Entretien avec Damien Theillier, président de l’Institut Coppet. Par Adrien Faure

Damien Theillier MolinariAdrien Faure est un blogueur libertarien de Genève

« Le simple fait de republier des livres d’économie politique de la tradition libérale classique, même s’il s’agit de livres du 19e siècle est un acte révolutionnaire. » D. Theillier

  1. Adrien Faure : l’Institut Coppet est-il un institut libertarien ?

Damien Theillier : Je voudrais répondre en deux temps. La première partie de ma réponse sera un peu technique mais nécessaire étant donné que ce terme de « libertarien » est un néologisme qui ne va pas de soi pour le public français. Il est souvent confondu avec « libertaire ». Or les libertaires sont foncièrement hostiles au droit de propriété comme au libre marché et sont souvent des collectivistes.

Le terme « libertarian » s’est imposé dans le vocabulaire politique américain après la seconde guerre mondiale, en réponse au détournement de sens subi par le mot « liberal », devenu synonyme de keynésianisme et d’interventionnisme étatique. Les libéraux classiques, défenseurs du libre marché et d’un gouvernement limité aux États-Unis souhaitaient ainsi éviter la confusion entre leur doctrine et celle des libéraux sociaux-démocrates.

Paradoxalement, le mot « libéralisme » aujourd’hui est soit brandi comme une insulte, soit revendiqué par des gens qui ne défendent pas la liberté mais l’égalité. Entre la haine du libéralisme ou le libéralisme social-démocrate, il peut être stratégiquement préférable en effet de se démarquer en reprenant le vocable américain de libertarianisme.

Mais ce n’est pas aussi simple. D’abord car le libertarianisme américain est un courant pluraliste qui renvoie à au moins cinq écoles de pensée avec des méthodologies et des philosophies différentes :

  1. Friedman et l’école de Chicago
  2. Buchanan et l’école des Choix Publics
  3. Hayek, Mises et l’école Autrichienne
  4. Rand, Nozick et l’État minimal
  5. Rothbard, David Friedman et l’Anarcho-capitalisme

Certains sont utilitaristes en éthique, d’autres non, certains sont minarchistes en politique, d’autres anarcho-capitalistes. Ces auteurs, dont trois prix Nobel et un professeur de Harvard, sont peu connus en France même si un certain nombre d’ouvrages libertariens ont façonné les grands débats du XXe siècle et sont devenus des classiques. Ils sont évidemment une grande source d’inspiration pour l’Institut Coppet.

Malgré leurs différences, des convictions philosophiques communes animent toutefois ces cinq écoles : la liberté est un droit en accord avec l’essence de l’homme et elle s’entend d’abord comme propriété de soi ou « propriété intérieure » comme dirait Gustave de Molinari, le grand disciple de Frédéric Bastiat. Le second est que toute personne devrait être libre de faire ce qu’elle veut avec ce qui lui appartient, aussi longtemps que sa conduite est pacifique, c’est-à-dire respectueuse de la personne et de la propriété d’autrui. C’est le principe de non-agression. Deux conséquences découlent logiquement de l’application de ces principes, 1° la défense intégrale des libertés civiles et 2° la défense intégrale du libre marché, qui est simplement un processus par lequel les gens sont en interaction pacifique avec les autres pour un gain mutuel. Au cœur de cette philosophie se déploie une logique simple et séduisante : moins d’État central et plus de libre marché. Une société libre, prospère et pacifique doit être construite autour de l’échange volontaire plutôt que sur la relation inégale entre un pouvoir centralisé et des citoyens dépendants. Tel est le credo des libertariens. Et l’Institut Coppet partage pleinement ce credo.

Cela dit le libertarianisme, comme Murray Rothbard l’a bien montré dans ses livres, est une philosophie politique et économique qui prend sa source dans la doctrine classique des droits naturels et du laissez-faire économique des 18ème et 19ème siècles en France tout particulièrement. Nous sommes fiers d’avoir dans en France les penseurs de la liberté les plus radicaux. Turgot, Say, Comte, Dunoyer, Bastiat, Molinari sont les grands précurseurs des libertariens. De ce point de vue, et c’est la seconde partie de ma réponse, nous n’avons pas nécessairement besoin de nous dire libertariens. Notre institut se revendique d’abord de l’école française d’économie politique et accueille tous ceux qui se reconnaissent dans ses principes.

