Oeuvres de Turgot – 080 – Encouragement aux manufactures

80. — ENCOURAGEMENT AUX MANUFACTURES.

Lettres à Trudaine.

[D. P., V, 167.]

Première lettre[1].

(La manufacture La Forest. — Les privilèges exclusifs. — Les lettres de noblesse. — Les exemptions d’impôts et autres privilèges. — Les droits de douane.)

Limoges, février.

M., les sieurs La Forêt frères, entrepreneurs d’une manufacture de cotonnades à Limoges, vous ont présenté différents Mémoires que vous m’avez renvoyés, et sur lesquels je n’ai point encore eu l’honneur de vous donner mon avis.

Ces manufacturiers avaient d’abord formé des demandes qu’il n’était guère possible de leur accorder ; mais, par leurs derniers Mémoires, ils les ont restreintes à des points plus raisonnables.

Cette manufacture, établie du temps de M. de Tourny, a joui pendant vingt ans d’un privilège exclusif dans la ville de Limoges et dans l’étendue de dix lieues à la ronde, qui lui avait été accordé par un Arrêt du Conseil du 30 juillet 1743. Par ce même Arrêt, les sieurs La Forêt devaient jouir, ainsi que leurs veuves et leurs enfants fabricants, pendant la durée du privilège, de l’exemption personnelle du logement des gens de guerre, du fourrage, de l’ustensile, de la collecte, du syndicat, de tutelle, curatelle et autres charges publiques, et ils devaient être taxés d’office modérément à la taille.

En 1748, en considération des efforts qu’avaient faits les sieurs La Forêt pour perfectionner leur fabrique, M. le contrôleur général leur accorda le titre de manufacture royale.

Le privilège des sieurs La Forêt étant heureusement expiré en 1763, ils s’adressèrent à moi pour en solliciter le renouvellement. Je leur fis sentir que leurs sollicitations étaient inutiles et que les principes adoptés aujourd’hui, avec tant de raison, par l’administration, étaient un obstacle invincible au succès de leurs désirs.

En conséquence, ils vous ont adressé, M., un mémoire par lequel ils demandent la continuation des autres privilèges que l’Arrêt de 1743 leur accordait, outre le privilège exclusif, et quelques autres avantages et privilèges dont ils n’ont pas joui jusqu’ici.

Ils demandent premièrement qu’il leur soit accordé des lettres de noblesse en considération du service qu’ils ont rendu à la Province en y introduisant un genre d’industrie qui y occupe plus de dix-huit cents personnes de l’un et de l’autre sexe, sans avoir, disent-ils, reçu aucun secours d’argent du gouvernement ;

2° L’exemption du vingtième d’industrie à raison de leur fabrique pour eux, leurs veuves et leurs enfants ;

3° L’exemption de toutes impositions, même des vingtièmes, pour raison du terrain et des bâtiments de leur manufacture ;

4° Que, quoique la manufacture où ils habitent soit située hors de l’enceinte taillable de la ville de Limoges, ils soient réputés habitants de Limoges, et puissent en cette qualité être nommés aux offices municipaux et de la juridiction consulaire, et continuent d’être taxés d’office au rôle de Limoges, si le Roi ne leur accorde pas la noblesse ;

5° Que tous les privilèges qui leur sont accordés par l’Arrêt de 1743, à l’exception du privilège exclusif, leur soient continués à perpétuité à eux, leurs veuves et enfants fabricants, tant que la manufacture subsistera ;

6° Que le titre de manufacture royale leur soit conservé et confirmé ;

7° Ils demandent la concession d’un ancien moulin à poudre et d’un terrain adjacent, situés sur la rivière de Vienne, et appartenant, à ce qu’ils disent, au Roi, pour y faire mouvoir, par le moyen de l’eau, différentes machines relatives au moulinage des soies, et y établir une blanchisserie pour les cotons et les fils de lin.

Ils ont depuis présenté une nouvelle requête que vous m’avez aussi renvoyée, par laquelle ils demandent :

8° L’exemption de tous droits pour les étoffes fabriquées dans leur manufacture, tant dans l’intérieur qu’à la sortie du Royaume, et celles des droits sur les matières premières qu’ils emploient, et notamment l’exemption du droit de 20 francs par 100 pesant, nouvellement imposé sur les cotons filés du Levant importés par Marseille.

Il est certain, M., que la manufacture des sieurs La Forêt, depuis qu’elle n’a plus de privilège exclusif, ne peut qu’être utile à la Province, et mérite la protection du Gouvernement. Ces entrepreneurs ont de l’intelligence et de l’activité, et réussissent assez bien dans les différentes étoffes qui sont l’objet de leur fabrique. Ils ont fait un bâtiment considérable dans lequel ils ont depuis longtemps de 50 à 60 métiers battants. Ils ont fait voyager leurs enfants à Lyon et dans les principales villes de manufacture pour s’instruire. Ceux-ci en ont rapporté des connaissances dans le dessin, dans les différentes pratiques pour la préparation des matières, dans l’art de varier la monture des métiers et d’apprêter leurs étoffes. Ils se sont procuré des machines utiles, telles qu’un cylindre, une calandre, un moulin pour donner le tors aux soies et aux cotons qu’ils emploient. Ils sont presque les seuls particuliers des environs de Limoges qui élèvent des vers à soie. Leurs soins ont aussi contribué à l’établissement de la filature du coton dans quelques petites villes des environs de Limoges. À tous ces titres, ils méritent des égards et des encouragements.

