Guerre de l’Espagne au Chili. Les neutres et le droit des gens

En 1866, à l’agression de l’Espagne contre le Chili et au bombardement de Valparaiso, J.-G. Courcelle-Seneuil répond en France avec une deuxième brochure consécutive pour condamner formellement les procédés de la puissance espagnole et engager les neutres, meurtris dans leurs intérêts commerciaux, à riposter par ce que nous nommerions aujourd’hui le « boycott », et par une réaffirmation plus solennelle de certains principes du droit des gens. 


GUERRE DE L’ESPAGNE AU CHILI

LES NEUTRES ET LE DROIT DES GENS

PAR

J. G. COURCELLE-SENEUIL

PARIS

E. DENTU, LIBRAIRIE-ÉDITEUR

PALAIS-ROYAL. 17 ET 19, GALERIE D’ORLÉANS

1866


GUERRE DE L’ESPAGNE AU CHILI

LES NEUTRES ET LE DROIT DES GENS

À l’époque où l’on apprit en Europe que la guerre venait d’être déclarée entre l’Espagne et la république du Chili, nous crûmes qu’il convenait d’en exposer les prétextes, les motifs, le caractère et la portée. Nous croyons avoir démontré[1] à cette époque, par l’analyse des documents espagnols eux-mêmes, que le gouvernement dont fait partie M. Bermudez de Castro, et au nom duquel il présentait à l’Europe l’Espagne comme attaquée, avait pris l’initiative de l’agression. Aujourd’hui que le bombardement de Valparaiso soulève la réprobation du monde civilisé, M. Bermudez de Castro reprend la parole pour faire l’apologie de cet acte et de son gouvernement. Il convient de lui répondre et de ne pas laisser l’opinion hésiter un moment en présence de quelques sophismes qui ne sauraient tenir devant l’évidence des faits. Puisque M. Bermudez de Castro a prétendu justifier et presque glorifier un événement sur lequel il convenait au gouvernement espagnol de se taire, parlons-en : aussi bien il y a dans les réflexions que ce bombardement inspire des leçons à recueillir pour tout le monde.

Commençons par un exposé rapide de ce qui s’est passé depuis la déclaration de guerre jusqu’aux dernières nouvelles : ensuite nous discuterons la circulaire du 24 mai de M. Bermudez de Castro ; nous tâcherons de résumer les résultats actuels de la guerre ; enfin nous examinerons ce que deviennent dans ce conflit le droit des gens et les intérêts des neutres.

I

Lorsque, à la fin de septembre 1865, le Chili, poussé à bout par les procédés de l’amiral Pareja, déclara la guerre à l’Espagne, cette république, dont la politique était depuis longues années absolument pacifique, se trouvait dépourvue de moyens de résistance actuels et directs. Son gouvernement fit disparaître les deux petits navires qui composaient toute sa flotte militaire, prit à la hâte les mesures nécessaires pour empêcher un débarquement et envoya des agents donner l’éveil aux divers gouvernements sud-américains. Les Espagnols, qui espéraient intimider le Chili et ne s’attendaient à rien moins qu’à une déclaration de guerre, n’étaient pas mieux en mesure d’agir. Leurs 3 000 hommes de débarquement ne pouvaient guère occuper utilement un point quelconque de la côte chilienne, et leur puissante escadre n’avait guère à qui s’attaquer.

La guerre commença donc par la capture des navires de commerce chiliens, et par une déclaration de l’amiral espagnol qui prétendait bloquer avec des croiseurs toute la côte chilienne, cinquante-trois ports grands ou petits. Les chargés d’affaires des nations neutres réclamèrent au nom des principes de droit international proclamés par le Congrès de Paris, et, leurs réclamations étant appuyées par la présence de cinq navires de guerre appartenant aux trois principales puissances maritimes, le blocus fut limité aux ports de Valparaiso, de Talcahuano, de Coquimbo et de Caldera, devant chacun desquels fut placé un navire espagnol. Trois avisos entretenaient les communications de ces navires entre eux, couraient la côte et faisaient quelques prises.

Les mois d’octobre et de novembre furent presque exclusivement employés par l’amiral espagnol à répondre aux réclamations incessantes des neutres, dont les intérêts se trouvaient compromis par un blocus imprévu, notifié à bref délai, dont ne pouvaient avoir connaissance les navires qui depuis trois mois avaient quitté les ports de l’Europe et de l’Amérique du Nord. L’amiral Pareja comprit que, pour rendre ce blocus tolérable, il fallait traiter les neutres avec une certaine libéralité. C’est ainsi qu’il permit, après quelque résistance, aux capitaines de leurs navires marchands de communiquer avec leurs consignataires, et qu’il laissa les bateaux courriers entrer à Valparaiso et en sortir librement.

Mais dès que le blocus était réduit à ses proportions légitimes, il était à peu près nul. Le commerce du Chili se faisait par les petits ports avec un peu plus de frais, mais sans difficulté d’aucune sorte.

L’escadre espagnole cependant, forcée de croiser sans communiquer avec la terre, souffrait du défaut de vivres frais. Deux tentatives faites dans le golfe de Talcahuano par le commandant de la Resolucion pour s’en procurer, lui avaient prouvé que la côte était bien gardée, et un certain nombre d’hommes envoyés par lui sur une chaloupe pour s’emparer d’un petit vapeur marchand avaient été pris dans une embuscade.

Les choses en étaient là, lorsqu’on apprit tout à coup que la corvette espagnole Covadonga, attaquée le 26 novembre à la hauteur du port du Papudo, à quelques lieues de Valparaiso, par la corvette chilienne Esmeralda, s’était rendue avec son commandant, six officiers et cent quinze hommes d’équipage. Cette nouvelle, qui exaltait le courage des Chiliens et exaspérait les Espagnols, montra à l’amiral Pareja qu’il avait en face de lui un ennemi entreprenant et que la guerre serait sérieuse ; il comprit l’énormité de l’erreur dans laquelle il était tombé et de la faute politique dans laquelle il avait engagé son pays : il se suicida.

Son successeur, don Casto Mendez Nuñez, vit qu’il ne pouvait pas laisser impunément ses navires dispersés. Il les réunit deux à deux et fit venir la frégate cuirassée Numancia, qui était restée jusqu’alors dans le port du Callao. Ainsi le blocus, déjà insuffisant, se restreignait encore.

Cependant le gouvernement du Pérou, qui avait eu la faiblesse de payer à l’Espagne 15 millions de francs, avait été renversé par une révolution : le gouvernement qui lui avait succédé concluait en janvier 1866 une alliance offensive et défensive avec le Chili. Déjà les navires de guerre péruviens étaient allés à Chiloe se joindre à leurs alliés et on apprenait que deux frégates cuirassées, que le Pérou avait longtemps auparavant fait construire en Angleterre, étaient parties d’Europe. Il fallut alors concentrer davantage la flotte espagnole qui, abandonnant les autres ports chiliens, se réunit tout entière devant Valparaiso.

L’amiral Mendez Nuñez, ne voulant pas attendre que l’escadre ennemie fût réparée et renforcée, envoya pour l’attaquer et la détruire deux frégates, la Villa de Madrid et la Blanca, qui arrivèrent le 7 février, vers quatre heures du soir, dans le canal qui sépare du continent la petite île d’Abtao. Là, se trouvaient la frégate Apurimac, les corvettes Union et America, péruviennes, et la Covadonga, portant désormais pavillon chilien. La frégate et une corvette péruviennes étaient en réparation et ne pouvaient se mouvoir. Les quatre navires alliés avaient en tout 56 canons.

Les deux frégates espagnoles, qui en avaient 90, attaquèrent ; mais après une canonnade de deux heures environ, la Villa de Madrid ayant perdu son gouvernail et la Blanca un certain nombre d’hommes, se retirèrent à Valparaiso.

Le 2 mars, une nouvelle expédition, composée de la Blanca et de la frégate cuirassée Numancia, portant l’amiral Mendez Nuñez en personne, était mouillée dans la rade de Tubildad, dans les canaux de Chiloe, à soixante mètres environ de la côte, lorsque, à la diane, elle fut attaqué à coups de fusil par deux compagnies de garde nationale. L’amiral espagnol essaya vainement de faire débarquer des hommes pour débusquer ces tirailleurs et vainement aussi il les canonna pendant plus d’une heure : il dut se retirer, abandonnant une ancre. Ensuite, il alla reconnaître l’escadre alliée mouillée dans la rade de Calbuco et se retira sans l’attaquer.

Cette suite d’accidents étaient certainement de nature à causer de la mauvaise humeur à l’amiral espagnol. La prudence lui était imposée par les instructions données à son prédécesseur, où on lisait : « La médiocrité de la marine du gouvernement chilien et la mauvaise artillerie qui défend la rade de Valparaiso font considérer comme éloignée la chance d’un engagement avec les forces que commande Votre Excellence : cependant, et bien que cela semble superflu, je dois vous recommander spécialement de ne pas les compromettre dans une situation dangereuse. [2] » On comprend qu’en présence d’instructions semblables, le commandant espagnol se soit trouvé forcé à une grande circonspection.

À son retour de Chiloe, il trouva un ordre dont l’exécution ne pouvait l’exposer à aucun danger matériel, l’ordre de bombarder Valparaiso, donné par le gouvernement espagnol sur la nouvelle de la prise de la Covadonga. Ce bombardement n’était pas considéré par les hommes qui gouvernent l’Espagne comme une mesure excessive, ni même extraordinaire, car on lisait dans les instructions déjà citées : « Le gouvernement de Sa Majesté estime qu’un mois de blocus peut suffire pour que le gouvernement du Chili consente enfin à donner la juste satisfaction qu’on lui demande. Mais s’il en était autrement, ou si les circonstances exigeaient d’autres mesures de coercition, Votre Excellence peut pousser plus loin les hostilités, en opérant soit contre les mines et dépôts de charbon de Lota, soit contre le port de Valparaiso. »

Ainsi les amiraux espagnols étaient d’avance autorisés à ce bombardement, même sans déclaration de guerre de la part du Chili. Ils n’avaient pas osé d’eux-mêmes recourir à ce moyen, lorsque le gouvernement espagnol, qui avait donné une autorisation, a envoyé un ordre dont nous regrettons vivement que le texte n’ait pas été publié.

Quoi qu’il en soit, l’amiral Mendez Nuñez ayant parlé au chargé d’affaires des États-Unis de l’imminence du bombardement, l’alarme se répandit aussitôt dans le corps diplomatique et dans la ville. L’amiral Denman, commandant des forces anglaises stationnées en rade de Valparaiso, déclara que « si le feu était ouvert tout à coup contre Valparaiso de manière à mettre en péril des vies anglaises, il croirait de son devoir d’intervenir et d’arrêter les opérations de la flotte espagnole. [3] » En conséquence, l’amiral Mendez Nuñez publia le 27 mars un manifeste par lequel il annonçait que le bombardement aurait lieu le 31, donnant ainsi à la ville un délai de quatre jours.

Vainement les commerçants étrangers établis à Valparaiso rappelèrent la promesse solennelle, faite en septembre par l’amiral Pareja, de leur donner, en cas de bombardement, un temps suffisant pour mettre à couvert leurs marchandises ; vainement les consuls et les agents diplomatiques des puissances neutres rappelèrent les principes du droit international et les usages des nations chrétiennes[4] ; l’amiral espagnol persista.

Il est étrange qu’on ait essayé de lui faire entendre raison après avoir lu son manifeste. Dans ce document, où la magnificence des paroles contraste étrangement avec la conclusion, l’amiral commence par insister avec un rare à-propos sur la générosité proverbiale et naturelle de l’Espagne, sur sa douceur, sur la dignité de son caractère, sur cette histoire dont chaque page rappelle une gloire ; puis il conclut en disant qu’il est réduit à rompre définitivement avec le gouvernement chilien et ajoute :

« L’Espagne a fait ce que lui indiquait l’honneur : elle a ordonné à ses navires de chercher ses ennemis coalisés et cet ordre a été exécuté. Deux navires espagnols se sont compromis, nautiquement parlant, dans des parages semés de difficultés de toute sorte, augmentées par l’incertitude de leur situation ; ils ont passé par où aucun autre navire de leur dimension n’avait passé, allant jusqu’à la témérité nautique, pour voir des ennemis qui, placés sur un point parfaitement choisi, et couverts d’obstacles qui empêchaient de toucher leurs vergues, n’ont reçu d’autre dommage que celui, important cependant, que peut causer un tir à grande distance.

