De l’incapacité des étrangers de remplir aucune fonction publique

En 1833, la mort de Jean-Baptiste Say laissant vacante sa chaire d’économie politique au Collège de France, plusieurs prétendants sont envisagés. En premier lieu vient son propre gendre, Charles Comte, aux positions radicales. Il fait face à la concurrence d’un étranger, Pellegrino Rossi, aux idées plus consensuelles. — Dans la courte brochure rééditée ici pour la première fois, C. Comte démontre qu’un étranger ne saurait remplir aucune fonction publique, et que cette exclusion se fonde sur des raisons évidentes et très nombreuses. Cette curieuse profession de foi, dictée par un intérêt de carrière, témoigne aussi de la désunion qui règne alors dans le camp du libéralisme français.

 

De l’incapacité des étrangers de remplir aucune fonction publique

par Charles Comte (1833)

 

Le Collège de France, dans les élections auxquelles il a été appelé jusqu’à ce jour, n’a jamais eu qu’une seule question à résoudre : celle de savoir lequel des candidats qui se présentaient, était le plus digne de ses suffrages.

Dans ce moment, une question plus grave lui est soumise ; avant que de se prononcer sur le mérite des candidats, il faut qu’il décide si un étranger, que les lois excluent de toute fonction publique, peut devenir un de ses membres, avant de s’être fait naturaliser.

Nos lois sur les étrangers sont plus libérales que celles d’aucune nation de l’Europe ; non seulement elles protègent sur notre territoire leurs biens et leurs personnes ; elles les autorisent de plus à s’établir parmi nous, et leur donnent toutes les facilités qu’ils peuvent désirer, pour devenir Français.

Ceux qui n’ont aucun titre qui les distingue du vulgaire, peuvent devenir citoyens par dix années de résidence sur notre territoire, quand ils ont préalablement déclaré l’intention de vouloir s’y fixer pour toujours.

Ceux que grands talents ou une grande industrie distinguent, peuvent, après avoir déclaré que leur intention est de se fixer irrévocablement parmi nous, devenir citoyens après une année de résidence, si le gouvernement juge convenable de leur déférer le titre de Français.

Les étrangers qui acquièrent la qualité de Français par l’un de ces deux moyens, n’ont pas néanmoins la capacité requise pour remplir toutes les fonctions publiques ; ils ne peuvent, par exemple, être élevés à l’épiscopat, ni être membre d’aucune des deux Chambres.

Un individu né étranger ne peut acquérir la capacité requise pour être pair de France ou député, que par de grandes lettres de naturalisation accordées par la puissance législative.

Quant à ceux qui ne jugent pas convenable de se faire naturaliser et de se soumettre ainsi aux obligations qui pèsent sur les nationaux, ils jouissent des garanties qui résultent du droit des gens ; mais ils sont incapables d’exercer aucun des droits attachés à la qualité de citoyen, et ils n’ont la pleine jouissance des droits civils que quand elle leur est accordée par des traités faits avec la nation à laquelle ils appartiennent. (Code civil, art. 11).

Avant la Révolution, les Français n’étant investis d’aucun pouvoir politique, n’étaient distingués des étrangers que par la jouissance des droits civils et par la capacité qu’ils avaient seuls de remplir des emplois publics ; si les étrangers avaient pu être appelés à exercer des fonctions publiques et s’ils avaient joui des droits civils, leur position en France aurait été de beaucoup préférable à celle des nationaux ; ils auraient joui de tous les avantages de la société, et n’en auraient pas supporté les charges.

Quoique les lois politiques aient changé, il existe encore des Français qui ne peuvent prendre part à aucune élection, ni être appelés à aucune fonction populaire, parce qu’ils ne paient pas le cens exigé par les lois ; ils supportent néanmoins toutes les charges sociales, et si les étrangers, qui en sont affranchis, étaient appelés concurremment avec eux à remplir les emplois publics, l’état d’étranger en France serait de beaucoup préférable à celui de la plupart des nationaux.

Anciennement, non seulement les étrangers étaient exclus de toute fonction publique, non seulement ils étaient incapables de succéder, mais ils étaient en quelque sorte assimilés aux serfs attachés à la glèbe ; les lois s’adoucirent graduellement à leur égard, mais ils restèrent toujours légalement exclus de tous les emplois publics.