Il s’agit de voir si ceux qu’ils demandent peuvent leur être accordés sans inconvénient.

Ils demandent d’abord des lettres de noblesse. On ne peut douter que cette distinction honorifique, accordée de temps en temps à quelques commerçants, ne soit très propre à faire naître parmi eux une émulation utile. C’est un témoignage solennel que donne le gouvernement de la considération avec laquelle il regarde l’état des commerçants ; c’est pour eux un gage de la considération publique, et un motif d’estimer leur état et d’y rester attachés. Mais cette faveur ne doit pas être prodiguée. Elle doit, ce me semble, être réservée pour des négociants d’un ordre supérieur qui, par l’étendue ou la nouveauté de leurs entreprises, ont fait faire un progrès réel au commerce de la nation, à ceux qui, dans des temps difficiles, ont servi l’État de leur fortune ou de leur crédit, à ceux qui ont introduit dans la nation une industrie, inconnue avant eux et propre à former une branche de commerce avantageuse.

En rendant justice à l’utilité réelle de l’établissement des sieurs La Forêt, on doit convenir qu’elle ne peut les placer dans cette première classe. Ils ont formé une fabrique de cotonnades, genre d’industrie à la vérité nouvellement introduite en Limousin, mais connue et florissante depuis longtemps dans d’autres provinces du Royaume. Ils ont joui pendant vingt ans d’un privilège exclusif onéreux à la Province, et il sera toujours douteux si leurs soins et leurs avances ont été plus utiles aux progrès du genre même de travaux, dont ils ont donné l’exemple, que leur privilège exclusif n’y a été nuisible en étouffant l’industrie de tous ceux qui auraient pu former des entreprises semblables. Ce n’est que depuis l’expiration de leur privilège exclusif, que leur établissement peut être regardé comme vraiment utile ; et, à partir de cette date, leurs services ne sont certainement ni assez anciens, ni assez étendus, pour mériter une récompense aussi distinguée que des lettres de noblesse.

Ils demandent, en second lieu, l’exemption du vingtième d’industrie à raison de leur fabrique. L’imposition du vingtième d’industrie me paraît, en général, assez mal entendue. L’industrie n’à que des salaires ou des profits qui sont payés par le produit des biens-fonds et qui ne forment point une augmentation dans la somme des revenus de l’État. Ces profits sont et doivent être limités par la concurrence. Si le Prince veut les partager, il faut que l’industrie se fasse payer plus cher ou travaille moins. Cet impôt ne soulage donc point le propriétaire des terres. Il est d’ailleurs physiquement impossible de l’asseoir avec précision parce qu’il est impossible de connaître la fortune et les profits de chaque négociant. Enfin, c’est un objet assez modique pour le Roi. Toutes ces raisons me feraient désirer que cet impôt pût être supprimé. Mais tant qu’il subsistera, je ne puis être d’avis d’en exempter, sans des raisons très fortes, un négociant particulier. L’impossibilité de connaître les fonds d’un commerce pour imposer chaque négociant à proportion de sa fortune, a obligé de s’écarter des principes de l’établissement du vingtième, et de substituer à l’imposition proportionnée au gain de chaque contribuable, la répartition d’une somme fixe dans chaque ville. On ne pourrait donc tirer des rôles du vingtième d’industrie un négociant particulier sans faire retomber sa charge sur les autres. Cette grâce pourrait n’avoir aucun inconvénient s’il s’agissait d’une manufacture nouvelle, dont les entrepreneurs n’eussent point encore été sujets à cette taxe. Mais les sieurs La Forêt ont toujours partagé cette charge avec les autres négociants de Limoges. Elle ne leur est pas plus onéreuses qu’aux autres, et ils ne sont pas moins en état de la supporter ; je pense donc qu’il n’y a pas lieu de leur en accorder l’exemption.

Leur troisième demande, qui a pour objet l’exemption des impositions, même des vingtièmes, pour raison du terrain et des bâtiments de la manufacture, ne me paraît pas non plus devoir leur être accordée. Si les vues actuelles du Gouvernement de changer la forme des impositions et de les rendre réelles et territoriales[2] ont, comme il faut l’espérer, leur exécution, il y aurait de l’inconvénient à en excepter aucun fonds. Il est fâcheux que la législation soit déjà gênée d’avance par une foule de privilèges ; c’est un embarras qu’il ne faut pas augmenter. L’imposition actuelle que supporte le terrain de la manufacture des sieurs La Forêt est très modérée et, dans le système d’impositions qui a lieu en Limousin, ils n’ont point à craindre qu’elle soit augmentée arbitrairement. Je pense donc qu’il faut à cet égard laisser les choses comme elles sont.

