Quelle est, en économie politique, la limite des attributions de l’État ? (2)

Réunion du 5 mars 1885 de la Société d’économie politique, sur le thème : Quelle est, en économie politique, la limite des attributions de l’État


Société d’économie politique

Réunion du 5 mars 1885

QUELLE EST, EN ÉCONOMIE POLITIQUE, LA LIMITE DES ATTRIBUTIONS DE L’ÉTAT ?

M. E. Levasseur, bien qu’inscrit depuis la précédente séance pour parler sur cette question, fait remarquer que ce n’est pas lui qui l’a posée. Il aurait craint d’engager la Société dans une discussion trop vaste. Cependant il voudrait répondre à la théorie de M. Courtois qu’il trouve trop absolue.

On pourrait discuter longtemps un pareil sujet sans parvenir à l’envisager sous toutes ses formes ni même à s’accorder sur les principes. Cette question est en effet une de celles qui divisent les économistes, et l’orateur n’a pas la prétention de les réunir sur ce point dans un sentiment commun ; mais, s’il y en a qui demandent uniquement à l’État d’assurer la sécurité sociale, il n’est pas inutile qu’on sache qu’il y en a aussi qui lui assignent un rôle plus large et plus varié et qu’un tel rôle, quand il n’excède pas certaines limites, n’est pas en contradiction avec les principes fondamentaux de la science économique.

L’économie politique est une science d’observation, qui fonde ses principes sur les faits ; c’est sa prétention et sa force ; car c’est par là tout d’abord qu’elle se distingue des théories utopiques. Or, quand elle borne à la sécurité seule toute l’action de l’État, ne risque-t-elle pas de se trouver en désaccord avec les faits que l’on observe dans tous les États civilisés, monarchiques ou républicains, et avec les besoins de la civilisation moderne et de compromettre son autorité en prêtant elle-même le flanc au reproche d’utopie ?

L’économie politique démontre par l’observation des faits que le travail de l’homme est la cause principale de la richesse et que, plus l’homme est actif, intelligent, moral, jouissant de la plénitude de sa liberté pour mettre en jeu toutes ses facultés, plus la richesse devient abondante et tend à se répartir équitablement. Aussi proclame-t-elle la liberté du travail comme un de ses principes fondamentaux.

Il n’est pas étonnant que des économistes, voyant combien les gouvernements ont souvent gêné et gênent encore cette liberté par des règlements, des privilèges, des défenses, des mesures diverses dictées par quelque intérêt particulier de la politique ou par de fausses idées sur les véritables causes de la richesse, se soient défiés de l’État et se soient rejetés par crainte de ses empiétements dans la doctrine de l’individualisme absolu. On a opposé ainsi, comme les deux pôles des doctrines sociales, l’individualisme et le socialisme. L’opinion publique me paraît même avoir trop facilement confondu l’individualisme absolu avec l’économie politique, parce que l’économie politique combattait l’absorption des forces individuelles dans la force collective de l’État. Tout économiste est individualiste, puisqu’il fait, et avec raison, de la personne humaine et de sa libre activité le pivot de l’ordre économique ; mais il n’est pas, par conséquence nécessaire, ennemi de toute action collective, soit des associations qui procèdent de la liberté, soit de l’État qui agit par autorité.