Pour les économistes français radicaux, la propriété est la base de l’organisation naturelle de la société. Pour eux, les souffrances de la société, bien loin d’avoir leur origine dans le principe de la propriété, proviennent, au contraire, d’atteintes directement ou indirectement portées à ce principe. D’où ils concluent que la solution du problème de l’amélioration du sort des pauvres consiste à affranchir la propriété de toute entrave directe ou indirecte que des intérêts à courte vue, des passions aveugles ou des préjugés ont opposés depuis des siècles à la liberté et à la propriété. La tâche des « amis de la liberté », comme le dit si bien Gustave de Molinari dans Les soirées de la rue Saint Lazare :

« doit consister uniquement à restituer aux hommes la liberté de travailler, de s’associer, d’échanger, de prêter, de donner, la libre jouissance et la libre disposition de leurs propriétés, en empêchant simplement les uns d’empiéter sur la liberté et sur la propriété des autres, et pour éviter d’attenter à la liberté et à la propriété sous prétexte de les garantir, en se bornant à réprimer les atteintes qui y sont portées ».

C’est pourquoi nous nous donnons le droit de pratiquer un inventaire sans complexe, consistant à prélever à notre guise, dans le corpus philosophique et scientifique, qu’il soit libéral, libertarien, anarchiste, libertaire, socialiste ou conservateur, tout ce qui nous paraît capable de servir la cause de la liberté authentique, du laissez-faire et de la responsabilité individuelle. Il y a du bon à prendre chez Aristote, Saint Thomas d’Aquin mais également chez Michel Foucault, Sartre ou Deleuze.  Il faut apprendre à faire un tri, sans préjugé ni compromis, à la lumière de nos principes. Autrement dit, nous pratiquons sans honte l’infidélité aux écoles et aux auteurs, en axant nos choix dans le sens d’un édifice cohérent d’arguments et de justifications de la liberté. Nous ne restons pas dans les idées pures ou dans la fidélité absolue à telle ou telle doctrine dogmatique mais nous faisons notre marché à droite et à gauche pour constituer une boite à outils de la liberté, une boite à outil pluraliste et universelle d’idées solides et attrayantes en faveur de nos convictions.

L’Institut Coppet, à l’image de la société française, accueille en son sein une grande diversité de modes de vie, une pluralité de justifications philosophiques de la liberté. Certains sont militants au sein d’un parti, d’autres non. Certains sont croyants, d’autres non. Certains sont plus sensibles aux problématiques culturelles ou civilisationnelles que d’autres. Ce n’est pas un problème. Nous refusons toute forme de sectarisme d’école. Il n’est pas question pour nous de perdre du temps dans un débat interne entre libéraux pour savoir quelle chapelle est meilleure que les autres. Notre mission est d’introduire de nouvelles idées (en réalité anciennes) en faisant leur généalogie historique et surtout en montrant leur pertinence pour traiter de problèmes d’actualité concrets. Il s’agit donc plutôt de mettre à disposition du grand public un certain nombre d’outils pédagogiques afin que chacun se fasse sa propre idée : textes, méthodes, arguments, discussions, analyses, réfutations, concernant le marché libre, la justice, la paix et la prospérité.

  1. A. F. : Vous considérez-vous comme libertarien ?

D. T. : Je suis « tombé » dedans, pour ainsi dire, depuis mes études de philo à la Sorbonne Paris IV. À l’époque j’avais un professeur de philosophie politique, Alain Renaut, qui nous avait fait lire Anarchie, État et Utopie de Robert Nozick, dans un cours sur John Rawls. Bien que présenté aux étudiants comme un « extrémiste », il m’avait bien plus séduit que Rawls. De là, j’ai lu Hayek, Mises, Rothbard et Ayn Rand. Ces auteurs m’ont permis de réfuter la « doxa » des théories du contrat social et de la philosophie politique traditionnelle. Celle-ci suppose toujours que la société n’est possible qu’à condition de trouver un cadre légal supérieur qui ordonne la pluralité et le chaos. Or chez les penseurs libertariens, le marché est conçu à l’inverse comme un processus de coordination spontané, créateur d’ordre, qui remet en cause les concepts de souveraineté, de volonté générale, de régulation centrale etc.

Mais comme je le disais plus haut, le « libertarianisme » est un courant de pensée qui s’inscrit dans l’héritage du libéralisme classique, en particulier des précurseurs français, comme l’a bien montré Murray Rothbard, dans son opus en deux volumes : An Austrian Perspective on the History of Economic Thought. Les Physiocrates avaient déjà bien compris que si les gouvernements obtiennent ce qu’ils veulent par la force, les marchés, pour leur part, sont des réseaux décentralisés de relations négociées librement entre les individus. Autrement dit, ils sont créés par choix. Or pour eux la liberté est créatrice d’ordre et d’un ordre supérieur à tous les ordres construits. C’est cela le « miracle » du marché.