Pour entendre l’objet de leur quatrième demande, il faut savoir que la ville et la cité de Limoges, quoique faisant partie d’un même tout, forment cependant deux communautés distinctes, et qui sont imposées séparément à la taille ; outre ces deux communautés, il y a encore deux petites paroisses qui ne sont pas à cent toises de l’une et de l’autre, et sur le territoire desquelles il y a plusieurs maisons qui tiennent à la ville, mais qui n’en font point partie. Ces paroisses ont leurs rôles particuliers, et la taille s’y impose d’après les mêmes règles que dans les paroisses de la campagne. Elles ont cependant été comprises dans l’enceinte formée pour le paiement du don gratuit, et les habitants sont regardés, à beaucoup d’égards, comme habitants de Limoges. C’est dans une de ces paroisses qu’est située la manufacture des sieurs La Forêt ; mais cela n’a pas empêché que, depuis qu’elle est établie, leur taxe d’office, faite en conséquence de l’Arrêt du Conseil du 30 juillet 1743, n’ait été portée sur le rôle de la ville. Ils ont toujours été regardés comme étant du corps des négociants de Limoges ; et l’un d’entre eux est même actuellement conseiller de la juridiction consulaire. Je ne vois aucune difficulté à leur continuer cette prérogative dont ils sont en possession, et à ordonner qu’ils continueront d’être regardés comme habitants de la ville de Limoges, que comme tels, ils pourront être nommés aux places municipales et de la juridiction consulaire, et qu’ils continueront d’être taxés d’office modérément au rôle de la ville de Limoges pour leurs impositions personnelles.

Je ne vois pas non plus de difficulté à leur accorder leur cinquième demande, qui ne consiste que dans la continuation des privilèges dont ils jouissent depuis leur établissement ; en en retranchant le privilège exclusif, ils n’ont plus rien d’exorbitant. Cependant, comme il faut toujours tendre à ramener par degrés les choses au droit commun, je serais d’avis de fixer à ces privilèges le terme de vingt ans, le tout à la charge d’entretenir toujours le même nombre de métiers battants.

La continuation du titre de manufacture royale est aussi sans inconvénient. Ce titre n’a été accordé aux sieurs La Forêt que par une lettre de M. le contrôleur général, laquelle ne fixe aucun terme à cette grâce. Ainsi, l’expiration des privilèges accordés par l’Arrêt de 1743 n’a rien fait perdre à cet égard aux sieurs La Forêt, et ils ne demandent la confirmation de ce titre par Arrêt du Conseil, que pour y donner une plus grande authenticité.

Quant à la concession de l’ancien moulin à poudre, situé sur a Vienne, qui fait l’objet de leur septième demande, elle avait déjà été demandée par le sieur Morin, entrepreneur de la manufacture de cuivre jaune. En vous donnant mon avis sur la requête de celui-ci, j’ai déjà eu l’honneur de vous marquer que ce moulin n’appartenait point au Roi, mais à la compagnie des fermiers des poudres, qui l’avaient acquis en leur nom. S’il eût appartenu au Roi, et si la concession eût pu en avoir lieu, j’aurais cherché à procurer la préférence au sieur Morin, à qui ce moulin aurait été plus nécessaire. Ce n’est pas que les machines dont les sieurs La Forêt veulent se fournir ne doivent être fort utiles à leur fabrique, et même à la Province, mais ils sont en état d’en faire l’établissement, et les positions favorables ne sont pas rares dans les environs de Limoges.

Enfin, pour ce qui concerne leur dernière demande, c’est-à-dire l’exemption des droits d’entrée et de sortie, tant du Royaume que des provinces des cinq grosses fermes, soit pour les étoffes fabriquées dans leur manufacture, soit pour les cotons et autres matières premières qu’ils y emploient, je la regarde comme très favorable. Cette exemption les dédommagerait du privilège exclusif qu’ils perdent, et remplacerait un encouragement nuisible à la Province par un autre dont elle partagerait l’avantage. Le Limousin, par la difficulté de déboucher les productions de ses terres et par le bas prix de la main-d’œuvre, serait très propre à établir différentes manufactures ; mais les ouvrages qu’on y fabriquerait ne peuvent se débiter dans les provinces de Bourbonnais, de Berri, de Poitou, d’Aunis, qui, par leur situation, en sont les plus à portée, sans payer les droits des cinq grosses fermes, ce qui les met dans l’impossibilité d’y soutenir la concurrence des anciennes manufactures.

Il paraît que, depuis quelque temps, le Conseil s’est, avec raison, rendu assez facile sur cette exemption. J’en connais plusieurs exemples récents, et la faveur accordée au sieurs Metezeau, de Nantes, par l’Arrêt que citent les sieurs La Forêt, en est un très frappant. La manufacture des sieurs Metezeau n’a que 5 métiers battants ; celle des sieurs La Forêt en a plus de 60 ; et l’on ne manquerait pas de raisons pour soutenir qu’une manufacture est mieux placée et mérite plus de protection à Limoges qu’à Nantes, où l’extrême activité du commerce maritime, l’emploi qu’il offre continuellement aux capitaux des négociants et au travail des hommes, rend la main-d’œuvre nécessairement très chère, et devient par conséquent un obstacle presque invincible au progrès des manufactures.