« La condition des étrangers, disaient en 1784 les auteurs du Répertoire universel de jurisprudence, est beaucoup moins dure aujourd’hui ; mais elle diffère encore de celle des citoyens, et ceux-ci jouissent de plusieurs droits dont ceux-là sont privés.

C’est ainsi que les étrangers qui ne sont pas naturalisés par lettres du prince dûment enregistrées, ne peuvent posséder, ni office, ni bénéfice, ni faire aucune fonction publique dans le royaume.

Par arrêt du 24 juillet 1615, rendu entre les nobles de Bresse, Bugey, Gex, et Valroncey, le conseil ordonna que les justices de ces seigneurs seraient exercées par des sujets du roi.

Par un autre arrêt du 22 février 1729, le parlement de Metz a fait défenses aux seigneurs hauts, moyens et bas justiciers, d’employer les étrangers pour exercer leurs justices, et aux maires et gens de justice d’admettre aucun étranger à postuler…

Il suit de ces principes que les étrangers ne peuvent point être admis au serment d’avocat,ni être principaux ou régents dans les universités. On doit même observer qu’on ne leur confère des degrés qu’à la charge de n’en point faire usage dans le royaume.

Par arrêt du 12 août 1718, le parlement a fait défenses aux étrangers de s’immiscer directement ni indirectement, et de participer en leur nom ou sous des noms interposés, au maniement et administration des derniers royaux sous les peines portées par les ordonnances. Répert. univers. de Jurisprud. V°. ÉTRANGER, édit. de 1784. »

La ligne de démarcation tracée entre les nationaux et les étrangers par les lois et par les arrêts des parlements, devint plus nette et plus profonde par l’établissement du régime constitutionnel. La constitution du 3 septembre 1791 fixa l’état des citoyens, déclara quelles étaient les personnes auxquelles ce titre appartenait, et les assujettit au serment civique. Elle ordonna que nul ne pourrait exercer aucun emploi, soit dans les bureaux du ministère, soit dans les régies ou administrations de revenus publics, ni en général aucun emploi à la nomination du pouvoir exécutif, sans prêter le serment civique, et sans justifier qu’il l’avait prêté [1].

Après la promulgation de cette constitution, les étrangers se trouvèrent donc exclus de toute fonction publique, comme ils l’étaient avant qu’elle eût été promulguée ; car le serment civique ne pouvait être prêté que par des citoyens. Sous l’empire de cette loi, un étranger ne pouvait certainement pas être nommé professeur au Collège de France, ni dans aucun autre établissement public.

La loi constitutionnelle du 5 fructidor an III (22 août 1795), maintint la distinction déjà faite entre les nationaux et les étrangers. Après avoir déterminé les conditions auxquelles la qualité de citoyen était attachée, elle déclara que les citoyens français pourraient seulsvoter dans les assemblées primaires et être appelés aux fonctions établies par la loi ; elle décréta, comme institution constitutionnelle, l’établissement de l’instruction publique, et mit ainsi tous les professeurs salariés par l’État au rang des fonctionnaires publics.

La constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) détermina, comme les précédentes, les conditions auxquelles le titre de citoyen était attaché, et celles que les étrangers auraient à remplir pour acquérir ce titre ; ces derniers continuèrent d’être exclus d’une manière absolue de tous les emplois publics.

La distinction entre les nationaux et les étrangers a donc été maintenue jusqu’au moment où le gouvernement impérial a été renversé ; et alors elle a été de nouveau proclamée d’une manière encore plus formelle, s’il est possible, qu’elle ne l’avait été auparavant.

Le 4 juin 1814, le jour même où la Charte a été promulguée, il a été rendu une ordonnance qui interdit aux étrangers, même quand ils ont été naturalisés, l’entrée des deux Chambres, à moins qu’ils n’aient obtenu de grandes lettres de naturalisation de la puissance législative ; la même ordonnance confirme les autres dispositions des lois à l’égard des étrangers.

« Nous nous sommes fait représenter, y est-il dit, les ordonnances des rois nos prédécesseurs relatives aux étrangers, notamment celles de 1386, de 1431, et celles de Blois art. 4, et nous avons reconnu que, par de graves considérations et à la demande des États-Généraux, ces ordonnances ont déclaré les étrangers incapables de posséder des offices ou bénéfices, ni même de remplir aucune fonction publique en France.

