Les États-Unis d’Amérique par M. S.-G. Goodrich

Charles Coquelin, Compte-rendu sur Les États-Unis d’Amérique par M. S.-G. Goodrich (Journal des économistes, Juillet-Août 1852).


LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE. Aperçu statistique, géographique, industriel et social ; par M. S.-G. GOODRICH, consul des États-Unis d’Amérique à Paris. 1 vol. in-8°, 1852 ; chez Guillaumin et compagnie.

On ne peut mieux faire, je crois, pour donner une juste idée du caractère de cet ouvrage, que de montrer l’objet que l’auteur s’est proposé, tel qu’il l’expose lui-même dans sa préface.

En sa qualité de consul des États-Unis à Paris, M. Goodrich est fréquemment consulté sur diverses particularités relatives à son pays. Il ne se passe pas de jour, dit-il, que des demandes de renseignements lui soient adressées, soit verbalement, soit par écrit, non seulement pour la France, mais encore pour la Belgique et pour la Suisse. Sans renoncer pour l’avenir, autant qu’il nous semble, à répondre à ces demandes d’une manière particulière quand les circonstances l’exigeront, M. Goodrich a voulu y répondre d’avance d’une manière générale, en publiant un corps de renseignements complet et précis, que chacun puisse interroger à son loisir. L’ouvrage n’est donc pas autre chose qu’un recueil de faits ou de renseignements à consulter. En le publiant, l’auteur a cru sans doute remplir un des devoirs que sa charge lui impose ; mais il a voulu aussi, dit-il, s’acquitter d’une dette de reconnaissance, ayant toujours trouvé en France, soit dans les administrations publiques, soit dans les institutions scientifiques et littéraires, un grand empressement à répondre aux demandes de renseignements qu’il a pu leur adresser lui-même.

Il n’était pourtant pas donné à tout le monde de remplir une pareille tâche ; il ne suffisait pas pour cela d’être Américain et homme instruit ; il ne suffisait pas même d’être consul ou fonctionnaire public. Combien y a-t-il parmi nous de fonctionnaires, nous disons même des plus instruits, qui soient en mesure de fournir sur la France un ensemble d’informations précises, à la fois statistiques, historiques, géographiques, industrielles et sociales, qui embrassent d’abord l’ensemble du pays, puis, une à une, chacune des portions du territoire ? De tels hommes sont rares partout ; à plus forte raison se rencontrent-ils plus difficilement aux États-Unis, pays bien plus vaste que la France ; pays neuf, d’autre part, encore presque inconnu, dans une grande partie de son étendue, pour ceux mêmes qui l’habitent ; pays morcelé, divisé en un grand nombre d’États distincts, et où par conséquent les renseignements de toute nature sont bien plus difficiles à rassembler.

Heureusement, M. Goodrich s’était préparé de longue main à ce travail. Une partie considérable des matériaux qui composent son livre avait été déjà, comme il l’annonce lui-même, recueillie et arrangée dans un ouvrage récemment publié par lui aux États-Unis. Il n’a donc eu qu’à reprendre son premier travail, à le remanier, à le compléter, à le disposer probablement dans un nouvel ordre pour le mieux approprier aux besoins de ses lecteurs d’Europe. C’est ainsi qu’il est parvenu à nous donner un ouvrage aussi satisfaisant, aussi complet dans son genre qu’il était peut-être permis de l’espérer.

Ce qui fait le mérite essentiel de cet ouvrage, c’est, après l’abondance et l’exactitude des informations qu’il contient, une bonne division des matières, un ordre méthodique et régulier, qui facilite les recherches et permet à chacun d’y trouver sans peine tous les renseignements dont il peut avoir besoin. À cet égard, le livre de M. Goodrich ne laisse rien à désirer : le plan en est très simple, la division des matières très méthodique, et les subdivisions à la fois si multipliées et si régulières, que chaque détail de fait y vient pour ainsi dire à la place qui lui est marquée d’avance. Aussi, à l’aide des deux tables de matières, l’une analytique, l’autre alphabétique, que l’ouvrage contient, est-il facile à chacun de mettre à l’instant le doigt sur les renseignements qu’il cherche. — Donnons une idée de ce plan et des principales divisions ou subdivisions qu’il comporte.