Les sieurs La Forêt insistent pour l’exemption des nouveaux droits imposés sur les cotons filés du Levant. Cet article souffrira peut-être un peu plus de difficulté, si, comme je le présume, le motif qui a fait établir ces nouveaux droits est le désir de hâter l’établissement de la filature dans le Royaume. Je crois cependant qu’en attendant que ces filatures soient établies, il est fort dangereux que les manufactures montées languissent faute de matières ; or, il est certain que les manufactures de filage déjà établies sont le seul ressort qui puisse donner de l’activité à la filature. L’intérêt des manufacturiers les engagera toujours suffisamment à répandre autour d’eux cette industrie parce qu’ils gagneront toujours plus à tirer leurs fils de près que de loin. Je ne regarde donc les cotons filés chez l’étranger que comme un supplément, mais un supplément qui peut devenir nécessaire, en bien des cas, pour le soutien des manufactures, et qui, par une conséquence plus éloignée, mais non moins certaine, concourt à l’établissement même de la filature dans l’intérieur. Je pense donc que, du moins dans une province où la filature n’est pas encore assez bien montée pour alimenter les manufactures, il n’y aurait point d’inconvénient à faciliter l’entrée du coton filé étranger. Si cependant vous y trouviez de la difficulté, je n’en insisterais pas moins pour que vous eussiez la bonté d’accorder aux sieurs La Forêt l’exemption de droits qu’ils demandent pour leurs étoffes et pour les autres matières premières qu’ils emploient dans leur manufacture.

Voici donc, M., pour résumer mon avis, à quoi se réduisent les encouragements qu’il me paraît juste et utile d’accorder aux sieurs La Forêt :

1° La confirmation de la possession où il sont d’être regardés comme habitants de la ville de Limoges, comme tels compris dans le corps des négociants de cette ville susceptibles des places de la juridiction consulaire et des places municipales, et taxés pour leurs impositions personnelles au rôle de la ville ;

2° La continuation des différents privilèges autres que le privilège exclusif, dont ils ont joui en vertu de l’Arrêt du Conseil du 30 juillet 1743, c’est-à-dire de l’exemption de collecte, milice, logement de gens de guerre, tutelle, curatelle et autres charges publiques, et le privilège d’être taxés d’office modérément ;

3° La confirmation du titre de Manufacture royale et des distinctions qui y sont attachées, ainsi qu’elles leur ont été accordées par la lettre de M. le contrôleur général du 16 septembre 1748 ;

4° L’exemption des droits d’entrée et de sortie du Royaume, et à la circulation dans l’intérieur, tant pour les étoffes fabriquées par leur manufacture que pour les matières premières qu’ils y emploient, et même, s’il est possible, pour les cotons filés qu’ils tireraient de l’étranger.

ponse de Trudaine.

(Les manufactures royales. — La milice. — La tutelle et la curatelle. — Les droits de douane.)

Paris, 11 mars.

M., j’ai lu avec une grande satisfaction la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire à l’occasion des exemptions et des privilèges que demandent les sieurs La Forêt frères. Je pense exactement comme vous, et par les mêmes motifs, sur l’article des lettres de noblesse, sur l’exemption du vingtième d’industrie, sur celle des impositions et du vingtième qu’ils payent à raison du terrain et des bâtiments de leur manufacture, sur le privilège dont ils jouissent d’être regardés comme habitants de Limoges, et enfin sur la concession de l’ancien moulin à poudre. Mais j’avoue que j’aurais de la répugnance à leur accorder certains privilèges, et à leur en continuer quelques autres sans restriction. Je vais entrer dans quelques détails sur les articles qui me paraissent souffrir des difficultés, et vous exposer les motifs qui m’arrêteraient.

Les privilèges qu’ils avaient obtenus, en même temps que le privilège exclusif, renferment l’exemption de milice, et celle de tutelle et curatelle. Il serait à désirer que des ouvriers attachés à une manufacture ne fussent pas exposés à se voir arrachés de leurs ateliers pour aller faire malgré eux le métier de la guerre auquel ils ne sont pas destinés, et pour lequel leurs talents acquis deviennent parfaitement inutiles ; mais cette charge publique étant générale, et M. le duc de Choiseul paraissant disposé à la rendre aussi égale qu’il sera possible entre ceux qui y sont assujettis, il me paraît bien difficile d’en obtenir l’exemption. D’ailleurs, c’est à ce ministre qu’il convient de s’adresser pour s’assurer si cette grâce pourrait se concilier avec le plan qu’il s’est formé.

À l’égard des tutelle et curatelle, ce sont des charges imposées par la nature ; ainsi je pense qu’on ne devrait en exempter dans aucun cas. Les avantages résultant d’un travail assidu ou d’une vigilance continuelle ne me paraissent nullement devoir l’emporter sur les devoirs d’assistance et d’humanité que doivent des parents aux enfants mineurs de leur famille. Par ces motifs, je serais d’avis de retrancher absolument l’exemption de tutelle et curatelle des privilèges dont les sieurs La Forêt demandent la continuation.