Nous n’avons pas cru devoir reproduire toute la sévérité de ces ordonnances [2] ; mais nous avons considéré que, dans un moment où nous appelons nos sujets au partage de la puissance législative, il importe surtout de ne voir siéger dans les Chambres que des hommes dont la naissance garantit l’affection au souverain et aux lois de l’État, et qui aient été élevés, dès le berceau, dans l’amour de la partie. »

La première disposition de cette ordonnance déclare tout individu d’origine étrangère incapable de siéger dans l’une ou l’autre des deux Chambres, à moins qu’il n’ait obtenu de la puissance législative de grandes lettres de naturalisation ; la seconde disposition confirme les lois antérieures relatives aux étrangers.

Cette ordonnance, qui a été confirmée par la loi du 14 octobre de la même année, a donc exclu de fonctions législatives les individus d’origine étrangère qui n’auraient été naturalisés que par leur résidence en France et par la volonté du gouvernement ; elle a donc été moins favorable aux étrangers que ne l’avaient été les lois rendues depuis le commencement de la Révolution.

Elle a maintenu de plus toutes les lois qui excluaient de toute fonction publique les étrangers sont naturalisés ; elle déclare, en effet, que les dispositions du Code civil relatives aux étrangers et à leur naturalisation, restent en vigueur et seront exécutées selon leur forme et teneur ; or, le Code civil dispose que l’exercice des droits civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle ne s’acquiert et ne se conserve que conformément à la loi constitutionnelle.

Il suffisait que les lois eussent établi une ligne de démarcation bien positive entre les citoyens et les étrangers, et qu’elles eussent déclaré que les premiers étaient seuls admissibles aux fonctions publiques établies par les lois, pour que les seconds ne pussent pas y prétendre, tant qu’ils n’auraient pas été naturalisés ; cependant on a cru qu’il était nécessaire, dans un grand nombre de cas, d’exclure d’une manière plus explicite les étrangers de certaines fonctions.

Un étranger, par exemple, ne peut pas être appelé à remplir les fonctions de l’épiscopat, même après avoir reçu des lettres de naturalisation. L’article 16 de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) a reproduit, à cet égard, les prohibitions de l’article 4 de l’ordonnance de Blois [3].

Un étranger ne pourrait pas, me après avoir été naturalisé, être nommé professeur ou suppléant à l’École de Droit ou de Médecine, à moins qu’il n’eût fait en France les études prescrites par nos lois ; il ne serait pas admis, par conséquent, à se présenter à un concours [4].

S’il n’avait pas fait en France les études prescrites par nos lois, il ne pourrait être appelé à aucune magistrature, quand même il aurait reçu des grandes lettres de naturalisation.

Il serait également incapable d’exercer les fonctions d’avocat, d’avoué ou de notaire.

Cela résulte évidemment des dispositions des titres 4 et 5 de la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) ; et de l’art. 35 de la loi du 25 ventôse an XI, et des statuts universitaires [5].

L’École Polytechnique n’étant destinée qu’à fournir des officiers à des services publics, nul ne peut y être admis s’il n’est Français. (Loi du 25 frimaire an VIII, art. 4).

Nul étranger ne peut être admis dans les rangs de l’armée à titre de simple soldat, et à plus forte raison à titre d’officier. (Loi du 21 mars 1832, art. 2).

Un étranger ne peut pas être juré (Art. 381 du Code d’instruction criminelle) ; il ne peut pas servir de témoin dans un acte public, tel qu’un testament, une donation, ou même un simple contrat. (Code civil, art. 980 ; loi du 25 ventôse an II, art. 9).

Les étrangers sont exclus des fonctions scientifiques quand elles sont instituées par les lois et salariées par l’État, comme ils le sont des onctions judiciaires, administratives ou militaires.

Les fonctions que remplissent les professeurs de l’École de Médecine, de l’École de Droit, de l’École Polytechnique, ne sont pas moins scientifiques que celles des professeurs du Collège de France ; et cependant on ne prétendait pas que des étrangers peuvent y être appelés.

Les fonctions des membres de l’Institut sont toutes scientifiques ; cependant il suffit que l’Institut ait été décrété par la loi constitutionnelle du 5 fructidor an III, et organisé par la loi du 3 brumaire an IV, pour que les étrangers en aient été exclus.

Cette exclusion, formellement prononcée par l’article 11 de la loi du 5 fructidor an III, a été reproduite par l’art. 18 du règlement de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, du 16 mai 1830, par l’art. 3 du règlement de l’Académie des Beaux-Arts, du 9 juillet 1816, et par l’art. 4 du règlement de l’Académie des Sciences morales et politiques du 5 mars 1833 [6].

