Les réformes économiques et financières de Sir Robert Peel

Sir Robert Peel, destructeur des corn-laws lors de son cours passage au ministère, représenta le modèle de l’homme d’État aux yeux des économistes libéraux français. Au lendemain de son décès, à l’été 1850, Joseph Garnier examine ses actions et la portée de ses mesures économiques et financières.

Source : Joseph Garnier, « Des mesures économiques et financières de Robert Peel », La Patrie. Journal du commerce, de l’agriculture, de la littérature et des arts, 22 juillet 1850


Des mesures économiques et financières de Robert Peel

I.

Les grandes mesures économiques et financières auxquelles Robert Peel a pris la principale part sont : la reprise par la banque d’Angleterre des paiements en espèces ; la reconstitution du monopole de cette banque, en 1844, et l’ensemble des réformes financières et commerciales effectuées durant sa brillante administration de 1842 à 1846.

La reprise du paiement en espèces par la banque, à une époque déjà loin de nous, était une grande affaire pour l’Angleterre. Vers la fin de 1796 et au commencement de 1797 des bruits d’invasion et de descente sur les côtes acquirent une certaine consistance. Cette clameur provoqua chez les Anglais, et surtout chez les fermiers et les marchands en détail, le vif désir de convertir le plus possible de leur fortune en espèces. Plusieurs banques de province ne purent résister à cette crise, et leur chute ne fit qu’augmenter la panique. La banque d’Angleterre fut assaillie, et le samedi 25 février 1797, elle n’avait plus en caisse que douze cent mille livres sterling, une trentaine de millions de francs !

Pitt et le parlement eurent alors recours à l’expédient imité cinquante ans après par M. Garnier-Pagès et le gouvernement provisoire ; ils donnèrent à la Banque, d’ailleurs créancière du gouvernement pour la presque totalité de son capital, l’autorisation de ne plus payer ses billets en espèces. Chose digne de remarque, la valeur de ces billets se maintint pendant trois ans au pair pour deux raisons principales : d’abord, aussitôt après la suspension des paiements, les principaux négociants, banquiers et armateurs de Londres signèrent la résolution expresse d’accepter les billets de la Banque d’Angleterre, et s’engagèrent à faire tous leurs efforts pour les faire accepter par d’autres ; en second lieu, une sage modération présida aux émissions des billets de la Banque.

Mais, dès 1800, le charme était rompu ; et les banknotes subissaient une dépréciation qui, plus tard, s’est élevée jusqu’à 25%. Cette année, la faiblesse de la récolte avait nécessité une exportation assez considérable de numéraire, et les émissions de billets, loin de diminuer, comme c’eût été le cas si la Banque eût dû les payer en espèces, ne firent qu’augmenter. Les banques de provinces suivirent les errements de la Banque centrale. Des ce moment, la dépréciation de la monnaie officielle, la baisse du change avec l’extérieur, le haut prix des lingots suivis de nombreuses oscillations dans la valeur de toutes choses et dans les transactions, devinrent une grosse question dans la politique de la Grande-Bretagne.

Le remède à ces maux indique par la science économique était le retour au principe fondamental du crédit, à la reprise des paiements en espèces, seul capable de resserrer les émissions, d’encaisser l’escompte et la spéculation dans le lit de la circulation naturelle, de ramener les oscillations du change vers le pair, d’équilibrer le prix des lingots avec celui des billets, de faire cesser enfin ces perturbations dans les valeurs qui avaient sur toutes les transactions une influence si funeste. Mais il ne fallut rien moins que l’éloquence des faits pendant vingt ans, une enquête célèbre suivie d’un concluant rapport de M. Francis Horner en 1810, des discussions solennelles dans la presse et dans le parlement, les efforts d’hommes comme Canning et Huskisson, de savants comme Ricardo et Thornton, de pamphlétaires Cobbett, pour former l’opinion publique en faveur de la reprise en espèces. La force de l’habitude, la crainte que le numéraire ne fût insuffisant, l’indolence des directeurs des banques, la perte d’influence qui devait résulter pour les notabilités financières du retour à la pratique normale, la limitation des émissions, la diminution des escomptes et des spéculations hasardées qui devaient s’en suivre, la révolution dans le prix de toutes choses, dans les transactions, les contrats, etc. ; telles étaient les causes qui suscitaient des partisans nombreux à la continuation du bill dont Pitt avait été le promoteur.

