Oeuvres de Turgot – 043 (III) – Éclaircissements sur la versification allemande

III. — Éclaircissements sur la versification allemande et sur la nature de la prose mesurée dans laquelle sont écrits les ouvrages poétiques de M. Gessner.

[A. L., minute. — D. P., IX, 185, avec quelques changements sans importance.]

(Du mécanisme de la versification allemande. — De la prose mesurée ou vers métriques.)

Ce que j’ai dit, dans l’Avertissement qui précède la traduction de la Mort d’Abel de la prose mesurée employée par M. Gessner a piqué la curiosité de quelques amateurs de la poésie et de la littérature étrangères. C’est pour satisfaire cette curiosité que je vais tâcher de donner une notion précise de ce genre d’écrire, dont, ni la langue française, ni aucune autre langue moderne que je sache, ne fournissent de modèle. Mais auparavant, j’essaierai d’expliquer en quoi consiste le mécanisme de la versification allemande dont la connaissance rendra ce que j’ai à dire de la prose mesurée beaucoup plus facile à comprendre.

Je ne pourrai me dispenser de citer pour exemples plusieurs textes allemands soit de vers, soit de prose mesurée ; les lecteurs français ne doivent pas s’attendre à éprouver le plaisir que l’harmonie de ces morceaux peut procurer aux oreilles de mes compatriotes, mais j’espère du moins leur donner une idée du juste mécanisme, et, pour les mettre à portée d’en juger par la comparaison avec les différentes mesures connues des vers grecs et latins, j’indiquerai exactement la quantité des syllabes en me servant des signes – et ˘ usités dans la prosodie latine, le premier pour les syllabes longues, et le second pour les brèves.

1. — DU MÉCANISME DE LA VERSIFICATION ALLEMANDE.

Les Allemands ont deux espèces de versification, l’ancienne et la nouvelle. L’ancienne est celle dont Opitz a fait usage, que cet auteur a portée à sa perfection et que ses successeurs jusqu’à nos jours ont adoptée : la rime en fait une partie essentielle. La nouvelle versification n’a été introduite que depuis très peu d’années. Elle ne consiste que dans un certain arrangement des syllabes longues et brèves suivant certaines règles.

Il y a plusieurs espèces de vers rimés et plusieurs de vers non rimés.

Les vers rimés diffèrent entre eux comme les vers français, soit par le nombre des syllabes, soit par la disposition des rimes qui peuvent être, ou plates, ou croisées, suivant le genre de poésie ou la volonté du poète. Mais ils sont encore susceptibles d’une autre sorte de diversité que les Français ne connaissent point. Ceux-ci, dans leurs vers, n’ont presque aucun égard à la quantité prosodique des syllabes et la plupart se bornent à les compter. Les Allemands, au contraire, sont assujettis, même dans les vers rimés, à disposer les syllabes brèves et longues dans un certain ordre ; et la diversité dont cette disposition est susceptible, forme différents genres de vers. Dans ceux qui sont le plus en usage, on entremêle alternativement les brèves et les longues ; au moyen de quoi, si le vers commence par une brève, chacun de ses pieds est composé d’une brève et d’une longue ; c’est l’iambe de la prosodie grecque et latine. Si au contraire, le vers commence par une syllabe longue, la seconde est brève et chaque pied est un trochée composé d’une longue et d’une brève.

Le poète se détermine suivant la nature de son sujet ou suivant son goût à employer les vers iambiques ou les vers trochaïques ; mais depuis longtemps, on ne se permet jamais de mêler ces deux genres de vers dans le même morceau, lors même qu’on entremêle des vers de différentes mesures, c’est-à-dire d’un nombre inégal de syllabes. On trouve à la vérité quelquefois des vers iambiques et des vers trochaïques dans le même ouvrage : mais c’est toujours dans des morceaux détachés l’un de l’autre, en sorte que l’oreille ne puisse être choquée de ce mélange. On fait aussi d’autres vers rimés où l’on emploie des dactyles, c’est-à-dire des pieds composés d’une longue suivie de deux brèves ; mais ces sortes de vers sont d’un usage beaucoup moins commun et ne s’emploient guère que dans le genre lyrique ; il est permis alors de les mêler avec d’autres vers.

Voici des vers iambiques rimés de douze syllabes, tirés d’une églogue de M. de Kleist[1], intitulée nalque :

Měnalk flǒh kūmměrvōll děn Reītz děr schœnstěn Flūr

Kěin schāllěn ūnd keĭn Bāch, sěin hārm gěfiel ĭhm nūr…

(Ménalque, plongé dans la douleur, fuyait l’attrait des plus beaux pâturages ; l’ombre des bois, le murmure des ruisseaux ne le charmaient plus.)

Voici maintenant des vers trochaïques du même auteur, tirés d’une pièce qu’il a intitulée Dithyrambe :

Freūnd věrsæ nīcht zŭ lēben,

Dēnn dĭe jāhrě flīehn,…

(Ami, ne néglige pas de vivre, car les années s’écoulent.)

Voici enfin un exemple de vers dactyliques dans la chanson suivante de Gleim[2] :

Děn flūchtĭgěn Tāgen

Wěhrt kēině Gěwālt

Dĭe Ræděr ăm wāgen

Eňtflīehn nĭcht sŏ bald…

(Aucune puissance n’arrête les jours fugitifs ; les roues d’un char volent avec moins de rapidité.)

On peut observer que dans les derniers vers, je n’ai point marqué la quantité dans la dernière syllabe qui est brève, mais qui n’est point comptée comme faisant partie de la mesure du vers. Ces syllabes brèves à la fin des vers rimés sont en quelque sorte superflues. Elles ont quelque analogie avec la dernière syllabe des terminaisons féminines de la versification française, quoiqu’elles ne soient pas aussi muettes, aussi effacées dans la prononciation que les syllabes féminines le sont en français, et que, dans les vers mesurés et non rimés, dont nous parlerons dans la suite, elles soient comptées même à la fin des vers. Ces sortes de terminaisons ont encore une propriété communes avec les terminaisons féminines des Français, c’est d’obliger à faire rimer les deux dernières syllabes du vers avec les deux dernières du vers correspondant. Une rime qui n’affecterait que la dernière syllabe seule serait insuffisante, et leben en allemand ne rimerait pas plus avec haben que générale ne rimerait en français avec fidèle. Cela n’a rien d’étonnant en français, où la syllabe féminine à la fin du vers ne se prononce point du tout. Il n’en est pas de même chez les Allemands ; l’usage des versificateurs de leur pays est fondé sur un principe un peu différent qu’il est nécessaire de développer parce qu’il est la clef d’une partie des règles de leur versification.

C’est une règle générale en allemand que la rime doit toujours tomber sur une syllabe longue. Ainsi, une syllabe longue peut rimer avec une autre syllabe longue du même son ; c’est le cas de la rime qu’ils appellent masculine à l’exemple des Français ; mais une syllabe brève ne rime pas avec une autre syllabe brève, quoique du même son ; il faut que la rime comprenne aussi la syllabe longue qui précède. On a trouvé apparemment que la prononciation glissait trop légèrement sur la dernière syllabe brève, et que si la rime ne tombait que sur elle, la cadence ne serait pas frappée d’une manière assez sensible. C’est donc le retour du même son sur la pénultième longue qui marque véritablement à l’oreille la chute du vers, et qui termine la mesure quoique le vers finisse par la syllabe suivante, dont le son rapide et fugitif n’est qu’une espèce de hors-d’œuvre. Nous avons aussi adopté pour ces sortes de rimes le nom de rimes féminines, quoique nous ne donnions pas, comme on le voit, à ce nom le même sens que les Français.

Il suit encore de la même règle qu’un mot terminé par deux syllabes brèves ne peut rimer avec un autre mot terminé aussi par deux brèves, quoique du même son. Si ces sortes de rimes étaient admises, il serait nécessaire de faire aussi rimer la syllabe précédente ou l’antépénultième longue, en sorte que les deux vers se terminassent par deux dactyles dont les trois syllabes se répondraient pour le son et, dans ce cas, la cadence serait encore appuyée sur la syllabe longue et on la glisserait sur les deux dernières. M. Gottsched[3] distingue ces sortes de rimes par le nom de puériles ou d’enfantines et il en apporte pour exemple le prēdĭgěn ěntldēĭgen. J’ignore si M. Gottsched a vu quelques exemples de ces sortes de rimes, mais il ne m’en est jamais passé sous les yeux.

Les Anglais et les Italiens ont, dans leur versification, quelque chose d’analogue à ces trois sortes de rimes. Les Anglais distinguent la rime simple, la rime double et la rime triple. La rime simple qui répond à notre rime masculine exige que les dernières syllabes des deux mots qui riment ensemble soient également accentuées, ou du moins marquées plus fortement dans la prononciation que la syllabe qui précède immédiatement ; ce qui revient à peu près au même ; car dans la grammaire anglaise, le mot accent n’est point relatif à l’intonation des voyelles, mais à la manière plus ou moins forte de les faire sentir en les prononçant. Dans un mot anglais, la syllabe accentuée est la syllabe dominante, celle sur laquelle la voix appuie davantage. Un mot dont la dernière syllabe serait accentuée ne rimerait pas avec un autre mot dont la dernière syllabe aurait le même son, mais dont l’accent tomberait sur la pénultième, parce que la voix, se reposant et appuyant fortement sur celle-ci, serait obligée de glisser légèrement sur la dernière dont le son éteint échapperait presque entièrement à l’oreille, qui, par conséquent, ne pourrait en saisir le rapport avec le son fortement marqué de la dernière syllabe du vers correspondant.

