Lettres hebdomadaires sur la question des tarifs protecteurs (Partie 2)

Le pot et le cache-pot (Le Courrier de La Rochelle, 25 janvier 1891).

C’est en étudiant, chez les autres peuples, le mouvement économique, que nous pourrons, étant intéressé dans la question, nous rendre un compte exact, en France, de la protection et de ses effets.

Le bill Mac-Kinley nous a rendu, à cet effet, un signalé service. Il a fait sortir la masse du peuple de son indifférence et, en même temps, en présence de la menace des protectionnistes américains, de fermer aux produits européens l’entrée du marché des États-Unis, il a amené les législateurs et les gouvernements à comprendre, enfin, les dangers du système protecteur.

En même temps, l’audace croissante de ces monopoleurs excitait le peuple américain à la lutte, et la presse des États-Unis n’a pas manqué, dans cette occasion, de remplir son devoir patriotique. J’ai sous les yeux une revue mensuelle américaine, le Belford’s Magazine qui occupe une place éminente dans cette lutte, qui est au premier rang pour combattre le bon combat contre l’ennemi.

Cette revue a été fondée il y a deux ans et demi, en mai 1888, et, dans son premier numéro, elle signalait, comme une partie des plus importantes de son programme, la lutte pour la réforme du tarif douanier, pour l’abolition de ce système de soi-disant protection qui, au mépris de tous les principes de la démocratie, a pour but d’enrichir certaines classes privilégiées aux dépens de la masse du peuple.

À l’honneur de cette revue, il faut reconnaître qu’elle a été fidèle à son programme, et qu’elle a vaillamment défendu, en joignant ses efforts à ceux de l’ancien président Cleveland, la cause de la liberté et du droit.

Le talent, plein de verve et d’humour de ses écrivains, a puissamment contribué à faire la lumière et à propager les idées de liberté économique, et si les bills Mac-Kinley, notamment les Tariff Bills, ont mis le comble à la mesure, l’action du journalisme américain, notamment du Belford’s Magazine, n’en doit pas moins être signalée à raison de son influence grande sur le succès des libre-échangistes aux dernières élections du Congrès.

À raison de l’importance de ce mouvement économique de la grande République américaine du Nord, je ne saurais trop engager ceux de mes concitoyens qui ont quelque connaissance de la langue anglaise à s’abonner à cette revue, ou à une autre feuille libre-échangiste des États-Unis, pour suivre les phases diverses de cette révolution, grosse de conséquences, d’une incalculable portée pour notre avenir économique, à nous autres, peuples européens.

C’est à La Rochelle, en particulier, et, d’une manière générale, dans toutes nos villes de commerce, ainsi que dans tous les centres de production, qu’il est indispensable de savoir à quel moment ce grand marché, d’une richesse prodigieuse, sera ouvert, tout grand, aux produits du monde entier, préparant également l’ouverture du marché du Canada.

Et ce qui sera de nature à frapper les esprits, dans cette vieille Europe continentale qui est encore, à ce point de vue, sous le joug des préjugés du Moyen-âge, c’est que les Américains des États-Unis, comme les anglo-saxons d’Angleterre, vont abattre leurs murailles de douane et rendre l’importation libre, non par philanthropie, non dans un intérêt humanitaire, mais en considération de leur propre intérêt, en vue de l’intérêt, bien entendu, de leur pays.

Ou les élections dernières, au Congrès, n’ont aucun sens, ou bien elles sont l’expression de cette pensée des Américains :

« No protection : plus de restrictions d’aucune sorte à l’entrée des produits étrangers. Nous voulons que nos ports soient des ports francs, ouverts aux pavillons et au commerce du monde. Nous estimons que plus il y aura de produits sur notre marché, en abondance, plus nous serons riches, la richesse d’un peuple consistant à posséder le plus possible de produits de toute sorte pour notre consommation.

Donc, plus de barrières protectrices ; vous ne rencontrerez devant vous que la douane fiscale, les droits modérés prélevés en vue du Trésor fédéral pour subvenir aux dépenses communes de l’Union américaine ; mais plus ces barrières systématiquement opposées à l’importation pour faire le vide sur le marché et renchérir les prix des marchés protégés. »

Quelle leçon d’économie politique, leçon de choses plus saisissante et plus éloquente que les écrits et les discours de nos plus grands économistes !

La gloire de ces grands esprits n’en est pas amoindrie, c’est grâce à leurs enseignements que la science a été répandue et vulgarisée en Angleterre et en France, comme aux États-Unis.

La verve et l’humour des journalistes américains a fait beaucoup pour la vulgarisation de ces doctrines ; je recommande, surtout aux lecteurs du Courrier, la définition suivante que j’emprunte au Belford’s Magazine :

« La protection est un pot percé d’un trou au fond. L’argent qu’on y verse passe par le trou et va dans les poches de quelques gros propriétaires et industriels ; plus le trou est grand, plus il y passe d’argent ; le Mac-Kinley a été fait pour agrandir le trou. »

Que pensez-vous de cette définition ?

N’est-ce pas qu’il y a là une description des plus ingénieuses du système restrictif !

Cette comparaison de la protection à un pot à fleurs est pleine de charme, et tout à fait poétique. Cela fait rêver : ce trou principalement, ce fameux trou, avec ses dilatations successives, se présente à l’imagination sous les aspects les plus variés.

Quand on approche l’œil pour regarder au fond, on voit, et c’est ce qui le différencie du pot à fleurs ordinaire, qu’il y a quelque chose par dessous cette vaste poche où s’écoule l’argent et qui se dilate, elle aussi, en même temps que le trou s’agrandit.

Les protectionnistes français n’ont pas trouvé cette description si pittoresque et si exacte de leur système, non plus que les protectionnistes américains.

On peut dire, sans crainte d’un démenti, que tous leurs efforts tendent, au contraire, à ne pas trop approfondir la question, de peur que le public ne voie leur système sous son véritable aspect ; c’est pour cela que, pour cacher sa face repoussante, ils l’ont masqué sous le nom de protection.

Pour continuer et achever la comparaison du Belford’s Magazine, me sera-t-il permis d’ajouter que si la protection est un pot à fleurs, le nom de protection lui sert de cache-pot.

E. MARTINEAU.


La protection du travail national (Le Courrier de La Rochelle, 19 mars 1891).

Comme le philosophe de l’antiquité qui, en réponse à un sophiste niant le mouvement, se mit à marcher devant lui, les protectionnistes peuvent prouver aux plus incrédules, par des faits saisissants, les bienfaisants résultats de leur régime protecteur.

Nous protégeons, nous développons le travail national sous toutes ses formes, peuvent-ils dire, et la preuve, c’est ce qui se passe à Bordeaux et à Marseille.

« Voyez ces usines qui se ferment, ces capitaux gaspillés, ces ouvriers jetés par centaines sur le pavé, réduits avec leurs familles à la mendicité, cela, c’est notre œuvre, œuvre voulue, préméditée ; n’est-ce pas une œuvre de bonne protection du travail national ? »

Le progrès n’est pas un vain mot, il faut le reconnaître, et le néoprotectionnisme, système Méline et Cie, est au protectionnisme d’antan ce que le fusil Lebel est au fusil à piston d’autrefois.

 Jadis, les leaders de la protection, les grands propriétaires et les gros manufacturiers de la Restauration se contentaient d’écarter du marché intérieur leurs concurrents étrangers ; aujourd’hui, nos protecteurs savent se débarrasser, au besoin, des concurrents de l’intérieur qui les gênent.