Eh bien, on n’a pas été arrêté par ces difficultés, ou pour mieux dire par les dangers continus qui résultent de la nature des lieux, ni par les brouillards très fréquents qui, on peut le dire, couvrent chaque jour l’ennemi : une nouvelle expédition est allée pour le joindre, mais ne se croyant pas encore assez en sûreté sur le point qu’il occupait, il avait cherché son salut dans les nombreuses et étroites sinuosités qui, formant une barrière inexpugnable pour celui qui se cache, ne permettent pas de l’attaquer avec des navires comme ceux qui composent l’escadre espagnole du Pacifique.

Ainsi, l’impossibilité d’arriver à portée de canon de navires qui se couvrent par des obstacles de terrain insurmontables impose à l’Espagne le rigoureux, mais impérieux devoir… Par conséquent et pour raison de guerre, les canons de l’escadre espagnole bombarderont la ville de Valparaiso et toute autre qu’ils jugeraient convenable… »

Voilà donc la cause avouée du bombardement de Valparaiso, l’impossibilité d’arriver à vaincre l’escadre alliée ! Parce que les navires espagnols ont été obligés de se retirer à Abtao devant quelques vapeurs péruviens surpris en réparation, parce que l’amiral espagnol n’a pas osé attaquer l’escadre alliée à Calbuco, il déclare qu’il va bombarder un entrepôt commercial sans défense, et il parle de générosité et d’histoire glorieuse !

Mais le gouvernement chilien ne laissa pas même ce honteux prétexte à l’amiral Mendez Nuñez. Il lui fit offrir un combat de l’escadre alliée contre l’escadre espagnole, moins la frégate cuirassée Numancia, à dix milles de Valparaiso, en pleine mer, loin des brouillards, des canaux et de tout péril nautique. C’était proposer un duel de 99 canons contre 160, et renoncer à des avantages acquis pour tout livrer aux chances d’un combat inégal. Cependant l’amiral espagnol refusa. Ce n’était pas le combat qu’il voulait, c’était la ruine de Valparaiso, méditée et préparée de sang-froid par le gouvernement de Madrid.

Aussi, non moins heureux que son prédécesseur dans le choix de ses jours mémorables, le samedi, veille de Pâques, les navires de guerre neutres ayant évacué la rade, l’amiral Mendez Nuñez alla tranquillement, à l’heure indiquée, mettre ses navires en ligne à 400 mètres de Valparaiso, et se donna pendant trois heures le plaisir de voir bouleverser et brûler les maisons, magasins et marchandises de cette ville.

Dans une note adressée le 27 mars au corps consulaire, l’amiral espagnol avait écrit : « Je m’efforcerai loyalement de faire tomber tout le dommage sur les intérêts et propriétés du gouvernement chilien », et le premier édifice sur lequel il lance ses projectiles incendiaires est l’entrepôt de la douane, rempli de marchandises étrangères : le quartier de la ville qu’il choisit[5] pour l’incendier est justement celui dans lequel se trouvent les plus riches magasins des commerçants étrangers. Le même jour, 27 mars, il avait invité l’autorité chilienne à désigner par un drapeau blanc les hôpitaux et autres établissements de bienfaisance : le drapeau blanc est arboré, et aucun de ces édifices n’est respecté par les canons espagnols.

Nous ne voulons pas tracer ici le tableau des horreurs de ce bombardement, parce qu’il serait difficile de les raconter de sang-froid. Qu’on se figure une population de soixante mille âmes assise sur les collines qui, de toutes parts, dominent l’amphithéâtre où est bâtie la ville, assistant à la démolition de ses maisons, à l’incendie de ses meubles et de ses marchandises, à la ruine des monuments de la paix et de la civilisation, la douane, la Bourse, l’embarcadère du chemin de fer, tandis que les flammes s’élèvent du centre de la cité, que les boulets vont trouer les églises, les hôpitaux, et que les grenades tombent au milieu des religieuses et des orphelines en prières. [6] Qu’on se figure cette ville presque déserte, dans les rues de laquelle quelques personnes de tout âge et de tout sexe, insouciantes du danger, vont éteindre les bombes et jouer avec les boulets, pendant que des bataillons veillent, l’arme au bras, prêts à faire face à l’ennemi, s’il osait débarquer, et que les pompiers attendent la fin du bombardement pour courir au feu. Voilà le spectacle que l’escadre espagnole a donné au monde[7] ! voilà comment l’amiral Nuñez a prétendu mettre fin à cette « haine mêlée de mépris » dont se plaignait l’amiral Pareja !

II

Lorsqu’on lit les documents émanés depuis le commencement de cette guerre du gouvernement espagnol et de ses agents, on éprouve tout d’abord un sentiment de surprise. On se sent transporté hors de la logique à laquelle on est accoutumé, hors du dix-neuvième siècle, dans un monde de fantaisie qui rappelle deux grands types, l’un observé ou créé par le génie de Cervantes, l’autre immortalisé par Pascal. On retrouve à chaque instant la magnificence de paroles avec laquelle don Quichotte qualifie la pauvreté de ses actes, son imagination qui lui fait voir les choses au rebours et son entêtement déraisonnable : on y trouve aussi les finesses ingénues d’Escobar.

Ces caractères se rencontrent encore dans la circulaire que M. Bermudez de Castro vient d’adresser aux agents diplomatiques de l’Espagne à l’étranger, à propos du bombardement de Valparaiso, afin de prouver que ce bombardement n’est pas l’œuvre d’une « haine impatiente ». Ce document mérite une analyse développée.

M. Bermudez de Castro commence par rappeler ses communications antérieures destinées à établir le bon droit de l’Espagne. Comme nous les avons discutées en leur temps, nous ne reviendrons pas sur ce point. Rappelons seulement que le procès qui devait être fait à M. de Tavira, ancien chargé d’affaires d’Espagne à Santiago, qu’on accusait d’avoir manqué à ses instructions, n’a pas eu lieu, et qu’une lettre, attribuée à feu l’amiral Pareja, reconnaît que cette guerre ne devait pas être entreprise. [8]

Tenons pour démontré que M. Bermudez de Castro croit juste la guerre que l’Espagne fait au Chili, et suivons, s’il est possible, ses raisonnements. « L’Espagne, dit-il, a limité les premières hostilités à un blocus. » — Soit ! mais il y a eu de plus des navires marchands capturés.  — « Ce blocus n’a pas été rigoureux. » Soit encore, et ajoutons qu’il ne pouvait l’être, parce que les neutres s’y opposaient. — « L’Espagne acceptait la médiation de l’Angleterre et de la France. » — Cela est certain. « Elle écoutait les conseils du gouvernement des États-Unis qui l’engageaient à ne pas pousser la guerre afin de faire prévaloir au Chili des conseils pacifiques. » — Nous le croyons volontiers. — « L’Espagne n’a pas inquiété les Chiliens établis dans la Péninsule. » — Nous ignorons s’il y en a ; mais nous ne voyons ni motif, ni prétexte pour qu’ils fussent inquiétés.

Jusque-là, tout va bien. Reste à voir comment M. Bermudez de Castro expose la conduite du Chili.

« Dès le premier jour, dit-il, le Chili a montré une animosité soutenue et implacable. » — Après les insultes reçues, cette animosité était naturelle : on pourrait la blâmer si elle s’était cachée ; mais dès que le blocus espagnol fut dénoncé, le Chili déclara solennellement la guerre : tout acte d’hostilité légitime lui était permis. — Mais c’est justement cette déclaration que le ministre espagnol omet de mentionner.

Quant au caractère implacable de cette animosité, il prouve seulement que le Chili, comprenant mieux le caractère du gouvernement espagnol que nous ne l’avions compris en Europe, vit dès le premier jour que le raisonnement était inutile avec ce gouvernement et que la force seule pouvait délivrer l’Amérique d’une agression inqualifiable.

« Le gouvernement chilien interna, à Santiago, les Espagnols résidents. » — Pouvait-il souffrir qu’ils correspondissent sans relâche avec l’ennemi et qu’ils osassent même lui envoyer des vivres ? le pouvait-il surtout dans un moment où l’amiral espagnol menaçait Valparaiso d’un bombardement ? Un nombre considérable de ces résidents n’avaient-ils pas pris une attitude belligérante lorsqu’ils avaient appelé les hostilités sur un pays où ils avaient trouvé l’hospitalité, plusieurs la fortune et une famille, contre lequel d’ailleurs aucun d’eux ne pouvait formuler un grief personnel ? Valait-il mieux les considérer comme espions et leur appliquer les lois ordinaires de la guerre ? Nous ne le croyons pas. Ajoutons que le gouvernement chilien a laissé partir tous ceux qui ont voulu quitter le pays.

« Le gouvernement chilien, continue M. Bermudez de Castro, a envoyé des émissaires pour chercher des corsaires ; il a acheté des torpilles. » — Soit ! est-ce qu’il y a là quelque chose qui s’écarte des usages de la guerre ?

« Le Chili nous provoqua d’une manière inqualifiable par la capture déloyale de la Covadonga. » — Voilà le grand grief. Qu’est-ce donc que la capture de la Covadonga ? Un acte de guerre survenu deux mois après que la guerre avait été déclarée. En quoi cet acte fut-il déloyal ? est-ce parce que l’officier chilien Williams attaqua la Covadonga à 11 heures du matin, par un beau soleil, avec un vieux navire mauvais marcheur, qui faisait un pied d’eau, armé de canons non rayés, tandis que la Covadonga avait quatre gros canons rayés, un équipage supérieur en nombre et une bonne marche ? est-ce parce que l’officier Williams a osé l’attaquer si près de l’amiral espagnol que celui-ci a pu entendre la canonnade ? En vérité on serait tenté de croire que M. Bermudez de Castro emploie les mots sans en connaître la valeur. Il raisonne comme si le parti pris par l’Espagne de borner les hostilités à la capture des navires marchands chiliens et au blocus avait engagé le Chili, comme si la guerre n’eût pas été déclarée[9] ou comme si la Covadonga eût été prise pendant un armistice. Certes s’il y eut jamais un acte de guerre légitime et irréprochable, c’est la prise de la Covadonga. Que le gouvernement espagnol y ait été sensible, on le comprend ; qu’il en ait été étonné, on peut le comprendre encore ; mais qu’il ose se plaindre ! Il va chercher la guerre, on la lui fait. Il n’y a là rien que de très naturel. Tout ce qu’on peut dire du Chili c’est que :

Cet animal est très méchant,
Quand on l’attaque, il se défend.

« Le Chili a dénaturé la question pour lui donner un caractère américain qu’elle n’a jamais pu avoir et, soit en menaçant des gouvernements faibles, soit en offrant son appui matériel à des gouvernements impopulaires, il est parvenu à ce résultat que trois républiques avec lesquelles nous étions en bonnes relations nous déclarassent la guerre sans motifs et nous fermassent les ports du Pacifique, ce qui nous a causé de très graves préjudices. » — Comment cette guerre n’aurait-elle pas un caractère américain, lorsqu’on a vu l’escadre espagnole venir dans le Pacifique, sous prétexte de mission scientifique, attaquer le territoire péruvien à la manière des pirates, profiter de la faiblesse du gouvernement de Lima pour rançonner d’abord le Pérou et préparer contre cette république de nouvelles demandes d’argent ; puis, parce que le Chili a ressenti l’outrage de la revendication par l’Espagne du territoire américain, aller lui présenter la guerre sans aucun motif légitime ou même sérieux dans l’espoir de l’intimider ? Comment M. Bermudez de Castro ose-t-il parler de gouvernements impopulaires, lorsque celui dont il fait partie ne subsiste que par les états de siège, les lois d’exceptions, le bâillonnement de la presse et les fusillades ? Il n’existe rien de pareil dans la plus mal gouvernée des républiques de l’Amérique du Sud. D’ailleurs en quoi tout ceci touche-t-il à la question ? Depuis quand fait-on un crime à un belligérant de chercher et de trouver des alliés, et de profiter pour cela de l’indignation provoquée par les procédés de son ennemi ?