Quoique le titre de manufacture royale ne paraissent qu’une décoration, il donne dans le commerce des avantages très réels sur les manufactures de même espèce qui n’ont pas ce titre. Vous en connaissez des exemples. C’est, par cette raison, que j’ai toujours vu avec peine donner cette marque de distinction à quelques entrepreneurs, tandis qu’on la refuse à leurs concurrents naturels. C’est, d’ailleurs, par un abus manifeste des termes que des manufacturiers ont obtenu la permission d’appliquer à des fabriques qu’ils ont établies à leurs dépens, et qui ne travaillent que pour eux, une qualification qui n’appartient qu’aux manufactures établies par le Roi et qui ne travaillent que pour S. M., comme celle des Gobelins. Les mots manufacture royale ne doivent être regardés et ne sont réellement que l’énonciation d’un fait. Cette réflexion devait naturellement conduire à refuser ce titre à tout établissement formé par des particuliers et pour leur profit ; mais quand on sait de plus que ce titre accordé aux uns nuit aux manufactures des autres, il me semble qu’on doit avoir plus de répugnance encore à donner une marque de distinction qui devient purement lucrative. Cependant, si vous croyez devoir insister sur cet article, je m’en rapporterai à ce qui vous paraîtra le plus convenable.

Je pense aussi que l’exemption des droits d’entrée et de sortie du Royaume et à la circulation dans l’intérieur, tant pour les étoffes fabriquées que pour les matières premières, devrait être commune à tous les fabricants, ou n’être accordée à aucun. Mais comme, dans les principes du nouveau tarif général, les droits de l’intérieur doivent être supprimés[3], je ne vois pas d’inconvénient à faire jouir dès à présent les sieurs La Forêt de cette partie de l’exemption qu’ils demandent. Peut-être même les avantages qu’ils en retireront engageront-ils d’autres entrepreneurs à solliciter la même faveur : dans ce cas, je serais d’avis de l’accorder, afin que l’industrie jouît d’avance de cette partie du bien que le nouveau tarif doit produire.

À l’égard des cotons filés tirés de l’étranger, je crois qu’il est très intéressant pour toutes nos manufactures de laisser subsister les droits établis, parce que c’est le seul moyen de rendre la filature générale en France, et de la porter rapidement à sa perfection. C’est un bien que les sieurs La Forêt peuvent procurer au Limousin. Ils ont déjà commencé cet ouvrage : ils doivent s’occuper sérieusement, et par zèle et par intérêt personnel, des moyens de l’achever.

Il ne me reste plus qu’une observation à vous faire : ils demandent leurs privilèges pour vingt ans. La Déclaration du Roi du 24 décembre 1762, article 2, y met obstacle, en fixant au terme de quinze années de jouissance tous les privilèges qui ont été accordés, ou qui le seront dans la suite.

Je désire que vous pensiez comme moi sur les articles de la demande des sieurs La Forêt, qui m’ont paru souffrir des difficultés, et je vous prie de m’envoyer un projet de l’arrêt qui vous paraîtra devoir être expédié en leur faveur.

Deuxième lettre à Trudaine.

[D. P., V. 187.]

(La milice. — Les privilèges. — La tutelle et la curatelle. — Les manufactures royales. — Les droits de douane.)

Limoges.

M., j’ai à me reprocher d’avoir perdu de vue depuis bien longtemps la réponse que vous avez faite à une lettre que j’avais eu l’honneur de vous écrire au mois de février à l’occasion des exemptions et des privilèges demandés par les sieurs La Forêt, entrepreneurs d’une manufacture de cotonnades à Limoges. J’étais entré, en vous donnant mon avis sur ces demandes, dans un détail fort étendu, et j’aurais fort désiré que vous eussiez pu vous décider en conséquence, sans avoir besoin d’éclaircissements ultérieurs. Mais vous m’avez témoigné, par votre réponse, que vous aviez de la répugnance à leur accorder quelques-uns des privilèges que je proposais en leur faveur. Vous m’avez fait part des motifs de cette répugnance, en désirant de savoir si je croirais devoir insister sur les articles de ma lettre qui vous paraissaient susceptibles de difficulté, et en me priant de vous envoyer un projet de l’arrêt, tel que je croirais convenable de l’expédier.

Je ne rappellerai point, M., les différents détails où j’étais entré dans ma première lettre, que vous pourrez vous faire remettre sous les yeux. Il suffit de vous en présenter le résultat par lequel j’avais terminé cette lettre[4]

Je vais successivement parcourir les réflexions dont vous m’avez fait part sur ces différents privilèges.

Votre première observation tombe sur l’exemption de milice, renfermée dans les anciens privilèges dont les sieurs La Forêt demandent la continuation. Vous pensez qu’il serait à désirer que des ouvriers attachés à une manufacture ne fussent pas exposés à se voir arracher de leurs ateliers pour aller faire, malgré eux, le métier de la guerre auquel ils ne sont pas destinés, et pour lequel leurs talents acquis deviennent parfaitement inutiles ; mais vous observez que, M. le duc de Choiseul paraissant disposé à rendre cette charge publique aussi égale qu’il sera possible entre ceux qui y sont assujettis, il vous paraît bien difficile d’en obtenir l’exemption, et vous croyez qu’il peut être nécessaire de s’adresser au ministre pour s’assurer si cette grâce pourrait se concilier avec le plan qu’il s’est formé.