Le jeune Peel, qui entrait dans la chambre des communes au sortir de l’Université, à l’âge de vingt-deux ans, se prononça d’abord contre les idées de reprise du paiement en espèces. Il y avait à la fois chez lui une ignorance très pardonnable à son âge des saines notions de la science économique ; une prévention naturelle en faveur de l’œuvre de Pitt, dont son père avait été et était encore le zélé partisan ; et toute l’influence du parti auquel il appartenait, et de la majorité de l’opinion publique, dont il a toujours su tâter le pouls, s’il est permis de parler ainsi, avec un instinct vraiment admirable qui explique en partie sa conduite, ses succès et les notables services qu’il a rendus à son pays, et, nous devons le dire, à la cause de la civilisation.

En mai 1811, Robert Peel fut un de ceux qui, contrairement aux conclusions d’un comité d’enquête dont M. Francis fut le rapporteur, entraînèrent la chambre des communes vers l’adoption de la fameuse réduction de M. Vanittazt, déclarant “que les engagements de la Banque d’Angleterre avaient été jusqu’alors et étaient encore en ce moment équivalents à la monnaie légale.”

Cette résolution, contraire au bon sens et à la réalité, eut pour effet de fortifier les préjugés et les intérêts favorables au maintien de la suspension, d’encourager les directeurs de la banque à accroître le nombre de leurs billets en circulation. Mais bientôt il se fait sur cette question une évolution dans l’esprit de Robert Peel ; soit que les arguments de ses adversaires le trouvent moins rebelle ; soit que sa raison s’éclaire directement par l’observation des faits de tous les jours ; soit qu’il s’aperçoive que l’opinion publique se déplace, soit par ces trois causes réunies.

En 1819, il était président d’un nouveau comité d’enquête parlementaire nommé par la chambre des communes pour cette même question ; il y siégeait avec Canning, Huskindson, James Mackintosh, lord Castelreagh ; et le 7 avril de la même année, ce fut lui qui présenta et fit adopter le bill qui ordonna la reprise des paiements en espèces, laquelle eut lieu deux ans après en 1821, qui porte son nom, Peel’s act, qui a eu la portée et l’heureuse influence que les financiers et les économistes en attendaient. Dans le courant de cette discussion, il fit allusion et à son changement d’opinion et à l’opposition de son père :

“Je me vois, dit-il, forcé de m’opposer à une autorité devant laquelle, depuis mon enfance, je me suis toujours incliné avec déférence, et que je respecterai toujours. Mon excuse est que je suis chargé d’un grand devoir public, et que, quels que puissent être mes sentiments particuliers, je ne dois point reculer devant l’accomplissement de ce devoir… Je ne rougis point d’avouer que je suis entré dans la commission avec des idées bien différentes de celles que j’ai aujourd’hui ; mais j’y suis entré avec la ferme résolution d’oublier toutes mes impressions passées et le vote que j’avais donné quelques années auparavant.”

II.

Le privilège de le banque d’Angleterre expirait il y a six ans. Robert Peel, qui était alors premier ministre, proposa, défendit et fit accepter par le parlement le bill de 1844 auquel on a aussi donné son nom, et qui a introduit dans la constitution de la banque le principe de séparation entre les opérations de l’escompte et l’émission des billets de circulation.