Pour que la dernière syllabe accentuée d’un mot puisse rimer avec une syllabe non accentuée, il faut du moins que l’accent soit assez éloigné de celle-ci pour la laisser dominer, sinon sur tout le mot, du moins sur la syllabe immédiatement précédente ; en conséquence, les Anglais permettent de faire rimer une syllabe accentuée avec la dernière syllabe d’un mot dont l’accent est sur l’antépénultième. Mais un mot dont l’accent est sur la pénultième ne peut rimer qu’avec un mot dont l’accent soit aussi sur la pénultième, et la rime doit, en ce cas, commencer à la pénultième et comprendre les deux dernières syllabes du mot.

On l’appelle pour cette raison double rime ; elle répond exactement à la rime féminine des Allemands ; et comme celle-ci, elle a l’effet d’allonger le vers d’une syllabe superflue, parce que la dernière syllabe sur laquelle on glisse légèrement dans la prononciation n’est pas censée comprise dans la mesure du vers. Ainsi, le vers héroïque anglais étant communément de dix syllabes terminé par une rime simple, lorsqu’il arrive d’y mêler des vers à double rime, ces vers ont nécessairement onze syllabes.

La rime triple est la rime des trois dernières syllabes d’un vers, avec les trois dernières syllabes du vers correspondant ; la première de ces trois syllabes doit être nécessairement longue et accentuée et les deux dernières brèves. Telles seraient les rimes suivantes : chārĭt, pārĭt ; tēnděrněss, slēnděrněss. Ces sortes de rimes répondent, comme on le voit, à celles que M. Gottsched appelle enfantines. Elles ne sont employées que très rarement et seulement dans le genre lyrique ou dans le burlesque. Les doubles rimes sont même très peu en usage, et la rime simple est affectée presque exclusivement à tous les genres de poésie sérieux et réguliers.

Chez les Italiens, au contraire, qui connaissent ces trois sortes de rimes sous d’autres noms, c’est la rime double qui est le plus en usage, et qui est spécialement affectée au genre héroïque. Les stances de huit vers, dont sont composés le Roland Furieux, la rusalem et presque tous les grands poèmes italiens, sont formées de vers de onze syllabes qui sont exactement semblables au vers héroïque anglais de double rime. La rime dans chaque vers comprend les deux dernières syllabes. Ils appellent cette espèce de vers verso tronco ou cadente ; parce que, comparé au vers de cadence héroïque, il semble tronqué et accourci d’une syllabe. Il est au vers de cadence héroïque ce qu’est le vers à simple rime des Anglais au vers à double rime, et ce que le vers masculin des Allemands est au vers féminin. Enfin, les Italiens ont aussi des vers qui répondent aux vers à triple rime : la rime de ces vers renferme trois syllabes dont l’antépénultième est longue et accentuée et les deux dernières très brèves. Les mots squāllĭdǎ, pāllĭdǎ forment une rime de ce genre. La voix appuie sur l’antépénultième et glisse sur les deux dernières. C’est pourquoi les Italiens donnent à cette sorte de vers le nom de sdrucciolo qui signifie glissant.

On voit par là que ces trois peuples ont adopté les mêmes principes sur la rime et sur ses différentes espèces, soit que l’un des trois ait servi de modèle aux deux autres, soit, comme il est beaucoup plus vraisemblable, que ces principes soient fondés dans la nature de leur prononciation, et que l’oreille leur ait indiqué le même système sur la rime. Mais cette conformité entière dans les principes n’empêche pas que le génie des trois langues n’ait mis une très grande différence dans l’emploi que les écrivains des trois nations font de ces trois genres de rimes. La rime triple ou enfantine est absolument bannie de la poésie allemande, et il est très rare que les poètes anglais s’en servent ; les Italiens ont adopté préférablement la rime double et l’ont spécialement consacrée à la poésie héroïque ; les Anglais au contraire se sont attachés presque entièrement à la rime simple et ne se permettent que rarement l’usage de la rime double. Les Allemands ont pris un parti mitoyen, ils entremêlent alternativement la rime simple qu’ils appellent masculine et la rime double qu’ils appellent féminine. Leur versification semble se rapprocher à cet égard du génie de la versification française. Cependant, les poètes allemands ne se sont pas aussi indispensablement assujettis à ce mélange que les poètes français. Du moins, la loi ne s’applique pas dans sa rigueur à la poésie badine, ni aux vers faits pour être chantés. Il est très fréquent, dans ces sortes d’ouvrages, de placer de suite plusieurs rimes de même genre soit masculines, soit féminines. Il y a, parmi les ouvrages de Gleim, plusieurs morceaux dans lesquels on ne trouve aucune rime féminine et d’autres dont les vers masculins sont exclus.

De la nécessité de faire toujours tomber la rime sur une syllabe longue dérive immédiatement une conséquence importante et que je ne dois pas omettre. C’est que tout vers trochaïque rimé est composé d’un nombre impair de syllabes et tout vers iambique d’un nombre pair, bien entendu que, dans l’un et dans l’autre cas, la dernière syllabe des vers féminins n’est pas comptée. On voit au premier coup d’œil que, dans un vers iambique, toutes les syllabes impaires sont brèves et ne peuvent, par conséquent, terminer le vers. C’est le contraire dans le vers trochaïque où toutes les syllabes paires sont brèves et toutes les impaires longues.

Les Français n’ont qu’un petit nombre d’espèces de vers : ceux de douze syllabes, de dix, de huit, et quelques-uns d’un moindre nombre. Tous les vers intermédiaires à ceux-là et d’un nombre impair au-dessus de sept n’ont aucun rythme sensible à l’oreille et sont bannis de leur versification ; à peine peut-on les supporter dans quelques opéras à l’aide du chant.

L’usage que les Allemands font de la quantité prosodique et la marche régulière des iambes, des trochées et des dactyles, donne à plusieurs de leurs vers, intermédiaires à ceux dont nous venons de parler, une cadence très marquée, et leur a permis d’enrichir leur poésie rimée de plusieurs espèces de vers que les Français ne connaissent point. Je n’entreprendrai pas d’en faire l’énumération ; je me contenterai d’indiquer quelques-unes des principales.

Ils ont un vers trochaïque de quinze syllabes, qui exige un repos après la huitième syllabe, en sorte qu’il est partagé en deux hémistiches inégaux de huit et de sept syllabes. On peut prendre une idée du rythme de ces sortes de vers en lisant le petit poème latin qu’on trouve ordinairement imprimé à la suite de Catulle, sous le titre de Pervigilium Veneris. Ce poème est écrit en vers trochaïques de huit et de sept syllabes alternativement…

Si l’on réunit dans une même ligne le grand et le petit vers, il ne manque plus que la rime à ce dernier pour faire précisément le grand vers allemand trochaïque de quinze syllabes. Au reste, ce vers est rarement employé, et je n’en parle que parce qu’il est le plus long que nous connaissions.

Le vers iambique de douze syllabes est d’un usage très fréquent ; il est consacré à la tragédie, à la poésie philosophique et morale, et on l’employait autrefois très souvent dans les sujets héroïques et dans tous les genres sérieux ; c’est celui dont Opitz s’est le plus servi. Il est coupé, comme les vers alexandrins français, en deux hémistiches égaux par un repos placé après la sixième syllabe.

Le vers iambe rimé de dix syllabes est beaucoup moins en usage, quoique la cadence en soit peut-être moins pesante et moins uniforme. Le repos est ordinairement placé comme dans les vers français du même nombre de syllabes, c’est-à-dire après la quatrième. Cependant, quelques poètes ont essayé d’en varier la cadence à l’exemple des poètes anglais, en plaçant quelquefois le repos après la cinquième ou même après la sixième syllabe ; mais lorsqu’on a voulu introduire cette innovation, il s’en établissait déjà une plus considérable, et l’on commençait à secouer le joug de la rime. En sorte qu’on a, en même temps, adopté l’usage de placer le repos du vers iambe de dix pieds après la quatrième, la cinquième ou la sixième syllabe indifféremment, et celui de ne plus rimer. Ce nouveau genre de vers est assez goûté, et suivant M. Klopstock[4], ce serait le plus propre à la poésie épique, si l’imitation du vers hexamètre des anciens était malheureusement impossible.

Le vers trochaïque de neuf syllabes, l’iambe de huit et le trochaïque de sept sont trop courts pour être assujettis à quelques règles relativement à la position des repos dont ils peuvent même absolument se passer.

Je ne parlerai point des autres espèces de vers, ni des combinaisons qu’on peut faire des vers des différentes mesures, pour en former des strophes ou stances plus ou moins harmonieuses, plus ou moins adaptées aux différents tons que la rime peut prendre. L’usage et la lecture des poètes apprendront suffisamment à les connaître, et je n’ai point entrepris de donner un traité complet de la versification allemande. Je passe à l’exposition de ce qui concerne la versification mesurée.

Il était naturel que, dans une langue où la quantité des syllabes est aussi marquée que dans la langue allemande, et dans laquelle les poètes sont continuellement obligés d’y avoir égard, on cherchât à tirer de cette variété de longues et de brèves le même parti qu’en ont tiré les Grecs et les Romains, et à reproduire la même harmonie que nous admirons dans leurs ouvrages en imitant les différentes formes de leurs vers. C’est ce que des écrivains du premier ordre ont essayé depuis plusieurs années, et leur succès paraît avoir prouvé que l’entreprise n’avait rien de téméraire. L’Allemagne possède aujourd’hui des poèmes entiers écrits en vers hexamètres sur le modèle des vers d’Homère et de Virgile. Les poètes lyriques ont aussi adopté les différentes mesures des vers qu’Horace a employées dans ses Odes. Ils en ont inventé de nouvelles et varié les combinaisons presque à l’infini. La rime est bannie de cette nouvelle espèce de versification où elle serait effectivement très superflue. Quand on a le plus, on ne désire pas le moins.