« Enfin le gouvernement de Santiago, au lieu d’écouter les conseils d’une impartialité bienveillante, a refusé durant deux mois d’accepter les bons offices de la France et de l’Angleterre et d’admettre leurs propositions, employant des prétextes dilatoires pour se dispenser d’une réponse catégorique et prolonger une intolérable situation. » — Il est vrai que la France et l’Angleterre, à la première nouvelle de la guerre, s’empressèrent d’offrir leur médiation à des conditions qui furent acceptées par l’Espagne. Ces conditions ménageaient-elles suffisamment les justes susceptibilités du Chili ? Il ne nous appartient pas de le décider. Ce qui est certain, c’est que quand l’offre de médiation est arrivée à Santiago, le Chili avait conclu avec le Pérou une alliance offensive et défensive et ne pouvait plus faire la paix que conjointement avec cette république, ce que les puissances médiatrices n’avaient pu prévoir. Dès lors les conditions proposées ne pouvaient en aucune façon servir de base à la médiation. Il n’y avait de faute ni de la part du Chili, ni de la part des puissances médiatrices, mais un simple effet des distances et de la rapidité avec laquelle les événements avaient marché.

Pour qu’une médiation soit possible, il faut évidemment qu’elle soit proposée à tous les belligérants et qu’elle puisse aboutir à la paix de tous et de chacun d’eux. Il n’y a que l’entêtement aveugle du gouvernement espagnol et de ses organes qui puisse méconnaître une vérité aussi élémentaire !

« Chacun de ces actes d’hostilité, continue M. Bermudez de Castro, aurait justifié l’emploi immédiat de la force, mais celui qui, plus que tout autre, aggrava la nature du conflit, c’est la prise de la Covadonga. Après une aussi énorme agression, il fallait obtenir une réparation (desagravio) à tout prix. C’est en ce sens que le gouvernement écrivit au chef de l’escadre dès qu’il eut connaissance de l’événement, et, en conséquence, nos forces navales allèrent à la recherche de l’ennemi pour engager une lutte franche et décisive. Deux frégates espagnoles entreprirent seules l’attaque contre l’escadre des républiques alliées ; mais leur tentative fut infructueuse, parce que nos adversaires cachèrent leurs navires dans des lieux sûrs, inaccessibles aux nôtres, et une seconde tentative ne put les en faire sortir. »

— M. Bermudez de Castro oublie de dire que, dans la première expédition, les navires alliés soutinrent avec 56 canons un combat contre les 90 canons des frégates espagnoles et les forcèrent à se retirer pour aller chercher leur cuirasse. Peut-être cette conduite des alliés aggrava encore leurs torts, car, à lire le manifeste de l’amiral Mendez Nuñez et la circulaire que nous examinons, il semble que le devoir de l’escadre alliée était de se laisser battre à la discrétion des chefs espagnols. Si tel était le devoir de cette escadre, il faut convenir qu’elle y a manqué en canonnant les frégates espagnoles et en les mettant presque « dans la situation périlleuse » d’où, pour se conformer à leurs instructions et rester sauves, elles ont dû se retirer.

« Il ne restait donc d’autre ressource que le bombardement, dernier et seul moyen de rendre efficace l’emploi de la force. La situation était devenue absolument insoutenable : après six mois d’un blocus inefficace, il n’était ni possible, ni juste, ni digne, de persister dans une attitude inutile, ni de supporter chaque jour de nouvelles offenses de la part d’un ennemi qui refusait le combat par système. »

— Ainsi, M. Bermudez de Castro l’avoue, l’escadre espagnole se reconnaissait impuissante : elle ne pouvait plus rien contre les canons de l’ennemi et sa situation était devenue insoutenable. Elle ne pouvait plus employer la force avec efficacité que contre une ville ouverte, des maisons sans défense, des marchandises, des entrepôts ! Ce n’était pas là, le ministre espagnol le sent bien, de la lutte franche. Mais c’était encore un moyen d’employer la force efficacement ! S’il n’était ni possible ni juste, ni digne de continuer le blocus, il était possible et juste de le lever et de s’en aller purement et simplement : cette retraite eût été plus digne que celle qui a eu lieu après avoir incendié des magasins, jeté des projectiles creux et pleins dans les hôpitaux et brûlé quelques navires pris à des commerçants. Voilà des vérités de sens commun que tout le monde comprend, hors le gouvernement espagnol et ses agents.

Poursuivons. — « Mais, dans cette extrémité, avant de diriger ses canons contre Valparaiso, le chef de l’escadre espagnole, interprétant et poussant jusqu’à leurs dernières limites les désirs conciliateurs du gouvernement, offrit par deux fois au Chili un moyen honorable d’éviter l’attaque par l’acceptation de ces mêmes propositions que, dans des circonstances très différentes et moins graves, avaient présenté la France et l’Angleterre. »

Ce moyen honorable d’éviter le bombardement consistait tout simplement à abandonner ses alliés et à faire sous le coup de l’intimidation une paix séparée. Voilà ce que l’amiral espagnol proposait au Chili comme un moyen honorable ! Singulière façon d’entendre l’honneur ! — Mais la France et l’Angleterre jugeaient ces conditions honorables. — Oui, quand il n’y avait en présence que l’Espagne et le Chili ; oui, lorsqu’aucun acte de guerre n’avait eu lieu. Aujourd’hui, vous le reconnaissez, les circonstances sont autres : ce qui pouvait être accepté honorablement en octobre 1865 ne pouvait être accepté sans infamie en mars 1866. En octobre 1865, le Chili, seul belligérant, pouvait admettre des propositions que deux puissances unies avaient jugées convenables, sans manquer à aucun devoir ; en mars 1866, il ne pouvait admettre ces mêmes propositions sans manquer à tous ses devoirs envers ses alliés, et il est étrange, disons-le, qu’il se soit rencontré un diplomate neutre pour les présenter au gouvernement chilien.

« — La réponse finale du Chili à une proposition si chevaleresque fut d’envoyer un défi indigne, qui équivalait à une nouvelle insulte au moment même où il était menacé de plus près du coup. »

— Quoi ! ce n’est pas assez de déraisonner, de qualifier les actes à tort et à travers et de travestir les faits par omission, voilà que la circulaire attente directement à la vérité ! Ce n’est point en réponse à la proposition soi-disant chevaleresque de l’amiral Mendez Nuñez que le gouvernement du Chili lui a adressé un défi : c’est en réponse à cet étonnant manifeste par lequel l’amiral espagnol accusait la flotte alliée de se cacher et de refuser le combat. Le défi, daté du 30 mars, jour où toutes les négociations avaient pris fin, rappelait d’abord les termes du manifeste et y répondait par les considérations suivantes :

« On ne comprend pas comment il est impossible aux frégates espagnoles Blanca, Resolucion, Berenguela, Villa de Madrid et encore moins à la corvette Vencedora, d’entrer dans un canal où a navigué sans difficulté la frégate péruvienne Apurimac qui cale autant qu’elles. Le canal était même assez profond pour donner accès libre et facile à la Numancia jusqu’au mouillage des navires alliés.

Mais puisque le chef de l’escadre ennemie a allégué cette impossibilité prétendue pour se disculper du bombardement qui va avoir lieu, Son Excellence le président de la république a jugé convenable de faire disparaître les plus faibles prétextes qui puissent lui servir d’excuse. À ces fins, etc. »

Certes il était étrange que l’amiral Mendez Nuñez accusât un belligérant d’user de ses avantages, comme d’une sorte de manquement à je ne sais quel droit ! Le gouvernement chilien pouvait sans aucun doute dédaigner cette plainte impuissante. Il eut le tort de la prendre au sérieux et de croire que l’amiral espagnol désirait vraiment un combat et épargnerait une ville sans défense, si la bataille lui était offerte. L’événement prouva qu’il s’était trompé et que les lamentations proférées contre les brouillards et les canaux de Chiloe n’étaient qu’un prétexte, que l’amiral espagnol ne voulait ni combattre, même avec un grand avantage numérique, les navires alliés, s’il n’avait pas sa frégate cuirassée, ni attendre que les frégates cuirassées des alliés fussent arrivées dans le Pacifique. Ce qu’il voulait, c’était la soumission du Chili ou le bombardement de Valparaiso.

Quant à l’épithète d’indigne donnée par M. Bermudez de Castro au défi chilien, elle nous semble simplement incompréhensible et nous craignons fort que celui qui l’a employée n’en ait pas compris le sens. Où est l’indignité d’offrir à un ennemi qui se plaint de ne pouvoir combattre, la bataille à deux contre trois ? On peut dire que ce défi est hors des coutumes modernes et hardi jusqu’à la témérité. [10] Mais le qualifier d’indigne ! voilà qui est par trop fort.

« Il ne restait donc plus un seul prétexte pour suspendre le bombardement. Dans l’alternative d’opter entre une souffrance ignominieuse ou une agression complètement justifiée, le chef de l’escadre ne put hésiter un seul instant et ordonna le feu, non sans avoir pris au préalable les précautions dues à l’humanité et aux intérêts des neutres. »

Ces précautions, consistant à donner quatre jours de délai pour le déménagement d’une ville de 75 000 âmes, avaient été, nous le savons aujourd’hui, exigées par les commandants anglais et nord-américain. Les précautions prises pour les intérêts des neutres ont consisté dans le soin particulier pris par l’amiral espagnol pour brûler l’entrepôt où se trouvaient leurs marchandises et le quartier où étaient réunis leurs principaux magasins.

« Le gouvernement chilien avait cru sans doute qu’en laissant sans artillerie les places de ses côtes et en évitant des rencontres qui missent à l’épreuve la valeur de ses armes, rien ne l’empêcherait de nous offenser et de commettre impunément des hostilités contre nous sous la sauvegarde de sa propre faiblesse.

Il est facile de comprendre que si l’on admettait le principe que les places dépourvues d’artillerie sont inviolables, les nations faibles et non armées pourraient, sans responsabilité d’aucune sorte, outrager les autres et négliger les devoirs les plus sacrés qu’impose la justice. »

Remarquons d’abord que le Chili, loin d’éviter le combat, l’a recherché chaque fois qu’il a pu le faire avec des chances à peu près égales. Surpris en septembre, en pleine paix, par l’agression la plus imprévue et la plus brutale, venant d’un ennemi préparé depuis des années, il se trouve à la fin de mars dans une situation telle que l’escadre espagnole ne peut ni le surprendre ni le forcer dans Chiloe, ne veut pas accepter le combat offert en pleine mer à deux contre trois et ne veut pas surtout attendre l’arrivée des frégates cuirassées signalées dans l’Atlantique. Est-ce le Chili ou l’Espagne qui fuit la lutte franche, canons contre canons ?

D’ailleurs, lors même que le fait affirmé par le ministre espagnol serait vrai, les places ouvertes et sans défense ne devraient pas moins être respectées, comme elles l’ont été et le sont de toutes les nations civilisées. Loin de rendre la guerre difficile, elles la facilitent, puisqu’elles ne présentent pas de résistance et que le belligérant qui les occupe y trouve des ressources. Mais il faut oser y descendre et les occuper, comme on l’a vu faire cent fois dans les guerres modernes, et c’est justement ce que le gouvernement espagnol n’a pas osé.

Il a ordonné le bombardement de Valparaiso, non parce que le Chili suivait tel ou tel système de guerre, mais parce que l’escadre espagnole n’avait pas un corps de débarquement suffisant pour occuper cette ville et pousser les hostilités. Le bombardement n’est qu’un acte de rage impuissante.

Si nous essayons de formuler un jugement sur cette première partie de la circulaire de M. Bermudez de Castro, nous remarquons :

1° Qu’il expose et qualifie les faits comme si le Chili n’avait pas déclaré la guerre à l’Espagne en septembre dernier, se plaignant d’actes d’hostilité ordinaires et légitimes comme s’ils avaient eu lieu en pleine paix, et omettant avec soin de parler de l’état de guerre qui les justifiait ;

2° Qu’il ne tient nul compte des traités d’alliance offensive et défensive conclus entre le Chili et les républiques voisines, qualifiant des propositions faites par les puissances médiatrices lorsque le Chili était seul en guerre, comme si les traités qui lient ce pays aux autres républiques hispano-américaines n’existaient pas ;

3° Qu’il nie implicitement le droit qu’a tout belligérant de profiter des avantages de temps et de localité pour combattre à son heure et comme il lui convient [11] ;

4° Enfin qu’il considère l’incendie d’une ville purement commerciale et non défendue comme un acte de guerre ordinaire et légitime, malgré la coutume contraire et constante de toutes les nations chrétiennes et civilisées.