Par le bill du 10 juillet 1844, l’État reconnaît devoir à la banque d’Angleterre, comme résumé de tous ses prêts antérieurs, la somme considérable de 11 millions sterling, ou 275 millions de francs ; la banque possède, en outre, trois millions sterling en billets de l’échiquier ou en autres valeurs ; en tout 14 millions sterling, ou 350 millions de francs. C’est là son fonds de réserve ; c’est là ce qu’elle appelle dans ses comptes-rendus les securities ou garanties qu’elle offre au public.

L’acte de 1844, et c’est ici le point le plus saillant et délicat de la nouvelle organisation de la banque que Robert Peel a fait consacrer et qui est une copie étriquée d’un plan développé jadis par Ricardo, a fait deux divisions dans l’administration de ce grand établissement financier. Il a créé un bureau d’émission (issuing department) de billets de la banque surveillé par le gouvernement et un bureau de banque (banking department) où la compagnie fait ses escomptes et ses avances au public, comme elle l’entend.

La loi lui reconnaît le droit d’émettre des bank-notes pour quatorze millions pour le montant des garanties ou securities dont nous venons de donner le détail. Pour que la banque puisse émettre des billets au-dessus de cette somme, il faut qu’elle ait en dépôt et en valeurs métalliques une somme égale à la quantité de billets à émettre.

L’adoption de ces mesures avait pour but de prendre des précautions contre les abus du monopole dont jouit ce formidable établissement ; pour parer le commerce des dangers des larges émissions, et aussi pour laisser à la Banque une certaine liberté d’expansion toutes les fois que l’exigerait la situation commerciale du pays.

Ce système, appliqué depuis six ans, a été mis à une épreuve délicate lors des circonstances difficiles survenues en 1847 à la suite : premièrement, de la disette qui avait amené de nombreuses spéculations en grains, la sortie du numéraire et une crise métallique ; à la suite, secondement, du pléthore des chemins de fer qui, agissant concurremment avec la disette, avaient produit une crise commerciale et financière. On s’aperçut alors que le bill de 1844 n’avait pas cette élasticité sur laquelle avaient compté ses partisans, et que la banque n’avait pu, à cette époque, rendre an commerce de la Grande-Bretagne tous les services qu’elle aurait pu rendre arec une plus grande liberté dans les émissions de ces billets.

Un économiste qui fait autorité en Angleterre, M. Wilson, rédacteur de l’Economist, et aujourd’hui membre de la chambre des communes et du board of trade, lui a attribué en partie, et non sans quelque raison, l’aggravation de la crise.

On conçoit, en effet, qu’en 1847, sa circulation n’a guère pu dépasser les quatorze millions de securities, puisqu’elle avait besoin de numéraire pour l’augmenter, et que le numéraire était présentement ce qui manquait alors en Angleterre, comme dans tous les pays frappés par la disette et obligés d’exporter leurs métaux précieux, pour importer des blés. L’Angleterre a importé, pendant les quatre années de 1845, 1846, 1847 et 1848, 51 millions sterling de blés, ou 1 275 millions de fr., en attendant le moment où l’exportation des produits ferait réimporter le numéraire.

Le bill de 1844, vivement attaqué pendant la session de 1847-48, ne fut pas défendu par Robert Peel, d’une manière complètement victorieuse, et nous ne serions pas éloigné de penser que sa confiance dans l’efficacité de ce bill était déjà ébranlée. Qui sait si dans quelques années sa haute raison ne lui eût pas fait entrevoir la solution du problème dans une plus grande liberté laissée aux institutions de crédit ?

 

III.

Une crise a pesé sur l’Angleterre, de 1838 à 1842. Elle fut produite par celle des États-Unis qui avait amené la langueur dans les manufactures anglaises, et aussi par la mauvaise récolte de 1838. Sous l’influence simultanée de ces causes, le travail diminua, le prix du blé augmenta, et comme cela arrive toujours infailliblement, les salaires baissèrent. Avec la misère, vinrent les maux de toute espèce pour les individus et les dangers pour la société.