Il serait aussi long qu’inutile de donner des exemples des différentes formes de vers que les Allemands ont imitées des Grecs et des Latins, ou qu’ils ont inventées, mais je crois devoir m’étendre un peu plus sur la manière dont ils ont naturalisé dans leur langue le vers hexamètre, celui de tous qui a le plus de difficulté, et je crois aussi le plus de beauté. Ce que j’aurai à dire sur ce sujet me donnera occasion de développer les principaux caractères de la poésie allemande. M. Klopstock est celui dont les vers sont regardés comme le modèle le plus parfait en ce genre. Voici le début de son poème du Messie :

Sīng ǔnstērblĭchĕ sēclĕ, dĕr sūndĭgĕn mēnschĕn ĕrlœsǔng…

(Ame immortelle ! chante la rédemption de l’homme pécheur.)

Les lecteurs familiarisés avec la prosodie latine et qui voudront se donner la peine de scander les vers de début conformément à la quantité marquée sur chaque syllabe pourront être étonnés de plusieurs choses : d’abord de voir un trochée, ou une longue suivie d’une brève, dans presque tous les endroits où la mesure du vers exigerait un spondée ou deux longues. M. Klopstock et ses imitateurs ont été obligés de se permettre cette licence dans la forme du vers hexamètre, qu’une plus grande rigueur aurait rendu presque impossible par l’excessive rareté des spondées dans la langue allemande.

En effet, il n’y a presque aucun mot dans cette langue où il y ait deux longues de suite. Dans tous les mots formés de deux syllabes, la prosodie exige absolument que la prononciation appuie fortement sur l’une et ne fasse que glisser légèrement sur l’autre. Si la première est longue, la seconde sera brève et réciproquement. Cette règle est si générale qu’elle a lieu même dans les mots composés de deux monosyllabes qui, considérés chacun séparément, seraient tous deux brefs ou tous deux longs, et que le même monosyllabe qui, dans la composition d’un mot, sera long, deviendra bref dans la composition d’un autre mot ; ainsi le mot rath, conseil, est long dans le composé de āth-hǎus, maison de ville, et bref dans hoffrǎth, conseiller aulique ; le mot haus, maison, qui est bref dans āth-hǎus, est long dans hāusrœ̌th, meuble.

Ce n’est pas seulement dans la composition des autres mots que la quantité des monosyllabes est sujette à varier. Presque tous ceux de la langue allemande, n’affectent par eux-mêmes aucune quantité particulière. Je dis presque tous parce que les substantifs et les verbes monosyllabes sont placés à côté de l’article, du pronom, de la particule ou de l’adjectif, avec lequel ils sont construits dans la phrase. Ainsi, l’on doit lire : dŭ b̄īst, dĕr tŏd, et non d̄ū bĭst, d̄ēr tŏd. Ces mêmes mots sont encore nécessairement longs lorsque l’idée qu’ils expriment est celle qui domine dans la phrase et sur laquelle celui qui parle veut fixer l’imagination.

Ainsi, dans ce vers :

Sĭe wār aŭch tōdt noch scboēn.

(Morte, elle était belle encore.)

Le mot t̄ōdt, morte, présente l’idée dominante et doit absolument être long. À cela près, tous les monosyllabes ne dépendent, par rapport à leur quantité, que de la quantité des syllabes qui les précèdent et qui les suivent.

Placés avant une syllabe longue, ils sont toujours brefs, pourvu que la syllabe qui précède soit longue, mais entre deux syllabes brèves, ils sont nécessairement longs.

Cette règle est exactement observée dans les vers que j’ai cités. Les lecteurs qui n’en seraient pas instruits pourraient être étonnés de voir dans les vers allemands le même mot, tantôt long, tantôt bref, et croire en conséquence que les poètes plient arbitrairement la quantité des syllabes au besoin qu’ils en ont. Mais, comme on voit, cette quantité ne varie que conformément à des règles constantes et l’on se tromperait fort si l’on comparait ces syllabes à celles qu’on appelle douteuses ou incertaines dans la prosodie latine. Ces dernières qui se prononçaient dans la conversation d’une manière mitoyenne entre les brèves et les longues, un peu plus vite que celles-ci, un peu moins vite que celles-là, deviennent effectivement brèves ou longues dans les vers, suivant le caprice ou le besoin des poètes. Tel est le pronom hic dans ces deux vers de Virgile :

Hīc alienus custos bis mulget in horâ.

Hīc vir, hǐc est tibi quem promitti sæpius audis.

La quantité est trop marquée dans la prononciation allemande pour être ainsi incertaine et arbitraire.

Il y a des syllabes dont la quantité change ; les grammairiens les appellent quelquefois douteuses, mais le nom qui leur convient véritablement est celui de variables.

Cependant, quoique cette variation, dont les monosyllabes sont susceptibles dans leur quantité, soit assujettie à des règles, il est vrai qu’il en résulte pour les poètes allemands une assez grande facilité dans la composition de leurs vers. Leur langue est très riche, et profitant de l’immense variété des mots qu’elle présente, dont l’arrangement peut aussi varier jusqu’à un certain point, il y a bien du malheur, si en combinant le nom, l’article, le pronom, l’adjectif, l’adverbe, le verbe principal, son auxiliaire, et la préposition qui le modifie, le poète ne trouve pas le moyen de se procurer le trochée, l’iambe, ou le dactyle dont il a besoin.

C’est sans doute à cette facilité de varier la quantité des monosyllabes allemands, en les combinant avec d’autres mots, que les poètes qui écrivent dans cette langue doivent l’avantage d’avoir pu y transporter aisément l’harmonie du rythme ancien, et c’est faute d’une semblable liberté que les Français qui ne sont pas aussi attentifs à leur prosodie, quoiqu’elle soit peut-être plus sévère, auront plus de peine à s’approprier cette forme de versification. Dans leur langue, les articles, les pronoms, les verbes auxiliaires ont tous une quantité invariable, quelle que soit leur position et cette quantité est souvent brève. Les syllabes de ce genre sont très fréquentes dans la langue où la plus grande partie des mots commencent par une ou deux brèves ; et comme le nom est inséparable de son article, le verbe de son pronom, presque toutes les périodes, et chacun des membres dont elles sont composées, débutent par plusieurs brèves de suite : en sorte que l’anapeste, le pyrrique et l’iambe sont beaucoup plus naturels aux Français que le dactyle et le spondée et qu’il leur sera difficile de trouver un commencement de phrase qui puisse être celui d’un vers hexamètre. Ce n’est pas qu’il fût très désirable que des hommes nés poètes et devenus versificateurs y voulussent appliquer leur talent ; s’ils peuvent réussir, ce sera un mérite de plus. Ce genre d’effort apprend à manier, même à perfectionner la langue. Les poètes qui, à force de travail, sont parvenus à faire des vers simples, harmonieux, qui paraissent faciles, où l’on ne voit point l’art, ceux qui le peuvent en plusieurs mesures différentes, portent, avec bien moins de peine dans leur prose, la clarté, la grâce, la force, et surtout l’harmonie qu’ils veulent y mettre.

Les Italiens, les Espagnols et les Anglais n’ont pas jusqu’à présent, été plus heureux que les Français dans leurs tentatives pour faire des vers métriques, et l’on a conclu de leurs mauvais succès que les nations modernes n’avaient point de prosodie, ou que leur oreille était moins sensible que celle des Grecs et des Romains à l’harmonie qui résulte du mélange des brèves et des longues.

De pareilles idées n’ont pourtant aucun fondement. Les Anciens n’ont pas été plus privilégiés que leurs successeurs, et les Allemands ne le sont pas plus que leurs contemporains. Il n’y a aucune langue sans prosodie, parce qu’il n’y en a aucune où toutes les syllabes soient de la même durée, aucune où il n’y ait des longues et des brèves très marquées, aucune où l’on puisse les confondre dans la prononciation sans blesser l’oreille des auditeurs.

Mais, pour faire des vers comme les Anciens, il ne suffit pas d’avoir des brèves et des longues, il faut encore pouvoir les arranger dans un ordre convenable à l’harmonie. Et c’est ce qui est d’une excessive difficulté dans toutes les langues où d’un côté l’arrangement des mots est déterminé inviolablement par le sens et par les règles de la grammaire, sans égard à ce que peut exiger l’oreille, tandis que de l’autre côté, la quantité de toutes les syllabes de chaque mot n’est pas moins invariable, sans égard à l’arrangement des mots dans le discours.

Dans les langues grecque et latine, la quantité, — c’est-à-dire, la mesure des syllabes —, était immuable ; mais les mots suffisamment fixés à une signification précise par les terminaisons qui indiquent tous les rapports et toutes les modifications dont cette signification peut être affectée, délivrés, par conséquent, de ce cortège importun d’articles, de pronoms, de verbes auxiliaires dont les langues modernes sont embarrassées, se prêtaient, sans que la clarté du sens en souffrit, à tous les arrangements que l’imagination, l’oreille ou les besoins du poète pouvaient exiger. Aucune des langues modernes cultivées jusqu’à présent par les gens de lettres ne possède cet avantage ; car, quoique les Italiens, les Anglais et même les Allemands se permettent plus d’inversions que les Français, ce faible privilège est un véritable esclavage si on le compare à la liberté pleine et entière dont jouissent sur cet article, les langues grecque et latine.