Voilà les artifices et les sophismes auxquels il a fallu recourir pour donner aux procédés de l’amiral Mendez Nuñez une apparence de raison ! Mais dès qu’on examine les faits, on voit que, le Chili ayant déclaré la guerre en septembre, a acquis, à dater de ce jour, tous les droits de belligérant ; qu’une fois lié à des alliés, il ne pouvait plus accepter les propositions des puissances médiatrices ; qu’il a pu avec droit et raison rechercher ou éviter le combat, à sa convenance, sans être obligé en quoi que ce soit par les désirs et les convenances de l’ennemi ; enfin que le bombardement de Valparaiso est un acte de barbarie gratuite, que ne saurait excuser ni l’impuissance de l’escadre espagnole, ni l’absence d’un corps de débarquement suffisant pour occuper la ville. Il n’y avait là, quoi qu’en dise la circulaire, aucune nécessité, puisque le bombardement ne conduisait à aucune des fins légitimes de la guerre.

Dans la dernière partie de sa circulaire, M. Bermudez de Castro affirme le droit qu’avait son escadre de bombarder Valparaiso et rejette plaisamment sur le Chili la responsabilité des dommages éprouvés par les neutres. Il répète qu’il a pour lui le droit, la raison, la générosité, et que l’obstination, la haine, la mauvaise foi même sont du côté de ses adversaires. Mais comme nous savons que les mots prennent sous la plume du ministre espagnol un sens fantastique, souvent bien éloigné du sens ordinaire, nous n’insisterons pas sur de vaines paroles. Mentionnons seulement un passage significatif.

« L’Espagne, dit-il, déplore sincèrement la nécessité où elle s’est vue de procéder avec toute rigueur contre le gouvernement chilien : elle persiste à déclarer que ni le désir de se venger, ni la haine ne lui inspirent d’animosité contre les républiques qui sont aujourd’hui ses adversaires, et qu’elle a toujours été disposée à conclure une paix honorable. »

— Il est bien temps de vouloir la paix, quand après avoir surpris un ennemi qui ne pensait pas à la guerre, on a épuisé contre lui tous les moyens légitimes et illégitimes de la force ; lorsqu’on est réduit à confesser son impuissance et à se retirer avant que cet ennemi ait reçu les quelques renforts qu’il attend ! Si on veut la paix, qu’on la demande : les républiques alliées verront à quelles conditions il leur convient de la faire, et si elles doivent traiter avec les hommes qui gouvernent encore l’Espagne.

Quelques insultes au Chili terminent cette circulaire :

« La conduite aveugle du Chili et de ses alliés, dit M. Bermudez de Castro, a empêché la paix. Son orgueil et ses intentions tortueuses, non moins que le peu de considération qu’il a eu pour amis et pour ennemis sont la véritable cause des dommages qui ont eu lieu. »

Voyons un peu cette dernière accusation. Rien de plus clair que les intentions du Chili : on le menace et on l’insulte à l’improviste ; il dédaigne la menace et repousse l’insulte en prenant ouvertement l’attitude et les droits de belligérant. La prise de la Covadonga et l’alliance avec le Pérou empêchent la médiation d’aboutir. Mais lorsque la Covadonga a été prise, lorsque le traité d’alliance a été signé, le Chili ignorait qu’il y avait une médiation et ne pouvait le savoir. Devait-il par hasard attendre pour agir les nouvelles d’Europe ? Devait-il attendre la paix des dispositions inconnues des puissances neutres, lorsqu’il était sous le coup de l’indignation causée par une agression déloyale et se sentait assez fort pour se faire par lui-même et par ses alliés américains justice du gouvernement espagnol ? Non sans doute. Le Chili a agi comme une nation qui sent son indépendance, qui ne veut devoir à personne la réparation des injures qui lui sont faites, et qui, sans attendre ni faveurs ni aide, se prépare à combattre et à vaincre son ennemi dans une guerre loyale. On ne peut qu’applaudir à la fermeté intelligente de cette attitude.

Quelle a été au contraire celle du gouvernement espagnol envers les neutres et particulièrement envers les puissances médiatrices ? Consultons, sur ce point, non la circulaire de M. Bermudez de Castro, qui n’en dit rien, mais un ministre anglais. « Le gouvernement espagnol, dit M. Layard[12], désira prendre prétexte (du délai nécessaire pour suivre la médiation après l’alliance du Chili et du Pérou) pour rompre les négociations, mais les gouvernements de France et d’Angleterre rappelèrent à l’Espagne qu’elle s’était engagée à accepter leurs bons offices. Bientôt après, le gouvernement de Sa Majesté eut des raisons de croire que des instructions avaient été adressées à l’amiral espagnol dans le Pacifique pour le bombardement de Valparaiso. Les gouvernements français et anglais se mirent immédiatement en communication avec la cour de Madrid, et demandèrent si des instructions en ce sens avaient été envoyées. Le gouvernement espagnol équivoqua beaucoup et en réalité fit croire au gouvernement de Sa Majesté que de telles instructions n’avaient pas été envoyées. C’est par conséquent avec une grande surprise que le gouvernement de Sa Majesté a appris hier que cette ville sans défense avait été bombardée. »

Voilà comment le gouvernement espagnol, qui accuse le Chili d’intentions tortueuses et de mauvaise foi, pratique la loyauté ! voilà comment il montre de la considération aux puissances médiatrices et son désir d’arriver à une paix honorable ! Il médite en secret un acte barbare, qui doit donner à la guerre un caractère implacable, et lorsque les puissances médiatrices l’interrogent, il ruse, il équivoque, il se cache comme un coupable qu’il est. Dans quel intérêt ? Tout simplement pour éviter l’envoi d’ordres qui enjoindraient aux amiraux neutres de protéger leurs nationaux, même par la force, et de pouvoir, une fois l’acte atroce commis, arguer du fait accompli, parler de ses intentions pacifiques, de sa générosité, de sa douceur et de prodiguer impunément à ses ennemis la calomnie et l’insulte ? Voilà les procédés du gouvernement espagnol envers ses amis et envers ses ennemis !

Peut-être croira-t-on que M. Layard a été sévère, car après tout et malgré la modération des termes dont il s’est servi, il a accusé assez clairement le gouvernement espagnol de duplicité. Voyons donc la réponse faite à cette accusation devant les cortès par M. Bermudez de Castro lui-même :

« Après la prise de la Covadonga, de nouvelles instructions furent envoyées au chef de l’escadre du Pacifique, et, le jour suivant, nos représentants en France, en Angleterre et aux États-Unis reçurent une circulaire dans laquelle il leur était rendu compte de l’état des affaires, et où il leur était déclaré que l’Espagne aurait recours à des hostilités de tout genre, pour tirer vengeance du sang versé.

M. le marquis de Molins, ministre de Sa Majesté à Londres, répondit à cette dépêche en me faisant savoir la conversation qui avait eu lieu entre lui et lord Clarendon, me disant que le contenu de la dépêche avait vivement impressionné le noble comte, qui aurait demandé si elle signifiait que le gouvernement désapprouvait tout arrangement fait avec le Chili.

Ainsi, la Chambre sait comment a été annoncé au gouvernement anglais notre dessein de commencer[13] les hostilités sans plus attendre. C’est pourquoi, lorsque sir John Crampton vint me demander si un courrier de cabinet avait passé par New York pour porter l’ordre de bombarder Valparaiso, JE LUI DIS QUE NON, parce qu’en effet nous envoyons nos communications par l’isthme de Panama, ajoutant que lord Clarendon avait reçu avis de ce que nous comptions faire. Quelle raison M. Layard peut-il avoir alors de dire que nous n’avions pas fait connaître nos projets ? Je crois qu’il est inutile de s’étendre davantage sur cette affaire. »

Voilà la loyauté des hommes qui parlent au nom de l’Espagne ! Et leur état moral est tel qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’il y a d’énorme et d’inouï dans de pareils aveux ! Escobar aurait-il pu mieux dire ?

III

C’est ici qu’il convient de juger les hommes et les actes par les effets produits en jetant un coup d’œil d’ensemble sur cette triste guerre et en résumant les résultats acquis.

Le gouvernement espagnol commence par envoyer dans le Pacifique une expédition soi-disant scientifique. Ses officiers et ses équipages sont accueillis en amis, au foyer des familles chiliennes et péruviennes ; on les reçoit avec un entier abandon et ils peuvent tout à loisir observer les ressources du Chili et du Pérou, les mœurs, le caractère, les sentiments des habitants et les partis politiques qui les divisent. Tout à coup l’amiral espagnol, le chef de l’expédition scientifique, apparait escorté d’un commissaire royal et déclare au Pérou que la guerre de l’indépendance n’est pas finie, que la paix qui a existé de fait entre ce pays et l’Espagne depuis 1824 n’était qu’une trêve et qu’il revendique et prend au nom de la reine d’Espagne les îles Chinchas.

Bientôt, en présence du soulèvement d’opinion produit par cet acte inouï dans toute l’Amérique du Sud, le gouvernement espagnol désavoue ses agents, mais il conserve son attitude hostile et parvient à extorquer au Pérou 15 millions de francs en attendant une nouvelle demande de 350 millions à titre d’indemnité pour les sujets espagnols qui avaient souffert dans la guerre de l’indépendance. Ainsi on venait faire revivre des créances contestables, ayant au moins quarante ans de date, sorties des mains de leurs propriétaires et acquises à vil prix ou pour rien par les trafiquants que chacun peut imaginer.

En attendant que cette réclamation fût poussée à fond, on juge convenable et on se flatte d’intimider le Chili, dont l’indignation avait éclaté et qui manifestait une vive hostilité contre les procédés de l’escadre espagnole. On va, en pleine paix, sans négociation préalable, lui poser un ultimatum et le sommer d’y répondre sous quatre jours. Sur sa réponse négative, on commence les hostilités en capturant ses navires de commerce et en bloquant ses ports. Le Chili déclare la guerre.

Cette guerre étonne le gouvernement espagnol, qui voulait bien commettre des actes d’hostilité, mais qui ne voulait pas en éprouver, ni surtout exposer son escadre. Au lieu du mois de blocus prévu par les instructions données à son amiral et d’une entreprise que, dans la proclamation adressée à ses soldats, cet amiral déplorait de voir trop facile, le gouvernement espagnol se trouve en présence d’une guerre impossible et sans issue honorable ou avantageuse.

En effet, deux mois ne s’étaient pas écoulés que la perte d’un navire lui avait prouvé combien la guerre était sérieuse. Bientôt le gouvernement péruvien qui avait traité avec lui, frappé d’impopularité par ce traité même, tombait devant une révolution et le Chili acquérait un allié presque préparé à combattre. Peu à peu l’indignation causée par les procédés du gouvernement espagnol gagnait les autres républiques du Pacifique et les faisait entrer dans la guerre. Au bout de six mois, l’escadre espagnole, isolée et presque affamée, sans port de refuge, ayant échoué, même dans les tentatives de maraudage sur la côte chilienne, attaquait vainement à Abtao quelques-uns des navires alliés.

Dans cette situation, que pouvait-elle faire ? Persister dans un blocus inutile et presque ridicule ? Mais si elle y persiste un mois de plus, l’escadre alliée, renforcée de deux frégates cuirassées attendues d’Europe, peut venir l’attaquer. Sans doute rien ne l’empêche d’aller au-devant de ces deux frégates et de leur offrir le combat à l’issue du détroit de Magellan. Mais à quoi bon ? Il y a quelques risques à courir, et une victoire qui pourrait satisfaire l’amour-propre n’améliorerait pas sensiblement sa situation. Il ne lui reste en réalité d’autre parti raisonnable que la retraite, car s’il est désagréable de reconnaître soi-même, après tant de rodomontades, qu’on est impuissant et qu’on a tenté l’impossible, il est encore plus fâcheux de vouloir le dissimuler par le bombardement et l’incendie.

À quoi sert au gouvernement espagnol le bombardement de Valparaiso ? Ce n’était pas un moyen de faciliter des opérations ultérieures, puisque son escadre se retire. Ce n’était pas un moyen de faire fléchir le gouvernement chilien et de lui faire abandonner ses alliés, puisque ce gouvernement était préparé à l’éventualité d’un bombardement. Ce n’était pas non plus un moyen d’enlever au Chili des ressources militaires, car la destruction, même totale, d’un embarcadère de chemin de fer, d’un entrepôt de douanes et du palais de l’intendance n’enlevait au Chili aucun de ses moyens de combattre. Ce bombardement n’a donc pu être inspiré que par une soif de vengeance aveugle ou par la jalousie contre les commerçants neutres qui conservaient à Valparaiso une position que les Espagnols avaient perdue.

Il est triste d’être obligé de parler de sentiments et de passions peu honorables ; mais quel sentiment honorable aurait pu inspirer un acte aussi honteux ?

