, impudicæ conjugium expetisse. »

[56] Paul Émile, 5.

[57] Sylla, 9.

[58] Pompée.

[59] Plutarque, Vis de Cicéron, 41.

[60] Paulla Valeria, soror Triarii, divortium sinècausa, quo die vir è provincia venturus erat, fecit. Nuptura est D. Bruto. Epist. ad fam., VIII, 7.

[61] Quid quod usu, memoriâ patrum venit, ut paterfamilias qui ex Hispaniâ Romam venisset, quum uxorem prægnantem in provinciâ reliquisset, Romæque alteram duxisset, neque nuntium priori remisisset, mortuusque esset intestato, et ex utrâque filius nalus esset ; mediocrisne res in controversiam adducta est ? Quum quæreretur de duobus civium capitibus, et de puero qui ex posteriore nalus erat, et de ejus matre ; quæ, si judicaretur, certis quibusdam verbis, non novis nuptiis, fieri cum superiore divortium, in concubinæ locum duceretur. Deorat., I, 40.

[62] I. 56. — Quibus quidem in causis omnibus… atque in eo puero, qui ex alterâ natus erat uxore, non remisso nuntio superiori, fuit inter peritissimos homines summo de jure dissensio.

[63] Numquid jam ullus adulterii pudor est, postquam eò ventum est, ut nulla virum habeat, nisi ut adulterum irritet ? Senec., De benef., III, 16.

[64] Locré, Législ. civ. de la France, V, 348.

[65] Montesquieu, Esprit des lois, liv. VII, chap. IX :

« Dans les villes grecques, où un vice aveugle régnait d’une manière effrénée, où l’amour n’avait qu’une forme que l’on n’ose dire, tandis que la seule amitié s’était retirée dans les mariages (a).

(a) Quant au véritable amour, les femmes n’y ont aucune part.Plutarq., Œuvres morales, Traité de l’amour.

[66] Aulu-Gelle, Nuits att., I, 6 :

« Si sinè uxore possemus, Quirites, esse, omnes eâ molestià careremus : sed quoniam ila natura tradidit, ut nec cum illis salis commodè, nec sinė illis ullo modo vivi possit ; saluti perpetuæ, poliùs quàm brevi voluptati consulendum. »

[67] Montesq., Esprit des lois., liv, XXIII, ch. XXI.

[68] Décadence de l’Emp. rom. , chap. XLIV.

[69]… Sic fiunt octo mariti,

Quinque per autumnos…

                JUVENAL, VI, 20.

Julia lex populis ex quo, Faustine, renata est,

Alque intrare domos jussa pudicitia est,

Aut minùs, aut certè non plus tricesima lux est :

Et nubit decimo jam Thelesina viro.

Quæ nubit toties, non nubit ; adultera lege est.

Offendar mœchâ simpliciore minùs.

MARTIAL, VI, 7.

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