Je crois pouvoir vous répondre, M., ainsi que je l’ai déjà fait en vous donnant mon avis sur l’établissement de la manufacture du sieur Nadal, d’Angoulême, que toutes les exemptions de milice, accordées par des Arrêts du Conseil à différentes manufactures, n’ont souffert, de la part de M. le duc de Choiseul, aucune espèce de difficulté ; et que les plans adoptés par ce ministre sur la milice n’étant point différents de ceux qui avaient lieu précédemment, il ne me paraît pas qu’on doive se faire aucune difficulté d’insérer, toutes les fois que le Conseil le jugera convenable, l’exemption de milice parmi celles qu’on accordera à différentes manufactures, puisque cette exemption a été insérée dans un grand nombre d’arrêts de ce genre, qui n’ont donné lieu à aucune réclamation de la part du ministre de la guerre.

Non seulement tous les privilèges accordés par le Conseil ont eu leur entière exécution, mais les intendants ont eu la même liberté dont ils jouissaient auparavant, d’accorder les exemptions qu’ils ont regardées comme justes et nécessaires pour l’avantage du commerce. C’est en conséquence de cette liberté que j’ai fait jouir de l’exemption personnelle tous les maîtres ou entrepreneurs de manufacture, faisant travailler sur métier. Je crois aussi qu’il est juste d’exempter, dans chaque grande manufacture, quelques ouvriers principaux nécessaires pour diriger le travail des autres, et distingués par une plus grande intelligence, ou par une connaissance supérieure, qui les rendent plus difficiles à remplacer.

Pour fixer à cet égard une règle qui tienne un juste milieu entre la trop grande rigueur et la trop grande multiplication des exemptions, j’estime qu’il serait convenable d’accorder l’exemption pour un ouvrier à raison de dix métiers battants, et je ne ferais aucune difficulté d’accorder une pareille exemption à tous les manufacturiers qui la demanderaient.

Les sieurs La Forêt ne demandent l’exemption que pour leurs enfants, et mon avis est de la leur accorder.

Votre seconde observation concerne l’exemption de tutelle et curatelle, que les sieurs La Forêt avaient obtenue en même temps que le privilège exclusif. Vous observez que ce sont des charges imposées par la nature, dont on ne devrait exempter dans aucun cas, aucune considération ne devant l’emporter sur les devoirs d’assistance et d’humanité que doivent des parents aux enfants mineurs de leur famille. Ces réflexions sont extrêmement justes et très conformes à ma façon de penser. C’est, en effet, une chose bien étonnante que la facilité avec laquelle on a prodigué ce privilège, non seulement pour favoriser des établissements utiles à l’État, mais pour décorer une foule de petites charges plutôt nuisibles qu’utiles, et qui n’ont été inventées que dans des vues fiscales. Il n’est pas jusqu’aux plus petits employés des fermes qui n’en jouissent, et cette exemption est, pour ainsi dire, devenue de style, toutes les fois que le Gouvernement veut favoriser quelque personne que ce soit par une concession de privilège.

C’est en partant de cet usage général que je n’avais point pensé à réclamer contre ce privilège, dont les sieurs La Forêt avaient joui aux mêmes titres que tant d’autres. Je ne voyais pas qu’en le leur retranchant, on avançât beaucoup dans la réforme d’un abus aussi universel, et je me bornais à désirer que le Gouvernement prît des mesures pour le faire un jour cesser entièrement, ce qui ne se peut que par des changements assez considérables dans notre législation et dans les formes judiciaires. Car, il faut l’avouer, si c’est la nature qui a imposé aux parents ce devoir d’humanité envers les enfants mineurs de leur famille, ce n’est pas la nature qui l’a rendu tellement onéreux, que tout le monde s’empresse de le fuir, et qu’il est devenu presque incompatible avec toute profession active et qui demande un travail assidu. Pour supprimer entièrement ce privilège, il faudrait que les formes judiciaires fussent assez simples et assez peu dispendieuses pour que la tutelle cessât d’être un fardeau redoutable, même à l’intelligence réunie à la probité ; ou bien, il faudrait que la loi s’occupât de pourvoir à la conservation des biens des mineurs d’une manière qui, en conservant à leurs parents l’inspection qu’ils doivent naturellement avoir, leur laissât le loisir nécessaire pour suivre le cours de leurs occupations ordinaires. Ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur les moyens qu’on pourrait prendre pour parvenir à ce but : il faut partir de l’état actuel des choses, et j’avoue qu’en attendant une réforme beaucoup plus désirable qu’elle ne paraît prochaine, je ne puis, ni tout à fait condamner l’administration lorsqu’elle se détermine à donner ce privilège pour des considérations d’utilité publique, ni m’étonner de la répugnance que vous sentez à l’accorder. Dans le cas particulier de la manufacture des sieurs La Forêt, je ne vois aucune nécessité assez urgente pour insister, et je me rends volontiers à votre façon de penser, en retranchant ce privilège de l’arrêt que je vous propose.

Votre troisième difficulté concerne le titre de manufacture royale, que j’avais proposé de conserver aux sieurs La Forêt, et vous fondez votre répugnance sur deux motifs : l’un, que le titre de manufacture royale ne devrait s’appliquer, suivant son origine, qu’aux manufactures établies par le Roi, et qui travaillent pour le compte de S. M., comme celle des Gobelins, en sorte que ces mots manufacture royale ne doivent être regardés que comme l’expression d’un fait ; réflexion qui conduirait naturellement à refuser ce titre à tout établissement formé par des particuliers et pour leur profit.