Plus largement, je pense que la nature morale de l’être humain exige que la liberté de choix soit protégée pour que chacun puisse exercer pleinement ses responsabilités. Et cet objectif de protéger ce que Robert Nozick appelle « l’espace moral » de chaque individu, est mieux servi par une société de libre marché. Je pense aussi que de nombreux autres éléments de la vie humaine et de la culture seraient bien mieux servis – jamais garantis, bien entendu – dans une société libre : la famille, l’éducation, l’art, la religion… Nous sommes des êtres pour qui l’action est toujours une question de choix. Et notre tâche principale est d’agir de façon optimale, c’est-à-dire à réaliser notre nature humaine, aussi complètement que possible dans les circonstances de notre vie. Et seule une société libre, qui protège et entretient les institutions favorisant la souveraineté morale de l’individu, peut espérer atteindre cet objectif

Je voudrais enfin insister sur le fait que le libertarianisme n’est pas une philosophie globale qui aurait réponse à tout, qui vous donnerait le sens de l’existence, de la vérité, de l’art et de l’amour. L’adhésion aux principes d’une société libre ne vous demande pas de changer de vie, d’adopter une nouvelle morale ou de nouvelles croyances religieuses. C’est une philosophie sociale et politique qui traite du droit, du pouvoir et de la violence. Comme le dit Rothbard :

« le libertarianisme, en lui-même, ne prescrit aucune théorie morale générale ou personnelle. Il n’offre pas de sagesse de vie ; ce qu’il offre, c’est la liberté, de sorte que chacun puisse être libre d’agir selon ses propres principes moraux. »

Il s’agit de la seule philosophie politique permettant à des individus aux valeurs foncièrement différentes de cohabiter pacifiquement sans imposer leur mode de vie aux autres.

  1. A. F. : Quelles sont les relations entre l’Institut Coppet et le Mouvement des Libertariens (je parle ici du parti politique) ?

D. T. : Notre institut est indépendant et non partisan et n’est affilié à aucune organisation religieuse ou politique particulière. Nous souhaitons rester à l’écart du jeu partisan. Notre rôle est d’agir sur le politique par le biais de la culture et de la société civile. Nous pensons que les idées ont des conséquences, ce qui signifie qu’elles changent le monde. Le rôle des think tanks, comme l’Institut Coppet, est justement de préparer cette mutation que le monde doit faire pour parvenir à une société libre. C’est le rôle de ces organisations indépendantes de produire des idées clefs en main, des réflexions, des orientations générales, mais aussi de former des générations de jeunes étudiants, voire même les futurs leaders, et d’influencer les grands mouvements de pensée au sein de la société.

Notre combat est culturel, il est « métapolitique », il vise le grand public, pas les politiques. J’ai pu constater depuis longtemps qu’il était tout à fait inutile de vouloir convaincre mes propres collègues en lycée ou à l’université. Il est trop tard pour eux. Par contre il faut concentrer nos efforts sur la jeunesse, sur ceux qui ne sont pas encore intellectuellement engagés, dont l’idéalisme les rend aussi particulièrement réceptifs aux arguments éthiques.

En ce sens l’approfondissement des sources philosophiques de la  pensée libérale est une tâche urgente. Un effort pédagogique de présentation de la doctrine libérale est également nécessaire. Il faut renouveler le vocabulaire, les formules, les réfutations.

La doctrine n’est jamais un produit fini et immuable, un monde clos et fermé échappant à toute évolution, elle est un ensemble en perpétuel mouvement qui a besoin d’être « adapté » aux nouvelles évolutions de la pensée et aux découvertes de la science. Nous devons toujours nous demander quelles sont les solutions de marché qui pourraient exister en réponse à une crise, plutôt que de rechercher immédiatement une nouvelle réglementation. Et cela n’est possible que dans un monde où il y a liberté d’expression et concurrence libre et ouverte entre les penseurs.

En priorité, notre axe de développement est l’approfondissement et la transmission des sources philosophiques de la pensée libérale française. Il nous faut montrer aux Français qu’ils ont une tradition intellectuelle authentique de liberté, qui n’est pas importée de l’étranger mais qui correspond bien à notre histoire et presque à nos gènes. Les idées de libre marché et de responsabilité ne sont pas des idées anglo-saxonnes mais des idées qui sont nées en France, ou qui ont été développées en France de façon originale et pertinente et qui ont irrigué la vie politique française tout au long du XIXe siècle.