Les distillateurs de betteraves du Nord, en face des distillateurs d’alcool de grains du midi, ont organisé à leur encontre une protection efficace : ils ont frappé à mort leurs concurrents par la taxe protectrice de 3 fr. sur leur matière première, le maïs.

Ces Northmans, se rappelant, par atavisme sans doute, les exploits de leurs ancêtres, les pirates, les écumeurs de la mer, ont organisé le pillage, sous une forme plus savante, des industriels du Midi, grâce à leur fameuse théorie sur les matières premières étrangères.

Ces matières premières — a dit le protecteur patenté du travail national, M. Méline — dont se servent les fabricants d’alcool de grains du Midi, elles sont d’origine étrangère ; la douce betterave, au contraire, matière première de nos distillateurs du Nord, est une plante nationale, due à notre travail national. Il y a donc, à raison de cette différence d’origine, des motifs suffisants pour protéger nos fabricants d’alcool du Nord.

Et la majorité, docile et crédule, vota la taxe de 3 fr. et le résultat attendu s’est produit : les distillateurs du Midi ont été écrasés.

Mais, admirez la faiblesse de l’intelligence humaine, même chez les plus grands esprits : M. Méline, qui est la logique même, qui ne cesse de reprocher à ses adversaires leur défaut de logique, M. Méline, dis-je, vient de déposer son rapport général sur notre tarif de douanes ; or, dans ce rapport, il conclut à l’entrée en franchise des peaux de laines brutes et des cocons et soies grèges, matières premières non moins étrangères que le maïs.

 Pourquoi cette différence de traitement, et comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé ? C’est, nous dit-il, dans l’intérêt de nos industries d’exportation, de nos grandes industries de la laine et de la soie. Mais quoi ! les alcools de maïs ne sont-ils pas aussi des produits destinés à l’exportation ?

Que répondre à cela et comment expliquer, chez ce puissant logicien, une pareille inconséquence ?

Douce et perfide betterave, voilà de tes coups. Oui, on dit que c’est aux charmes de cette sirène que s’est laissé prendre M. Méline ; elle l’a séduit, cette betterave, la beta vulgaris des naturalistes, et cela étonne et surprend, s’agissant d’un homme assurément distingué.

C’est pour elle qu’il a sacrifié aux faux dieux ; que, pour la première fois de sa vie, il a été infidèle à sa maîtresse jalouse, la logique !

Oh ! vous êtes bien les amis et les pacificateurs du travail national ; vous êtes de ces pacificateurs dont parle Tacite :

Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant.

Vous avez pacifié Bordeaux et Marseille ! En attendant la pacification de La Rochelle.

 E. M. 


Comment ont été établis les bills Mac-Kinley (Le Courrier de La Rochelle, 29 mars 1891).

Si les lecteurs du Courrier de La Rochelle veulent être édifiés sur les motifs réels des fameux bills Mac-Kinley, je leur recommande la lecture de cette traduction d’un article d’une revue des États-Unis, numéro d’octobre dernier.

Les manufacturiers de l’Est et autres bénéficiaires des hauts tarifs ne font aucun mystère de la position exacte prise par le parti républicain au sujet des lois de protection votées après la dernière campagne électorale.

Ils payèrent, de leur argent, les frais de la campagne, puis, l’élection faite et la victoire obtenue, grâce à leurs contributions pécuniaires, ils vinrent réclamer, avec instance, la « livre de chair », prix du marché convenu, à l’instar des marchés de Shylock. Ils obtinrent leur paiement par le bill Mac-Kinley.

Il n’y a aucun doute sur la quantité ou la qualité de leur compensation. Ce qu’on leur a donné, c’est la portion la plus proche du cœur de la nation, celle qui affecte, de la manière la plus vitale, sa prospérité. Ils l’ont réclamée comme le prix stipulé dans le marché, et il ne s’est rencontré personne dans le Congrès dirigé par le speaker Reed pour mettre en doute la légitimité d’une pareille demande.

Ce qui n’est pas moins certain, c’est la nature de l’avantage sur lequel les monopoleurs avantagés par le tarif ont compté à la suite du marché fait, par eux, avec les chefs du parti républicain.

Leur but a été d’obtenir les taxes votées par le Congrès, de manière à saigner le pays à leur fantaisie, et à s’appuyer sur le Sénat pour leur garantir cette exploitation tant que cette majorité pourrait se maintenir — pendant douze années environ — sans s’inquiéter de ce que le pays pourrait penser ou dire, à ce sujet, pendant cette période.

Jamais dans l’histoire on n’a eu d’exemple d’un plan plus audacieux et raffiné de vol organisé au sein d’une nation, et jamais un tel projet n’a porté la signature de plus hautes parties contractantes. On y trouve tous les éléments d’une conspiration contre les droits du peuple.

Mais les poètes nous disent que les plans les mieux conçus « des souris et des hommes » échouent souvent, et les bénéficiaires de cette alliance impie pourront s’apercevoir qu’un corps de politiciens aussi inconstants que notre Sénat est un protecteur très insuffisant contre un mouvement national puissant et universel.

Voilà l’origine du mac-kinleyisme des États-Unis : celle du mac-kinleyisme français, au point de vue moral, peut soutenir le parallèle avantageusement.

C’est ainsi que, lors du vote du droit de 3 fr. sur le maïs, ce n’était un secret pour personne que les betteraves du Nord avaient fait marché avec les viticulteurs du Midi, et l’on sait comment un enfant terrible de la viticulture, M. le député Turrel, de l’Aude, déclara, dans un mouvement d’humeur, que si l’on ne voulait pas soutenir les intérêts de la viticulture, tout était rompu, et il ne voterait pas une taxe sur les maïs qui n’intéressent nullement sa région.

Voilà l’exposé des motifs vrai de ces fameuses taxes sur les maïs : la preuve apparaît suffisamment par les ruines que cette législation vient de causer à Bordeaux et à Marseille.

Quels législateurs ! et quel souci des intérêts généraux du pays !

M. Marc Maurel, le très distingué président de la Société d’économie politique de Bordeaux, a exposé, dans un article des plus intéressants de la Revue économique de Bordeaux, du mois de mars courant, sous ce titre : « Une conspiration contre la fortune du pays et la santé publique, le plan de nos Mac-Kinley français » ; j’en ferai l’analyse dans une prochaine lettre, et on verra que les faux démocrates du parti républicain, en France, ne le cèdent ni en capacité, ni en cynisme, aux leaders du parti républicain des États-Unis.

E. M.


Une conspiration contre la fortune du pays et la santé publique (Le Courrier de La Rochelle, 9 avril 1891).

Tel est le titre du très intéressant travail de M. Marc Maurel dont j’ai parlé dans ma précédente lettre.

M. Maurel, en même temps qu’il est un grand armateur, est également un économiste de premier ordre, en sorte qu’au lieu d’examiner les questions d’affaires par le petit bout de la lorgnette, en se plaçant au point de vue des intérêts de classe, des intérêts immédiats et étroits de chaque branche de la production, il se place au point de vue des intérêts généraux du pays qui se confondent avec ceux du public consommateur.

À ce titre, il signale la coalition immorale des intérêts spéciaux des betteraviers du Nord et des viticulteurs du Midi ; il dénonce ce pacte odieux fait en vue de sacrifier les intérêts généraux du pays à une oligarchie de privilégiés.