La langue allemande supplée, au défaut de cette heureuse liberté de varier l’arrangement des mots dans le discours, par la facilité que donne le caractère de sa prosodie de varier la quantité d’un très grand nombre de mots.

Dans les autres langues de l’Europe dont la construction est astreinte à la même uniformité que la construction allemande et dont les mots ont une quantité aussi invariable que celle des langues anciennes, ce ne sera qu’avec une peine extrême qu’on pourra fonder une versification sur le mélange harmonieux des longues et des brèves. Nous n’aurions en français guère plus d’une ressource, et nous la devrions à notre e muet qui allonge la voyelle, avec laquelle il se lie, en unissant deux mots lorsque cette voyelle n’est pas longue par elle-même. Nous serions aussi plus fréquemment obligés de rejeter un ou plusieurs mots d’un vers à l’autre, afin de trouver des longues pour commencer les vers. L’habitude de la rime qui annonce ordinairement chez nous la fin du vers, nous rend désagréable, excepté dans les cas qui demandent que l’on exprime un grand désordre physique ou moral, cet enjambement pour lequel les Anciens n’avaient aucune répugnance, et qu’ils paraissent même avoir souvent recherché pour éviter une monotonie qui leur déplaisait.

On voit de tout cela que si les modernes parviennent dans leurs langues presque immobiles à faire des vers métriques aussi agréables que ceux des Anciens, il faudra, qu’également poètes, ils aient porté encore plus haut l’art de la versification. Cela serait utile aux langues actuelles de l’Europe ; car, plus une langue a de tours, plus elle peut exprimer de nuances d’idées, c’est-à-dire plus elle peut porter dans l’expression des idées une exactitude scrupuleuse et une clarté soutenue.

Après cette petite digression, je viens aux observations que j’ai encore à faire sur le caractère de la prosodie allemande. De ce que les mêmes syllabes, qui sont longues dans une position, et dans la composition de certains mots, deviennent nécessairement brèves dans une autre position et dans la composition d’autres mots, il résulte un nouveau sujet d’étonnement pour ceux qui voudraient juger de la prosodie allemande par la prosodie latine, c’est que des diphtongues, où le son de deux voyelles se fait entendre très distinctement, sont souvent très brèves. Le mot āth-hǎus que j’ai déjà cité est un exemple, et le second vers du poème de M. Klopstock en présente deux autres. Il en est de même des voyelles suivies de deux ou de plusieurs consonnes qui sont toujours longues en latin, et qu’on appelle par cette raison longues par position : en allemand, des voyelles suivies de trois et jusqu’à quatre consonnes sont aussi souvent brèves que longues et, par exemple, il n’est pas rare de voir dans les vers allemands le mot selbst former une syllabe brève.

Il faut avouer cependant, que la règle constamment observée en latin de faire longues toutes les diphtongues ou voyelles doubles, et celle de faire longues toutes les voyelles suivies de plusieurs consonnes, sont fondées sur des principes qui semblent devoir être communs à toutes les langues, parce qu’ils tiennent à la nature même de nos organes. Une diphtongue est une syllabe composée de deux voyelles qui doivent être distinctes l’une de l’autre dans la prononciation (sans quoi, ce ne serait plus une diphtongue) mais qui doivent être prononcées assez rapidement pour que l’organe n’y emploie pas plus de temps que la durée ordinaire d’une syllabe (sans quoi, au lieu d’une diphtongue, on aurait deux syllabes) ; mais quelque rapidité que mette l’organe à prononcer deux sons, il est impossible qu’il n’y emploie pas plus de temps qu’à en prononcer un seul, tel est le fondement de la règle latine par rapport aux diphtongues.

Celle qui concerne les voyelles suivies de plusieurs consonnes n’est pas moins naturelle. À la vérité, les consonnes qui suivent ces voyelles ne paraîtraient pas devoir influer sur leur prononciation, puisque celles-ci sont déjà proférées avant qu’on commence à prononcer les consonnes ; mais l’augmentation de durée n’est pas moins réelle pour la syllabe entière. Il est aisé de se convaincre soi-même avec un peu d’attention que lorsqu’on veut prononcer deux consonnes de suite, on est obligé malgré soi de faire entendre une espèce d’e muet entre les deux, à moins que la seconde de ces consonnes ne soit t ou r ; ce son muet remplit l’intervalle de temps nécessaire à l’organe pour se replier et passer d’un mouvement à l’autre ; c’est cet intervalle, qui, s’ajoutant quoique d’une manière un peu moins sensible, au son de la voyelle brève par elle-même, allonge nécessairement la durée de la syllabe entière. Cet effet est fondé sur la constitution physique de nos organes, et il est d’autant plus remarquable que le nombre des consonnes placées à la suite l’une de l’autre est plus grand.

La prosodie allemande semble au premier coup d’œil contredire ces principes, mais cette contradiction n’est qu’apparente, et il est aussi vrai en allemand qu’en latin qu’une syllabe composée, ou de deux voyelles distinctes, ou d’une voyelle suivie de plusieurs consonnes, ne peut être prononcée dans un temps aussi court que pourrait l’être une voyelle simple et isolée. Certainement la seconde syllabe du mot nschĕit est un peu moins brève que la seconde du mot nschĕn, et la syllabe sĕlbst l’est moins que la seconde de liebĕ. Mais cela n’empêche nullement que ces syllabes ne puissent être regardées comme brèves dans la prosodie. Il suffit pour cela qu’elles se prononcent d’une manière plus légère et plus rapide que les voyelles longues auxquelles elles sont comparées. Ce n’est pas la quantité absolue de chaque syllabe considérée en elle-même qui la fait regarder comme brève ou comme longue dans le discours, c’est le rapport de sa quantité avec celle des syllabes qu’on y joint et qui la balancent pour former le rythme. Dans l’allemand, la prononciation des longues est beaucoup plus marquée qu’en latin ; une moindre brièveté suffit en cette langue pour faire regarder une syllabe comme brève ; et, dès lors, les diphtongues et les voyelles suivies de consonnes peuvent être brèves ou employées comme telles. Le Français n’est pas dénué de cet avantage. Il a des longues plus longues et des brèves plus brèves que le latin et, entre celles-ci et celles qui ne sont ni longues ni brèves, au moins une ou même réellement deux intermédiaires.

Le changement du spondée en trochée, qui est perpétuel chez les poètes allemands, semble au premier coup d’œil porter quelque atteinte à la forme primitive et à l’essence du vers hexamètre, qu’on a toujours regardé comme renfermant douze temps à six mesures égales, non pas en nombre de syllabes, mais en durée. Les deux brèves du dactyle étant comptées pour deux demi-temps, équivalent à une seule des syllabes du spondée dont chaque syllabe vaut un temps. Sous ce point de vue, le trochée n’équivaudra qu’à un temps et demi, et ne sera qu’un dactyle tronqué, incapable de tenir la place d’un dactyle entier. Le vers ne renfermera donc pas six mesures complètes, et ne sera qu’une fausse image de l’ancien hexamètre.

C’est peut-être pour remédier à cet inconvénient que M. de Kleist a imaginé de commencer tous ses hexamètres par une brève superflue qui précède le premier pied. Sans doute, il a cru compenser par cette addition ce que l’hexamètre perdait d’ailleurs sur la durée des six mesures par la substitution d’une brève à la syllabe longue qui aurait terminé chaque spondée.

Voici un exemple de cet espèce d’hexamètre. C’est le commencement du poème du Printemps :

Ĕmpfāngt mĭch, hēilĭgĕ schāttĕn ! Ihr hōhĕn, bĕiaūbtĕn Gĕwoelbe…

(Recevez-moi, ombrages sacrés ! Voûtes élevées et touffues.)

Les vers de M. de Kleist sont en général pleins de douceur et d’harmonie ; cependant, l’innovation dont il avait donné l’exemple n’a point été adoptée par d’autres écrivains, et l’hexamètre de M. Klopstock est resté en possession de servir de modèle. Le jugement souverain de l’oreille paraît avoir décidé que la substitution des syllabes brèves des trochées aux syllabes longues correspondantes des spondées latins était suffisamment compensée par la lenteur, que donne nécessairement à la prononciation allemande les diphtongues et les consonnes redoublées qui se trouvent même dans les syllabes brèves, et la pesanteur avec laquelle les Allemands sont forcés, en conséquence, d’appuyer sur les longues pour rendre sensible l’inégaité de durée sans laquelle il n’y a ni prosodie, ni mètre.