Dans l’Université, toutes les fonctions sont scientifiques ; et cependant elles ne peuvent pas être remplies par des étrangers ; ceux qui se vouent à l’enseignement contractent des obligations qui ne peuvent être prises que par des nationaux.

L’article 3 du décret du 17 mars 1808 porte que nul ne peut ouvrir école ni enseigner publiquement sans être gradué par une des facultés de l’Université. Un étranger ne pourrait donc pas enseigner publiquement parmi nous un art ou une science, s’il n’avait pas fait les études et subi les examens auxquels les nationaux sont assujettis. On conçoit, en effet, que s’il en était autrement, les étrangers jouiraient en France d’une liberté dont les Français eux-mêmes seraient privés.

L’article 4 du même décret, qui détermine la manière dont la Faculté des Sciences de Paris sera formée, fait entrer dans sa composition deux professeurs du Collège de France ; l’article 15 exige qu’il y en ait trois dans la Faculté des Lettres. Il faut donc que les professeurs soient Français ; car, s’ils ne l’étaient pas, ils ne pourraient entrer dans la composition des facultés.

Suivant l’art. 30, nul, dans l’Université, ne peut être appelé à une place qu’après avoir passé par les places inférieures ; et le même article dispose que les emplois formeront ainsi une carrière qui présentera au savoir et à la bonne conduite l’espérance d’aspirer aux premiers rangs de l’Université. Il faut donc que ceux qui se consacrent à l’enseignement public aient acquis la qualité de Français ; autrement ils ne pourraient aspirer aux premiers rangs.

Les personnes qui se consacrent à l’enseignement contractent envers l’Université des obligations particulières ; et la peine la plus grave qui puisse être prononcée contre celui qui manque à ses engagements, est la radiation du tableau de l’Université, laquelle n’a pas d’autre conséquence que de rendre ceux qui l’ont subie incapables d’être employés dans une administration publique.

Mais les étrangers ne peuvent être employés dans les administrations publiques ; ils sont donc incapables d’être membres de l’Université. Il suffit, au reste, de parcourir les statuts de ce corps pour être convaincu que des Français seuls peuvent en faire partie [7].

Toutes les branches du gouvernement, toutes les parties de l’administration publique, ont été diversement modifiées par des lois depuis 1789 ; le Collège de France seul n’a été l’objet d’aucune loi particulière dans tout le cours de la Révolution ; il est donc resté constamment sous les principes du droit commun.

Cette exception honorable, qu’on ne peut attribuer qu’à la sagesse avec laquelle les professeurs se sont renfermés dans les limites que leur traçaient les lois générales de la France, explique l’absence de toute disposition législative spéciale, soit à l’égard des nationaux, soit à l’égard des étrangers.

La question de savoir si un étranger peut en faire partie, ne peut donc être résolue que par les principes généraux de notre droit. Les professeurs appartiennent-ils à un établissement public ? Les fonctions qu’ils exercent sont-elles publiques ? Sont-elles établies par l’intérêt de l’État ? Sont-elles salariées par le Trésor public ? Avoir posé ces questions, c’est les avoir résolues.

Les professeurs du Collège de France ont toujours eu, s’il est possible, un caractère plus public que ceux des autres établissements. Avant la Révolution, ils portaient le titre de lecteurs et de conseillers du roi. Ils étaient assujettis à un serment, comme tous les fonctionnaires de l’État, et ce serment ne pouvait pas être prêté par des étrangers [8]. Ils étaient soumis, dans les élections, à des lois dont ils ne pouvaient pas s’écarter, sous peine de voir leurs choix annulés par le parlement. Ainsi, en 1566, un arrêt annula l’élection d’un professeur de mathématiques, qui avait été faite contre les règles. Cet arrêt fut confirmé par des lettres-patentes du 8 mars de la même année. La juridiction du parlement sur le choix des professeurs n’était au reste contestée par personne.

Les fonctions des professeurs n’ont pas changé de caractère ; elles sont, comme elles ont toujours été, des fonctions publiques, remplies par des citoyens que le gouvernement nomme à certaines conditions, et dont le public paie les appointements ; elles ne peuvent donc être remplies par des hommes incapables d’exercer aucun emploi public, et liés par leurs serments à des lois et à un gouvernement étrangersà la France.