L’amiral Mendez Nuñez[14] a parlé de la nécessité de conserver le prestige des armes espagnoles, comme si quelqu’un avait pu douter que l’escadre espagnole fût en état d’abattre des maisons d’habitation ou des entrepôts et de brûler des marchandises ! Bel exploit vraiment ! Est-ce que le premier corsaire venu ne peut pas en faire autant ?

Ainsi tout ce que les amis de l’Espagne et de la paix avaient prévu au commencement de cette guerre est arrivé. Le blocus primitivement déclaré a été impossible en présence des protestations des neutres. Le blocus de plusieurs ports s’est trouvé supérieur aux forces de l’escadre espagnole et il a fallu se concentrer sur un seul port, mesure tout à fait inefficace.

Mais ce qui n’était pas prévu, c’est que six mois suffiraient à soulever les républiques du Pacifique et à isoler la flotte espagnole ; c’est que cette flotte, si vaine de sa force, pourrait être attaquée en si peu de temps, dans le Pacifique même, par des forces égales ; c’est que des républiques désarmées en septembre dernier pourraient être armées en avril ou en mai, de manière à faire face à l’ennemi puissant qui les attaquait à l’improviste. Ce qu’on avait moins prévu, c’est l’héroïsme avec lequel les Chiliens se sont précipités dans la guerre, le patriotisme avec lequel ils ont renoncé à tout esprit de parti, la constance avec laquelle ils ont supporté le bombardement de Valparaiso sans qu’aucune voix proposât de se soumettre, et l’ordre avec lequel les dégâts causés par ce bombardement ont été réparés. Ce que l’on ne prévoyait pas non plus, c’est la décision et la vigueur avec lesquelles le Pérou est entré dans la lutte et la valeur déployée par ses marins surpris à Abtao.

Aujourd’hui le gouvernement espagnol a perdu en grande partie le prestige militaire qu’il possédait encore en septembre dernier, et le bombardement de Valparaiso l’a rendu odieux au monde civilisé, tandis que ses adversaires, en prenant le parti de résister franchement, sans demander les secours d’aucune grande puissance, ont acquis une considération politique et militaire plus grande que celle dont ils jouissaient au commencement de la guerre.

IV

Examinons maintenant, au point de vue du droit des gens et des neutres, le bombardement de Valparaiso.

Mais y a-t-il un droit des gens ? et, s’il y en a, en quoi précisément consiste-t-il ? Voilà deux questions importantes, sans aucun doute, et dont la solution n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire.

Oui, le droit des gens existe. Oui, il y a des principes de raison et de justice qui restreignent et limitent les abus et les excès de la guerre. Oui, il n’est pas permis au plus fort, même en état de guerre, de faire tout ce qu’il veut et de commettre des cruautés gratuites. Malheureusement le droit des gens n’est point écrit dans un code défini : il se compose presque tout entier d’une coutume tacitement établie entre les nations civilisées, et ce n’est guère que depuis ce siècle, en 1815 et en 1856, que les congrès ont essayé de formuler quelques principes contestés. Malheureusement surtout ce droit n’a d’autre sanction que le blâme de l’opinion publique. Dans cet état de choses, il y a des principes de droit des gens admis et soutenus par quelques nations, et qui ne sont pas admis par d’autres. En général, celles qui étaient ou se considéraient comme les plus fortes, l’Angleterre surtout, ont écarté autant qu’elles ont pu les entraves du droit des gens et étendu sans mesure les facultés des belligérants. L’Angleterre est, je crois, la seule nation qui ait considéré comme légitime le sac et le pillage d’une ville qui demandait à capituler. Aussi M. Layard, parlant à la Chambre des communes, s’est-il empressé de dire : « Le bombardement d’une ville, fortifiée ou non fortifiée, est dans le droit du belligérant. Reste seulement la question de savoir jusqu’à quel point l’exercice de ce droit est consistant avec les usages de la civilisation. » Ainsi M. Layard admet l’existence d’un droit dont il reconnaît l’exercice comme incompatible avec les usages de la civilisation ! comme si jamais un acte contraire à la civilisation et que M. Layard lui-même qualifie avec raison de barbare, pouvait jamais être conforme au droit !

Mais les jurisconsultes les plus accrédités n’admettent pas une telle inconséquence. Tous, sans exception, reconnaissent que le belligérant ne peut attenter à la vie et à la propriété des particuliers par cruauté gratuite, quand cet attentat ne peut lui faire atteindre la fin légitime de la guerre, qui est de forcer l’ennemi à reconnaître ce qu’on soutient être juste. Ce principe est certainement bien large, bien favorable au belligérant qui dispose de la force, et pourtant il ne suffit pas à justifier le bombardement de Valparaiso.

Aussi le général Kilpatrick, ministre des États-Unis au Chili, a-t-il écrit avec justice à l’amiral Mendez Nuñez en réponse au manifeste du 27 mars : « Ces raisons ne sauraient convaincre le soussigné et elles ne convaincront pas les nations civilisées que S. E. l’amiral espagnol ait le droit de recourir à un genre d’hostilités que Son Excellence elle-même qualifie de terrible, afin de châtier un ennemi qu’il ne châtierait pas ainsi par des moyens de guerre légitimes… — Quoique le droit des belligérants permette de recourir à des mesures aussi extrêmes afin de poursuivre des opérations de guerre légitimes, ce droit n’admet pas comme nécessaire la destruction de la propriété privée, quand on ne peut, par ce moyen, aboutir à aucun résultat avantageux pour les fins loyales de la guerre. La loi internationale excepte expressément de la destruction les villes purement commerciales comme Valparaiso… Il ne restera au soussigné qu’à réitérer, au nom de son gouvernement et de la manière la plus solennelle, sa protestation contre cet acte, qui serait inusité, sans but et contraire aux lois et coutumes des nations civilisées. »

Voilà le droit. Quant aux précédents, nous ne pouvons en trouver, même dans les cruelles guerres qui, de 1792 à 1815, ont affligé le monde civilisé. L’histoire rapporte avec horreur deux bombardements, celui de Lille et celui de Copenhague. Mais Lille était une place forte qui avait résisté avec succès au duc de Saxe-Teschen. Il pouvait espérer qu’un bombardement soulèverait la population contre la garnison et ferait capituler la ville. Il y avait au moins un prétexte dans cette espérance, et cependant on rappelle avec exécration l’épreuve à laquelle furent soumis les héroïques habitants de Lille.

À Copenhague, une espérance du même genre eut un succès plus heureux. Un homme, auquel l’humanité a plus d’un reproche à faire et dont le talent militaire ne saurait excuser la déplorable moralité, attaquait, sans déclaration de guerre, la flotte danoise et, ne pouvant s’en emparer, bombardait Copenhague, afin que les habitants désolés fissent rendre la flotte. Les habitants se résignaient, lorsqu’un prince brave, mais trop humain et trop compatissant pour ses sujets, rendit la flotte. Nelson était arrivé à ses fins par le procédé des brigands qui, en mutilant les malheureux qui tombent dans leurs mains, obtiennent de l’argent de leurs familles. Le bombardement de Copenhague fut un grand crime ; ce ne fut pas, comme le bombardement de Valparaiso, un acte de cruauté sans but, sans aucun résultat possible.

Depuis les flibustiers, nous ne nous rappelons qu’un seul bombardement qui puisse être comparé à celui de Valparaiso, c’est celui de Greytown par le vapeur des États-Unis Cyane.

Le bombardement de Valparaiso était dirigé surtout contre les propriétés des neutres et ce sont ces propriétés principalement qui en ont souffert. De là deux questions : 1° le bombardement devait-il être empêché, même par la force ? 2° les étrangers dont les propriétés ont été détruites ont-ils droit à une indemnité ?

La plupart des nations neutres, la France notamment, n’avaient pas de navires de guerre dans le port de Valparaiso à l’époque du bombardement. Mais l’Angleterre y avait trois navires et 80 canons, les États-Unis une flotte puissante, cinq vapeurs de nouveau modèle et 58 gros canons. On peut estimer que l’Angleterre avait dans Valparaiso des forces égales et les États-Unis des forces très supérieures à celles de l’escadre espagnole.

Cependant les représentants de ces deux nations ont joué dans cette circonstance un rôle assez triste, et leur attitude a manqué même de la franchise qu’on était en droit d’attendre d’eux, car il est évident qu’ils ont fait concevoir des espérances qui ont été déçues. Leur situation, il faut en convenir, n’était pas facile, puisqu’ils n’avaient pas, paraît-il, d’instructions spéciales de leurs gouvernements. Il leur était enjoint de rester neutres, et s’opposer au bombardement c’était prendre parti. Mais ne doit-on pas, quand on a la force, empêcher les actes contraires à tout droit et préjudiciables aux intérêts qu’on est chargé de sauvegarder ? Les navires de guerre n’ont-ils pas pour mission spéciale de défendre les droits et les intérêts de leurs nationaux ? Or, dans quel cas les défendront-ils s’ils restent impassibles quand ces droits, ces intérêts sont attaqués par le fer et le feu ?

Si les commandants anglais et nord-américain ne devaient pas intervenir, pourquoi ont-ils déclaré à l’amiral espagnol que s’il ne donnait pas avis préalable du bombardement, ils s’y opposeraient par la force ? C’était, le duc de Somerset l’a reconnu, sortir de la neutralité ; ils n’en seraient pas sortis davantage en s’opposant d’une manière absolue au bombardement.

Le devaient-ils ? Nous le croyons. Cependant, en présence des doctrines professées par le gouvernement anglais, nous comprenons que l’amiral Denman ait hésité. Mais lorsque le représentant diplomatique des États-Unis affirmait que le bombardement était contraire au droit des gens, pourquoi hésitait-il ? Pourquoi surtout le commodore Rodgers écrivait-il une lettre de laquelle il résultait qu’il avait réclamé le concours de l’amiral anglais pour s’opposer au bombardement, si, comme l’a affirmé M. Layard, ce concours n’avait pas été demandé ? Pourquoi enfin ce même commodore, si l’on s’en rapporte au témoignage de l’amiral Mendez Nuñez, aurait-il affirmé à cet amiral que le bombardement était conforme au droit, lorsque le général Kilpatrick écrivait le contraire ? Il y a là des mystères que nous laissons à l’histoire le soin d’éclaircir.

Ce qui est étrange et ne saurait être trop médité, c’est que l’Angleterre, qui a appuyé par ses armes des réclamations dénuées de toute apparence de justice à Athènes, à Rio-Janeiro, à Valparaiso même, ait laissé détruire, contre tout droit, sous la bouche de ses canons, les propriétés de ses nationaux. Il y a peu d’années, la diplomatie et les navires de l’Angleterre appuyaient contre le gouvernement du Chili une réclamation pécuniaire tellement injuste que l’intéressé lui-même, intimidé par la réprobation de ses compatriotes, dut se désister. Qui sait si l’attitude passive prise par le ministre anglais dans le bombardement de Valparaiso n’est pas une revanche de la déconvenue que lui avaient fait éprouver les commerçants anglais de cette ville ?

Quant aux scrupules juridiques exprimés par M. Layard, M. Baillie Cochrane a montré ce qu’ils valaient en rappelant que l’Angleterre s’était opposée au bombardement de Messine par le roi de Naples lui-même, c’est-à-dire par le souverain reconnu du pays.

Après tout, comme l’a fort bien dit M. Palk, si les navires de guerre ne servent pas à protéger les nationaux, pourquoi les paie-t-on et les expédie-t-on à grands frais dans les mers lointaines ? Il suffit « d’envoyer un amiral dans un yacht, avec un manche à balai, veiller sur les intérêts anglais. »

Peut-être a-t-il semblé bon aux agents des deux premières puissances maritimes de laisser une nation faible établir un précédent dont les plus forts pourront s’autoriser plus tard contre les places de commerce sans défense ou peu défendues. Peut-être ont-ils pensé qu’il serait agréable de pouvoir, en vertu des principes énoncés et appliqués par l’Espagne, brûler, en cas de guerre, Barcelone, Marseille ou le Havre. « Tout le monde, s’écriait M. Layard, croyait que le temps de ces actes — je dirais presque de barbarie — était passé. » Eh bien, non, il n’est pas passé, et cela grâce à la tolérance des premières puissances maritimes et de M. Layard lui-même.

Le commerce, éternelle victime de la guerre, ne peut laisser passer sans protestation des précédents aussi menaçants. Et ces protestations ne doivent pas se borner à un cri, promptement étouffé par des sophismes et de grandes phrases sur l’honneur et le devoir des amiraux ; il doit poursuivre avec une infatigable persévérance, et par toutes les voies, la réparation des dommages causés.