« L’enjeu, dit-il, serait d’un milliard, au moins, à prélever sur le peuple français par le mécanisme des tarifs protecteurs.

Comment une majorité de députés, chargés de protéger les intérêts généraux du pays, pourraient-ils ainsi manquer à leur devoir ? Cela s’expliquerait par les habiletés et les intrigues de certains représentants du Nord et du Midi donnant le change à leurs collègues et profitant de leur ignorance pour leur faire voter des lois de pur intérêt privé.

Le pacte aurait pris naissance en 1884, à l’occasion du vote de la loi sur les sucres. Le Nord aurait alors tenu au Midi ce langage : Donnez-moi le monopole du sucre et de l’alcool, je vous donnerai le monopole de la fourniture du vin commun, en prohibant les raisins secs et les vins étrangers. »

La loi sur les sucres de 1884 a mis à la charge du pays, du pauvre Jacques Bonhomme, au profit de quelques millionnaires privilégiés, les taxes suivantes :

Prime aux sucriers, pour sept ans, à 75 millions environ par an : 525 millions ;

Surenchérissement du sucre, 24 millions et demi par an, pour sept ans : 171 millions et demi ;

Droit de 10 fr. sur la consommation sur 350 millions de kg : 35 millions par an, pour sept ans : 245 millions.

 Total : 941 millions et demi.

C’est donc près d’un milliard que coûte, à la France, ce monopole qui profite à peine à quelques centaines de sucriers du Nord.

Quant au Midi, n’a-t-il pas fait un marché de dupe, étant donné le peu de profit à tirer des taxes sur les raisins secs ?

Ajoutez aux primes sur le sucre le monopole de la fabrication de l’alcool pour les betteraviers du Nord, monopole résultant du vote de la taxe de 3 fr. sur les maïs en 1890. La fermeture des distilleries de maïs de Bordeaux et de Marseille prouve que le but n’a pas été manqué, et que le travail NATIONAL a été protégé par les protectionnistes du Parlement par la ruine des distilleries de maïs du Midi.

Que manque-t-il au Nord pour que son triomphe soit complet ? Il lui faut la prohibition des vins étrangers afin d’assurer un débouché à ses alcools irrectifiables de betterave.

Les vins du Midi, généralement faibles en alcool, ont besoin d’être remontés avec une addition d’alcool ; en prohibant les vins d’Espagne, d’Italie, de Hongrie et du Portugal, dont le degré d’alcool est élevé, et qui transformeraient les vins faibles du Midi en vins d’un degré ordinaire, on assurera un débouché aux alcools de betterave.

Vainement on objecte que ces alcools redeviennent toxiques peu de mois après leur rectification, en sorte que leur mélange avec les vins du Midi est de nature à compromettre la santé publique ; qu’importe aux producteurs d’alcools de betterave ! L’essentiel, pour eux, est de trouver un débouché à leurs produits.

 Voilà le marché de dupes auquel se sont laissés entraîner les viticulteurs du Midi ; mais le châtiment est proche, car leurs vins, devenus toxiques, privés de l’alcool complémentaire des bons vins d’Espagne et des autres pays, seront délaissés, en sorte que la hausse espérée par eux sera remplacée par l’avilissement des prix.

Qui voudra boire de ces vins qui engourdissent la tête et irritent les organes digestifs ?

Voilà à quelles conséquences vont aboutir ces imprudents de la majorité parlementaire en votant les tarifs restrictifs.

Telle est en substance cette intéressante brochure.

M. Marc Maurel a raison : c’est une véritable conspiration contre la fortune du pays et la santé publique qu’on est en train d’organiser, au profit du Nord, à la déception du Midi ; si la majorité de nos législateurs n’avait pas de parti pris, elle ferait son profit de l’avertissement, si sage, que renferment les quelques pages de cette courte et substantielle brochure.

Malheureusement, il n’est pas pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre et nous avons bien peur que la majorité actuelle du Parlement ne soit atteinte de cette incurable surdité.

E. M.


Une conspiration contre la fortune du pays et la santé publique (Le Courrier de La Rochelle, 23 avril 1891).

Ma dernière lettre contenant l’analyse de l’excellente brochure de M. Marc Maurel à l’encontre des betteraviers et des sucriers du Nord a provoqué une lettre, en réponse, de la part d’un habitant d’Aigrefeuille, lecteur assidu du Courrier, lettre publiée dans le numéro de jeudi 16 avril dernier. Examinons cette réponse avec l’attention qu’elle mérite.

Et d’abord, nous dit-on, « laissons de côté la question des sucres qui ne nous intéresse en rien. » Voilà bien nos protectionnistes, avec leur perpétuel oubli des intérêts généraux, intérêts qui s’identifient avec ceux du public consommateur !

La question des sucres ne nous intéresse en rien ! Le sucre est donc produit pour les fabricants ? Il n’est pas fait, apparemment, pour être consommé !

Ce correspondant doit être, sans doute, un disciple fervent de Raspail pour professer une telle indifférence à l’endroit du sucre ! En admettant qu’il n’aime pas les mets sucrés et qu’il prenne son café à l’orientale, tout le monde ne partage pas son sentiment à l’endroit du sucre, et il y a bien des gens qui estiment qu’ils auraient plus d’intérêt à acheter le sucre 20 centimes la livre, comme en Angleterre, qu’à le payer 60 centimes, comme nous faisons en France, grâce à la protection.

Le sucre est entré dans la consommation publique, de plus en plus, et les pauvres ouvriers, qui ont des enfants ou leur femme malades, ne considèrent pas comme indifférent de payer le sucre trois fois plus cher qu’en Angleterre.

D’autre part, même au point de vue de la production, l’avantage qu’en retirent les Anglais est que, pour toutes les industries, pâtisseries, confiseries où le sucre est employé comme matière première, la fabrication se fait à bien meilleur marché et leur permet de défier toute concurrence des pays protégés.

Il paraît que le lecteur assidu du Courrier ne se doutait pas de cela ; voilà avec quelle largeur de vues et quelle étendue il apprécie les questions économiques. C’est dire qu’il ne s’occupe que de ses intérêts immédiats et que, sans le reconnaître, nous pouvons être certain que c’est un producteur de betteraves.

À ce titre, il reproche à l’honorable M. Maurel de croire que l’industrie des alcools de betterave ne profite qu’aux producteurs de betterave du Nord, ajoutant que cette industrie peut rendre les plus éminents services aux agriculteurs de tous les pays. Suit l’énumération des distilleries de betterave montées par des cultivateurs dans les deux arrondissements de La Rochelle et de Rochefort.

Donc, conclut le correspondant, « il serait bien regrettable de voir SACRIFIER UNE INDUSTRIE qui sauve nos pays de la ruine et qui seule a empêché l’émigration vers l’Amérique. »

Voilà qui est tout à fait admirable, et je me demande si nous sommes dans la tour de Babel.

Sacrifier l’industrie des alcools de betteraves ! Qui donc a demandé ce sacrifice de la part des amis de la liberté ? Est-ce une ironie de la part de ce correspondant et voudrait-il faire allusion à la fermeture des usines de Bordeaux et de Marseille qui ont été sciemment et volontairement sacrifiées, en effet, par l’établissement de la taxe de 3 fr., aux betteraviers du Nord, à ces descendants des écumeurs de mer et des pirates jaloux de se débarrasser ainsi de leurs concurrents ?

Vous savez, Monsieur, que nous réclamons la liberté pour tous, la place pour tous au soleil ; est-ce là ce que vous appelez le sacrifice de votre branche d’industrie ?