La quantité des syllabes allemandes, étant rarement indépendante des syllabes qui précèdent et qui suivent, deviendrait quelquefois équivoque, si dans la prononciation l’on séparait trop les syllabes qui influent ainsi l’une sur l’autre. Par cette raison, il est rare qu’on puisse, sans dénaturer le mètre, s’arrêter dans la prononciation au milieu du pied et y placer un repos ; on sait que c’est l’usage des poètes latins. Leurs vers sont presque toujours coupés, ou par un repos au milieu du troisième pied comme dans ces vers :

Fortunate senex — hic inter flumina nota…

Et fontes sacros — frigus captabis opacum,…

ou par deux repos placés, l’un au milieu du second pied, et l’autre au milieu du quatrième, comme dans ces vers :

Insere nunc — Meliboee pyros — pone ordine vites…

Alternis — Dicetis, amant — alterna Camoenæ…

Malo me — Galatea petit — lasciva puella…

ou dans des vers faits pour être chantés et qui n’avaient besoin d’autre mouvement que celui qu’ils empruntaient de la musique

On donne indifféremment le nom de césure à ce repos ou à la syllabe sur laquelle s’arrête la prononciation. Virgile s’est exactement assujetti à couper ainsi ses vers par des césures, et ses successeurs se sont fait une loi de son exemple. On ne peut disconvenir que cet usage ne donne beaucoup de grâce aux vers latins ; mais les poètes allemands n’ont pu l’adopter. On ne trouve que rarement leurs vers coupés en deux hémistiches par la césure, et peut-être y aurait-il beaucoup de cas où cette césure nuirait à l’harmonie, soit en rendant plus sensible l’inconvénient des trochées, soit en présentant à l’oreille, au commencement du second hémistiche, une brève isolée qui n’aurait aucune proportion avec le pied suivant. Les Allemands, en conséquence, n’ont point cherché à imiter Virgile dans la coupe de ses vers. Aussi, pour faire sentir la marche de leurs hexamètres, faut-il les prononcer tout autrement que les siens : le mouvement de ceux du poète latin est tellement marqué, tellement invariable, que la cadence se fait sentir dans chaque partie du vers prise séparément. On peut les débiter en coupant à son gré la mesure du vers, et plaçant des repos suivant que le sens ou l’oreille paraissent l’exiger. On ne débite point ainsi les hexamètres allemands ; on n’en rompt point la mesure, et l’on est presque toujours obligé de les scander, c’est-à-dire de les prononcer de suite, en faisant sentir chaque pied. Ces vers sont, sans doute par là, privés d’un grand avantage qu’ils doivent envier à la poésie latine. Cependant, cet avantage n’est point du tout essentiel au vers hexamètre. Homère ne s’était point imposé la loi que Virgile a suivie sur la position des césures et il y a un grand nombre de ses vers qu’on est obligé de prononcer de suite et de scander à la manière allemande.

En voici, je crois, assez pour donner une idée nette des deux sortes de versifications employées par les poètes allemands. Quoique j’aie donné à leur versification rimée le nom d’ancienne, et à la mesurée celui de nouvelle, je n’ai pas prétendu sous-entendre que leurs auteurs aient généralement abandonné la rime pour la versification mesurée. L’une et l’autre sorte de vers sont à peu près également en usage. Quelques poètes se sont attachés exclusivement à l’une des deux ; d’autres se sont exercés dans les deux genres. Tels sont M. de Kleist et M. Zacharie[5] qui vient de nous donner en vers hexamètres une traduction du Paradis perdu, de Milton, dans laquelle le sens est rendu avec la plus grande précision et la plus grande fidélité et dont l’harmonie est plutôt supérieure qu’inférieure à celle de l’original.

Il faut convenir que la versification mesurée fait de jour en jour des prosélytes. Mais il y a trop de bons ouvrages rimés, et par de trop grands hommes, pour que l’usage de la rime puisse être totalement abandonné ; n’eût-on dans ce genre que les seules poésies de M. de Haller, elles suffiraient pour en conserver le goût : de même que les ouvrages de M. Gessner suffiront pour éterniser le genre de la prose mesurée dont il me reste à développer la nature.

2. — DE LA PROSE MESURÉE.

La prose, dans toutes les langues, est susceptible d’une harmonie qui sans être aussi marquée, aussi mélodieuse que celle des vers, est cependant très sensible pour toute oreille un peu délicate. Les anciens orateurs avaient fait une étude profonde de cette partie de leur art, et les modernes ne l’ont pas entièrement négligée. Le choix et l’arrangement des sons plus ou moins doux, le mélange des syllabes longues ou brèves, la position des accents, celle des repos, la gradation, ou une sorte de symétrie dans la longueur, soit des mots, soit des membres dont la période est composée, sont les moyens dont l’orateur se sert pour flatter l’oreille.

Ces moyens sont communs à toutes les langues ; mais l’usage en est plus ou moins borné dans chaque langue en particulier : les mêmes différences dans leur génie, et dans leur système grammatical qui ont décidé la forme de leur versification, ont influé nécessairement sur le caractère d’harmonie de leur prose. Les nations, dont les langues sont très accentuées, qui dans la conversation élèvent et baissent la voix par des intervalles appréciables, ont une harmonie presque musicale. Telles étaient sans doute les langues des Grecs et des Latins, puisque les orateurs dans leurs déclamations faisaient souvent soutenir leur voix par une flûte qui les accompagnait et, comme l’oreille est plus choquée d’une dissonance que d’aucun autre défaut dans les sons, il n’est pas étonnant que ces peuples aient attaché à cette partie de l’art oratoire la plus grande importance. La facilité des inversions leur permettait aussi de tirer un très grand parti pour l’harmonie du mélange des brèves et des longues.

Denis d’Halicarnasse a fait un traité de l‘arrangement des mots, dans lequel il prétend que la prose a non seulement ses repos et ses nombres comme les vers, mais qu’elle en a les mètres ; et pour le prouver, il décompose des exodes de Démosthènes en vers de différentes espèces, se permettant seulement d’y faire quelques légers changements.

Il paraît cependant que les Anciens en remplissant leur prose de mètres poétiques évitaient d’y mêler des vers entiers, du moins de ceux dont la cadence, trop frappée et trop brillante, aurait tranché désagréablement avec le reste du discours, et aurait rompu l’unité de l’harmonie oratoire plus libre et moins saillante partout ailleurs.

La langue française est peu accentuée, et la construction invariable de ses phrases ne permet pas toujours de disposer les syllabes longues et brèves dans l’ordre le plus propre à l’harmonie. Ainsi, les ressources des prosateurs français pour plaire à l’oreille, consistent principalement dans l’art de placer les suspensions et les repos, de proportionner, de balancer entre eux les membres de leurs périodes, et de les terminer autant qu’il est possible par des sons pleins et soutenus qui empêchent la prononciation de tomber trop brusquement ; à quoi il faut encore ajouter le soin purement négatif et commun aux orateurs de toutes les langues d’éviter le concours des sons rudes et difficiles à prononcer, et la rencontre de deux voyelles, sans cependant se l’interdire avec une affectation trop minutieuse.

Fénelon, Fléchier et plusieurs écrivains plus modernes, sans employer d’autres moyens ont souvent réussi à rendre la prose française très agréable à l’oreille. M. l’abbé Le Batteux[6], dans la huitième et la neuvième de ses lettres, insérées au troisième tome de son Cours de belles-lettres, s’est donné la peine de décomposer plusieurs morceaux de Fléchier et de quelques autres écrivains pour en faire sentir le nombre et l’harmonie. On ne trouve nulle part les principes de ces deux parties de l’art oratoire mieux développées que dans cet ouvrage, et ceux qui voudront s’en former une idée approfondie feront très bien d’y recourir.

Mais l’espèce d’harmonie dont cet académicien a cherché à dévoiler le mécanisme, et dont il a trouvé les modèles dans Cicéron et dans Fléchier, ne sort pas des bornes du genre oratoire. Malgré les richesses de la prosodie latine que Cicéron avait à sa disposition, ses périodes les plus sonores et les mieux cadencées conservent toujours le caractère propre de la prose. Leur harmonie diffère essentiellement de celle des vers et non seulement par l’inégalité des intervalles, par la variété des rythmes et des mètres, mais encore par une marche plus simple, moins brillante ; souvent la cadence est sacrifiée au sens, à l’ordre naturel des idées, à l’énergie de l’expression ; quelquefois elle est rompue à dessin pour ne pas frapper l’oreille par une harmonie trop sensible et trop détachée du reste du discours.

Les limites de l’éloquence et celles de la poésie étaient fixées chez les anciens d’une manière invariable qui ne permettait pas aux deux genres de se rapprocher et de se confondre. Ainsi, la prose et les vers furent toujours séparés chez eux par un intervalle très marqué et il ne paraît pas qu’ils aient cherché à en remplir le vide par un genre mitoyen dont l’harmonie plus brillante que celle de la prose et plus libre que celle des vers participât aux avantages de l’un et de l’autre genre.

On peut, il est vrai, conclure d’un passage de Quintilien, cité par M. l’abbé Dubos dans ses Réflexions sur la poésie et la peinture, que ce genre a été essayé par quelques auteurs de son temps, amoureux à l’excès du rythme et de l’harmonie et qui sacrifiaient à cet agrément toutes les autres parties de l’éloquence. Mais ce passage même[7] nous fait voir que ce travail fut condamné en eux comme une affectation déplacée ; leur art resta enseveli dans les écoles des déclamateurs ; on n’imagina point de l’appliquer à des ouvrages intéressants par eux-mêmes et aucun morceau écrit dans ce genre n’a mérité de passer à la postérité.

Il faut avouer que le génie des langues anciennes en rendant cette entreprise plus facile la rendait moins nécessaire. Le besoin de cette manière d’écrire ne doit se faire sentir qu’à ceux qui voudraient traiter des sujets poétiques sans s’assujettir à la gêne et au travail de la versification. L’historien et le philosophe sont en général plus attentifs aux choses qu’aux mots ; il leur suffit presque de ne pas blesser l’oreille ; et quant à l’orateur, toujours occupé de sujets réels, tantôt obligé d’appuyer sur des détails de faits, ou de discuter des raisonnements, tantôt animé par les plus grands intérêts, le soin trop minutieux de cadencer ses paroles ne paraîtrait en lui qu’une affectation ridicule. Mais qu’aurait gagné l’auteur d’un ouvrage d’agrément, écrit en grec ou en latin, à substituer une prose ainsi travaillée et toute composée de mètres aussi marqués que ceux de la poésie ?