Cette réparation est-elle équitable et juste ? Oui, sans aucun doute. Quelle apparence de justice y a-t-il à ce qu’un négociant de Lyon ou de Paris perde 500 000 fr. de marchandises emmagasinées à Valparaiso, parce que M. Bermudez de Castro, avec lequel il n’a que faire, est irrité de la prise de la Covadonga ou parce que l’escadre péruvienne et chilienne n’a pas voulu se laisser battre à Abtao par M. Mendez Nuñez ou par le capitaine Topète ? Encore si Valparaiso était une place de guerre, le négociant aurait pu s’attendre à un accident et prendre ses précautions. Mais dans une place ouverte, peuplée de gens aussi peu militaires que lui, aussi peu mêlés que lui dans la querelle de l’Espagne et du Chili, comment prévoir qu’on viendra le brûler de gaieté de cœur, tout simplement parce qu’on a envie de brûler quelque chose avant de partir ? Comment se l’imaginer surtout, lorsque les commandants espagnols l’assuraient constamment qu’ils lui donneraient du temps pour mettre ses marchandises en sûreté et qu’à la veille même du bombardement, l’amiral Mendez Nuñez promettait de faire en sorte de les respecter ?

Le commerce étranger dont les marchandises ont été brûlées à Valparaiso a droit à une indemnité, et cette indemnité, c’est l’Espagne qui doit la payer. C’est au gouvernement des négociants lésés à la demander et à l’exiger au besoin. Si ces gouvernements ne l’obtenaient pas, les négociants auraient à recommander leurs droits aux républiques alliées en les priant de les soutenir et de les faire reconnaître lorsqu’elles traiteront de la paix.

Qu’aurait à dire M. Bermudez de Castro si ces maisons de commerce qu’il a traitées en ennemies armaient aujourd’hui des corsaires et allaient s’indemniser sur les armateurs espagnols des préjudices que le bombardement leur a causés ? Ce ne seraient assurément que des représailles très légitimes et quelque loin que les républiques américaines poussassent l’exercice du droit de la guerre, si quelqu’un pouvait les blâmer avec quelque apparence de justice, ce ne serait pas assurément le gouvernement espagnol.

Ce gouvernement a pris envers les neutres et envers le commerce du monde en général une attitude remarquablement hostile. Non seulement il a essayé d’abord un blocus sur le papier, mais son amiral a déclaré contrebande de guerre, non la houille en général, mais la houille du Chili spécialement, doctrine que nous croyons sans précédent d’aucune sorte. En réponse aux réclamations élevées à ce sujet, il a déclaré qu’il considérait comme ennemis les commerçants neutres établis sur le territoire chilien, et il leur a trop bien prouvé par le bombardement que cette qualification d’ennemis qu’il leur attribuait n’était pas une vaine parole. En effet, ce sont eux qui ont été bombardés et non le gouvernement chilien, comme on peut le voir en comparant les pertes de celui-ci aux pertes de ceux-là. Quels sont d’ailleurs les édifices sur lesquels les canons espagnols ont déployé le plus d’acharnement ? L’entrepôt, la Bourse, l’embarcadère du chemin de fer, précisément les monuments du commerce et de la civilisation.

Puisqu’il a plu au gouvernement espagnol de prendre cette attitude, c’est au commerce du monde entier à lui faire la guerre et à la pousser vivement. Il y a surtout un genre d’hostilité tout commercial et d’une admirable efficacité, que conseille avec raison un journal anglais : il consiste à refuser tout crédit au gouvernement espagnol, à ne lui prêter de l’argent sous aucune forme et sous aucun prétexte. Il y a déjà beaucoup de motifs directs de s’abstenir de prêts semblables ; mais lors même que ces motifs n’existeraient pas, le bombardement de Valparaiso en serait un suffisant. On ne laisse pas d’armes aux mains des individus qui, ne jouissant pas de toutes leurs facultés, pourraient en faire un mauvais usage : on ne doit pas fournir au gouvernement espagnol les moyens de se procurer les canons et les vaisseaux dont il a si mal usé, et qui en définitive ne lui ont servi qu’à brûler des marchandises et à ruiner quelques maisons de commerce.

V

Résumons cette discussion. Le bombardement de Valparaiso est un acte de barbarie, contraire au droit des gens et à la pratique constante des peuples civilisés. C’est un acte tellement injustifiable que toutes les apologies essayées par l’amiral Mendez Nuñez, par M. Bermudez de Castro et par les quelques journaux qui se sont inspirés de ses écrits ne contiennent pas un seul argument soutenable, ni même susceptible d’être formulé.

Cet acte accompli à l’insu des gouvernements médiateurs, dissimulé comme un crime, caché à l’Europe le plus possible, pouvait et devait être empêché par les commandants anglais et nord-américain. Puisqu’il y a des doutes à ce sujet, il convient que le prochain congrès prohibe formellement entre nations civilisées le bombardement des places de commerce non armées et que le principe soit hautement proclamé.

Il convient en outre que chaque gouvernement poursuive contre l’Espagne la réparation des dommages causés à ses nationaux ; que cette réparation devienne une condition essentielle de toute médiation et de toute négociation pour la paix.

Il convient, en attendant, que le commerce du monde entier fasse la guerre à un gouvernement qui s’est constitué son ennemi, et le combatte par tous les moyens qui sont à sa portée.

Quant à l’opinion, juge souverain des questions de droit des gens, de justice et d’équité, elle s’est prononcée dans toute l’Europe avec une grande énergie. Il importe seulement qu’elle n’oublie pas ; que des désastres plus rapprochés et plus grands encore ne lui fassent pas perdre le souvenir de l’iniquité du bombardement de Valparaiso.

La sentence que l’opinion consacrera sera celle qui a été formulée dans la lettre que dix-sept consuls de pays neutres écrivaient le 27 mars à l’amiral Mendez Nuñez : « Le droit des gens ne permet pas le bombardement de places sans défense et la destruction de ports comme celui-ci. Ce bombardement est condamné en principe ; il le sera davantage dans ce cas particulier, parce que l’Espagne a déclaré solennellement, dans toutes les occasions, qu’elle respecterait toujours la propriété des neutres et s’efforcerait de leur éviter les préjudices que pouvait causer la guerre. Sur la foi de cette promesse, les étrangers résidant en cette ville ont continué de se livrer à leurs opérations pacifiques, comptant que l’Espagne remplirait des promesses aussi solennelles… Certes l’histoire ne présentera dans ses annales aucun événement dont l’horreur puisse être comparée à celle que présenterait le tableau du bombardement de cette ville. Ce serait un acte de vengeance si terrible que le monde civilisé frémirait d’horreur en y pensant et la réprobation de tous retomberait sur la puissance qui l’aurait fait. L’incendie et la destruction de Valparaiso seraient certainement la ruine d’une cité florissante ; mais que Votre Excellence en soit bien persuadée, ce serait aussi un opprobre éternel pour l’Espagne. Si Votre Excellence persiste dans l’exécution de ses projets, la ville renaîtra de ses cendres, mais la tache qui souillera le noble pavillon de l’Espagne ne s’effacera jamais. »

P. S. Les journaux de New York nous annoncent que l’escadre incendiaire, commandée par l’amiral Mendez Nuñez, ayant attaqué le Callao le 2 mai dernier, a senti devant ce port le poids des canons américains et s’est retirée. En même temps, les journaux espagnols disent que cette escadre a reçu l’ordre d’abandonner sa mission scientifique et de se rendre aux Philippines. Si ces nouvelles se confirment, la guerre sera terminée… dans le Pacifique, et l’Espagne pourra voir clairement les résultats d’honneur et de profit obtenus par la politique de son gouvernement dans l’Amérique du Sud.


APPENDICE

I

Circulaire adressée par le Ministre des relations extérieures du Chili aux légations chiliennes à l’étranger.

Santiago, 1er avril 1866.

Valparaiso a été hier victime du plus triste et du plus honteux des attentats dont l’histoire des nations civilisées puisse garder le souvenir. Pendant trois heures cette grande cité commerciale et maritime a été bombardée par l’escadre espagnole sous les ordres du brigadier Casto-Mendez Nuñez. Ses immenses dépôts de marchandises, ses opulents magasins, ses pacifiques foyers, ses monuments publics, ses églises, ses établissements de bienfaisance, ont été battus avec acharnement par l’artillerie d’un ennemi dont la lâche fureur semblait trouver un stimulant dans l’impunité même avec laquelle elle s’assouvissait sur une population sans armes.

Je vais vous retracer à grands traits l’historique de ce crime international sans précédents. Pour les détails je dois m’en référer aux nombreux documents que vous trouverez dans les journaux et dans le Boletin de Noticias.

Le vendredi 23 mars, le bruit commença à courir dans Valparaiso que l’escadre espagnole se préparait à bombarder le port. Ce bruit se fondait sur une conversation entre M. le général Kilpatrick, ministre plénipotentiaire des États-Unis, et le brigadier Mendez Nuñez, conversation dans laquelle ce dernier avait déclaré au général sa résolution de bombarder.

Cette déclaration faite dans une conversation privée, sans caractère officiel, me fut transmise immédiatement par le général Kilpatrick lui-même. Mais nous eûmes peine à croire que le commandant ennemi mît à exécution un dessein aussi infamant pour son pays que stérile quant aux fins qu’il pouvait avoir en vue dans la présente guerre, si elle devait être faite en observation des lois reconnues par les nations chrétiennes et civilisées.

L’expérience n’a pas démenti cette appréciation. En bombardant Valparaiso, ce rendez-vous du commerce national et étranger, cette ville toute commerçante, ouverte et sans défense, l’Espagne est arrivée au plus déplorable des résultats : opprobre pour elle-même, immenses et inutiles dommages causés aux intérêts des neutres à Valparaiso, et un incalculable accroissement d’animosité dans la guerre actuelle.

Prévoyant ce résultat fatal, nous étions tout disposés à penser que le bombardement annoncé n’aurait pas lieu, bien que la conduite antérieure de nos ennemis fût loin de présenter une garantie de leur respect pour les inviolables prescriptions du droit international.

D’autres motifs encore nous confirmaient dans nos appréciations : deux grandes nations maritimes, les États-Unis et la Grande-Bretagne, avaient à Valparaiso des forces navales très respectables envoyées dans nos eaux à propos de la guerre actuelle et pour protéger, selon toute apparence, les intérêts de leurs nationaux respectifs. Il était naturel de croire que, lors même que l’escadre espagnole eût essayé d’effectuer le bombardement, les forces navales des États-Unis et de la Grande-Bretagne auraient empêché la consommation d’un acte d’inutile barbarie qui entraînait la ruine de nombreux sujets britanniques et citoyens de Nord-Amérique. Il était encore naturel que la France, dont les sujets ne se trouvaient pas moins compromis à Valparaiso, adhérât moralement, par l’organe de la diplomatie, à une si légitime résistance.

À peine pouvions-nous conserver un doute à cet égard, lorsque nous nous rappelions les insinuations non équivoques et réitérées que M. Taylour Thomson, chargé d’affaires de S. M. britannique, nous avait adressées précédemment. Depuis longtemps déjà on avait dit dans le public que nous nous préparions à employer des torpilles pour détruire l’escadre espagnole, et M. Thomson, dès que ce bruit était parvenu à ses oreilles, était venu nous prier de renoncer à ces instruments de guerre. Il fondait ses instances sur ce que l’emploi des torpilles pourrait donner prétexte à un bombardement, et nous laissait comprendre que si les torpilles n’étaient pas employées, un bombardement ne pourrait, en aucun cas, avoir lieu, quelle que fût, du reste, l’intention de l’escadre espagnole. L’insistance de M. Taylour Thomson à ce sujet fut appuyée par M. Denman, commandant la station navale de S. M. britannique.

À la première annonce du bombardement, les agents diplomatiques de la France et de la Grande-Bretagne se transportèrent à Valparaiso avec le général Kilpatrick, ministre des États-Unis, et quand nous nous attendions à ce que leurs résolutions et leurs démarches auprès du commandant du blocus aboutissent au résultat prévu, nous apprîmes qu’ils avaient abandonné toute idée d’empêcher le bombardement par les armes. Une note de M. Rodgers, commodore des États-Unis, fait comprendre que le défaut de concours des agents officiels des nations autres que la sienne a rendu impossible la résistance attendue, et trompé les espérances et les supplications de nombreux étrangers qui habitent Valparaiso.