Nous demandons, et je crois que nous nous sommes expliqué assez clairement à ce sujet, que la liberté du travail ne soit pas un vain mot, et qu’il n’y ait, dans ce pays, que des citoyens libres et responsables, À LEURS RISQUES ET PÉRIL, de leurs affaires.

Le Courrier de La Rochelle, c’est son titre d’honneur, est un journal qui défend les droits et les intérêts de la démocratie et de la République.

Or, que le correspondant d’Aigrefeuille le sache bien, le système de la soi-disant protection est un retour à l’Ancien régime, retour demandé par le marquis de Dampierre et autres grands seigneurs de l’aristocratie qui dirigent la Société des agriculteurs de France.

C’est un rétablissement de la dîme, un système de spoliation et de pillage organisé qui ne peut profiter qu’aux grands, aux très grands propriétaires, et qui ne peut qu’appauvrir et ruiner en appauvrissant et ruinant leur clientèle : les fermiers, les petits propriétaires-cultivateurs et les laboureurs de nos campagnes.

E. M.


Un discours du président Harrisson (Le Courrier de La Rochelle, 30 avril 1891).

Le Président des États-Unis Harrisson, parlant dans une réunion publique dimanche dernier, 19 avril, à Galveston, s’est exprimé ainsi :

« Nous sommes assez grands, assez riches, pour pouvoir aller plus loin que nos hommes d’État d’autrefois dans la conception de nos droits et de nos espérances.

Si vous êtes contents de voir les nations de l’Europe absorber presque entièrement le commerce de l’Amérique du Sud, moi je ne le suis pas, car ce commerce nous revient naturellement à cause de notre voisinage et de la sympathie qui unit toutes les nations de notre hémisphère où il n’y a pas de rois. »

M. Harrisson a ajouté que le traité de commerce avec le Brésil serait suivi, probablement, de la conclusion de traités semblables avec les États de l’Amérique centrale et les autres États de l’Amérique du Sud.

Ce discours est significatif ; il indique, chez le président Harrisson, l’intention de rentrer en grâce auprès de l’opinion publique après l’échec des protectionnistes aux élections du Congrès d’octobre dernier.

Le secrétaire d’État Blaine, moins aveuglé que ses amis sur l’état de l’opinion aux États-Unis, à la suite du vote des bills Mac-Kinley, prévoyait la défaite de son parti aux élections et il avait audacieusement critiqué les bills, pour y échapper, soutenant que c’était uniquement pour satisfaire un syndicat de gros manufacturiers que le major Mac-Kinley avait fait voter son système de prohibitions douanières, et qu’il importait de se placer sur le terrain de la réciprocité vis-à-vis des nations étrangères, notamment des peuples des divers États de l’Amérique.

C’est cette politique que le président Harrisson, qui l’avait tout d’abord répudiée, a fini par adopter, et nous en trouvons la preuve manifeste dans son discours de dimanche dernier.

On le voit, c’est toujours l’ancien projet de séparer les intérêts des Amériques de ceux des peuples européens, en reprenant la fameuse doctrine du président Monroe, projet inventé par le secrétaire d’État Blaine, qui est repris, après avoir échoué une première fois, par le gouvernement protectionniste des États-Unis.

Tout d’abord, on s’était bercé de cette chimère, de la part de ces hommes de proie, d’amener les autres États de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud à accepter, volontairement, le monopole des produits des États-Unis, en renonçant à acheter les produits manufacturés ou autres des États européens.

À cet effet, un congrès avait été réuni à Washington, au mois de novembre dernier, et les représentants des États américains avaient été promenés, en chemin de fer, dans toutes les parties de l’immense territoire des États-Unis pour en admirer les richesses.

Mais les représentants les plus éclairés des puissances américaines, notamment du Brésil, avaient protesté contre cette audacieuse et cynique proposition, et l’un d’eux jeta à la face du secrétaire d’État Blaine cette foudroyante apostrophe :

Ah ! ça, est-ce que vous nous prenez pour des imbéciles ?

Comment expliquer, en effet, ce monstrueux projet, qui n’eût pas été autre chose que l’établissement d’un système colonial — SANS COUP FÉRIR — consistant à amener des nations à accepter spontanément de se fournir, exclusivement, des produits d’un peuple, en renonçant à s’approvisionner sur les autres marchés ?

 De là l’échec de ce singulier Zollverein américain ; cette chimère évanouie, nos protectionnistes des États-Unis, avec la souplesse qui les caractérise, viennent de se retourner et de reprendre, sous une autre forme, sous la forme des traités de réciprocité, le projet d’union douanière des Amériques.

Un premier traité de commerce a été conclu avec le Brésil, il a été mis en vigueur au premier avril dernier, et le président Harrisson a signalé les projets en préparation : de nouveaux traités avec les autres États américains, dans le but, non dissimulé, de chasser les produits européens du marché des Amériques, notamment de l’Amérique du Sud.

Voilà l’Europe avertie, la France en particulier ; malheur à nous, à notre commerce, si, subissant le joug de nos protectionnistes, nous laissons établir ces tarifs soi-disant protecteurs qui vont être des tarifs d’isolement, une muraille de Chine véritable.

Pendant que nos représentants aveuglés renoncent au régime des traités de commerce, le gouvernement des États-Unis s’empresse d’adopter ce régime et, d’autre part, les peuples de l’Europe centrale, Autriche-Hongrie, Allemagne, Suisse, Belgique, auxquels s’adjoignent l’Espagne et le Portugal, ainsi que la Hollande, vont établir une Union douanière pour répondre à nos projets restrictifs.

Rejetés du marché des Amériques et du marché de l’Europe, que nous restera-t-il ? et que faut-il penser des hommes d’État qui préparent à notre marine et à nos ports de commerce, en même temps qu’à toutes nos industries d’exportation, un pareil avenir ?

 E. M.


 Droits compensateurs (Le Courrier de La Rochelle, 10 mai 1891).

La discussion générale sur le projet de tarif des douanes vient de s’ouvrir à la Chambre des députés, et c’est un député du Loiret, M. Viger, qui a pris la parole, le premier, au nom des protectionnistes, pour répondre au beau discours de l’honorable M. Lockroy.

 Dans un exposé magistral, l’éminent député de Paris a fait l’historique du mouvement protectionniste actuel : il a montré les adversaires de la République, la droite royaliste en tête, exploitant les souffrances que la crise du phylloxéra et deux ou trois années consécutives de mauvaises récoltes avaient occasionné dans le pays pour faire la réaction économique et se faire un tremplin de cette question à l’effet de conquérir la majorité au Parlement.

C’est M. Estancelin, l’un des membres de la droite royaliste qui, de concert avec son compatriote et allié royaliste, le normand Pouyer-Quertier, a mené la campagne, et la Société des prétendus agriculteurs de France, dont la plupart sont de grands propriétaires qui, en fait d’agriculture, ne connaissent que les rentes que paient leurs fermiers, ont aidé, à l’aide de distribution d’écrits, de brochures de toute sorte, et surtout par la formation de syndicats agricoles, au développement du mouvement qui rappelle le beau temps de la Restauration.

À cela, M. Viger, qui est un habile homme, comme tous les protectionnistes de marque, s’est bien gardé, et pour cause, de faire la moindre réponse ; il a imité de Conrart le silence prudent et, respectant cette page d’histoire, s’est empressé de la tourner.