Le grand nombre d’écrivains modernes qui ont fait avec succès des vers latins sans avoir pu faire dans leur propre langue des vers supportables, prouve à quel point le mécanisme de la versification ancienne était facile à pratiquer. Ce mécanisme introduit nécessairement dans le vers le rythme et la cadence : la seule partie de l’harmonie qui résulte du mélange des sons plus ou moins rudes dépendait de l’oreille du poète, mais ne lui donnait pas plus de peine que la simple observation des règles, et cette peine était trop légère pour qu’un homme né avec un peu de talents songeât à se l’épargner. D’un autre côté, la prose cadencée exigeait une très grande délicatesse d’oreille et un travail assez considérable ; par conséquent, les Anciens n’ont pas dû être engagés à cultiver ce genre par l’espérance d’y trouver plus de facilité.

Il semble au premier coup d’œil qu’ils auraient pu être tentés par la vue de gagner un peu plus de variété dans le rythme et dans l’harmonie ; mais le poète, pouvant dans le vers hexamètre, combiner en mille manières les spondées et les dactyles, au moins dans les quatre premiers pieds, multiplier et placer à son gré les repos, enfin, terminer le vers sans que le sens soit fini, en rejetant un ou plusieurs mots au vers suivant, une liberté aussi étendue rend cette sorte de vers susceptible d’une harmonie si diversifiée que l’avantage de la prose cadencée même à cet égard se réduisait presque à rien. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les Anciens n’aient fait aucun usage des facilités que la nature de leur prosodie et la liberté des inversions leur donnait pour ce genre d’écrire.

Aucune nation n’a dû peut-être en sentir le besoin plus vivement que les Français, eux dont la versification a des lois si sévères, eux qui parlent une langue si gênée dans la construction, si peu variée dans ses expressions et dans ses tours, et se privant encore volontairement d’une partie de ses richesses par la fausse délicatesse qui avilit les dénominations propres des choses les plus communes et les plus utiles ; eux dont les poètes, avec ces entraves, sont jugés plus rigoureusement par leurs compatriotes que les poètes d’aucune nation ne le sont par les leurs ; eux enfin qui n’ont encore pu traduire aucun poète autrement qu’en prose. Mais les mêmes obstacles qui rendent leur versification si prodigieusement difficile, empêchent presque toujours leur prose d’être cadencée d’une manière assez sensible pour se rapprocher des vers et remplacer leur harmonie.

Les écrivains français, ne s’étant encore que faiblement appliqués à l’étude de leur prosodie, et n’ayant pas encore assez observé les ressources qu’elle pourrait leur donner, ne connaissent presque pas d’autre cadence pour leur prose et leurs vers que celle qui résulte de la disposition des repos après de certains intervalles, mesurés le plus souvent par le seul nombre arithmétique des syllabes qu’ils renferment. Or, le nombre des intervalles possibles est très borné en comparaison du nombre des combinaisons possibles des différents mètres ; et tandis que parmi ces derniers, il y en a une foule qui, toutes, ont un mouvement semblable et agréable à l’oreille, il n’y a, en français, que l’intervalle de douze syllabes avec un repos après la sixième, celui de dix avec un repos après la quatrième, enfin ceux de huit et de sept, et tout au plus encore, ceux de six et de cinq qui aient par eux-mêmes une cadence où l’oreille puisse trouver quelque agrément.

Si d’autres intervalles ont été quelquefois employés par des poètes français, ce n’est que dans des poésies badines, où ils ne prétendaient mettre aucune harmonie, comme dans ces rimes si connues :

Sarrasin,

Mon voisin, etc. [8]

Non seulement le nombre des intervalles qui ont un rythme sensible est réduit aux six que j’ai désignés, mais parmi ces six, il n’y en a que deux, celui de douze syllabes et celui de huit, entre lesquels il y ait une proportion agréable à l’oreille, et qui, par cette raison, se marient parfaitement ensemble. Ceux qui connaissent à fond l’harmonie des vers libres savent bien qu’il n’y a que les vers de ces deux seules mesures qu’on puisse mêler indifféremment et sans précaution. Ils savent que lorsqu’on veut leur faire succéder des vers de toute autre mesure, le fil de l’harmonie paraît tout à fait rompu, à moins que le poète n’ait eu soin de préparer avec art ce changement de rythme et d’en adoucir le passage trop brusque.

Ces six intervalles forment tout le fond des richesses de la poésie française, mais comme la cadence n’est pas encore assez marquée pour satisfaire à tout ce que l’oreille exige, on a été obligé de la frapper encore davantage, en terminant deux ou plusieurs vers par le même son. C’est ce retour du même son qu’on appelle la rime, ornement essentiel à la poésie française, telle que nous l’avons connue jusqu’à ce jour.

Maintenant, pour former cette prose cadencée, ce genre mitoyen entre les vers et la prose ordinaire que les difficultés de la versification française pourraient faire désirer, essayera-t-on de séparer la rime de la mesure et d’employer celle-ci seule ? car il ne saurait être question de jeter çà et là des rimes dans une prose qui n’aurait par elle-même aucune cadence ; il est bien évident que la rime, quand elle n’est d’aucun usage pour marquer la cadence, ne peut être qu’une puérilité fastidieuse et ridicule. Mais il semble qu’en mélangeant, au gré de l’oreille, différents intervalles mesurés, de différentes longueurs, on aurait une prose qui, ne différant des vers que par le manque de rime, s’en approcherait par la cadence, et ne leur serait pas fort inférieure pour l’harmonie et l’agrément qu’elle procurerait.

Quelque naturelle que paraisse cette idée, elle perd cependant toute sa vraisemblance lorsqu’on l’examine de plus près. J’ai déjà remarqué que les six différentes mesures qui sont susceptibles de cadence, ne peuvent pas être mélangées agréablement. Par exemple, le vers de sept syllabes, un de ceux qui par eux-mêmes ont la cadence la plus marquée, fait presque toujours un effet désagréable lorsqu’il est placé après un vers de douze ou de huit syllabes. Il n’y a que ces deux intervalles qui aient entre eux une juste proportion et dont le mélange soit agréable. Il suit de là qu’une prose construite sur ce principe, ne serait qu’une suite de vers sans rime, tous de douze ou de huit syllabes, à l’exception de quelques occasions rares où l’oreille permettrait de jeter de loin en loin quelques vers de mesure différente.

Or, on peut assurer, premièrement, que, sans la rime, un pareil mélange ne pourra jamais produire une harmonie fort sensible et qui approche de celle des vers rimés, et que, par conséquent, cette prose sera toujours prodigieusement inférieure aux vers dans tous les morceaux qui demandent une harmonie riche et brillante ; en second lieu, que cette marche constamment suivie sur deux mesures toujours les mêmes, bien loin de plaire à l’oreille, ne lui ferait sentir qu’une monotonie insupportable. Il est bien vrai que cette uniformité de mesures n’est pas plus grande sans rime qu’avec la rime ; mais, avec la rime, elle est bien moins sensible à l’oreille par deux raisons : d’abord, parce que la cadence, devenant par l’addition de la rime, et plus marquée, et plus brillante, dédommage à la variété par un plaisir plus grand ; ensuite, parce que la rime, en fixant l’attention sur la finale qui varie, la détourne de la mesure qui ne varie pas.

Je sais que cette dernière raison pourra être contredite, et que plusieurs étrangers ont reproché à la poésie française la monotonie de ses rimes ; mais outre que, dans les vers de mesure inégale et à rimes croisées, l’effet des rimes produit au contraire une variété très agréable, je crois être fondé à penser que c’est la variété des rimes qui, dans la versification, dérobe et sauve à l’oreille la monotonie de la mesure. J’en juge par le petit nombre de vers blancs que M. de Voltaire a insérés dans l’Épître dédicatoire de Mérope, adressée à l’auteur de la Mérope Italienne. Ces vers, à la rime près, sont tels que les sait faire M. de Voltaire ; mais il m’a toujours paru que l’uniformité de la mesure y produisait une impression désagréable, que je ne sens point dans les vers rimés.

Je crois donc pouvoir conclure que cette prose ou ce mélange de vers de mesure inégale sans rimes avec une partie de la versification, n’aurait presque aucune de ses beautés, et n’en dédommagerait même pas par une plus grande variété.

Il ne faut pas douter que si ce genre eut été susceptible de quelque agrément, la difficulté de faire de beaux vers en français n’eut engagé plusieurs écrivains à le cultiver. Mais aucun ne s’y est exercé. Le seul Molière a peut-être eu en vue de l’essayer dans sa comédie intitulée Le Sicilien ou l’Amour peintre. M. d’Alembert a remarqué (dans l’Encyclopédie, article Élocution) que la prose de la première scène était toute composée de vers de différentes mesures.

Chut ! n’avancez pas davantage,

Et demeurez en cet endroit,

Jusqu’à ce que je vous appelle :

Il fait noir comme dans un four…

Les règles de la versification ne sont pas toujours observées dans le reste de la pièce aussi rigoureusement que dans ce morceau, mais il s’en faut très peu. Et, lorsque l’on compare la prose de cette comédie avec celle des autres ouvrages de Molière, il n’est pas possible de croire que le hasard seul ait produit cette singularité. Cependant, il n’y a aucune preuve que Molière ait pensé sérieusement à introduire ce genre ; je présume plutôt qu’il comptait un jour mettre cette pièce en vers, et que, dans cette idée, il s’est porté à écrire tout ce qui se présentait à sa plume sous forme de vers, sans cependant s’en faire une loi. Quoi qu’il en soit, on peut observer dans le morceau que j’ai cité, combien le mélange de toute autre mesure que celles de huit ou douze syllabes est contraire à l’harmonie. D’ailleurs, il faut convenir que ce désagrément et celui de l’uniformité, ne sont pas extrêmement sensibles dans cette prose, lorsqu’on la prononce comme de la prose ordinaire et sans en marquer avec soin les différentes mesures. À peine s’aperçoit-on qu’elle a quelque chose de particulier. Mais il faut prendre garde que c’est ici une comédie écrite dans un style familier, qu’on prononce à peu près comme dans la conversation, en mangeant une grande partie des syllabes féminines ; dès lors, la mesure est totalement rompue, et le rythme disparaît avec ses avantages et ses inconvénients. Les uns et les autres seraient beaucoup plus sensibles dans un style élevé qui exige une déclamation soutenue[9]. Dans le style familier, ce genre de prose mesurée, n’aurait guère d’autre inconvénient que d’avoir donné une peine inutile à son auteur.