Les premiers maîtres de la science ne se sont pas prononcés contre toute action de l’État qui n’aurait pas pour objet exclusif la sécurité. Adam Smith, qui ne me paraît pas avoir traité cette matière, dans son livre V, avec la même largeur de vues que les autres parties de son grand ouvrage, comprend l’instruction, l’éducation religieuse, et même, dans certains cas, les privilèges concédés à des compagnies, qu’il compare aux brevets d’invention, dans la catégorie des choses qui peuvent être du ressort de l’État. J.-B. Say, commentant un passage du livre IV de Smith, approuve que l’État « entretienne certains établissements utiles au public qu’il n’est jamais dans l’intérêt d’un individu ou d’un petit nombre d’individus de créer ou d’entretenir pour leur compte » ; il approuve même certaines dépenses faites en vue d’expériences utiles à l’agriculture, à l’industrie ou au commerce. J.-S. Mill (liv. V, De l’influence du gouvernement) a apporté dans l’étude de cette question un esprit plus philosophique. Il pense qu’elle ne saurait être enfermée dans une formule, comme peuvent l’être certains principes fondamentaux de l’économie politique, que la solution dépend de l’histoire, des traditions et de la condition sociale des peuples. Il dit même que « l’action du gouvernement peut être nécessaire à défaut de celle des particuliers, lors même que celle-ci serait plus convenable ». Sans partager sur tous les points les opinions de détail de J.-S. Mill sur cette matière, M. Levasseur recommande la manière dont il envisage l’ensemble et croit qu’il a assez bien indiqué dans quelle direction il convenait de placer la limite lorsqu’il a dit : « Le laissez-faire est la règle ; c’est à ceux qui demandent et non à ceux qui repoussent l’intervention de l’État de prouver qu’ils ont raison. » Ce qui préoccupe tout particulièrement ces maîtres, c’est que le gouvernement soit, d’une part, très économe d’un argent qui est celui des contribuables, et que ceux-ci emploieraient utilement s’ils n’étaient obligés de le lui donner ; d’autre part très respectueux de la liberté individuelle qu’il a pour mission de protéger et non d’entraver. Tous les économistes pensent comme eux.

L’Académie des sciences morales et politiques a cru que la question du rôle économique de l’État ne pouvait pas être tranchée par une simple négation, qu’elle méritait, au contraire, un examen approfondi, et, sur la proposition d’un de nos maîtres les plus respectés, M. Hippolyte Passy, elle l’a mise au concours. De ce concours sont sortis deux bons livres entre lesquels elle a partagé le prix : celui de M. Jourdan et celui de M. Villey ; aucun d’eux ne borne à la sécurité le rôle de l’État.

L’orateur croit, d’accord avec d’autres économistes, que l’État (par ce mot il entend non seulement le gouvernement central, mais aussi le gouvernement local, tel que celui de la commune en France et de paroisse en Angleterre), a des fonctions multiples à remplir.

De celles qui concernent la sécurité, il ne parle pas, puisque tous les économistes sont d’accord pour les lui reconnaître. Cependant ces fonctions sont elles-mêmes nombreuses et très variées, et si l’on examinait chacune d’elles en détail, on aurait sans doute beaucoup à discuter ; les assistants ne seraient pas toujours d’accord et M. Levasseur aurait, pour sa part, plus d’une réserve à faire sur les moyens de sécurité qu’emploient certains gouvernements. Le principe importe seul en ce moment ; l’orateur répéterait volontiers ce qu’il a écrit ailleurs, que mieux un État est organisé pour la sûreté individuelle, et mieux il seconde l’essor des forces productives.

L’orateur ne veut qu’indiquer le principe des autres fonctions ; il faudrait une longue étude pour pénétrer dans les détails et déterminer les cas dans lesquels cette intervention est profitable à la mesure qu’elle ne peut excéder sans devenir nuisible.

L’État est l’organe naturel d’exécution de certaines œuvres qui requièrent la puissance collective de la société et qui ont pour objet d’en mettre en œuvre les forces productives. Par exemple, il construit des routes, des canaux, des égouts, des ponts, des phares, parfois des chemins de fer ; il ouvre des musées ; il recueille et publie des statistiques qui sont utiles pour la bonne administration des affaires publiques et même pour la direction des intérêts privés. Sans doute, dans certains cas et dans certains pays, quelques-unes de ces œuvres peuvent être créées spontanément par des entreprises particulières. Mais quand l’initiative privée ne suffit pas, vaut-il mieux que la société soit privée du résultat ou que l’État se charge de l’entreprise ? Et, même, si ces œuvres ont pu être créées par l’initiative privée, ne sont-elles pas de telle nature que l’État doive, au nom des intérêts généraux de la société, exercer sur leur usage une certaine surveillance ?

En effet, l’État est l’administrateur des intérêts généraux de la société. Il représente la nation à l’étranger par ses diplomates et ses consuls. Que le personnel consulaire ait pour mission d’étendre la sécurité nationale au-delà des frontières, soit ; mais ne demande-t-on pas aux consuls plus que de la sécurité ? L’État fonde des colonies, il les administre, il y dépense des capitaux, pour préparer le territoire à recevoir des colons. Tous les économistes ne regardent peut-être pas la fondation de colonies comme une bonne opération, mais il y en a qui l’approuvent, et ceux-là ne peuvent pas borner à la seule sécurité l’action de l’État. Nous avons dit que l’État entreprenait légitimement certains travaux scientifiques d’un ordre général que des particuliers auraient rarement les ressources et n’auraient pas l’autorité nécessaire pour entreprendre : par exemple les dénombrements de la population et la plupart des autres statistiques, la confection du cadastre, celle de la carte topographique du pays. Il fonde les musées (musées de l’État ou musées communaux), les observatoires, ce qui n’empêche pas la générosité privée d’en fonder aussi. Il dirige l’instruction.