M. Viger, d’ailleurs, n’a pas ce qu’il appelle le fétichisme des principes ; chose merveilleuse, il n’est ni pour la liberté, ni pour la restriction : « Je ne suis ni libre-échangiste, ni protectionniste, nous dit-il, je suis nationaliste. »

Le nationalisme : voilà une nouvelle formule en isme qui vient s’ajouter au vocabulaire du protectionnisme, et qui rime avec compensationnisme.

Car le nationalisme de M. Viger, c’est le système des droits compensateurs : « L’agriculture et l’industrie, dit-il, ont besoin de droits équitablement compensateurs : ils leur sont nécessaires pour vivre en travaillant. »

Fort bien, mais qu’est-ce que cette compensation ?

C’est, nous dit-on, l’équilibre entre les prix de revient de la production agricole et industrielle dans notre pays et les prix de revient des pays étrangers, tels les États-Unis et l’Inde, qui sont beaucoup moins élevés que les nôtres. Si nous équilibrons les charges, nous permettrons ainsi à nos producteurs agricoles et industriels de lutter avec leurs concurrents à armes égales.

Voilà l’argument, je ne l’ai pas affaibli, je l’ai reproduit tel que nos adversaires le formulent.

 Examinons sa valeur : grâce à cette compensation, nous dit-on, l’étranger paiera le droit protecteur, et nous aurons la satisfaction de faire supporter aux étrangers une part de nos impôts.

L’étranger paiera le droit : ça, est-ce qu’on veut se moquer de nous ?

C’est M. Viger qui ose parler ainsi, M. Viger le rapporteur de la loi sur les maïs qui, dans la séance du 2 juin 1890, disait à la Chambre : « On prétend que la protection ne sert à rien ; voyez-en les effets ; depuis les droits sur les alcools IL N’EN ENTRE PLUS, OU, DU MOINS, IL N’ENTRE QU’UNE QUANTITÉ INFINITÉSIMALE. »

Voilà un tarif qui est fait POUR EMPÊCHER D’ENTRER : il empêche d’entrer presque tout, puisqu’il n’entre qu’une quantité infinitésimale, et c’est l’étranger, chassé du marché, qui porte la charge des droits protecteurs !!!

Est-ce qu’on nous prend pour des imbéciles ? Comme disait naguère le représentant du Brésil au secrétaire d’État des États-Unis, Blaine : vous savez bien que c’est pour vos protégés, vos favoris, que vous établissez vos droits protecteurs ; vous chassez, par exemple, les blés étrangers, pour amener la disette de l’offre et produire ainsi la hausse des prix.

Ce n’est donc pas à la frontière qu’il faut regarder, puisque vous la fermez complètement ou ne laissez entrer, comme vous dites, QU’UNE QUANTITÉ INFINITÉSIMALE. Ce n’est pas à la frontière, dis-je, qu’il faut regarder, mais sur le marché où se vendent les produits protégés.

Là, quand le public consommateur achète 25 francs au lieu de 20 fr., prix des marchés libres, le sac de blé protégé, ces cinq francs de renchérissement sont apparemment à la charge de l’acheteur, du consommateur.

Eh bien, cet acheteur, ce consommateur, c’est un Français comme vous, qui paie comme vous de lourds impôts, qui est un agriculteur peut-être, mais qui ne vend pas de blé, parce qu’il produit autre chose, et qui supporte les frais de cette prétendue compensation.

Quant à cette quantité infinitésimale qui passe par-dessus la barrière protectrice, certes, elle paie le droit à l’entrée et le produit du droit profite au Trésor public, mais n’est-il pas clair comme le jour que l’importateur étranger ne fait que l’avance du droit, et s’en fait rembourser par l’acheteur, par le consommateur français ?

On sait bien ce qui se passe à l’octroi des villes, et que ce n’est pas l’introducteur du produit qui supporte définitivement le droit d’entrée, qu’il le met, comme cela est juste d’ailleurs, à la charge de l’acheteur sous forme de supplément de prix.

C’est exactement ce qui se passe à la douane, puisque, pour les produits qui entrent, la douane est un octroi national.

Voilà comment c’est l’étranger qui supporte les charges de cette compensation.

Finalement, qu’est-ce que votre compensation ? Un système par lequel vos protégés, vos favoris, sous prétexte qu’ils sont accablés d’impôts, se déchargent desdits impôts sur la masse du public français qui paie également des impôts, en sorte que, grâce à cette combinaison ingénieuse, Jacques Bonhomme, le bon peuple, paie tout à la fois ses impôts … et les vôtres.

Voilà la justice de MM. Viger et Méline : voilà ce qu’ils appellent une répartition ÉQUITABLE des charges publiques et une protection raisonnable du travail national !!!

 E. M.


Effets de la protection (Le Courrier de La Rochelle, 14 juin 1891).

S’il y a encore des naïfs pour s’imaginer que ce sont les étrangers qui paient les frais des taxes protectrices, il faut avouer qu’ils ont l’illusion tenace et que ce sont des aveugles volontaires, fermant les yeux à tout ce qui se passe à la Chambre des députés.

Par exemple, pour les viandes abattues, on connaît l’amendement de M. de Villebois-Mareuil, amendement voté par la majorité de la Chambre.

Au cours de la discussion, le ministre de l’agriculture, M. Develle, ayant déclaré que le vote dudit amendement — exigeant que les viandes fraîches de mouton importées soient découpées par quartiers, avec la fressure adhérente — équivalait à une prohibition complète, la majorité, d’accord avec la Commission des douanes, n’en a pas moins adopté la proposition, sur cette observation, évidemment décisive, que les fermiers français doubleront ou tripleront leur élevage de moutons pour faire face à la consommation.

Ainsi, voilà qui est clair : ces messieurs, les grands propriétaires et industriels, n’ont qu’une pensée dominante, tout à fait dominante, c’est d’exclure du marché français les produits agricoles ou industriels du dehors, pour ne pas payer tribut à l’étranger, selon la formule consacrée ; ils entendent que la France se suffise à elle-même, et ils nous le font suffisamment voir par le vote de l’amendement Villebois-Mareuil.

Donc, nous voilà voués au mouton national, c’est entendu ; mais alors, pourquoi nous dit-on, de la part de ces messieurs de la majorité protectionniste, que c’est l’étranger qui doit payer les frais de la protection ?

En vérité, on se moque de nous assez impudemment, et ces Messieurs ont besoin que nous leur adressions, de temps en temps, la même observation que faisait, naguère, le délégué du Brésil au protectionniste Blaine, le Secrétaire d’État des États-Unis :

« Vous nous prenez sans doute pour des imbéciles ! »

Comment ! vous barrez l’entrée du marché aux produits étrangers, grâce à vos tarifs protecteurs, et vous avez le front de nous dire, ensuite, que c’est l’étranger qui paiera les frais de la protection ?

Vous avouez que c’est contre la concurrence étrangère que sont dirigés vos tarifs protecteurs, parce que cette concurrence fait tort à la vente des produits similaires nationaux en abaissant les prix de vente par suite de l’abondance des produits sur le marché, et vous attirez sans cesse notre attention vers la frontière pour nous empêcher de voir le renchérissement voulu et cherché sur le marché où se vendent les produits favorisés, aux dépens de la masse du public consommateur français ?

Si vous n’êtes pas des charlatans, quels hommes êtes-vous donc et que faut-il penser de cette déclaration de votre leader, M. Méline, affirmant, dans son discours du 12 mai dernier, que le but et le résultat de la protection est d’abaisser constamment la valeur des produits, loin d’amener le renchérissement !! 