La langue allemande a, sur la française, l’avantage de pouvoir faire plus aisément usage du rythme prosidique, surtout de celui de l’iambe et du trochée, à la faveur de ses longues et de ses brèves, qui sont en nombre à peu près égal ou s’égalisent par leur position. Mais le dactyle et le spondée lui donnent de l’embarras, quelque gène. Elle a, dans ses vers métriques, moins d’aisance et de liberté que la langue latine, et la construction des hexamètres allemands n’est pas à beaucoup près aussi facile que celle des vers latins. Il n’est pas même constant qu’un écrivain très attentif à la grande variété de longues, de brèves et d’intermédiaires du français ne puisse, dans cette langue, en approcher davantage, surtout si au lieu de l’hexamètre ordinaire, on voulait employer l’ionique. Ainsi, ce genre de prose cadencée, mitoyen entre la prose commune et les vers, que les français ne trouvent pas agréable, que les Latins pouvaient dédaigner, convenait parfaitement aux Allemands. Aussi, l’ont-ils accueillie avec un applaudissement unanime dans les traductions que M. Ebert a faites du poème de onidas et des Pensées nocturnes de Young, et depuis, dans les ouvrages de M. Gessner qui paraît lui avoir donné toute la perfection dont cette manière d’écrire est susceptible.

Ce que j’ai déjà dit suffit pour faire comprendre que l’harmonie de cette prose est fondée sur la disposition des repos qui fixe la longueur des intervalles ou des membres de chaque phrase, ce qui est commun à toute espèce de prose harmonieuse ; et sur l’arrangement des longues et des brèves qui donne à chacun de ces membres sa cadence propre et en forme une espèce de vers, ce qui fait le caractère spécial de la prose mesurée allemande. On comprend encore qu’à ces deux égards l’écrivain est parfaitement libre et n’a d’autre guide à suivre que son oreille. Pour en donner une idée plus complète, je ne puis mieux faire que de copier ici un des plus beaux morceau de la prose de M. Gessner et d’en rendre la mesure et la cadence sensible aux yeux, en écrivant séparément les uns des autres et, comme autant de vers, chacun des intervalles dont ce morceau est composé et en marquant la quantité sur chaque syllabe. Le morceau dont je parle est le commencement de la treizième Idylle, intitulée Palémon :

Wĭe līeblĭch glāenzĕt dăs Mōrgĕnrōth

Dūrch die Hāsel-staūdë…

(Que l’aurore brille agréablement à travers ces coudriers et ces rosiers sauvages qui s’étendent devant ma fenêtre.)

En se souvenant toujours que le trochée dans les vers allemands répond au spondée des latins, on reconnaîtra aisément dans ce morceau plusieurs formes de vers employés par Horace et par les lyriques anciens. La dernière ligne est un vers hexamètre.

Il est aisé de sentir que ce genre, en imposant beaucoup moins de gêne que la versification, exige autant et peut-être plus de talents. Comment, en effet, sans une délicatesse d’oreille au moins égale à celle des meilleurs poètes, réussirait-on à former à chaque instant, sans règle et sans modèle, de nouvelles combinaisons de mètres et de syllabes toujours variées et toujours harmonieuses ? Comment, dans cette succession continuelle de mesures inégales et de mouvements différents, parviendrait-on à mettre cette unité de ton nécessaire pour éviter les disparates en conservant la variété ?

Mais, si ce genre est un peu moins facile dans l’exécution qu’il ne le paraît à la première vue, on doit convenir que, manié par un homme de génie, il doit être susceptible de l’harmonie la plus brillante et la plus variée. Les Français savent combien les vers libres de mesure inégale et à rimes croisées ont d’agrément dans leur langue, et que ce sont ceux dont l’harmonie est la plus riche, la plus retentissante, si j’ose ainsi parler, la plus approchante enfin de l’harmonie des vers grecs et latins. Les Anglais ont aussi reconnu cet effet du mélange des mesures et des rimes. Ils ont consacré ces vers au genre de l’ode, et leur ont donné le nom de vers pindariques, tant par cette raison que parce que les Odes de Pindare sont composées de vers de mesures inégales et variées sans aucune régularité apparente. Les vers libres à rimes croisées ont aussi été souvent employés par les poètes allemands, et M. Klopstock convient que ce genre est très agréable à l’oreille.

Or, si le seul mélange des mesures peut, avec l’aide de la rime, produire tant d’harmonie, ce mélange, doit, avec l’aide du mètre, en produire une supérieure qui ait sur la première tout l’avantage que le mètre a par lui-même sur la rime, sans parler de la variété qui résulte de la multitude de combinaisons harmonieuses qu’on peut faire des différents mètres.

Le vers métrique a, sur le vers qui n’a que la mesure de la rime, un avantage encore plus considérable, en ce que par lui-même, et indépendamment de ses rapports avec ce qui suit ou ce qui précède, il a une cadence qui lui est propre, au lieu que le vers simplement mesuré et rimé, considéré seul, diffère moins de la prose et tire presque tout son brillant de la place qu’il occupe, de sa combinaison avec d’autres vers.

Un avantage non moins précieux qu’a le mélange des mètres sur le simple mélange des mesures et des rimes est la facilité que donne le premier de faire servir la cadence et le mouvement du discours, soit à exprimer le sentiment dont est affecté le poète ou celui qu’il fait parler, soit à peindre pour ainsi dire à l’oreille l’objet dont il parle. C’est ainsi que Virgile a su, en accumulant des dactyles, peindre la course précipitée d’un cheval au galop :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Ailleurs, l’effort des Cyclopes qui soulèvent lentement leurs marteaux, est rendu par une suite de spondées :

Illi inter sese magna vi brachia tollunt.

Le vers suivant :

In numerum, versantque tenaci forcipe ferrum.

peint successivement la chute cadencée des marteaux et le mouvement de la masse brulante que les tenailles font rouler sur l’enclume.

Si je ne craignais de fatiguer ceux de mes lecteurs qui ne connaissent point la langue allemande, je ferais voir aisément en détail combien les différents mètres que M. Gessner a employés, dans ce début de l’idylle de Palémon, sont exactement appropriés au caractère de déclamation que chaque phrase exige. Je ne puis du moins m’empêcher de faire remarquer d’abord l’heureux choix de cet iambe suivi de sept trochées.

Mĕin stāb sōll mĭch Grūsĕn

Vōr dīe schwēllĕ mēinĕr hūttĕ fūhrĕn,

pour exprimer la marche lente d’un vieillard qui, courbé sur son bâton, va gagner la porte de sa cabane et ensuite comment le mélange des dactyles vient rendre la cadence plus brillante quand, le vieillard, frappé des beautés qu’il contemple, exprime son admiration et sa joie dans un vers allemand, composé des quatre derniers pieds d’un hexamètre :

Ō wĭe schœ̌n ĭst āllĕs ŭm mīch hĕr !

(Que tout ce qui m’environne est beau !)

et dans un vers qui, quoiqu’un peu différent de l’hexamètre, a cependant le même caractère d’harmonie :

Allĕs wās ičh hœ̌re sĭnd Stīmmĕn dĕr freūdĕ ŭnd dēs Dānks.

(Tout ce que j’entends est la voix du bonheur et de la reconnaissance.)

Il est aisé de juger qu’une pareille prose peut avoir tout le brillant des vers et n’en différer que par l’avantage d’une plus grande variété. Aussi, M. Klopstock a-t-il fait du mélange des vers libres composés de mètres, le même usage que les auteurs anglais ont fait des vers libres à rimes croisées. Il a fait des Odes dans ce genre, et, au lieu d’écrire de suite comme M. Gessner et, à la manière de la prose, il a séparé tous les intervalles comme autant de vers.

Ces vers de M. Klopstock n’ont certainement aucun avantage du côté de l’harmonie sur le morceau que j’ai cité de M. Gessner. Celui-ci aurait donc pu sans contredit écrire sa prose, comme nous l’avons fait, en séparant les intervalles et la donner pour des vers. Il ne l’a pas voulu et, sans doute, il a cru trouver quelque avantage dans le parti auquel il s’est décidé.

Je crois qu’il a pu compter pour quelque chose la nécessité qu’il s’est imposée à lui-même de ne jamais forcer la prononciation régulière des mots et la coupe naturelle des périodes pour les plier arbitrairement à l’espèce de cadence qu’il voulait leur donner. Un homme qui lit des vers écrits à la manière ordinaire sait qu’il lit des vers ; l’habitude qu’il a de leur donner, en lisant, une certaine cadence agit sur lui, et lui fait marquer la quantité, plutôt d’après ce qu’exige la forme connue du vers que d’après la valeur réelle de chaque syllabe ; du moins, il se prête plus aisément aux licences en ce genre, et se plaît à se les cacher à lui-même. L’auteur est fortement tenté de compter sur cette illusion, et souvent il la partage en composant. La façon dont M. Gessner écrit sa prose cadencée lui interdit la ressource de toute espèce de licence. Le lecteur qui n’est point averti ne peut suppléer à la cadence et la mettre où elle n’est pas ; il faut que l’harmonie soit le résultat nécessaire et physique de l’arrangement des mots, en sorte que tout homme qui sait lire et prononcer régulièrement soit, comme forcé, de la produire à son insu.