Le second motif est l’avantage trop réel que cette décoration donne aux fabriques qui l’ont reçue, sur les manufactures de même espèce qui n’ont pas ce titre. Vous ajoutez que, si cependant je crois devoir insister sur cet article, vous vous en rapporterez à ce qui me paraîtra le plus convenable.

Quoique votre réflexion sur l’espèce d’abus des termes, dans l’application du titre de manufacture royale, soit très juste en elle-même, je crois cependant que cet abus, qui n’est que dans le langage, est suffisamment couvert par l’usage constant qui a déterminé le sens de ces mots, manufacture royale, à n’être qu’une distinction purement honorifique dont le Conseil a décoré les manufactures qu’il a crues dignes de la protection particulière du Gouvernement.

À l’égard du tort que cette décoration peut faire aux autres fabriques du même genre en procurant aux manufactures royales une préférence réelle, j’adopte absolument votre façon de penser, lorsqu’il s’agit d’une manufacture qui s’établit dans un canton où il y en a déjà d’autres du même genre ; mais je crois qu’on peut se rendre plus facile lorsqu’il s’agit d’un genre d’industrie absolument nouveau dans la province où se forme l’établissement. Les manufactures, anciennement établies dans les autres provinces et dont le commerce est monté, ont trop d’avantages, par cela même, pour que celui qu’on donne à la nouvelle manufacture leur fasse aucun tort ; et pourvu qu’on borne le titre de manufacture royale à un petit nombre d’années, on n’a point à craindre d’empêcher cette industrie de s’étendre dans la Province où elle est nouvelle par la multiplication des manufactures de ce genre.

C’est d’après ces principes que, d’un côté, j’ai insisté auprès de vous pour faire supprimer le titre de manufacture royale accordé autrefois aux sieurs Henry et d’Hervault, fabricants de papier dans l’Angoumois[5] ; et que, de l’autre, je vous ai proposé d’accorder ce même titre à la manufacture d’étoffes anglaises établie à Brive par le sieur Le Clerc[6], à celle de cotonnades du sieur Nadal à Angoulême, et à celle de lainages anglais des sieurs Piveteau-Fleury dans la même ville.

Quant à ce qui concerne les sieurs La Forêt, je m’étais déterminé à proposer pour eux ce titre pour deux raisons : l’une que, perdant le privilège exclusif qu’ils avaient eu jusqu’alors, il me paraissait dur de les priver en même temps d’une décoration dont ils jouissaient ; l’autre était que, la lettre ministérielle qui leur a donné cette décoration n’ayant rien de commun avec l’Arrêt qui leur conférait le privilège exclusif pour vingt ans, son effet ne paraissait pas devoir expirer en même temps que cet arrêt : la lettre de M. le contrôleur-général, du 16 septembre 1748, qui leur accorde cette grâce, n’y a même fixé aucun terme, et je trouvais qu’en la leur confirmant pour un temps limité, on se rapprochait du droit commun sans rejeter tout à fait leur titre.

C’est à vous, M., à peser ces raisons et à juger si elles vous paraissent suffisantes pour balancer la répugnance que vous avez à multiplier le titre de manufacture royale. Si vous ne le pensez pas, je n’insisterai point sur cet article, et je m’en rapporte à ce que vous déciderez.

Vos observations sur l’exemption des droits d’entrée et de sortie du Royaume, et de la circulation dans l’intérieur, tant pour les étoffes fabriquées que pour les matières premières, sont entièrement conformes à ma façon de penser : vous êtes d’ailleurs d’avis d’accorder aux sieurs La Forêt l’exemption qu’ils demandent à cet égard ; ainsi, je crois superflu de m’étendre sur cet article.

Vous pensez différemment sur l’exemption demandée des droits que payent les cotons filés tirés de l’étranger, et vous regardez ces droits comme le seul moyen de rendre la filature générale en France, et de la porter rapidement à sa perfection.

Je crois, M., que ce moyen de favoriser un genre d’industrie dans le Royaume par des droits sur les productions de l’industrie étrangère, serait susceptible de bien des considérations. Je vous avoue que, dans ma façon de penser particulière, une liberté entière, indéfinie, et un affranchissement total de toute espèce de droits, seraient le plus sûr moyen de porter toutes les branches de l’industrie nationale au plus haut point d’activité dont elles soient susceptibles, et que les productions étrangères que cette liberté indéfinie laisserait importer dans le Royaume seraient toujours compensées par une exportation plus grande des productions nationales. Mais ces principes n’étant point encore adoptés, je conviens avec vous qu’il n’y a aucune raison pour exempter les sieurs La Forêt, en particulier, d’un droit qu’on a cru devoir établir pour tout le Royaume, dans la vue d’exciter les fabricants à s’occuper d’étendre les filatures. J’avais au reste prévu cette difficulté de votre part, et je m’en étais entièrement rapporté à vous sur cette partie de l’exemption demandée par les sieurs La Forêt.