Voilà ce qu’ose affirmer cet étonnant rapporteur général, le même qui a écrit, dans le livre de la Révolution économique, que l’impôt protecteur a été établi pour le producteur national, et qui, dans ce même discours du 12 mai, ajoute « qu’il n’est pas partisan de droits trop élevés parce qu’ils ne peuvent que surexciter la production et créer, souvent, un état de choses qui ne vaut pas mieux que celui qui résulte de l’insuffisance des tarifs. » 

Cette escobarderie, traduite en français clair et précis, signifie ceci : quand la prohibition est complète, la production intérieure est tellement surexcitée que l’abondance se refait sous l’influence de la concurrence intérieure, en sorte qu’elle annihile l’effet des tarifs de protection.

Pour que le producteur soit protégé, il faut qu’il vende plus cher que sous le régime de la concurrence ; il est donc important de ne pas surexciter trop la concurrence à l’intérieur afin que la cherté des prix, qui ne peut provenir que de la diminution de la quantité des produits, se maintienne au profit des protégés.

Voilà la déclaration formelle de M. Méline, dont il nous autorise à prendre acte ; eh bien, nous en prenons acte, et nous lui rejetons sa déclaration pour l’en écraser, pour lui crier qu’il n’est qu’un sophiste qui ne prend même pas la précaution de dissimuler ses contradictions, puisque c’est dans le même discours qu’il soutient à la fois cette monstrueuse duplicité : d’une part, le but de la protection est d’abaisser constamment le prix des produits ; d’autre part, il faut prendre garde de ne pas mettre des droits trop élevés, pour maintenir la cherté artificielle du prix et les empêcher de s’abaisser au taux des prix naturels de la libre concurrence !!

Ah ! ce n’est pas sans un sentiment d’humiliation profonde que nous relevons ces contradictions ; nous plaignons notre pays d’être sous le joug d’un tel sophiste, et nous nous demandons si ce n’est pas la décadence intellectuelle, en même temps que la décadence et la diminution de notre richesse matérielle, qui nous menace.

Prenons-y garde, nous qu’on appelle les Athéniens modernes ; prenons-garde, si nous écoutons ces sophistes, prenons-garde de devenir des Béotiens ! 

 E. M.


La protection, c’est la disette organisée (Le Courrier de La Rochelle, 21 juin 1891).

Quand les protectionnistes se querellent entre eux, les amis de la liberté n’ont qu’à les laisser faire, ils se chargeront bien, à eux seuls, de démolir leur cher système.

Ces jours derniers, par exemple, il s’est élevé querelle entre ces Messieurs de la Chambre des députés ; il s’agissait des cocons et des soies grèges, et les représentants des sériciculteurs et des filateurs se plaignaient amèrement d’avoir été oubliés, par la Commission des douanes, dans la distribution des faveurs et bénéfices de la protection.

Donnez-nous, disaient-ils, notre part de pillage ; pourquoi tout aux uns et rien aux autres ? Puisque vous êtes en train de protéger les producteurs, pourquoi nous refusez-vous notre part et portion ?

C’était assez naturel, n’est-ce pas, cette requête, et, puisqu’on parle sans cesse d’égalité dans la protection, les filateurs de soie et sériciculteurs avaient qualité pour se plaindre.

Les orateurs qui ont porté la parole en leur nom à la Chambre, MM. Fougeirol et Jamais, tout protectionnistes qu’ils sont, ont été bien durs pour leur système ; ce sont des enfants terribles qui ont porté à la doctrine protectionniste de ces coups dont on ne se relève pas.

Écoutez, par exemple, le langage de M. Jamais : « On objecte que la France ne produit pas une quantité suffisante de cocons et soies grèges, pour les besoins de notre consommation. Je répondrais que si, pour tous les produits que nous ne produisons pas en quantité suffisante pour les besoins de notre consommation. »

Ici nous trouvons à l’Officiel une interruption du rapporteur, M. Jonnart, et l’orateur n’a pas achevé sa phrase ; mais il est facile d’en dégager le sens et la portée, notamment en citant cet autre passage :

 « Nous ne produisons pas assez de laine et, cependant, vous avez frappé la laine peignée ; nous ne produisons pas assez de lin pour notre consommation et, cependant, on frappe le lin ; de même pour le chanvre et les filés de coton et de jute. »

M. Jamais a ajouté : « Je ne veux pas insister davantage sur ce point » ; était-ce prudence de sa part ? assurément, et M. Jamais protectionniste s’est souvenu sans doute à ce moment du mot fameux :

« Glissez, mortels, n’appuyez pas ». 

En effet, s’il avait insisté, il aurait pu compléter l’énumération en disant : nous ne produisons pas assez de blé pour notre consommation, et vous avez taxé le blé ; de même pour la viande, et vous taxez la viande ; de même pour le vin, et vous allez taxer le vin ; et, son énumération achevée, M. Jamais aurait terminé sa phrase interrompue en disant :

« Si, pour tous les produits que nous ne produisons pas en quantité suffisante pour les besoins de notre consommation, on devait ne pas établir de droits protecteurs, on n’en établirait aucun. »

Quel aveu ! quelle écrasante et cruelle déclaration ! si nous n’étions pas un peuple léger et frivole comme nous sommes, une telle parole suffirait pour nous guérir à jamais de ce fléau de la protection.

Le but de la protection, en effet, M. Jamais le protectionniste, M. Jamais va nous le faire connaître : « Le but de la protection est de protéger la production française en empêchant les cours de s’abaisser sous le poids de la concurrence étrangère. »

Or, comment la concurrence étrangère abaisse-t-elle les cours ? Parce qu’elle amène sur le marché national l’abondance et que l’abondance amène à sa suite le bon marché.

L’abondance, voilà l’ennemi pour les protectionnistes, et le tarif protecteur est la barrière qui repousse le flot des produits envahisseurs.

Donc, c’est ce que nous avons toujours dit, nous autres libre-échangistes, la protection, c’est la disette organisée ; dans un pays protégé, il y a moins de blé, de pain, de viande, de vin, de soie, de coton, de fer, de houille, etc., que dans un pays libre.

Nous ne produisons pas assez pour les besoins de notre consommation, et c’est précisément dans ce cas que la protection intervient dans le but de renchérir le prix des produits protégés en les raréfiant sur le marché.

Quel aveu, dans la bouche d’un protectionniste, et quel aveuglement aussi de la part d’un député aussi intelligent que l’honorable député du Gard !

Comment, M. Jamais, vous déclarez — et c’est la vérité — que nous ne produisons pas assez de lin, chanvre, fils de coton et de jute, etc., pour les besoins de notre consommation ; vous ajoutez, et c’est encore vrai, que la protection a pour but d’empêcher les cours de s’abaisser sous l’influence de la concurrence étrangère : vous ne pouvez pas ne pas reconnaître que l’action de la concurrence étrangère consiste à abaisser les cours, par suite de l’abondance qu’elle amène sur le marché, et vous vous déclarez partisan d’un tel système de disette organisée ?

Vous avez donc bien peur de l’abondance ?

Vous êtes donc bien aveugle que vous ne voyez pas que la richesse d’un peuple consiste essentiellement dans l’abondance des produits de toute sorte !

Comment pouvez-vous croire à l’efficacité d’un régime sous lequel, de votre propre aveu, il y a en France moins de blé, de pain, de viande, de vin, de fer, de houille, de tissus de lin, laine, coton, etc. que sous le régime de la liberté ?