On ne concevrait pas que des hommes formellement déclarés par les lois incapables de remplir aucune fonction dans la magistrature, de faire partie d’aucune administration, d’être membre d’une académie de musique ou de peinture, d’exercer la profession d’avocat, d’avoué, de notaire, de remplir dans la garde nationale ou dans l’armée les fonctions les plus humbles, telles que celle de soldat, d’être non seulement professeur suppléants dans la Faculté de Droit ou dans celle de Médecine, mais d’être simple maîtres d’études, d’être appelés comme jurés dans une cours de justice, ou même de figurer comme témoins dans un acte public, eussent néanmoins la capacité requise pour être professeurs dans un des premiers établissements scientifiques de France.

On aurait tort d’accuser nos lois d’être illibérales envers les étrangers ; car elles ne refusent à aucun homme de mérite le droit de se faire naturaliser en très peu de temps, et d’acquérir ainsi la capacité requise pour occuper la plupart des emplois publics. Si elles exigent qu’un étranger devienne citoyen avant que de pouvoir être appelé à exercer une fonction publique, c’est une précaution que toutes les nations ont prise, et qui est fondée sur des raisons trop évidentes et trop nombreuses pour avoir besoin d’être justifiée.

Le sénatus-consulte du 19 février 1808 a déterminé les conditions auxquelles un étranger qui se distingue par des talents remarquables ou qui veut enrichir la France par son industrie, peut obtenir la qualité de Français ; il faut d’abord qu’il établisse en France son domicile et qu’il y réside pendant une année ; il faut, en second lieu, qu’après une année de résidence, une ordonnance rendue sur le rapport d’un ministre, le Conseil d’État entendu, lui confère le droit de citoyen ; il faut en troisième lieu que l’impétrant, muni de l’expédition de cette ordonnance, visée par le ministre de la justice, se présente devant la municipalité de son domicile, et qu’il y prête le serment d’obéissance à la Charte, et de fidélité au roi ; il faut, enfin, qu’il soit tenu registre et dressé procès-verbal de cette prestation de serment.

Ce n’est que lorsque chacune de ces conditions a été remplie qu’un étranger est devenu Français, et qu’il est revêtu des droits attachés à ce titre ; mais pour exercer ces droits cela ne suffit pas encore, il faut qu’il remplisse les conditions qui sont imposées aux nationaux eux-mêmes.

La puissance législative peut, il est vrai, par un acte de sa volonté, donner à un étranger la qualité de Français et la capacité dont il a besoin pour entrer dans les Chambres ; elle peut ainsi lui donner la capacité d’exercer d’autres emplois, sans qu’il ait résidé pendant une année sur le sol français. Mais cette prérogative n’appartient qu’au pouvoir législatif ; lui seul est juge des services ou des talents de l’étranger qui aspire à jouir tout à coup et sans épreuves des droits attachés à la qualité de citoyen, parce qu’en pareille matière, lui seul peut-être est au-dessus des intrigues et des influences étrangères.

Il est inutile de dire que des promesses de lettres de naturalisation ne sauraient être d’aucune valeur : non seulement elles ne seraient pas reconnues par les lois, mais elles seraient diamétralement opposées à leur esprit ; elles ne seraient obligatoires pour personne, par même pour ceux qui les auraient faites ; de telles promesses sont tellement inconstitutionnelles que, si elles étaient faites, ils n’est personne qui osât les produire en public.

Qu’on ne se méprenne pas sur l’objet de cet écrit : réclamer l’observation des lois n’est pas seulement exercer un droit, c’est remplir un devoir. Ce devoir est surtout impérieux quand on ne peut pas le négliger sans compromettre les droits de tous, et les prérogatives inhérentes à la qualité de citoyen. S’il n’avait été question ici que d’un intérêt individuel, l’auteur de ces observations l’aurait abandonné sans peine ; il se fut abstenu d’un genre de discussion qui ne fut jamais ni dans ses goûts, ni dans ses habitudes. Il a fallu, pour vaincre la répugnance qu’il éprouvait à traiter, dans les circonstances actuelles, une question que d’autres ont soulevée, qu’il y fût déterminé, et par l’intérêt de la science, et par le désir de faire respecter les prérogatives qui distinguent les nationaux des étrangers, et par des faits qu’il croit inutile d’exposer ici, mais qui ne lui permettaient pas de se taire.

Ch. COMTE.

[1] Art. 3, sect. 4, chap. 2.