Pour contribuer à mettre fin à cette crise, la grande voix des manufactures désigna comme but le pain à bon marché, et comme moyen l’abrogation du tarif sur les céréales contre laquelle avaient déjà tant écrit le colonel Thompson et plusieurs publicistes éminents. Dès le 13 décembre 1838, la chambre du commerce de Manchester adressait à la chambre des communes une pétition ayant pour objet l’abolition entière et immédiate des corn-laws et l’application sur la plus grande échelle du principe de liberté commerciale.

Cette pétition était l’œuvre de Richard Cobden, jeune manufacturier qui avait puisé dans la lecture d’Adam Smith une foi ardente dans la doctrine de la liberté du travail, et qui avait entrevu dans cette liberté une des plus puissantes harmonies de ce monde, et l’acheminement des peuples vers une fraternité positive et féconde.

La pétition de Manchester fut l’occasion d’une motion de M. Villiers à la chambre des communes ; et le rejet de cette motion amena la fondation de cette ligue intrépide (Anti-corn-law League) qui, sept ans après et à l’aide d’une propagande écrite ou parlée dans des milliers de petits tracts (brochures) et des milliers de meetings, à l’aide d’efforts dont nous n’avons aucune idée dans ce pays, avait transformé l’opinion économique des manufacturiers, exercé une pression morale triomphante sur le parlement, forcé la conviction des hommes politiques, renversé un des plus énormes privilèges de l’aristocratie anglaise, la plus puissante du monde, et entraîné Robert Peel, le plus grand homme d’État des temps modernes, dans la réalisation d’une immense réforme économique et financière, d’une de ces réformes qui sauvent les empires en ajournant les révolutions.

Les souffrances occasionnées par la crise industrielle dont nous venons de parler avaient porté la polémique des deux grands partis qui se divisent l’Angleterre depuis longtemps, sur le terrain économique. Avant tout et pour tous il s’agissait de savoir comment on tirerait l’Angleterre du mal où elle était plongée, comment on remettrait l’industrie au niveau des besoins des travailleurs. Les ligueurs professaient la liberté de commerce ; ils calculaient qu’en affranchissant les importations, la production et les échanges s’accroîtraient ; que les importations suivraient le même développement ; que le travail deviendrait plus abondant, les salaires plus élevés, les profits plus considérables ; enfin, que la consommation augmenterait et avec elle le revenu public. Les protectionnistes ne savaient comment faire pour relever les revenus sans augmenter les taxes, pour créer du travail sans toucher aux monopoles. Ils songeaient à des moyens sans efficacité, à faciliter l’émigration, à limiter le travail des manufactures, à la restriction, à l’aumône, à tout, excepté à la justice et à la destruction du gros privilège sur les céréales dont ils profitaient.

Le ministère wigh, composé de lord John Russell, lord Melbourne, lord Morpeth, M. Baring, etc., ne sut que proposer des mesures bâtardes, faire du juste-milieu ; il tomba. Au reste, ces mesures qui n’apparaissaient pas bien clairement dans un exposé de lord John Russell, et qui se résumaient en un impôt foncier et en un impôt des revenus, ne furent pas discutées. Les torys s’en effrayèrent. Battu au parlement, il voulut faire un appel aux électeurs, qui lui répondirent qu’il n’avait pas la confiance du pays pour mener à bonne fin les réformes nécessaires, et qui envoyèrent une majorité tory et protectionniste. Les temps n’étaient pas accomplis.

C’était en 1841. Robert Peel entre aux affaires sur les ailes de la protection. Mais une fois sur le navire de l’État, il vit devant lui le gouffre béant du déficit, et le bon génie de l’Angleterre lui remit dans la mémoire cette maxime de l’économie politique, maxime favorite d’Huskisson, font il avait jadis combattu les réformes commerciales, et qui consiste à augmenter les ressources du trésor public en diminuant les taxes.