Lecteurs, retenez cet aveu de nos protectionnistes : « La protection, c’est la disette organisée. »

 E. M.


La logique de M. Méline (Le Courrier de La Rochelle, 16 juillet 1891).

Je n’ai pas besoin d’insister pour faire comprendre aux lecteurs du Courrier de La Rochelle, en général, et à ceux qui habitent La Rochelle, en particulier, l’intérêt qu’ils ont à suivre attentivement la discussion qui a lieu, en ce moment, à la Chambre sur le tarif des douanes.

Ce sont les intérêts du pays tout entier qui sont en jeu dans ce grand débat et, si tout le monde est intéressé à la liberté du commerce, les Rochelais, qui ont les yeux tournés vers leur port de La Pallice, ont un intérêt de premier ordre à ce que les produits de toutes les nations puissent avoir un libre accès dans les ports français.

Il importe donc qu’ils se rendent bien compte des arguments mis en avant par les protectionnistes, leurs pires ennemis, afin de les combattre et de les réduire à néant.

Heureusement, ces sophistes se chargent de se réfuter, et leurs contradictions nous dispensent de les combattre, ils se combattent eux-mêmes et détruisent, de leurs propres mains, leur système.

Écoutez, par exemple, leur leader incontestable, le rapporteur général de la Commission des douanes, M. Méline lui-même.

Dans son discours du 11 mai dernier, en réponse à M. Léon Say, il disait que la liberté du commerce aboutirait à la ruine du pays en tarissant toutes les sources de la production nationale ; le travail national, d’après lui, ne peut atteindre son maximum de développement que sous le régime protecteur, parce que la concurrence étrangère est l’ennemi qui amène le chômage et l’appauvrissement du pays.

Voilà ce que disait M. Méline il y a deux mois à peine, et voici maintenant les paroles qu’il a prononcées dans la séance du 2 juillet dernier :

« Nos adversaires, les libres-échangistes, redoutent le débordement du protectionnisme dans le pays ; dans la Commission des douanes, nous cherchons à le canaliser ; si vous voulez l’arrêter, vous ne ferez que le rendre plus puissant et vous l’aurez voulu.

 COMME JE NE LE VEUX PAS PLUS QUE VOUS, COMME JE LE VEUX MÊME MOINS QUE VOUS, je vous conjure de donner à toutes les branches de la production nationale la protection équitable qu’elles méritent ». 

Je m’expliquerai, prochainement, sur cette prétendue protection accordée à toutes les branches de la production nationale ; ce qui est tout à fait extraordinaire, c’est d’entendre un orateur qui nous vantait tant, naguère, les bienfaits de son système protectionniste, venir nous parler, maintenant, de son désir de mettre un frein au débordement du protectionnisme !!

Si vous y comprenez quelque chose, j’avoue franchement que, pour ma part, je n’y comprends absolument rien ; le dieu du protectionnisme est un sphinx dont les paroles sont autant d’énigmes, et si ses fidèles, pour lesquels il n’a pas de secret, connaissent le sens de ces paroles contradictoires, nous les prions, humblement, de venir à notre aide et de nous traduire, en une langue intelligible, les paroles de l’oracle de la restriction et du pillage organisé.

E. M.


La décadence de notre commerce extérieur (Le Courrier de La Rochelle, 22 novembre 1891).

Le Petit Journal a publié dimanche dernier, sous la signature de Thomas Grimm, un article sur la situation de notre commerce extérieur, et sur la nécessité de le développer le plus possible.

« Nos exportateurs, nous dit-on, ont à lutter contre une concurrence acharnée des Anglais, Belges, Allemands ou Suisses, lesquels, appuyés fortement par leurs consuls, arrivent à nous ravir constamment des marchés où, il y a quinze ans, personne n’aurait songé à donner ses commandes autre part qu’en France. »

Et Thomas Grimm s’empresse d’accuser notre personnel consulaire, lui reprochant d’avoir causé ainsi un mal très grand à notre commerce extérieur.

« Il faut espérer, dit-il, que la réforme du recrutement de nos consuls, qui est à l’étude, remédiera au mal. » 

Mais, avant de se plaindre de l’incapacité de notre personnel consulaire, Thomas Grimm, le protectionniste Thomas Grimm ne ferait pas mal de faire son examen de conscience, et de se demander s’il ne porte pas, à cet égard, une lourde responsabilité, lui qui a mené, dans le Petit Journal, une campagne si ardente en faveur du protectionnisme qui n’aboutit à rien moins qu’à l’isolement des peuples et à l’anéantissement de tout commerce international.

Thomas Grimm nous dit aujourd’hui : « S’il peut être utile d’encourager, par des mesures de protection, la production nationale, il est indispensable, maintenant, de pousser à notre expansion commerciale hors de France et de favoriser, par tous les moyens possibles, la vente aux étrangers de nos produits agricoles et industriels. »

On croirait rêver en entendant débiter de telles absurdités ; avant de taxer nos consuls d’incapacité, c’est à lui-même et à ses alliés, les protectionnistes du Parlement, que Grimm devrait adresser un pareil reproche.

Vous voulez des débouchés, dites-vous ; vous voulez arriver à vendre, au-dehors, les produits français.

Mais, s’il est bon, pour la France, d’organiser des taxes de protection et de repousser la concurrence des produits étrangers, de quel front osez-vous proposer, aux autres peuples, d’accueillir la libre concurrence des produits français ?

Prenez-vous donc les autres pour des imbéciles ?

Vous leur donnez l’exemple de la fermeture des frontières ; vous dites, tous les jours, dans vos journaux, qu’un peuple se ruine en laissant entrer les produits du dehors, en payant tribut à l’étranger, et vous voulez que les autres peuples ouvrent leurs marchés aux produits français, à ces produits dont l’invasion va leur faire payer des tributs ruineux ?

Protection et débouchés : je me demande quel est l’état d’esprit de ces théoriciens de la protection, et quel vent de folie a soufflé sur eux !

La protection : mais elle ferme, par un double motif, les marchés étrangers.

D’abord, elle provoque des représailles : Thomas Grimm ignore-t-il donc que l’Espagne, menacée de voir le marché de la France fermé à l’exportation de ses vins, a établi, au mois de janvier dernier, des tarifs de prohibition à l’encontre de nos produits agricoles ; que la Belgique, la Suède, la Roumanie, ont doublé ou triplé leurs taxes de douane sur nos vins et eaux-de-vie ; que d’autres pays attendent, pour chasser à leur tour nos produits, le vote définitif, par le Sénat, des tarifs protecteurs votés déjà par la Chambre des députés ?

Mais ce n’est pas tout : indépendamment de cette guerre de tarifs, même sur les marchés qui nous resteront ouverts, notre exportation diminuera de plus en plus, par suite de l’impossibilité de lutter avec les concurrents étrangers.

Thomas Grimm devrait bien comprendre cela, lui qui constate, avec amertume, la décadence croissante de notre commerce extérieur depuis plusieurs années.

Depuis 1883 , nous avons orienté notre politique économique du côté de la protection ; or, protection, c’est renchérissement : nous avons systématiquement renchéri la plupart des matières premières et des objets d’alimentation.

La conséquence forcée est la cherté des prix de vente, en sorte qu’à l’étranger nos concurrents des pays libres, payant moins cher leurs matières premières, ont pu naturellement vendre à meilleur marché et nous enlever ainsi, peu à peu, nos commandes et notre clientèle.