Cependant, le 27 mars, le brigadier Mendez Nuñez avait notifié à l’autorité militaire de Valparaiso que, le 31 du même mois, il ouvrirait le feu contre la ville, ajoutant qu’il faisait cette notification afin que les vieillards, les femmes, les enfants et les autres personnes non combattantes pussent mettre leur vie en sûreté.

Il demandait en même temps que l’on arborât sur les hôpitaux et autres établissements de charité des drapeaux qui permissent de les distinguer et de les préserver des feux de l’artillerie.

L’aspect de Valparaiso, peu après la réception de cette nouvelle, offrit un spectacle désolant : tous les habitants s’empressaient de sauver leurs meubles, un grand nombre abandonnaient leurs maisons, et cette émigration de toute la population devait être terminée dans un délai fatal d’un peu plus de trois jours. Valparaiso compte une population de plus de 80 000 âmes, et ce chiffre suffit pour faire comprendre clairement toute l’insuffisance du délai accordé. Aussi, malgré la marche incessante des trains du chemin de fer où les personnes indigentes trouvaient un passage gratuit, la majeure partie des habitants furent obligés de demeurer dans la ville, et l’on ne put en retirer qu’une portion insignifiante des meubles et des marchandises.

Tandis que le brigadier Mendez Nuñez adressait à l’autorité militaire la notification que j’ai mentionnée, il prétendait pallier aux yeux des neutres l’énormité de l’attentat qu’il se préparait à commettre. Dans ce but, le même jour, 27 mars, il envoya au corps diplomatique et consulaire un manifeste exposant les raisons qui l’amenaient à exécuter le bombardement. D’après cet inqualifiable document, l’escadre espagnole avait poussé la hardiesse jusqu’à la témérité en allant poursuivre les petites forces maritimes du Chili et du Pérou au milieu de l’archipel de Chiloe. Les brumes continuelles et les tortueux canaux de cet archipel l’avaient empêchée de rencontrer ses adversaires, et, dans cette impossibilité, il ne lui restait d’autre moyen d’agression que le bombardement de Valparaiso.

Lors même que cette impossibilité imaginaire eût existé véritablement, le bombardement d’une ville commerçante ouverte et sans défense n’aurait été justifié en aucune façon, et cela d’autant plus que le Chili possède deux places fortes, le Corral et Ancud. Le brigadier Mendez Nuñez aurait pu les bombarder sans violer lâchement, ainsi qu’il l’a fait, le droit des gens et les sentiments d’humanité les plus respectables.

Mais l’impossibilité alléguée n’a pas existé. Il y a peu de temps, deux frégates espagnoles ont pénétré sans difficultés au mouillage d’Abtao. Elles y ont été battues et forcées à la retraite par les forces navales très inférieures du Chili et du Pérou. Plus tard, la frégate blindée Numancia et la frégate Blanca pénétrèrent de nouveau dans l’Archipel. Arrivées au lieu où croisait la petite flotte chileno-péruvienne, elles n’osèrent s’avancer jusqu’à elle dans la crainte d’affronter les feux de batteries improvisées, et non pas à cause d’obstacles naturels, qui, en réalité, n’existent pas.

Le commandant espagnol a ôté lui-même toute valeur à cet argument en refusant un combat entre des forces maritimes égales, à dix milles de Valparaiso, dans des parages exempts de brumes et de canaux, car cette provocation lui a été adressée, en notre nom, par l’autorité militaire, la veille du bombardement.

Jamais nous n’aurions adressé une provocation semblable si l’inexactitude préméditée des affirmations contenues dans le manifeste du brigadier Mendez Nuñez ne l’avait rendue nécessaire. Il nous reste la satisfaction de savoir que le respectable commandant de l’escadre des États-Unis se serait prêté au rôle de juge, au cas où le duel international que nous proposions eût été accepté. Cette disposition bienveillante de sa part montre bien clairement combien notre provocation était opportune et motivée.

Mais à un combat loyal et digne de nations civilisées, le commandant ennemi préféra la triste impunité du bombardement d’une ville qui ne pouvait répondre à ses feux.

Malgré les énergiques et justes avertissements du représentant diplomatique des États-Unis, malgré les protestations non moins énergiques et justes de tous les consuls étrangers, le brigadier Mendez Nuñez demeura inflexible.

Hier, à huit heures du matin, les vaisseaux composant les escadres britannique et nord-américaine se retiraient de la baie de Valparaiso pour être spectateurs lointains et passifs de l’assassinat en masse d’une population pacifique, de la démolition et de l’incendie d’une ville sans armes contenant des milliers d’honorables et laborieux étrangers. En même temps la frégate blindée Numancia, portant à son bord le commandant de l’escadre ennemie, s’avançait dans l’intérieur de la baie, suivie des autres navires espagnols, et tirait deux coups de canon pour faire savoir que le bombardement commencerait une heure plus tard.

Au bruit de ce signal, la population de Valparaiso qui n’avait pas disparu et dans laquelle se trouvaient même des femmes et des enfants, éclata en un cri unanime d’indignation et de mépris pour ses lâches bourreaux, et attendit, avec une mâle et sereine résignation, l’heure marquée pour le sauvage sacrifice.

À neuf heures du matin, les navires espagnols, placés à une courte distance et sur toute l’étendue de la plage demi-circulaire au bord de laquelle s’élève Valparaiso, ouvrirent le feu sur la ville et le soutinrent avec acharnement, jusqu’à la fin du bombardement, contre les magasins de la douane, le populeux quartier de la Planchada, la bourse, le palais de l’intendance et la station du chemin de fer central.

Au mépris de la promesse spontanée du commandant ennemi, les hôpitaux et les autres établissements de charité signalés par des drapeaux blancs étaient canonnés avec une intention visible. Dès le commencement du bombardement, l’église métropolitaine, où l’on avait installé une ambulance, recevait dans ses nefs trois bombes qui ont causé des dégâts considérables.

À la seconde heure, l’incendie se déclarait dans le faubourg de la Planchada, et atteignait bientôt des proportions gigantesques. Bientôt les magasins de la douane, immenses dépôts de marchandises, étaient aussi la proie des flammes.

La canonnade continuait cependant et se mêlait le plus souvent à des décharges de mousqueterie destinées aux personnes placées près du rivage de la mer.

Ce n’est qu’après trois heures de feu incessant, durant lesquelles les ennemis tirèrent environ deux mille cinq cents boulets et bombes sur la ville, que la Numancia hissa un pavillon pour annoncer la suspension du bombardement.

Pendant ces trois heures, la garnison de Valparaiso, répartie sur toute l’étendue de la ville pour réprimer tout désordre, et la majorité des habitants placés sur les hauteurs, dans les belvédères et sur les terrasses des maisons, avaient supporté ce lâche et abominable outrage avec un héroïsme passif et au milieu d’un silence interrompu seulement par des acclamations en l’honneur de notre patrie et à l’opprobre de ses misérables ennemis.

Le feu n’avait pas encore cessé que les braves pompiers de Santiago et de Valparaiso se précipitaient au milieu des flammes et de l’incendie, et faisaient des efforts surhumains pour arrêter son indescriptible voracité. Après bien des heures d’un travail incessant et accablant pendant lesquelles ils furent efficacement secondés par la force publique, ils arrêtèrent le ravage des flammes, et celles-ci ne purent détruire totalement les magasins de la douane ni le quartier de la Planchada.

Cependant la portion de la ville consumée par l’incendie a été assez grande pour ensevelir sous ses décombres bien des millions de piastres faisant partie de la richesse privée, la fortune de nombreuses familles, les marchandises d’opulentes maisons de commerce étrangères, surtout anglaises et françaises.

Tel a été le résultat matériel le plus grave du bombardement espagnol, résultat dont l’importance fait paraître insignifiantes les détériorations de quelques-uns de nos édifices publics. Il faut remarquer à ce sujet que, bien que tous les établissements de propriété publique aient été en butte à l’artillerie espagnole, celle-ci s’acharna de préférence sur les magasins de la douane, où l’État a seulement perdu un bel édifice, tandis que les commerçants neutres y ont vu détruire bien des millions qui leur appartenaient.

Quant aux maux plus sensibles et irréparables, quant à la perte de vies humaines, je vous dirai que d’après les nouvelles que nous avons reçues jusqu’à présent, nous avons à déplorer la mort d’un petit nombre de personnes de condition modeste qui, se trouvant sur les collines voisines de Valparaiso, ont été atteintes par les bombes et les boulets de l’ennemi.

Mais le bombardement de cette ville paisible a amené un résultat moral bien plus digne d’attention que n’importe quels résultats matériels.

En premier lieu, il a prouvé une fois de plus l’énergie sans égale déployée par ce pays dans la défense de la juste cause qu’il soutient.

Ce bombardement a jeté une noire et éternelle souillure sur l’odieux agresseur du Chili et du Pérou, sur l’ancien et tenace ennemi de l’Amérique qui a renoncé à la difficile entreprise de venger ses revers multipliés dans un franc et loyal combat. Les feux de l’artillerie de sa puissante escadre, éteints à Papudo et à Abtao, se sont rallumés non pour réparer de honteuses défaites, mais pour couvrir de décombres et de deuil notre belle cité maritime, l’opulente et élégante métropole du commerce et de la navigation du Pacifique. Aux glorieux hasards d’une noble lutte, l’ennemi a préféré une guerre de destruction barbare et inutile. Après s’être honteusement retiré devant des forces inférieures aux siennes, il est venu immoler, sans courir aucun danger, un peuple qui ne pouvait lui opposer d’autre résistance que la noble et sereine impassibilité d’un martyr. En consommant ce triste exploit, l’Espagnol n’a pas hésité à perdre pour toujours son honneur militaire et à encourir la juste exécration des nations civilisées et chrétiennes, dont il a abandonné la communion en violant impudemment leurs lois internationales les plus saintes, leurs sentiments d’humanité les plus légitimes.

Le monde civilisé, et surtout l’Europe au sein de laquelle vit l’Espagne, doit se hâter de châtier, par sa réprobation explicite et terrible, le crime atroce commis hier à Valparaiso par les forces maritimes d’un peuple qui prétend être civilisé et chrétien.

S’il n’en était pas ainsi, si ce lâche abus de la force trouvait de l’indulgence parmi les grandes nations de l’Europe et de l’Amérique, les États faibles devraient changer complètement d’attitude et de vues dans leurs relations internationales.

Persuadé que le gouvernement intelligent auprès duquel vous êtes accrédité partagera notre opinion, et désireux d’éclairer son jugement et ses résolutions, je vous charge de lire cette dépêche à S. Exc. le ministre des affaires étrangères de ce pays et de lui en laisser copie s’il en manifeste le désir.

Dieu vous garde.

ALVARO COVARRUBIAS.

II

Déclaration du corps consulaire après le bombardement.

Valparaiso, 14 avril.

Le 14 du mois d’avril 1866, — les soussignés, consuls à Valparaiso, réunis dans la chancellerie de leur doyen, M. le consul général de S. M. le roi de Portugal, ont décidé de recueillir et de faire constater, dans un acte, les faits relatifs au bombardement de cette ville, effectué le 31 mars dernier par les forces navales de S. M. C., et, à cet effet, en ont rédigé une relation sommaire dont chacun des consuls puisse transmettre copie à son gouvernement.

Les soussignés, rappelant les protestations qu’ils ont adressées à M. le commandant des forces navales de S. M. C., déclarent : 1° que, conformément à leur devoir, ils se sont efforcés, dès le commencement de la présente guerre, de démontrer aux chefs de l’escadre de S. M. C. que, le port de Valparaiso pouvant être considéré comme une factorerie européenne, toute hostilité contre cette ville retomberait, presque totalement, sur des sujets de puissances amies de l’Espagne.

2° Qu’à diverses reprises, ils ont appelé l’attention des dits chefs sur le fait que les magasins de la douane de ce port contenaient des dépôts d’une très grande valeur appartenant à des neutres.

3° Que, s’il est vrai que l’amiral Pareja, dans une communication adressée, au mois d’octobre de l’année dernière, au chargé d’affaires de S. M. B., indiqua la possibilité d’un bombardement de cette ville, il est également vrai qu’il déclara en même temps qu’il accorderait toujours le délai qui serait nécessaire pour que les neutres missent leurs intérêts en sûreté.