La question de savoir si l’État doit intervenir dans l’instruction peut être débattue en théorie ; en fait, tous les États civilisés interviennent. En France, avant 1789, les universités étaient des corporations libres, mais étroitement liées à l’État par les privilèges dont elles étaient investies ; les petites écoles étaient quelquefois des fondations privées, plus souvent des établissements communaux entretenus aux frais de la paroisse et toujours soumis à l’autorité ecclésiastique. On a discuté récemment en France s’il convenait de faire porter la principale charge de l’instruction primaire sur le budget communal ou sur le budget de l’État ; je crois qu’il est préférable, au point de vue de l’économie financière, que la dépense relative à un service incombe à ceux qui doivent profiter de ce service et qui peuvent être portés à abuser lorsqu’ils ne sont pas retenus par la crainte d’un sacrifice ; mais, quelque solution pratique qu’on adopte, l’intervention de l’État, c’est-à-dire de la communauté politique, subsiste.

Des trois degrés de l’enseignement primaire, secondaire, supérieur, il y en a un qui pourrait peut-être se passer du secours de l’État : c’est le secondaire. Mais le primaire serait assurément distribué d’une manière inégale et très insuffisante s’il n’y avait que des écoles fondées par l’intérêt ou par la charité privée.

Le clergé, dans les pays catholiques ou protestants, constitue une puissante corporation qui souvent est liée à la puissance politique. Ses écoles forment une catégorie particulière à côté des écoles de l’État et des écoles des particuliers. L’enseignement supérieur coûte en général trop et rapporte trop peu pour n’avoir pas besoin de la main de l’État ; il y a sans doute des exceptions, mais ces exceptions confirment la règle. Dans les pays où l’initiative privée joue le premier rôle dans cette matière, l’État ne reste pas spectateur entièrement désintéressé ; en Angleterre, il octroie des chartes impliquant certains privilèges ; aux États-Unis, il a affecté des fonds pour la création ou pour l’extension d’un grand nombre d’universités. L’État n’a-t-il pas, en outre, d’autres manières d’intervenir dans l’instruction. Ne donne-t-il pas quelquefois des subventions, des encouragements ? Ne décrète-t-il pas dans certains pays l’obligation ? Ne surveille-t-il pas au nom de la morale, souvent même au nom des intérêts pédagogiques, en imposant des programmes ou en proposant des méthodes ? Si la diffusion de l’instruction à tous ses degrés importe au développement des forces productrices d’une nation, il entre dans les fonctions de l’État de travailler à cette diffusion. Il est dans son rôle quand il agit, pourvu qu’il le fasse avec discernement ; il y est encore, quand il surveille sans entraver ; il en sort, quand il interdit la concurrence de l’enseignement privé, qui concourrait au même but et qui a parfois, pour l’atteindre, une hardiesse et une diversité de procédés qu’il n’a pas.

L’État a d’autres fonctions, comme régulateur de certains intérêts privés. Il me semble qu’on ne saurait les lui dénier, quand on voit dans tous les pays civilisés des parlements rendre continuellement des lois pour régler des intérêts de ce genre. Il faut bien qu’il y ait des lois sur les contrats, sur les successions ab intestat ; le Code civil est une détermination par l’État de certains rapports des individus et cette détermination est nécessaire pour l’ordre social. On se préoccupe aujourd’hui du crédit agricole ; des économistes montrent, par de solides arguments, que, pour le fonder, il est indispensable que les agriculteurs soient déclarés commerçants ; il faut que l’État prenne un parti et sa décision, quelle qu’elle soit, exercera nécessairement une influence considérable sur tout un ordre d’intérêts privés. Beaucoup d’économistes reconnaissent à l’État le droit de protéger les incapables, tels que les enfants, et d’exercer sa surveillance jusque dans les ateliers. L’orateur partage leur avis, en rappelant toutefois la réserve qu’il a faite à ce sujet dans son précis d’économie politique : toute mesure réglementaire ou protectrice qui n’est pas nécessaire ou manifestement utile risque d’être nuisible.