[2] Quelques-unes, et particulièrement celle de Blois, excluent de certaines fonctions publiques, tous individus d’origine étrangère, même quand ils ont été naturalisés.

[3] On ne pourra être nommé évêque avant l’âge de trente ans, et « si on n’est originaire Français ». Loi du 18 germinal an X, art. 16.

[4] « Nul ne pourra être admis à un concours s’il n’est Français, s’il ne jouit des droits civils et s’il ne représente un diplôme de docteur en droit ou en médecine, suivant les cas, obtenu dans une des facultés de l’université ou dans les anciennes universités françaises. » Statut du 10 mai 1825, art. 6.

[5] La question de savoir si un étranger peut exercer la profession d’avocat s’est présentée devant le conseil de l’ordre des avocats près la cour royale de Grenoble, et elle a été résolue négativement le 6 février 1830. Plusieurs des motifs de cette décision s’appliquant à la question examinée dans cet écrit, on croit devoir les rapporter ici :

« Considérant que l’exercice de la profession d’avocat intéresse essentiellement l’ordre public ; que les droits, les prérogatives et les devoirs de l’avocat, exigent qu’il jouisse ou qu’il soit susceptible de jouir, non seulement des droits civils, mais encore des droits politiques ; qu’il est accidentellement appelé à concourir en France à l’administration de la justice, soit comme juge, soit comme remplaçant les officiers du ministère public, soit comme juré ; que nul ne peut être magistrat, qu’il n’ait été préalablement reçu avocat ;

Considérant que l’avocat, lors de sa réception, prête, comme les fonctionnaires publics, le serment de fidélité au roi, et d’obéissance à la Charte constitutionnelle, en même temps qu’il jure de remplir les devoirs de sa profession ; qu’en conséquence, lorsqu’il est appelé à exercer les fonctions judiciaires, il n’est point soumis avant de siéger à prêter le serment prescrit aux magistrats ;

Considérant que l’étranger ne peut participer en France à l’exercice des fonctions publiques, ni être soumis à promettre fidélité à un souverain qui n’est pas le sien, et obéissance à une charte constitutionnelle qui détermine les rapports qui existent entre le prince et ses sujets, qui règle la forme du gouvernement et autres choses essentiellement politiques, dans lesquelles l’étranger ne doit pas s’immiscer ;

Considérant que les anciennes ordonnances, édits et déclarations, notamment ceux du 26 février 1680, du mois de mars 1707, et du 16 mai 1724, en autorisant les étrangers à venir étudier et prendre des grades dans les universités de France, déclare expressément que les degrés par eux obtenus ne pourront leur servir dans le royaume ; qu’en conséquence Merlin, dans son Répertoire de jurisprudence, au mot étranger, enseigne comme doctrine constante, que les étrangers ne peuvent être reçus au serment d’avocat, et il en donne pour motifs que les étrangers ne peuvent posséder ni office ni bénéfice, ni faire aucune fonction publique dans le royaume… ;

Considérant que les lois nouvelles, loin d’avoir dérogé à ces principes, les ont confirmés par l’absence de dispositions contraires ; que M. le conseiller d’État Fourcroy exposant au Corps-Législatif les motifs de la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) relative aux écoles de droit, déclarait qu’elle était destinée à rétablir toutes les institutions scientifiques que des temps malheureux avaient anéantis… ;

Considérant que, plus la profession d’avocat est noble et indépendante, plus elle commande l’estime, plus elle fait occuper un rang distingué dans la société, plus aussi il est convenable qu’elle ne puisse pas être exercée par un étranger, incapable de remplir en France les moindres fonctions publiques, comme par exemple d’être témoin dans un acte authentique quelconque… »

Voyez le code des étrangers par B. J. Legat, pag. 269, 274.

[6] Voici le texte de l’art. 3 du règlement de l’Académie des Beaux-Arts. « Nul ne peut être académicien s’il n’est Français, âgé de 25 ans au moins et domicilié à Paris ». Les autres sont conçus de la même manière.

[7] On assure qu’après la révolution de 1830, M. Récamier a été exclu du Collège de France pour la raison qu’il n’a pas prêté serment de fidélité au roi et à la Charte constitutionnelle. Si le fait était vrai, comment un étranger qui ne doit fidélité qu’aux lois de son pays, pourrait-il prêter serment à une constitution hors de laquelle il est placé ?

[8] La formule de ce serment se trouve dans les Mémoires historiques et littéraires sur le Collège de France, de l’abbé Ch. P. Goujet.

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