  1. A. F. : Quelles sont les relations entre l’Institut Coppet et Students For Liberty ?

D. T. : Nous avons souhaité accompagner ce mouvement dès sa naissance en France. Je suis allé à la conférence internationale (ISFL) à Washington DC en 2013. J’ai beaucoup d’estime pour Alexander McCobin, que j’ai rencontré plusieurs fois, ainsi que Tom Palmer. Nous mettons à la disposition des militants de SFL France des outils de formation et nous intervenons chaque fois qu’ils nous le demandent lors des conférences régionales à Paris. C’est une organisation porteuse d’un grand espoir pour la jeunesse étudiante. Nous avons fait traduire un article d’Alexander sur notre site. J’aime tout particulièrement son approche philosophique du libertarianisme et des rapports entre morale et politique. Je recommande à tous la lecture de cet article intitulé « The Political Principle of Liberty », extrait du livre Why Liberty? Le libertarianisme, nous dit McCobin, est une philosophie politique et juridique, non une philosophie éthique. L’éthique nous dit comment mener une vie bonne, conforme au bien. La philosophie politique nous dit comment être justes à l’égard des autres. Elle se préoccupe donc des lois, de leur objet, de leur nature et de leurs limites.

Ainsi, on peut condamner quelqu’un pour sa conduite scandaleuse, immorale ou vulgaire tout en défendant le droit de cette personne à se comporter de cette façon, tant que son comportement ne viole pas les droits d’autrui. La liberté est donc un principe qui rend possible la coexistence de nombreuses philosophies de la vie et de l’éthique, dans un cadre d’interactions sociales volontaires ou personne ne vole personne. Les individus peuvent adopter le libertarianisme en raison de philosophies de la vie ou de valeurs tout à fait divergentes : l’épanouissement humain, l’autonomie, la raison, le bonheur, les préceptes religieux, la sympathie ou l’utilité.

Tout comme il peut y avoir plusieurs types de justifications d’un principe, il peut y avoir également des variations entre les libertariens sur les politiques à mener, c’est-à-dire sur la manière d’appliquer le principe de la liberté.

Il y a ainsi des débats ouverts entre libertariens sur de nombreux sujets :

– les brevets et les droits d’auteur (sont-ils des droits de propriété fondés sur la créativité ou des monopoles cachés ?) ;

– la peine de mort pour les meurtriers (est-elle une juste rétribution ou un pouvoir dangereux ?) ;

– l’avortement (y a-t-il deux sujets de droits impliqués, ou seulement un seul ?) ;

– la fiscalité (est-elle purement et simplement du vol, ou des frais à payer pour des services utiles à tous comme la défense ?) ;

– et même le mariage gay (l’État devrait-il empêcher la discrimination contre les homosexuels, ou devrait-il tout simplement laisser le mariage au marché libre ?).

– l’immigration (faut-il ouvrir les frontières ou bien démanteler d’abord l’État-providence qui transforme les migrants en assistés sociaux ?)

– les drogues (faut-il tout légaliser ou bien d’abord privatiser le système de santé pour responsabiliser les consommateurs ?)

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de politiques libertariennes : les lois contre l’assassinat, le viol et l’esclavage sont fondamentales à tout système juridique civilisé. Elles devraient même s’appliquer à tous les gouvernements. Néanmoins, il n’est pas toujours évident de savoir quelles politiques spécifiques sont nécessaires pour faire respecter ces lois générales. Là encore, des gens raisonnables peuvent être en désaccord. Par exemple, la façon dont un gouvernement doit garantir la sécurité contre le terrorisme fait l’objet de débats. De même, la question du revenu universel oppose des libéraux pragmatiques qui y voient une opportunité de remettre à plat la fiscalité et ceux qui s’y opposent pour des raisons déontologiques : c’est une légitimation des droits sociaux qui sont de faux droits.

Le libertarianisme ne nécessite donc pas l’unanimité sur tout. La raison pour laquelle une personne défend le principe de la liberté égale pour tous peut varier. Un libertarien peut également être en désaccord avec un autre sur les prescriptions politiques les plus appropriées pour faire appliquer ce principe dans le monde. Mais tous souscrivent au principe commun de la liberté égale pour tous. Tous sont unis pour combattre les lois sur les crimes sans victime, s’opposer à la tyrannie, défendre la liberté du commerce et de l’entreprise, s’opposer à la violence agressive.

