L’entrepreneur dans l’œuvre de J.-B. Say

Recension critique de Gérard Minart, Entrepreneur et esprit d’entreprise. L’avant-gardisme de Jean-Baptiste Say, L’Harmattan, décembre 2013, 178 pages, 18 euros


L’entrepreneur dans l’œuvre de J.-B. Say

par Benoît Malbranque

(Laissons Faire, n°8, janvier 2014)

 

C’est animés d’un plein respect pour la mission que nous nous sommes fixés, et qui nous dicte les choix éditoriaux des articles qui, depuis huit mois maintenant, composent cette revue, que nous avons souhaité créer la présente rubrique. Celle-ci, intitulée « Pleine page », recensera en un format réduit une publication récente qui contribue, directement ou indirectement, à la connaissance de l’école française d’économie politique.

Le premier ouvrage qui nous a paru mériter d’être signalé aux lecteurs, nous vient d’un auteur respectable, M. Gérard Minart, qui avait déjà tiré beaucoup d’honneurs de plusieurs autres publications, et qui a eu la gentillesse de contribuer à cette revue. Son dernier livre s’intitule Entrepreneur et esprit d’entreprise. L’avant-gardisme de Jean-Baptiste Say, et a paru ce mois-ci.

Nous en fournirons ici la critique raisonnée, ou, pour ainsi dire le test : après avoir exposé les mérites et les démérites, le jugement sera conclu par un avis pour nos lecteurs.

Le premier des mérites de ce livre, et celui qui en rend la lecture urgente, quand bien même elle ne serait pas agréable, est son thème. Comme l’introduction du livre l’indique avec raison, la France et les Français sont connus pour ne pas aimer leurs entrepreneurs, et, pire, pour ne pas accorder à l’entrepreneuriat le respect et l’estime qu’il mérite. L’enjeu du livre est ainsi, en partant de ce double constat du désamour de l’entrepreneuriat et de son impérieuse nécessité pour le redressement économique de la France, de mobiliser l’œuvre de Jean-Baptiste Say pour combattre le premier et signaler la seconde. Le choix de cet économiste français est ici parfaitement justifié. M. Minart connaît parfaitement quelques autres grands économistes, il l’a montré notamment dans sa biographie de Molinari ; mais nul autre économiste français que Jean-Baptiste Say n’a mieux compris, n’a mieux expliqué, on dirait même n’a mieux anticipé le rôle de l’entrepreneur.

Minart, et c’est là un deuxième grand mérite, prouve à nouveau avec ce livre ce qu’il avait déjà brillamment illustré dans sa biographie de Say, parue aux éditions Charles Coquelin : qu’il connaît parfaitement la vie et l’œuvre de cet économiste. Et en effet, cette œuvre y est parfaitement mobilisée. Ce n’est pas seulement des citations du fameux Traité d’économie politique qui émaillent les développements de l’auteur : nous sommes renvoyés également à des passages du Cours, de la Correspondance, et même de la souvent négligée Olbie. Sur ce point du fonds théorique de l’ouvrage, nous ne pouvons donc être que satisfaits, et saluer le travail de l’auteur.

Le troisième grand mérite n’est pas le moindre : c’est en tout cas celui auquel nous prêtions le plus d’attention, et duquel nous avons tiré le plus de satisfaction. Gérard Minart a su, et avec une certaine longueur et une vraie précision, retracer la contribution de la tradition française en économie politique à la compréhension du rôle de l’entrepreneur.

Minart retrace avec une grande habilité les intuitions lumineuses de Turgot et Cantillon, vis-à-vis de cette question de l’entrepreneuriat. D’abord Turgot qui, détaché de toute posture dogmatique, corrige les Physiocrates en faisant valoir le rôle fondamental de celui qui fait usage des capitaux — qu’ils soient ou non les siens — en tant qu’entrepreneur. Ensuite Cantillon, auteur de langue française, vivant à Paris mais d’origine irlandaise, qui anticipa l’école autrichienne sur différents points et notamment sur l’attention laissée au dynamisme entrepreneurial.

Non content d’avoir ainsi établi correctement le passé du traitement de cette importante notion de l’entrepreneuriat chez les économistes français, Minart prend également soin de faire une large mention des développements récents de l’école autrichienne d’économie, de Mises à Kirzner. Dans cette partie, qui s’étale sur un chapitre bien étoffé, on est surpris de la bonne maîtrise qu’a l’auteur du corpus autrichien. On aurait néanmoins aimé être renseigné davantage sur ce que les Autrichiens, Mises par exemple, ont conservé de Say, ou ont refusé de lui, afin de mieux positionner ce dernier vis-à-vis de la nébuleuse autrichienne.

Passons maintenant à la présentation des défauts, si l’on peut parler ainsi, de cet ouvrage. Avouons immédiatement qu’ils pèsent peu lourd eu égard aux qualités précédemment évoquées. Elles nous sont dictées par le devoir d’être juste et impartial, et nous osons dire que l’auteur ne nous objectera pas de les avoir indiquées.

La première lacune importante qu’il nous semble nécessaire de notifier est d’ordre biographique. Ainsi que le livre le rappelle à de nombreuses reprises, Jean-Baptiste Say a exercé la fonction d’entrepreneur à plusieurs occasions au cours de son existence : à la fois dans le journalisme, à la Décade, puis dans l’industrie textile à Ouchy-les-Hesdin (Nord). N’aurait-il pas été une présentation riche en enseignement que de décrire avec quelque détail ces expériences entrepreneuriale, et surtout la seconde ? N’aurait-elle pas fourni un éclairage très utile pour mieux comprendre la pensée de Jean-Baptiste Say ? On notera cependant que l’auteur avait traité cela dans sa biographie de Say, parue aux éditions Charles Coquelin.

Le second défaut que nous avons relevé se rapproche du point précédent. Jean-Baptiste Say avait un frère qui a beaucoup contribué, en tant qu’économiste, à la connaissance de la fonction de l’entrepreneur, et surtout, en tant qu’entrepreneur lui-même, à la construction de l’une des plus belles histoires d’entreprise en France. Ce frère, il s’agit de Louis Say, fondateurs des Sucreries Say, à Nantes, et aujourd’hui Béghin-Say. Cette marque, Béghin-Say, est certainement aujourd’hui la principale raison pour laquelle les Français connaissent encore le nom Say. Elle aurait mérité d’être détaillée, d’autant plus que Jean-Baptiste Say avait la plus grande admiration pour les succès entrepreneuriaux de son frère cadet : il l’invita d’abord à écrire un livre sur le sujet pour aider les apprentis entrepreneurs français, puis envoya son propre fils, le futur économiste Horace Say, en apprentissage dans les sucreries nantaises.

Comme nous l’avons très tôt fait remarquer, ces défauts n’empêchent pas le livre d’être habilement construit et le thème d’être correctement traité. Nous recommandons donc chaleureusement cet ouvrage, qui apporte une perspective théorique sur entrepreneuriat, qui ne cesse d’être l’élément primordial d’une éventuelle reprise économique dans notre pays. [1]

 

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[1] Cf. Thomas Harbor, « L’entrepreneur fer de lance de la reprise en Europe »

//www.institutcoppet.org/lentrepreneur-fer-de-lance-de-la-reprise-en-europe/

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