Dans un premier chapitre, l’auteur jette d’abord un coup d’œil général sur l’Amérique, qu’il considère tour à tour, soit en elle-même et par rapport aux circonstances qui lui sont propres, soit par comparaison avec les autres parties du monde. Il divise ensuite le continent américain en deux parties, l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord, qu’il étudie l’une après l’autre, en commençant par la première, et en leur consacrant à chacune un chapitre spécial. Après avoir considéré l’Amérique du Nord dans son ensemble, il passe aux États-Unis, qui en forment, comme on sait, la partie la plus importante, et qui sont aussi l’objet spécial de son ouvrage. Ici un chapitre ne suffisait pas ; il en fallait deux, et qui devaient être même, comme ils le sont, les plus importants de tous. Dans le premier, qui forme le chapitre IV de l’ouvrage, l’auteur énumère toutes les circonstances propres à l’Union américaine prise dans son ensemble ; dans le second, il nous présente une histoire sommaire de ce pays, depuis sa découverte par les Européens et les premiers établissements des colons, jusqu’à nos jours. Il passe ensuite aux États particuliers, en leur consacrant à chacun un chapitre spécial. Cependant, en tête de ces chapitres se trouve une introduction ayant pour objet de montrer la place que ces États occupent dans l’Union, la manière dont ils s’administrent et leurs relations avec l’ensemble. Ajoutons que l’auteur divise ces États, selon l’usage, en plusieurs groupes, le groupe de la Nouvelle-Angleterre, ceux des États du Centre, des États du Sud et des États de l’Ouest, et qu’il consacre à chacun de ces groupes, pris en masse, quelques considérations destinées à faire connaître le caractère particulier qui les distingue. Après les États viennent les simples territoires, parmi lesquels se trouve encore la Californie, qui n’a que tout récemment été élevée au rang d’État. L’ouvrage se termine enfin par un appendice où se trouvent réunis plusieurs tableaux précieux, fournissant des relevés officiels ou quasi-officiels sur les objets suivants : commerce extérieur des États-Unis, du 30 juin 1849 au 30 juin 1850 ; importations et exportations de chaque État, pendant la même période ; nombre et tonnage des navires construits dans tous les ports de l’Union ; manufactures des États-Unis, nombre et genre des établissements en activité ; agriculture, nombre des acres en culture, importance et valeur des instruments, du travail et des produits ; banques, leur nombre et leur capital dans chaque État ; chemins de fer, étendue approximative d’après le rapport du surintendant du recensement, des travaux achevés et des travaux en cours d’exécution.