  1. A. F. : Le mouvement libertarien (je parle ici de l’ensemble des organisations libertariennes) est-il bien implanté en France selon vous ?

D. T. : Ma réponse est clairement non. Il n’y a pas encore d’espace, ni politique, ni culturel, pour les idées libertariennes en France. Tout l’espace est occupé par la droite et par la gauche.

Beaucoup des « nouveaux » qui nous rejoignent sont séduits par cet idéal d’une société fondée sur les droits de propriété et dans laquelle l’intérêt mutuel, la coopération et la responsabilité individuelle l’emportent sur la violence et la contrainte. Ils ont d’abord été de fervents militants de gauche ou de droite. Or ils découvrent que le credo libertarien correspond pleinement à la tradition libérale classique française et que cette tradition de pensée a été occultée en France dans l’enseignement, à l’école comme à l’université. Ils découvrent que les solutions mises en œuvre par la droite ou par la gauche au cours du XXe siècle ont toutes échouées. Elles ont consisté à augmenter toujours plus le pouvoir central et l’intervention des gouvernements dans nos vies privées, que ce soit par la fiscalité, la législation, la police et l’armée. Elles ont conduit à l’État providence et à l’État de surveillance.

Gustave de Molinari a parfaitement dépeint la philosophie des conservateurs et des socialistes dans Les soirées de la rue Saint Lazare. Les conservateurs défendent la propriété mais « à l’exemple de ces chrétiens ignorants et sauvages qui proscrivaient jadis les hérétiques au lieu de les réfuter, invoquent la loi, de préférence à la science, pour avoir raison des aberrations du socialisme. » Pour les socialistes, les maux de la société proviennent des imperfections des lois naturelles qui gouvernent le monde économique. Ils ne veulent pas d’un monde de rareté, source d’inégalités. Et comme la base sur laquelle repose tout l’édifice de la société, c’est la propriété, les socialistes veulent la contrôler ou la remplacer par une organisation centralisée.

Il est vrai que la droite est globalement plus favorable à certaines libertés économiques comme les réductions d’impôts ou la liberté d’entreprendre mais elle est hostile aux libertés civiles. Les conservateurs pensent que l’État doit contrôler les mœurs et créer une société vertueuse par en-haut, par la contrainte de la loi. De son côté, la gauche socialiste inverse cette tendance. Elle est favorable à certaines libertés civiles mais veut que l’État régule les échanges économiques et contrôle les entreprises privées par la loi.

De façon générale en France on manque de culture économique. Cela explique en partie pourquoi l’étatisme et le socialisme ont pu triompher dans les esprits. Sans liberté économique il n’est pas de liberté politique. C’est un leurre que de défendre les libertés civiles sans les libertés économiques.

C’est pourquoi le simple fait de republier des livres d’économie politique de la tradition libérale classique, même s’il s’agit de livres du 19e siècle est un acte révolutionnaire. Car tant que ces livres ne seront pas disponibles, il n’y aura pas de débat possible avec les étatistes qui occupent aujourd’hui tout le terrain de la production culturelle et de l’enseignement. Notre objectif est donc clair : les contrer sur leur propre terrain, celui des idées. On peut créer des partis politiques, descendre dans la rue, mais tant que le terrain des idées ne sera pas investi, le combat sera perdu d’avance.

L’Institut Coppet est en train de développer un projet qui mûrit lentement mais sûrement : créer une université numérique, l’Ecole de la Liberté, pour faire contrepoids à l’enseignement public. Nous avons les professeurs, la technologie (sur le modèle des Moocs), les compétences. Les financements commencent à arriver. L’idée est de bâtir à la fois un campus numérique couvrant tous les domaines de la connaissance par des cours en ligne et un portail du libéralisme francophone où tous les textes et les vidéos permettant de comprendre les idées de liberté seraient regroupés au même endroit.

En conclusion, je ne crois pas au meilleur des mondes. Je crois simplement qu’un monde meilleur est possible. Et le moyen d’y arriver est de permettre aux individus d’inventer des solutions de marché aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Des solutions fondées sur l’échange volontaire plutôt que sur la contrainte étatique et le collectivisme. Si les mentalités changent, les politiques suivront, c’est ça le pouvoir des idées, notamment en démocratie. Mais c’est un travail de long terme, il y a beaucoup de chemin à faire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.