L’État est un agent puissant de progrès ; c’est ce qui ressort des fonctions que nous lui voyons remplir. Mais au lieu de servir le progrès, il l’entrave lorsqu’il étouffe par sa réglementation plus de forces vives qu’il n’en développe et plus qu’il n’en laisse se développer par sa protection.

Il y a là une question de mesure et de limite qu’il est difficile de déterminer. Les administrations, comme presque tous les corps constitués, ont l’esprit de domination et d’envahissement ; elles sont portées à sortir de la limite. C’est à la force de la liberté et de l’opinion publique de les y contenir ; mais on n’aurait pas l’opinion pour soi si, refusant de reconnaître à l’État ses droits, on voulait l’expulser de la place même qu’il occupe légitimement.

On a essayé de distinguer les attributions de l’État en attributions nécessaires et en attributions utiles. La distinction ne saurait être nettement tranchée. Ce qui est utile dans un pays peut être nécessaire dans un autre, et même ce qui est nécessaire ici peut être nuisible ailleurs. Ainsi, dans les colonies britanniques de l’Australie où la liberté individuelle a cependant les coudées franches, l’État construit et exploite les chemins de fer, qu’elles regardent comme une condition indispensable à la mise en valeur de leurs vastes territoires ; en France, l’exploitation par l’État a été généralement blâmée, et blâmée avec raison, suivant moi, par la plupart des économistes. L’histoire d’un peuple, ses mœurs et son état économique influent beaucoup sur la solution à donner à chaque cas particulier.

Je crois qu’en général il se produit dans nos sociétés modernes un double mouvement. À mesure que les individus deviennent plus forts par l’intelligence, le capital, le sentiment de leurs droits, ils ont besoin de plus de liberté et l’État doit abandonner certaines positions de tutelle qu’il avait occupées précédemment. D’autre part, à mesure que la société s’enrichit, elle exige de l’État un certain nombre de services dont elle n’éprouvait pas auparavant le besoin ou qu’elle ne songeait pas à se procurer parce qu’elle n’avait pas assez d’argent, et l’État accepte de nouvelles fonctions.

Pour consacrer les anciennes ou accepter les nouvelles, il faut examiner l’influence, directe ou indirecte, visible ou invisible tout d’abord, que ces fonctions peuvent exercer sur l’ensemble de la force productrice du pays, et faire cet examen avec l’esprit qu’y apportait Mill : le laissez-faire, étant le droit, est la règle ; à l’État de prouver dans chaque cas particulier, où il prétend faire une exception à la règle, que son intervention est bonne.

M. Levasseur termine en disant qu’il a émis sur cette question du rôle de l’État une opinion qu’il croit scientifique, c’est-à-dire dégagée des préoccupations que chacun peut avoir sur la politique de son pays. Si cette opinion rencontre ici plus de critiques que de partisans, même parmi ceux qui ne croient pas être inutiles à la société, en remplissant des fonctions publiques autres que celles de la sécurité, ou qui ne craignent pas de demander parfois que l’État fasse des lois libérales, publie des statistiques, ouvre des bibliothèques, c’est-à-dire qu’il exerce une action dans le sens qu’ils regardent comme le plus profitable à la société, il se plaît à penser que leur opinion est influencée par les tendances qu’ont eues très souvent les gouvernements et qu’a particulièrement, en France, le gouvernement démocratique, de trop intervenir ; s’ils veulent lui montrer le danger, M. Levasseur les approuve.

M. Nottelle est d’avis que l’État, étant administrateur des intérêts communs d’un pays, a évidemment le devoir de gérer, non à son profit, mais au plus grand avantage des administrés.

Ce qui commande la réduction au STRICT NÉCESSAIRE de ses attributions, c’est qu’il fait moins bien et à plus grands frais ce que peut faire l’initiative privée.

Par deux raisons :

1° Dans les entreprises privées, les responsabilités se hiérarchisent naturellement, tandis que dans l’État, qui est la puissance, elles s’évanouissent à mesure qu’on monte l’échelle hiérarchique

2° Les hommes composant l’État obéissent plus ou moins à la tendance innée chez l’homme de donner la préférence à son intérêt personnel sur l’intérêt général.