Ce serait cependant donner une idée encore imparfaite de l’esprit de méthode qui a présidé au travail de M. Goodrich, et du soin qu’il a pris de faciliter les recherches, que de s’arrêter à cette simple division en chapitres ; il faut ajouter que chacun de ces chapitres est lui-même subdivisé en un certain nombre de paragraphes indiqués par des sous-titres, qu’il a trouvé moyen de rendre très nets, très visibles, sans leur faire usurper une place sensible sur le texte. Pour faire connaître la nature de ces sous-divisions et donner en même temps une juste idée de l’étendue et de la variété des matières que l’ouvrage embrasse, nous ne pouvons mieux faire, à ce qu’il nous semble, que de relever un à un les sous-titres dans un des principaux chapitres, pour mieux dire, dans le plus important de tous, le quatrième, celui qui se rapporte aux États-Unis en général ; le voici : Caractère général, étendue, climat et productions, sol, montagnes, fleuves et rivières, lacs, navigation à vapeur, régions physiques, versant de l’Atlantique, versant du Pacifique, vallée du Mississipi, habitants, idiomes, Indiens, gouvernement, division en quatre sections, les États séparés, gouvernement central, membres du gouvernement central, division des pouvoirs, ministères, religions, travail, capitale des États-Unis, villes principales, éducation, territoire, progrès de la population, revenu, dépenses, dette publique, monnayage, post-office, droits de poste, domaine public, armée, flotte, chemins de fer, canaux, télégraphes électriques, presse périodique, commerce, navigation, manufactures, agriculture, produits minéraux, émigration, divisions politiques, population et représentation des États, population des États-Unis à diverses époques, étendue de chaque État et territoire, etc., admission des États dans l’Union, population progressive des principales villes, l’esclavage aux États-Unis, progrès des États-Unis en cinquante-sept années, établissement des États, mœurs et coutumes. Cette subdivision est, il est vrai, en raison de l’importance du chapitre, la plus étendue, la plus complète et peut-être aussi, par cela même, la plus difficile à bien saisir ; mais elle est au fond, et sauf quelques circonstances en plus ou en moins, pareille à celle que l’on trouve dans les chapitres suivants. L’exemple que nous venons de donner permet donc de juger à la fois des facilités que cet ouvrage présente pour les recherches et de la variété des matières qu’il embrasse.

Il est à peine nécessaire d’insister sur l’utilité d’un tel travail. Combien de gens en France, et même dans l’Europe en général, tournent leurs regards vers les États-Unis ; ceux-ci parce qu’ils y ont des relations d’affaires ; ceux-là parce qu’ils y ont des parents, des amis, emportés par ce grand courant d’émigration qui verse tous les ans, par masses serrées ou en détail, une notable partie de la population européenne sur le continent de l’Amérique ; d’autres enfin, parce qu’ils trouvent dans le peuple américain, dans ce peuple si jeune et déjà si grand, dans ses institutions, ses lois, ses coutumes, ses mœurs, si différentes de la vieille Europe, ou un sujet de méditations utiles, ou un spectacle curieux à observer. Les ouvrages français sur les États-Unis d’Amérique ne manquent pas, il est vrai ; nous avons ceux de MM. Michel Chevalier, Al. de Tocqueville…, de Beaumont, major Poussin, etc., qui ne sont pas à coup sûr dépourvus d’utilité et de mérite. Mais outre que plusieurs de ces ouvrages datent déjà d’assez loin et ne contiennent pas des informations assez récentes, ils sont pour la plupart d’un genre tout différent de celui-ci. Ce sont plutôt des traités philosophiques que des recueils de faits ; que si des informations précises s’y rencontrent, ce qui n’est assurément pas rare, elles s’y entremêlent souvent avec les théories, et s’y présentent rarement dans un ordre tel qu’il soit possible de les retrouver à volonté. Après tout, nous n’entendons pas dire, à Dieu ne plaise ! que l’ouvrage de M. Goodrich rende inutiles ceux des écrivains que nous venons de nommer ; mais nous pensons qu’après la lecture de ceux-ci, on sera très heureux encore de pouvoir consulter l’autre.

Le style de M. Goodrich, style rectifié pour le langage, et d’après la déclaration même de l’auteur, par un Français, M. Jules Delbruck, est toujours simple, clair, précis et élégant ; il est ordinairement d’une concision extrême, ce qui convient à la nature de l’ouvrage, mais d’une concision sans sécheresse. On en jugera par le passage suivant :