De 1842 à 1845, il mit en pratique cette féconde maxime, et proposa au parlement des dégrèvements et des simplifications sur les tarifs des impôts, et sur les tarifs des droits de douane, qui soulagèrent sensiblement l’industrie et la consommation, tout en procurant de nouvelles recettes au trésor qu’il avait d’ailleurs eu soin de garantir contre les premiers déficits occasionnés par ces réformes en attendant leur productivité au moyen de l’income-tax, ressource empruntée aux plus mauvais jours, qu’il sut arracher à la majorité, tout en épargnant les petites fortunes, celles de 150 livres (2 800 francs environ) de revenus et au-dessous.

Le déficit était, en 1842, de 102 millions de francs ; il avait été, les années précédentes, de 53 millions en 1841, de 44 millions en 1840, de 35 en 1839 ; en 1843 il y eut, par suite de l’income-tax introduit par Robert Peel, un excédant de 36 millions, qui fut plus que doublé l’an d’après. Le 5 janvier 1845, cet excédent était évalué, par la chambre de l’échiquier, à 80 et quelques millions, dont il fallait, il est vrai, défalquer 12 millions provenant de l’indemnité de la Chine, et de quelques sommes acquittées par la compagnie de la mer du Sud ; la taxe des revenus avait rapporté dans l’année 133 millions.

En même temps que l’income-tax, Robert Peel fit adopter en 1842 une réforme sur 44 articles du tarif. La prohibition était levée sur les bestiaux, la viande fraiche et le poisson, et remplacée par des droits modérés ; la franchise était donnée à la sortie de cinq articles : le charbon de terre, les livres et les peaux, les minerais, la terre de pipe ; les droits étaient largement réduits sur les autres articles, parmi lesquels se trouvaient le lard, le bœuf salé, la faïence, le bois d’acajou, l’huile d’olive, les bois de construction, les cuirs, les chaussures, le goudron, le suif, le riz, le café.

Des réformes analogues survinrent en 1843 et 1844 et modifièrent encore le tarif de la Grande-Bretagne d’après les principes adoptés en 1842 : l’abolition des prohibitions ; l’abaissement des droits ayant un caractère prohibitif ; la réduction des droits sur les matières premières jusqu’à une limite qui n’excède pas 5% de la valeur, et sur les articles partiellement ou complétement manufacturés à un taux qui n’excèderait pas 12 ou 20% ; l’affranchissement de l’exportation et des articles de peu d’importance pour le Trésor ; le tout en vue de soulager l’industrie, d’augmenter les ressources du fisc et de simplifier l’administration de la douane.

Voici les résultats de cette expérience. Le montant des réductions s’éleva, en 1842, à 1 092 000 livres ; en 1843, à 412 000 livres ; en 1844, à 159 000 ; en tout à près de deux millions de livres ou cinquante millions de francs. Malgré ces réductions, le revenu ordinaire, c’est-à-dire le revenu provenant de la douane, de l’excise, du timbre et des taxes, du service de la poste, etc., s’éleva de 1841 à 1844. Il était de 47 917 000 livres en 1841, et de 48 125 000 en 1844, non compris la taxe sur la propriété, les ressources usuelles telles que l’indemnité de la Chine.

Encouragé par cet essai, Robert Peel proposa pour l’année commençant le 5 avril 1845 une application plus étendue de ses principes de réforme commerciale et financière. Les droits et les matières brutes mises en œuvre dans les manufactures, sur les matières tinctoriales, sur les huiles et ses divers articles produisant peu ou point de revenu, furent supprimés. D’autre part, les manufactures de verres et cristaux furent exonérées de tout droit d’accise, débarrassés de toute inspection, intervention et exercice. Le montant des droits ainsi abandonnées était de 4 511 000 liv. Le sucre subit un premier dégrèvement ; les cotons et laines furent affranchis ainsi que 130 articles du tarif (sur 813) de moindre importance ; le droit sur les verreries fut supprimé et on réduisit le droit de vente sur les propriétés aux enchères.