En outre, cette cause des abus tend sans cesse à en élargir le champ. Sous la poussée des intérêts individuels qui se meuvent dans son sein, l’État veut tout envahir.

Le danger qui en résulte aujourd’hui vient d’arracher à M. Herbert Spencer le cri d’alarme qui a retenti en France.

Il y a difficulté extrême à réagir. On a contre soi l’État et les populations, à la fois ses victimes et ses complices. Voici le moyen que M. Nottelle croit le seul efficace.

Il y a une fonction que l’État seul peut et doit s’attribuer c’est, comme l’a dit M. Courtois, de produire la sécurité contre les violences et les fraudes du dehors et du dedans. Dans cette fonction rentrent évidemment un certain nombre de services spéciaux qui en sont de réelles dépendances.

Dans les fonctions où l’État doit collaborer avec l’initiative privée, il est presque impossible de préciser sa part attributive, laquelle, d’ailleurs, n’est pas la même dans tous les pays.

Ce qui importe avant tout, ce qui est urgent aujourd’hui, c’est d’examiner l’ingérence de l’État dans les rapports sociaux d’où elle doit être rigoureusement exclue.

Des résultats désastreux nous prouvent que l’État, en altérant par des conditions arbitraires les rapports naturels spontanément créés par le travail sous sa double forme de production et d’échange, y apporte la perturbation et la stérilité.

Il viole ainsi la liberté et la propriété. Sous prétexte de protection, il constitue au profit de quelques-uns des privilèges payés par les masses productives.

Comme palliatif aux troubles économiques engendrés par les privilèges, on en crée de nouveaux. Ils se généralisent, ils passent à l’état de manie. Voilà que les masses ouvrières, à leur tour, en réclament en leur faveur ; et nous voyons l’État peu à peu acculé à cette situation absurde, impossible : créer des privilèges pour le plus grand nombre.

Le protectionnisme est aujourd’hui le type de l’ingérence malfaisante de l’État.

Pour ramener l’État à l’impartialité loyale, que lui commandent impérieusement les conditions modernes, le seul moyen efficace est la suppression du protectionnisme.

Le procédé d’opposer l’intérêt des consommateurs à celui des producteurs n’a pas réussi. Il faut en essayer un autre.

Apportons la preuve, très facile à faire et à saisir, que l’immense majorité des producteurs est spoliée au profit de quelques producteurs privilégiés. Ce mode de propagande sera facilité par les conséquences que produira bientôt la nouvelle loi sur les céréales. Les économistes devraient saisir cette occasion de porter au protectionnisme le coup décisif qui épargnerait à la société d’inévitables et prochaines perturbations.

M. Paul Leroy-Beaulieu croit que la question n’est pas susceptible d’une réponse simple. Il est bien difficile de trouver une formule où l’on fasse tenir toutes les attributions de l’État. Il pense qu’en réduisant la fonction de l’État au soin d’assurer la sécurité publique et privée, on l’enferme dans un cadre évidemment trop étroit, qu’il tend à briser et qu’on est bien obligé d’élargir pour y faire rentrer d’autres attributions. Pour lui, la question est seulement de savoir si, en France, et d’une manière plus générale, dans les États modernes, on doit élargir encore les attributions de l’État, ou s’il faut, au contraire, les restreindre et au risque de n’être pas « dans le mouvement », il n’hésite pas à se prononcer pour ce dernier parti. Sans doute, il est certaines fonctions autres que la garantie de la sécurité, qu’on ne peut refuser à l’État, car elles sont nécessaires et lui seul peut les remplir. Ainsi, l’État représente seul la permanence, la perpétuité ; lui seul peut pourvoir aux intérêts de l’avenir, dont les individus ne tiennent pas toujours assez de compte. Lui seul peut empêcher la destruction ou ordonner la restauration des forêts, faire exécuter les travaux propres à prévenir les inondations, à maintenir le climat dans les conditions les plus favorables à l’agriculture, conserver enfin le patrimoine héréditaire de la nation. L’État est, en outre, le protecteur, le défenseur naturel des faibles. Il est dans son rôle lorsqu’il fait des lois pour réprimer les abus que les parents, tuteurs et patrons peuvent faire de leur autorité sur les enfants, sur les mineurs ; mais même dans l’acquittement de cette tâche, l’État doit apporter de la discrétion et de la modération, pourvoir simplement au nécessaire, à ce que les enfants ne soient pas assujettis à un travail prolongé avant l’âge de douze ou treize ans, il ne lui appartient pas de vouloir réaliser l’idéal sur cette terre ; il sort tout à fait de son rôle lorsqu’il se mêle de légiférer sur le travail des hommes ou des femmes adultes.