« Le climat de l’Amérique méridionale offre des particularités remarquables. Dans les parties basses et unies, aux environs de l’équateur, la température est toujours celle de l’été. Les arbres y sont revêtus d’une verdure perpétuelle, les plantes sont toujours en fleurs et les fruits mûrissent en toutes saisons. Dans les parties bien arrosées, la végétation devient exubérante ; les animaux croissent avec vigueur, les reptiles et les insectes se multiplient sans fin. Animaux et végétaux, que l’hiver ne vient jamais surprendre, vont se produisant et se reproduisant à tel point, que le souffle de la nature semble partout imprégné de vie animale et végétale. Les exhalaisons qui proviennent des marécages et des végétaux en putréfaction rendent l’air très malsain. Sur les plateaux ou plaines élevées, la température est fraîche et délicieuse. Pendant toute l’année, le climat y présente les charmes du printemps. Sur les montagnes, le froid se montre à son tour, et à la hauteur de 15 000 à 16 000 feet (pieds anglais), l’hiver établit sa domination perpétuelle.

Ainsi, à la même latitude, et dans l’espace de quelques centaines de milles, il y a trois zones distinctes, ayant chacune leur température propre et leurs espèces particulières d’arbres, de plantes et d’animaux.

Les tremblements de terre sont communs au nord et à l’ouest. »

Après les justes éloges que je viens de donner au livre de M. Goodrich, me sera-t-il permis de hasarder quelques observations d’un autre genre ? Ce n’est pas une critique que j’entends faire ; en admettant l’exactitude des détails, et cette exactitude je n’ai aucune raison pour la mettre en doute, l’ouvrage n’en mérite pas. Je voudrais seulement signaler à l’auteur certaines omissions qui sont, à mes yeux du moins, de regrettables lacunes. On cherche vainement dans ce livre certains détails sur le régime économique des États-Unis, que bien des gens seraient fort aises d’y rencontrer. En ce qui me concerne, par exemple, j’ai été un peu désappointé, je l’avoue, de n’y rien trouver sur la constitution des banques américaines et sur les lois qui les régissent. L’auteur nous donne bien un relevé général des banques pour toute l’étendue de l’Union, et même pour chaque État en particulier, avec le montant du capital qu’elles possèdent ; mais ce n’est point assez. Il aurait dû nous dire encore comment ces banques se gouvernent, de quelle somme de liberté elles jouissent et à quelles restrictions elles sont assujetties ; et, comme la législation qui leur est applicable varie d’un État à l’autre, il aurait dû nous apprendre quelle en est la substance dans chaque État. Ces renseignements eussent été d’autant plus précieux, et d’autant mieux à leur place ici, qu’il est plus difficile de les rencontrer ailleurs. Nous n’aurions pas demandé à M. Goodrich d’entrer à ce sujet dans de longs détails, encore moins de s’appesantir sur les conséquences bonnes ou mauvaises de l’institution des banques, ce qui eût altéré le caractère et la simplicité de son ouvrage ; tout ce que nous lui aurions demandé, c’est qu’il nous donnât quelques indications sommaires, quelques indications de fait sur le régime actuellement en vigueur dans chaque État.

Il y a d’autres points encore sur lesquels l’ouvrage nous paraît laisser quelque chose à désirer. En général l’auteur est trop sobre d’explications ou d’indications de fait sur les institutions économiques des États-Unis, qui sont pourtant un des objets d’étude les plus intéressants pour notre Europe, et dont il aurait dû tout au moins nous faire connaître les principaux traits.

Répétons-le pourtant, ceci n’est pas une critique. Tel qu’il est, le livre de M. Goodrich contient déjà un ensemble de renseignements si considérable et si varié, qu’il était peut-être impossible à un seul homme d’en produire davantage. À celui qui se met en quête de certains renseignements, il est toujours assez facile de dire ce qui lui manque ; à celui qui doit les fournir, il n’est pas aussi facile d’y suppléer. Sans donc nous préoccuper davantage des lacunes plus ou moins réelles qui peuvent se trouver dans le travail de M. Goodrich, sachons lui gré de la masse de faits déjà si satisfaisante qu’il a mise sous nos yeux. Quiconque lira son ouvrage, en apprendra plus sur les États-Unis d’Amérique, qu’il n’en eût appris ailleurs dans un ouvrage de vingt volumes. 

CH. COQUELIN.

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