En 1846 de nouvelles remises eurent lieu pour une somme de 1 151 000 livres, et finalement, de 1842 à 1846, le total des ressources était de 7 625 000 livres ou de près de 188 millions de francs, nonobstant cette large saignée, le revenu de 1846 (toujours sans le land-tax et les ressources annuelles) s’éleva à 47 581 000 livres, et était sensiblement égal à celui de 1841, qui avait été de 47 911 000 livres. Dans l’exercice suivant, il l’avait dépassé de 943 000 livres, ou près de 21 millions de francs. Une partie de cette augmentation provenait de l’accroissement de la recette sur le sucre étranger, dégrevé depuis la sortie de Robert Peel des affaires, et en vertu de l’impulsion qu’il avait donnée.

Ce magnifique résultat donne complète raison à la doctrine si simple de l’économie politique financière que nous énoncions tout à l’heure. La gloire de Robert Peel, c’est d’en avoir conçu le plan avec adresse, et d’en avoir envisagé la portée avec fermeté, d’en avoir calculé les détails avec soin et précision, et d’en avoir suivi l’application à travers mille difficultés, en triomphant de la résistance du parlement et de son propre parti.

Mais jusqu’ici nous n’avons rappelé que la moindre partie de la réforme économique accomplie par Robert Peel. C’est en janvier 1846 que l’intrépide ministre qui avait donné sa démission et puis repris son portefeuille, après l’impossibilité où s’était trouvé lord John Russel de former un ministère, frappa le coup le plus redoutable qui devait être porté au système de la protection, et aux privilèges de l’aristocratie territoriale.

Nous voulons parler de la suppression des droits sur les céréales qui occasionnait au peuple anglais une élévation du prix de sa nourriture pour un milliard ainsi que la suppression ou l’abaissement des droits sur les marchandises étrangères qui entrent particulièrement dans la consommation du peuple comme moyen de subsistance, telles que bestiaux, viandes, lard, qui ont été complétement affranchis, et le beurre, le fromage, le riz, le café, le cacao, le raisin de Corinthe, etc., sur lesquels les droits ont été considérablement réduits. Pour tous ces produits, la réforme fut appliquée à partir du 1er août 1846. À l’égard des céréales, elle ne fut votée que pour le 1er février 1849 ; mais elle fut appliquée dès 1847 par suite de la disette.

C’est à la suite de cet effort suprême que Robert Peel quitta le ministère et remit le gouvernail de l’État entre les mains de John Russell qui n’avait pas eu autant que lui la force et la résolution nécessaires pour entreprendre les réformes, mais qui mieux que lui pouvait en poursuivre l’application à l’aide des wighs dont l’adhésion au free trade avait été plus facile que celle des tories dont un grand nombre gardait rancune au chef qui les avait si habilement amenés à composition.

Depuis quatre ans la réforme économique a fait de nouveaux progrès. Les lois de navigation ont été abrogées en très grande partie après une enquête solennelle ; et l’agitation, comme on dit chez nos voisins, a commencé en faveur de la réforme du régime des colonies et de leur indépendance commerciale. Les protectionnistes ont été impuissants contre ces conséquences inévitables de la conquête des ligueurs de Manchester et des innovations de Robert Peel ; ils l’ont encore été toutes les fois qu’ils ont voulu revenir sur les réformes de 1846, soit à propos de la crise de 1847, soit à propos de la crise actuelle qui pèse sur l’agriculture. Il leur a été démontré d’une manière victorieuse, et par lord John Russell et par Robert Peel et par M. Cobden, et par M. Macaulay, et par cent autres notabilités du Parlement, que ces réformes, loin de provoquer ces crises, avaient puissamment contribué à en amortir les effets.

Robert Peel a donc pu mourir avec cette consolante pensée, qu’il avait puissamment contribué au salut de son pays.

JOSEPH GARNIER.

 

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