On ne peut non plus refuser à l’État et aux corps collectifs qui lui sont subordonnés et qui procèdent comme lui par la contrainte, le droit, même le devoir, de prendre soin que la santé publique ne soit pas gravement compromise par les imprudences ou les obstinations individuelles. Il peut recommander, même prescrire certaines règles générales d’hygiène, certaines précautions pour prévenir les épidémies et pour en arrêter le cours.

Quelle que soit, du reste, la fonction qu’il remplit, l’État doit toujours s’en acquitter avec réserve, avec modestie, en se souvenant qu’il n’est point infaillible, alors même et surtout alors qu’il s’agit de mesures concernant la santé publique et l’hygiène ; car il arrive souvent qu’en pareil cas son intervention trop zélée cause plus de mal qu’elle n’en empêche. C’est ce qu’on a pu voir tout récemment lorsque les gouvernements se sont évertués d’une façon si malencontreuse à arrêter la propagation du choléra. C’est ce qu’on a vu à Paris aussi, il n’y a pas longtemps, lorsque, sous prétexte de salubrité, on a détruit des cités dont les habitants se sont trouvés, du jour au lendemain, sans asile. C’est ce qu’on a vu, dans une sphère un peu différente, en ce qui concerne le phylloxéra, quand le gouvernement, confiant dans un comité qui avait à sa tête le premier savant de France, M. Dumas, a fait tous ses efforts pendant de longues années pour empêcher la plantation des plants américains que la plupart des viticulteurs considèrent maintenant comme étant le principal moyen de surmonter le mal. Heureusement l’initiative individuelle, dans nos départements méridionaux, a triomphé des obstacles que lui opposait l’État. Ainsi, l’on ne saurait trop prêcher à l’État la modération dans l’exercice même de celles de ses prérogatives qui sont réputées les plus indispensables. Et il y en a, en somme, bien peu qui le soient absolument, si l’on veut regarder les choses de près. La sécurité même a pu, dans certains états de civilisation, être assurée, à la rigueur, autrement que par l’État ; ce soin a pu être confié à des corps libres, organisés ad hoc, comme l’était autrefois en Espagne la sainte Hermandad, comme le sont encore en Angleterre les « constables spéciaux » Il n’y a donc guère d’attributions de l’État qui soient rigoureusement nécessaires ; il y a des habitudes prises dont il faut tenir compte, mais il faut se garder d’en prendre de nouvelles, ou de laisser s’invétérer celles qui existent lorsqu’elles n’ont pas encore de profondes racines.

Ainsi, M. Leroy-Beaulieu ne voit pas sans inquiétude les rapides empiètements de l’État dans le domaine de l’instruction. Il ne voit guère d’enseignement, de quelque degré que ce soit, depuis le plus élémentaire jusqu’au plus élevé, qui ne puisse être donné par des particuliers, par des associations, aussi bien et mieux que par l’État. Il cite plusieurs exemples de grandes institutions scientifiques, d’universités, d’écoles fondées et entretenues par l’initiative et par la libéralité privées, en Angleterre, aux États-Unis, en France même, et qui ne manqueraient pas de se multiplier si l’État ne s’était arrogé le monopole de la direction des intelligences.

En France, l’un des établissements qui jouissent de la plus grande considération et de la plus grande influence, l’École libre des sciences politiques, est une fondation privée. Il en a été de même de l’École centrale des arts et manufactures, de même de l’École Monge. Des particuliers, dans ces derniers temps, ont fondé des observatoires, et les plus beaux instruments dont se soit enrichi, dans ces derniers temps, notre grand Observatoire de Paris sont des dons privés. Certainement, laissée à l’initiative libre, l’instruction primaire se serait répandue un peu plus lentement qu’avec l’aide de l’État, mais elle aurait fini par pénétrer partout, et l’on aurait épargné à l’État des difficultés innombrables. Cette question de l’instruction primaire est et restera le plus grand souci de l’État. Tous les esprits sont divisés dans la société moderne. L’État doit donc respecter les diverses opinions ; il lui est impossible de le faire dans l’enseignement. Ainsi, le conseil municipal de Paris a émis dernièrement un vote dont la conséquence devait être que les mots de Dieu, âme, prière et beaucoup d’autres ne devaient plus figurer dans les livres scolaires. C’était montrer combien l’État est peu fait pour être éducateur.