Mais, indépendamment de cet avantage, M. Gessner avait une raison plus décisive pour écrire sa prose cadencée comme de la simple prose : son projet n’était pas de soutenir dans tout le cours de son ouvrage une harmonie aussi marquée, aussi brillante, que celle du morceau que j’ai cité ; il voulait bien s’élever quelquefois jusqu’au ton des vers ; mais il voulait aussi se réserver le droit de revenir, quand il lui conviendrait, au ton d’une simple prose élégante et de repasser de l’un à l’autre, tantôt par un changement subit, tantôt et plus souvent par des nuances et des dégradations insensibles suivant le besoin et la diversité des matières. Cela posé, il a dû éviter de prendre en écrivant en lignes séparées, l’engagement de versifier toujours, qu’il était résolu de ne pas tenir. Il y a des parties dans ses ouvrages qu’on peut regarder comme de véritables vers ; il y en d’autres qui ne sortent point du tout de la prose ; il y en a un très grand nombre dont l’harmonie mitoyenne entre les deux genres sert à nuancer le passage de l’un à l’autre, et à conserver au ton général une sorte d’ensemble et d’unité. Or, ces nuances sont souvent si délicates, que si M. Gessner avait voulu écrire différemment les parties les plus cadencées et les plus poétiques, et celles qui ne sont que de pure prose, je crois qu’il eût été très souvent embarrassé à marquer précisément la limite de l’un et de l’autre genre. Il a préféré avec raison de tout confondre et de laisser au goût de ses lecteurs à reconnaître l’harmonie plus ou moins marquée qu’il a répandue dans les différentes parties de son ouvrage. Il y a jusqu’à des espèces d’odes composées de plusieurs vers, tous de la même mesure, qu’il a déguisées en les écrivant comme de la prose. Voici, par exemple, une chanson qu’une jeune bergère chante dans le troisième livre du poème de Daphnis, et qui est toute composée de petits vers iambes de cinq syllabes :

Ĭch w̄ill nĭcht līebĕn

Sŏ sāg ĭch īmmĕr.

(Je ne veux point aimer, dis-je sans cesse.)

Cette chanson n’est pas le seul morceau que M. Gessner ait versifié d’une manière aussi suivie et aussi régulière que les poètes de profession. J’aurais pu citer une autre chanson dont les vers sont iambes de la même mesure que ceux de la première ode d’Anécréon. Mais un exemple suffit. À l’égard des morceau où il est réduit à la simple prose, il n’est pas fort nécessaire d’en citer, et le lecteur n’est peut-être déjà que trop fatigué de citations allemandes.

Je n’ai pas besoin non plus d’insister sur l’adresse et la finesse de goût nécessaires pour parvenir à mêler sans dissonance l’harmonie de la plus brillante versification et le rythme à peine sensible de la prose pour monter et descendre de l’un à l’autre par un vol soutenu, sans élans et sans chute, en se plaçant toujours au niveau du sujet et en conservant toujours l’unité et l’accord essentiel à tout ouvrage. Cet art de mélanger ainsi tous les tons et de les marier par des gradations insensibles, n’est pas un des moindres mérites de M. Gessner, et c’est, sans doute, ce qui l’a engagé à adopter le genre de la prose cadencée préférablement à celui des vers.

Ce genre est effectivement le seul qui puisse se prêter à cette dégradation imperceptible d’harmonie qui rapproche la versification de la prose ou qui remplit tout l’intervalle entre l’une et l’autre, et permet de les employer dans un même genre sans rompre l’accord et l’unité du tableau. Les vers libres à rimes croisées des Français sont certainement susceptibles d’une harmonie très brillante et très variée, mais la rime qui leur est essentielle met toujours, entre eux et la prose, une ligne de division qui ne permettra jamais de les rapprocher sans laisser voir sensiblement l’intervalle qui les sépare. Cette facilité de se prêter à tous les degrés possibles d’harmonie appartient donc exclusivement au mélange des différents intervalles cadencés par le moyen du mètre ou par la combinaison des syllabes longues ou brèves. Lorsque l’écrivain n’emploie que les mesures les plus riches et les plus brillantes, lorsqu’il a soin de soutenir toujours la cadence, ce genre rentre dans celui des vers libres, et c’est sous ce point de vue que M. Klopstock l’a envisagé quand il s’en est servi pour l’ode. Lorsque, au contraire, l’auteur embrasse le genre dans toute son étendue et passe des mesures brillantes à celles qui le sont moins, en descendant jusqu’au ton de la simple prose, ce genre devient exactement la prose mesurée peu cadencée dont j’ai entrepris de donner une idée et dont M. Gessner s’est servi dans tous ses ouvrages poétiques.

Je crois que ce genre est particulier aux Allemands et qu’il n’a été usité chez aucun autre peuple, soit ancien, soit moderne. Je ne connais que les Odes de Pindare et les Cantiques des Hébreux qu’on puisse leur comparer ; mais cette ressemblance n’est qu’apparente. À la vérité, lorsqu’on veut essayer de marquer la mesure des vers de Pindare, autant qu’il est possible de le faire avec l’incertitude où nous sommes sur la valeur d’un grand nombre de syllabes, l’on est frappé de la variété qui règne dans ses odes, soit par rapport à la longueur des vers, soit par rapport aux différents mètres ou pieds dont chaque vers est composé. Mais on s’aperçoit bientôt que la coupe des vers n’a aucun rapport au sens, ni au repos de la prononciation qui séparent dans le discours les différents membres des phrases. Non seulement, le sens est coupé à chaque instant par la fin du vers, mais il n’y a rien de si commun que de voir les mots séparés en deux, et la moitié d’un mot finir un vers, tandis que l’autre moitié est rejetée au vers suivant. De pareilles chutes n’ont certainement par elles-mêmes aucun agrément pour l’oreille. On peut donc en conclure que la coupe et la séparation n’y tient point aux divisions du discours considéré en lui-même, et indépendamment d’une cadence étrangère à laquelle le poète était obligé de la plier ; et puisqu’on ne trouve dans Pindare aucune cadence régulière, aucun rythme sensible à l’oreille, il faut bien que son rythme et ses divisions aient été réglés uniquement pour le rythme et les divisions du chant. Il est donc certain que les Odes de Pindare, qu’on sait d’ailleurs n’avoir été faites que pour être chantées, n’avaient point une mesure destinée à être sentie indépendamment de l’air, au mouvement duquel elles étaient assujetties, et dont elles recevaient toute leur cadence et leur agrément. Il faut en juger comme de ces paroles qu’on met sur des airs de violon et qui, séparées du chant paraissent d’autant plus bizarres et d’autant moins agréables qu’elles sont mieux adaptées à l’air. Les Odes en vers libres de M. Klopstock et la prose cadencée de M. Gessner sont faites, au contraire, pour avoir une harmonie propre, et sensible à quiconque sait bien prononcer l’Allemand. On ne peut donc les regarder comme étant du même genre que les Odes de Pindare.

À l’égard des Cantiques, des Psaumes et des autres morceaux de poésie hébraïque répandus dans l’Ancien Testament, on sait que plusieurs savants du premier ordre se sont forcés d’y trouver, ou des rimes, ou des vers mesurés régulièrement et arrangés en strophes à la manière d’Horace. Le peu de succès de leurs efforts porte à croire qu’effectivement la versification de ces morceaux n’était qu’une suite d’intervalles mesurés, de longueur inégale et de différentes sortes de cadences qui probablement dépendaient en partie du mélange des brèves et des longues et, comme il ne paraît dans le texte, tel que nous l’avons, aucune distinction de vers, que tout est écrit de suite, ce serait un degré de ressemblance de plus entre la poésie des Hébreux et la prose cadencée des Allemands. Mais, d’un côté, l’impossibilité où l’on a été jusqu’à présent de trouver aucune cadence sensible dans les Psaumes, quoique la quantité soit marquée assez exactement par les points voyelles, de l’autre, la certitude où l’on est que ces ouvrages ont été faits originairement pour être chantés, sont de très fortes raisons de croire que leur mouvement était absolument relatif à celui du chant et pouvait fort bien être très peu sensible dans la simple prononciation : ce qui les placerait dans la même classe que les vers de Pindare, et par conséquent établirait une différence essentielle entre le genre de leur versification et la prose mesurée des Allemands.

__________

[1] De Kleist (1715-1759), auteur du Printemps.

[2] Gleim (1719-1803), qu’on a appelé le Tyrtée allemand.

[3] Gottsched (1700-1766), célèbre critique.

[4] Klopstock (1724-1803). Le Messie, son premier poème, fut publié en 1748 à son insu.

[5] Zacharie (1726-1777), auteur de Poésies en neuf volumes, etc.

[6] Le Batteux (1713-1780) de l’Académie française (1761).

[7] « Laudis et gloriœ et ingenii loco plerique jactant cantari saltarique commentarios suos. » Ce qui veut dire, suivant l’abbé Dubos : que leurs phrases nombreuses rendaient, dans la prononciation, un rythme si bien marqué, que la déclamation en pouvait être partagée entre deux personnes dont l’une aurait fait les gestes au bruit de la récitation de l’autre, sans s’y méprendre, tant ce rythme était sensible.

[8] Scarron, Épître à Monsieur Sarrasin.

[9] Du Pont a signalé à ce propos que Marmontel a fait une expérience malheureuse de ce qu’avait prévu Turgot, en écrivant les Incas et la relation du Sacre de Louis XVI en vers blancs de toute mesure.

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