4° Qu’à la date du 27 mars dernier, le chef de l’escadre de S. M. C. notifia au corps consulaire son intention de bombarder cette ville, fondant sa détermination sur les motifs exprimés dans un manifeste adressé au corps diplomatique résidant à Santiago, dont copie fut remise au corps consulaire en même temps que la notification.

5° Que dans la susdite note il promit qu’il ferait loyalement son possible pour que tout le mal retombât sur les intérêts et sur les propriétés du gouvernement du Chili, sans pouvoir garantir toutefois, dans une telle extrémité, ceux des particuliers.

6° Que dans la notification susdite, reçue par le doyen le 27 mars, entre dix et onze heures du matin, et communiquée par lui à ses collègues dans le courant du même jour, il était accordé un terme de quatre jours pour mettre en sûreté des intérêts d’une valeur aussi considérable, le bombardement devant avoir lieu après l’expiration dudit terme.

7° Que le chef de l’escadre de S. M. C. a déclaré dans plusieurs entrevues qui ont eu lieu entre lui et des membres du corps consulaire, qu’en réalité il bombarderait seulement les monuments publics, ajoutant qu’il désirait ne pas léser les intérêts des neutres.

8° Que dans une dépêche adressée au commandant général militaire de cette place, il lui a recommandé d’ordonner que les hôpitaux et autres établissements de charité eussent quelque drapeau ou signe qui permît de les distinguer afin de leur éviter les rigueurs de la guerre.

Maintenant qu’ils ont établi les circonstances qui ont précédé le bombardement, les soussignés prennent la liberté d’affirmer :

Qu’ils ont fait tous leurs efforts pour obtenir que le commandant des forces navales de S. M. C. renonçât à son projet, lui représentant :

Qu’il s’agissait d’une ville complètement sans défense ;

Que le bombardement entraînerait la ruine de plusieurs familles neutres, entièrement étrangères à la question pendante entre l’Espagne et le Chili, et que le gouvernement du Chili éprouverait des dommages comparativement insignifiants ;

Que le délai de moins de quatre jours, et de jours de semaine sainte, était trop court pour l’objet indiqué, surtout si l’on considérait que Valparaiso est une ville de plus de soixante-dix mille âmes et qu’elle renfermait d’énormes dépôts de marchandises ;

Que le bombardement de Valparaiso était un acte contraire aux principes humanitaires qui règlent la conduite des nations civilisées entre elles ;

Que, comptant sur les sentiments humains du chef de l’escadre de S. M. C., le corps consulaire s’était flatté qu’il ne ferait usage que de projectiles incapables de causer un incendie dans la partie de la ville sur laquelle il allait diriger les feux de son artillerie ; mais ils reconnaissent à leur grand regret que cet espoir a été mal fondé puisque les navires de ladite escadre ont lancé des projectiles de toute sorte sur cette ville.

Les soussignés désirent établir authentiquement, en outre :

1° Que le 31 mars, à neuf heures du matin, l’escadre de S. M. Catholique a ouvert le feu sur cette malheureuse ville, avec des boulets, des bombes et des grenades, pendant trois heures consécutives ;

2° Que les premiers boulets sont tombés sur les magasins de la douane, corps de bâtiments situés au bord de la mer dans un lieu isolé et à l’extrémité occidentale de la ville ;

3° Que non seulement les édifices publics, mais encore les édifices particuliers ont été bombardés, de telle sorte que les bombes ont fait des ravages dans presque toutes les parties de la ville. Et il convient de mentionner spécialement que presque tous les établissements de bienfaisance signalés par des drapeaux blancs montrent cependant les traces des boulets, bombes et grenades qu’ils ont reçus.

4° Que vers dix heures et demie du matin, une bombe ou grenade a mis le feu à un édifice de propriété privée, dans la rue de la Planchada, lequel édifice se trouve éloigné de 150 mètres des monuments publics et que l’incendie a pris immédiatement de grandes proportions ;

5° Que malgré l’incendie, les navires de l’escadre de S. M. Catholique ont continué leur feu dans la même direction ;

6° Que, vers onze heures quinze minutes, l’un des bâtiments de la douane était incendié, à en juger par la fumée qui s’échappait de la toiture, et que cependant les navires espagnols continuaient à y lancer leurs projectiles ;

7° Que vers onze heures quarante-cinq minutes, les flammes consumaient ces vastes bâtiments, avec leurs riches dépôts de marchandises ;

8 Que le bombardement se termina à midi, lorsque la partie incendiée des magasins de la douane et de la rue de la Planchada n’étaient plus qu’une immense fournaise qui menaçait de dévorer tout le quartier du port ;

9° Que l’on n’a même pas répondu de terre un seul coup de canon aux feux des navires de S. M. Catholique, et que tandis que le commandant de l’escadre de S. M. Catholique faisait détruire les propriétés des neutres et les foyers d’innocentes familles, les autorités locales prenaient les mesures les plus efficaces pour maintenir l’ordre, sauver les biens des étrangers et protéger ces malheureux qui perdaient en un instant le fruit de longues années de travail ;

10° Qu’il est de toute notoriété qu’une frégate placée en face la rue de la Planchada, habitée en partie par des négociants français, a fait feu directement sur cette partie de la population, éloignée de 150 mètres du palais de l’intendance, sur lequel un autre navire dirigeait en même temps ses bombes. Il est également notoire qu’une autre frégate, qui avait la mission de tirer sur l’embarcadère du chemin de fer, situé à l’extrémité est de Valparaiso, a envoyé des bordées entières, à deux reprises différentes, sur le centre du quartier de l’Almendral, éloigné d’un demi-kilomètre environ des bâtiments du chemin de fer, quartier qui ne renferme pas une seule propriété du gouvernement, mais seulement des hôpitaux et des établissements de bienfaisance, lesquels se trouvaient sous la sauvegarde de la parole du chef de l’escadre de S. M. Catholique.

Il n’est pas permis de présumer que le chef précité ait voulu manquer à sa parole ; mais comme du rivage il n’a pas été répondu au feu des navires de S. M. C. et comme les commandants de chacun de ces derniers pouvaient choisir librement la position qui leur convenait, sans crainte et sans danger, il n’y a pas non plus lieu de supposer que les faits mentionnés aient été occasionnés par une fausse manœuvre, d’un si funeste effet.

À l’appui de cet exposé, il est du devoir des soussignés de déclarer que plusieurs des projectiles sont tombés dans l’hôpital civil, entre autres une grenade qui heureusement n’a pas éclaté, dans la salle où se trouvaient réunies les sœurs de charité avec les jeunes filles de l’asile du Saint-Sauveur ;

Que le drapeau arboré au Consulat général argentin, situé dans la même direction, a été percé par un boulet ;

Que plusieurs projectiles ont été dirigés sur les bâtiments des révérends pères français ;

Que la cathédrale, transformée ce jour en ambulance, a éprouvé des dommages considérables causés par divers projectiles, et que tous les édifices mentionnés se trouvent à une grande distance de toute propriété de l’État.

Les soussignés doivent faire observer, en outre, que les pertes éprouvées par le gouvernement chilien ne dépasseront pas six cent mille piastres, tandis que celles des étrangers, non compris les marchandises détruites et brûlées dans les magasins de la douane, sont estimées, approximativement, à près de deux millions de piastres.

Les soussignés, enfin, doivent déclarer que, par suite du bombardement de cette ville, beaucoup de familles d’étrangers neutres ont été plongées dans la plus grande misère, victimes d’une mesure extrêmement rigoureuse.

En foi de quoi, nous avons signé la présente, à Valparaiso, les jours, mois et an que dessus :

Suivent les signatures du consul général du Portugal, — consul de France, — consul d’Angleterre, — consul général de Hambourg et de Mecklembourg-Schwerin, — consuls de Prusse, du Danemark, de Belgique, des Pays-Bas, des États-Unis, — consuls généraux des îles Sandwich, de Brême, d’Oldenbourg, — consul de Hanovre, — vice-consul du Brésil, — consul de Saxe, — consul général Argentin, — agent consulaire d’Italie, — consul général de Suède et de Norvège, — consul général d’Autriche, — consuls du Salvador, de Suisse, du Guatemala, de Lubeck et de Colombie.

 

 

 

 

——————————

[1] Voy. la brochure intitulée : Agression de l’Espagne contre le Chili. Paris, Dentu.

[2] No las empeñe en un lance arriesgado. — Gazette de Madrid, du 25 novembre 1865.

[3] Paroles de M. Layard dans la Chambre des communes du 15 mai, confirmées le même jour à la Chambre des lords par le duc de Somerset, qui ajoute que le commodore nord-américain Rodgers se joignit à l’amiral Denman dans cette notification adressée au commandant espagnol.

[4] « Pour procéder à l’extrémité d’incendier et détruire une place de commerce, absolument sans défense, l’équité et la pratique des nations chrétiennes qui ont régularisé le droit de la guerre exigent des motifs indiqués dans les lois internationales, et ces motifs ne se rencontrent en aucune façon dans le cas actuel.

« Les motifs que Votre Excellence expose (dans le manifeste cité plus bas) sont des raisons de convenance particulière qui ne suffisent pas à justifier le terrible moyen d’un attentat contre la vie et la propriété de personnes complètement sans défense et innocentes, qui se trouvent sous la protection de la loi des nations. » — Protestation des consuls d’Angleterre, de France, et de la république Argentine, du 27 mars.

[5] Voy. à l’appendice le procès-verbal dressé par les consuls des nations neutres.

[6] Voy. à l’Appendice le procès-verbal dressé par les consuls des nations neutres.

[7] Les journaux chiliens annoncent qu’un monument d’exécration va s’élever pour transmettre aux générations futures le souvenir de ce bombardement. — Voyez pour les détails la circulaire du ministre des affaires étrangères du Chili, don Alvaro Covarrubias, et le procès-verbal des consuls reproduits dans l’appendice.

[8] En voici le texte : « Cette lettre vous annoncera ma mort. Les erreurs de jugement et non de volonté par lesquelles j’ai égaré le gouvernement de ma reine ne peuvent avoir d’autre expiation. J’ai été léger et injuste envers Tavira ; priez-le de me pardonner : il connaissait mieux que personne cette république ; ses conseils et ses procédés ont été sains et sûrs. Il est de l’intérêt de notre patrie de profiter du premier moment pour faire la paix avec le Chili.

Votre, etc.,

J. M. PAREJA. »

[9] Il semble qu’en effet les Espagnols n’ont pas voulu faire attention à la déclaration de guerre du Chili et qu’ils croyaient avoir le droit de prendre ses navires de commerce et de bloquer ses ports sans lui donner le droit de les attaquer. Dans une des expéditions de maraude entreprises par l’équipage de la Resolucion, dans la baie de Talcahuano, un Espagnol étant resté prisonnier, le commandant de la frégate écrivit à l’intendant de la province pour lui demander « de quel droit il retenait cet homme ». L’intendant répondit avec raison qu’il fallait le demander au commandant militaire, puisque l’on était en état de guerre et que l’Espagnol était prisonnier.

[10] Le correspondant du Moniteur, généralement favorable à l’Espagne, convient que ce défi n’était pas sans noblesse, et il a raison.

[11] Est-ce naïvement et sans parti pris que M. Bermudez de Castro méconnaît ainsi les droits du Chili au titre de nation indépendante ? Peut-être. En 1815, un ambassadeur espagnol, arrivant dans un salon diplomatique, salua tous ses collègues, à l’exception de l’ambassadeur de Hollande, homme personnellement très considéré. Quelqu’un remarqua l’omission et demanda quel différend avait pu y donner lieu. Le Castillan se redressa fièrement et répondit : « Je ne salue pas un rebelle ! »

[12] Commune, séance du 15 mai 1866.

[13] Commencer les hostilités ! cette expression, que nous retrouvons plusieurs fois dans les documents espagnols, laisserait supposer que la capture des navires marchands n’était pas un acte d’hostilité. Il semble que, d’après eux, les hostilités ne commencent que lorsque l’on commet quelque acte de barbarie.

[14] L’amiral Mendez Nuñez, il faut lui rendre cette justice, a senti mieux que M. Bermudez de Castro la portée morale du bombardement de Valparaiso. « Profondément attristé, dit-il, comme Votre Excellence peut le comprendre, et sous la douloureuse impression que doit produire dans l’esprit d’un chef d’escadre le devoir de diriger le feu des navires placés sous son commandement contre une population qui ne se défend pas, je m’empresse de vous informer de la manière dont j’ai rempli ce pénible devoir, conformément aux instructions du gouvernement de Sa Majesté. »

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