Il faut remarquer que l’État, qui représente la permanence et la perpétuité, est lui-même, chez les peuples modernes, tout ce qu’il y a de plus changeant ; c’est l’instabilité même, puisque, en somme, il s’incarne dans un personnel gouvernemental soumis à toutes les vicissitudes de la politique, et qui change du tout au tout à de courts intervalles. On fait des lois, on en fait sans cesse ; mais les lois qu’on est le plus empressé à faire ne sont pas d’ordinaire les plus utiles ; elles n’ont, le plus souvent, pour but que de modifier des lois antérieures rendues par le parti qui était la veille au pouvoir, en attendant qu’elles soient elles-mêmes modifiées par le parti qui sera au pouvoir demain.

L’État a cependant encore un rôle important ; il a à « dire le droit », à créer des formules pour les contrats. Il existe, à la vérité, ou il a existé des sociétés où le droit s’établissait par des coutumes qui, à la longue, prenaient force de loi (c’était l’idéal de feu Le Play) ; mais les sociétés modernes ne s’accommodent plus du droit coutumier ; elles préfèrent des lois écrites et accordent sans difficulté à l’État le pouvoir de régler même les conditions d’existence de la famille, la transmission des biens, etc. pouvoir énorme dont il importe que l’État n’use qu’en se conformant lui-même à ces lois supérieures que Montesquieu définit admirablement : « les rapports nécessaires qui résultent de la nature des choses ». On a voulu poser en règle qu’en dehors de ses fonctions habituelles et réputées indispensables, l’État doit se charger des services qu’il peut accomplir mieux que l’industrie privée. Mais M. Leroy-Beaulieu trouve cette doctrine singulièrement dangereuse. Quand même il serait prouvé, ce qui n’est pas, que l’État exploiterait mieux les chemins de fer, les assurances, M. Leroy-Beaulieu ne consentirait pas qu’il le fît. Il y a, en effet, quelque chose qui est très supérieur à un procédé technique quelconque : c’est l’habitude de l’initiative individuelle et de la responsabilité ; c’est la variété et la souplesse dans la vie nationale. S’agit-il des caisses d’épargne ? L’État offre sans doute aux déposants une entière sécurité ; mais en absorbant les épargnes et les capitaux de la nation et en les employant à des usages improductifs, il paralyse le crédit, l’industrie, l’esprit d’initiative, il détourne et tarit les sources de la richesse. En résumé, il y a de nombreux inconvénients et de graves dangers à étendre les attributions de l’État ; il y a tout avantage à les restreindre le plus possible ; on peut être assuré que dans ce sens aucun excès n’est à craindre.

M. G. de Molinari est d’avis que la question des attributions de l’État est trop vaste pour être traitée dans toute son étendue ; il faudrait d’abord la circonscrire à ses limites naturelles, en évitant de la joindre, comme on l’a fait dans la dernière séance, à celle du mode de constitution de l’État. À cette occasion, M. Limousin a adressé à l’orateur une grave imputation : celle d’être un anarchiste. Ce n’est, du reste, pas la première fois, et ce n’est pas non plus la première fois que l’orateur proteste contre cette accusation, mais M. Limousin insiste. La situation de l’orateur en cette affaire n’est pas sans analogie avec celle du Médecin malgré lui. Il est un anarchiste malgré lui. L’accusation de M. Limousin se fonde sur ce fait que l’orateur assigne pour base au principe d’autorité la souveraineté individuelle et non la souveraineté du peuple ; mais en admettant même qu’il se trompe, peut-on en conclure qu’il veuille supprimer l’autorité et vouer la société à l’anarchie ? Les théoriciens de la souveraineté du peuple n’ont-ils pas été accusés aussi par les théoriciens du droit divin de vouloir supprimer le principe d’autorité ? Quoi qu’il en soit, la question des attributions de l’État est complètement distincte de celle de sa constitution. Comme toutes les autres entreprises, un gouvernement a ses attributions naturelles, qui sont les mêmes, soit qu’il s’appuie sur le principe du droit divin, de la souveraineté du peuple ou de la souveraineté individuelle, et quelle que soit sa forme, monarchie absolue, constitutionnelle, république oligarchique, démocratique, etc., etc. C’est comme une banque qui a certaines attributions, telles que l’émission des billets, l’escompte, les dépôts, qu’elle soit établie sous le régime du monopole et du privilège, ou sous le régime de la liberté.