Il me reste à répondre à une dernière observation relative à la durée des privilèges que les sieurs La Forêt ont demandés pour vingt ans. Vous me marquez que la Déclaration du Roi du 24 décembre 1762, article 2, y met obstacle en fixant au terme de quinze années de jouissance tous les privilèges qui ont été donnés ou qui le seront par la suite. Je croyais que cette Déclaration n’avait fixé ce terme que pour les privilèges exclusifs ; mais aucune raison n’exige qu’on étende au delà ceux que vous voudrez bien accorder aux sieurs La Forêt, et je n’ai rien à opposer à l’observation que vous me faites.

Je joins à cette lettre le projet d’arrêt que vous m’avez demandé.

PROJET D’ARRÊT DU CONSEIL[7].

Vu l’avis du sieur Turgot, commissaire départi en la généralité de Limoges ; ouï le rapport du sieur L’Averdy, contrôleur général des finances ; le Roi étant en son Conseil, voulant traiter favorablement les suppliants, a ordonné et ordonne que lesdits sieurs La Forêt seront et demeureront confirmés dans la possession où ils sont d’être regardés comme habitants de la ville de Limoges, et pourront en cette qualité être nommés aux charges municipales de ladite ville et à celles de la juridiction consulaire ; qu’ils continueront d’être taxés d’office et modérément pour leurs impositions personnelles par le sieur intendant et commissaire départi en la généralité de Limoges au rôle de ladite ville, quoique leur manufacture soit située hors de son enceinte ; qu’ils jouiront de l’exemption de collecte, logement de gens de guerre, milice pour eux et leurs enfants, et des autres charges publiques ;

Les confirme S. M. dans la possession du titre de manufacture royale et des prérogatives qui y sont attachées ;

Leur permet de faire marquer les étoffes qu’ils fabriqueront d’un plomb portant, d’un côté, les armes de S. M., et, de l’autre, les mots : Manufacture royale des sieurs La Forêt, de Limoges.

Ordonne S. M. que lesdites étoffes ainsi plombées pourront circuler dans tout le Royaume en exemption des droits de douane et autres droits d’entrée et sortie des cinq grosses fermes, et être envoyées à l’étranger aussi en exemption de tous droits.

Ordonne pareillement S. M. que les matières premières destinées à être employées dans la manufacture desdits sieurs La Forêt seront aussi exemptes de tous droits. De tous lesquels privilèges, lesdits sieurs La Forêt, leurs veuves et enfants tenant ladite manufacture jouiront pendant l’espace de quinze années.

Ordonne S. M. que toutes les contestations qui pourront survenir sur l’exécution du présent arrêt, circonstances et dépendances, seront portées, en vertu d’icelui, devant le sieur intendant et commissaire départi en la généralité de Limoges, pour être par lui jugées, sauf l’appel au Conseil. Lui enjoint S. M. de tenir la main à l’exécution du présent arrêt.

————

[1] « Cette lettre, écrite à l’occasion d’une affaire particulière, avait une portée générale. Trudaine, entièrement dans les principes libéraux de Turgot, pensa que l’application de ces principes devait être plus resserrée que ne le proposait Turgot ; celui-ci, tout en reconnaissant la justesse des réflexions générales de Trudaine, insista pour qu’une partie des encouragements qu’il avait demandés en faveur de la manufacture dont ils s’agissait ne fût pas refusée.

« Cette correspondance entre deux grands hommes d’État les honore tous deux, dit Du Pont ; elle montre quel était l’esprit de leur administration ; ils discutaient tout avec un examen sérieux de la justice particulière et de l’intérêt public. »

[2] On voit par là où en était alors la question des impôts.

[3] « M. Trudaine croyait que la suppression des droits de traite et de péages dans l’intérieur de la France, dont il s’occupait depuis longtemps avec autant de sagesse que de lumières, allait être prononcée.

« La résistance des financiers d’alors, et des protections qu’ils avaient à la cour, fut si vive et si efficace que ni lui, ni M. Turgot dans son ministère, ni les ministres qui leur ont succédé, et qui n’ont jamais abandonné cet utile projet, n’ont pu mettre à exécution le vœu général de la nation française, si fortement commandé par l’intérêt le plus évident de l’agriculture, des manufactures et du commerce. Il a fallu pour le remplir une révolution et l’autorité de l’Assemblée Constituante (Du Pont). »

[4] Turgot reproduit ici les quatre derniers points de sa première lettre. (Du Pont.)

[5] Turgot voulut aussi rendre publiques les découvertes de Genin dans la fabrication du papier moyennant une pension de 2 000 l., outre 6 000 l. que cet inventeur recevait déjà de la ville de Rouen ; les échantillons de son papier devaient être examinés par Desmarets. (Lettre de L’Averdy à Turgot, du 22 juillet 1767, A. N., F12 149.)

[6] Le Clerc reçut à titre d’encouragement 800 l. pour son loyer, 1 200 l. par ouvrier français employé et 600 l. par ouvrier étranger jusqu’à six, 2 l. par pièce d’étoffe fabriquée jusqu’à 2 000 l., soit pour l’ensemble : 6 000 l. par an. (Lettre de L’Averdy à Turgot, 15 juin 1769, A, N., F15 149.)

[7] On n’en donne que le dispositif : le préambule consistant dans le rappel de la requête des sieurs La Forêt, et dans les considérations énoncées ci-dessus (Du Pont).

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