Voilà les beaux résultats de la politique protectionniste : la protection, sur les marchés étrangers, c’est une prime accordée à la concurrence étrangère aux dépens de nos nationaux.

Voilà l’œuvre de ces hommes néfastes qui, depuis plusieurs années, poussés par des motifs égoïstes, ou par une ignorance sans exemple des données les plus élémentaires de l’économie politique, appauvrissent ce pays et le poussent à sa ruine en lui fermant, de plus en plus, les marchés étrangers, en même temps qu’ils appauvrissent et ruinent la puissance de consommation à l’intérieur.

Il est grand temps que les ports de commerce, intéressés au premier chef dans la question, se réveillent de leur engourdissement inexplicable et, pour prévenir une ruine infaillible, organisent enfin, contre cette coalition qui veut exploiter le pays au profit d’une oligarchie, la coalition des intérêts généraux du pays.

E. M.


À propos du discours de M. Challemel-Lacour (Le Courrier de La Rochelle, 10 décembre 1891).

M. Abel Peyrouton, de l’Estafette, n’est pas content de M. Challemel-Lacour : l’éminent orateur a eu le tort grave de défendre, au Sénat, la liberté du commerce ; aussi, l’écrivain protectionniste lui dit nettement son fait.

« D’abord, n’était-ce pas une ironie étrange de voir ce républicain défendre, après vingt ans de République, l’œuvre économique de l’Empire ? »

Passons sur ce grief ridicule.

 « Mais, en vérité, M. Challemel-Lacour parlait plus en théoricien, en philosophe qu’en politique tenant compte des faits et en déduisant les conséquences rigoureuses. »

 Voilà qui, certes est un crime impardonnable : « parler en théoricien, en philosophe », quelle aberration.

 Il paraît que lorsque M. Peyrouton parle, il ne fait pas de théorie : loin de la théorie et de la philosophie.

Mais la philosophie, c’est la sagesse, et si les politiciens doivent se garder de la sagesse et de la raison, alors il n’est pas surprenant qu’un vent de folie souffle si souvent sur le monde parlementaire.

Les politiciens doivent être singulièrement flattés du rôle que veut leur faire jouer M. Peyrouton.

« Les esprits les plus nobles ont la vision de Tarente mais, hélas ! elle est dans les nuages inaccessibles et nous sommes dans la misère des réalités terrestres. »

Si nous essayons, à travers cette pompe et ces boursouflures de langage, de dégager la pensée, la théorie de l’écrivain protectionniste, il veut dire, sans doute, que la liberté du commerce est un bien auquel il ne faut pas songer, quelque précieux qu’il puisse être, à raison des nécessités de la situation actuelle.

Quelles sont ces nécessités ? « C’est que les traités de 1860 sont devenus, pour la France, une duperie ruineuse. Aux États-Unis, en Norvège, en Russie, en Espagne, en Allemagne, en Suisse, les gouvernants dressent contre les produits étrangers les barrières de la protection. »

Voilà, d’après M. Peyrouton, répétant les paroles de M. le rapporteur général Dauphin, les raisons pour lesquelles la France doit se hérisser de barrières à son tour.

Vraiment, ces messieurs ont une étrange façon d’observer et de raconter ce qui se passe dans le monde économique.

Quoi ! vous répudiez le régime des traités à cause de l’attitude des nations étrangères ?

Mais les États-Unis viennent de conclure un traité avec le Brésil et avec l’Espagne ; en Russie, notre alliée politique, la presse est unanime à demander un traité de commerce avec la France ; en Espagne, on s’effraie de l’attitude ultra protectionniste de la majorité du Parlement français, et on serait très désireux d’une entente commerciale ; l’Allemagne vient de signer des traités de commerce avec l’Autriche et avec l’Italie ; la Belgique et la Hollande sont, comme l’Angleterre, acquises à la politique du libre-échange.

Voilà cette attitude des nations étrangères que nos excellents protectionnistes dénoncent comme irréductible.

Voilà pourquoi, clame M. Dauphin et, après lui, M. Peyrouton, il faut en finir avec les traités de commerce.

« Quant à l’Angleterre, on sait que son libre-échange n’est qu’une arme de guerre contre la France. »

Qui sait cela ? Les Loriquet de la protection qui ont inventé, de toutes pièces, une légende misérable, falsifiant l’histoire pour tromper l’opinion en France sur les motifs véritables de la révolution qui a substitué, en Angleterre, le régime du libre échange à celui de la protection.

Le libre-échange a été une conquête de la démocratie anglaise sur l’aristocratie des landlords qui, grands propriétaires terriens, affamaient le peuple pour exploiter la famine à leur profit.

C’est Cobden, fils d’un fermier, qui a dirigé ce grand mouvement, et Robert Peel, le grand ministre qui accomplit la réforme, la caractérisait éloquemment en disant :

« Désormais les ouvriers auront de la viande et du pain sans payer de taxes, pain d’autant meilleur qu’il ne s’y mêlera plus, comme un levain amer, le ressentiment contre une injustice. »

Tels sont les vrais motifs de cette célèbre révolution économique, et nous nous sentons humiliés en songeant que le rapporteur général de la Commission des douanes du Sénat fait montre d’une ignorance si complète d’un fait d’histoire presque contemporaine puisqu’il date de 1846.

En fait de duperie, MM. Dauphin et Peyrouton sont des dupes, sinon des complices, de la légende misérable d’après laquelle le libre-échange, en Angleterre, serait une arme de guerre contre la France.

« Il faut encourager notre industrie, dit-on. » — Mais quels sont vos procédés d’encouragement ?

Est-ce que les tarifs de douane ont la puissance magique d’augmenter la somme des capitaux existants en France ?

Font-ils autre chose que déplacer artificiellement les capitaux et le travail ?

N’est-il pas vrai que les droits protecteurs créent, entre les citoyens français, des relations de serf à seigneur, parce que la protection consiste à augmenter les profits de certains producteurs aux dépens de la masse des consommateurs ?

« La concurrence étrangère va écraser notre marché. » — Mais en quoi les importations des produits étrangers peuvent-elles nuire au travail national ?

Est-ce que les producteurs étrangers nous donnent leurs produits pour rien, et ne faut-il pas les payer avec des produits équivalents du travail national ?

 En outre, en renchérissant, par les tarifs, les matières premières, l’outillage et les objets d’alimentation, la protection gaspille les capitaux d’une nation et réduit le nombre des entreprises de toute sorte et, par suite, le salaire des ouvriers.

Voilà l’effet d’un régime inventé au profit d’une oligarchie, aux dépens de la masse du public.

Les déclamations, les assertions sans preuve de M. Abel Peyrouton ne prévaudront pas contre ces faits que nous le mettons au défi de contester sérieusement.

« C’est au dur contact des hommes et des choses que la vérité s’apprend », dit M. Peyrouton.

Soit, mais c’est assez apparemment des misères que la nature inflige aux hommes sans que les législateurs augmentent artificiellement la somme de ces maux en se faisant dupes ou complices d’une oligarchie qui se propose pour but l’exploitation de la masse du public.

M. Méline a bien exposé la nature de la protection lorsqu’il disait : « Si vous protégez l’un, vous atteignez forcément les autres, c’est inévitable. » 

M. Peyrouton devrait bien nous expliquer comment un pareil système de spoliation peut sauver, comme il le prétend, le travail national et la République.

E. M.

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