Quelles sont donc les attributions naturelles de l’État ? Pour résoudre cette question, il faut rechercher, selon l’orateur, quelles sont actuellement les attributions des États civilisés, et examiner lesquelles doivent être considérées comme leur appartenant naturellement, et lesquelles sont parasites.

Ces attributions, on peut les partager en deux grandes catégories. L’État est un assureur et un tuteur. À titre d’assureur, ses fonctions consistent à garantir la vie, la propriété et la liberté des individus, contre toute atteinte intérieure et extérieure. C’est là une attribution naturelle et essentielle que tous les économistes s’accordent à lui conférer. Il n’y a entre eux aucun dissentiment sur cette question, quelque diverses que puissent être leurs idées sur le mode de constitution et de fonctionnement des gouvernements. C’est un point qu’on peut tenir pour acquis et sur lequel il n’y a pas lieu de discuter.

Mais si les économistes sont d’accord sur la question de l’État assureur, ils ne le sont point sur celle de l’État tuteur. La tutelle de l’État s’étend et va tous les jours s’étendant davantage à un nombre infini d’objets. C’est à titre de tuteur que l’État protège l’industrie au moyen de tarifs, de subventions et de primes ; qu’il protège la littérature, la musique et même la danse, en subventionnant les théâtres, en établissant des académies et des conservatoires ; c’est encore à titre de tuteur qu’il intervient dans l’enseignement, parce qu’il suppose que les pères de famille n’ont pas la capacité nécessaire pour choisir les instituteurs de leurs enfants et leur faire donner une instruction utile ; c’est comme tuteur qu’il se charge de la fabrication de la monnaie, du transport des lettres et des petits paquets, des dépêches télégraphiques, auxquels il va joindre bientôt les communications téléphoniques ; qu’il intervient dans l’industrie des chemins de fer, soit qu’il les construise et les exploite lui-même, soit qu’il en attribue le monopole à des compagnies qu’il réglemente plus ou moins étroitement et qu’il surveille plus ou moins attentivement ; qu’il intervient en matière de crédit en accordant à une banque le privilège exclusif de l’émission des billets, en se chargeant des dépôts des caisses d’épargne, etc. ; qu’il subventionne les cultes, qu’il réglemente les associations, et que sais-je encore ?

Toutes ces interventions, toutes ces tutelles sont motivées par la nécessité de suppléer au défaut de capacité des individus ou à leur impuissance à établir des services indispensables, ou bien encore par la nécessité de les protéger contre l’oppression de monopoles plus ou moins authentiques, comme aussi, dans le cas de la littérature, de la musique et de la danse, d’empêcher le niveau esthétique de la nation de s’abaisser. Ne disait-on pas, dans l’enquête sur les théâtres de 1849, que la liberté des entreprises dramatiques nous ramènerait aux jeux du cirque et aux luttes de la barrière du Combat ? Eh bien, si l’on étudie les opinions des économistes sur ces branches multiples de la tutelle de l’État, on s’aperçoit qu’ils sont extrêmement divisés ; que s’ils sont presque unanimes, par exemple, à repousser la protection de l’industrie, ils le sont beaucoup moins quand il s’agit de l’intervention de l’État dans l’enseignement ; qu’un bon nombre d’entre eux croient à la nécessité de l’intervention de l’État en matière de chemins de fer, un plus grand nombre à cette nécessité pour le transport des lettres et des dépêches télégraphiques, sans parler du reste. Que devrions-nous donc faire, sinon pour nous mettre d’accord, chose difficile, au moins pour constater quelles sont, sur les différentes branches de l’intervention de l’État les opinions dominantes parmi nous ? Nous devrions les examiner séparément, une à une, en étudiant dans chacune les avantages et les inconvénients de l’intervention. Cet examen fait, nous aurions en quelque sorte l’inventaire de l’opinion des économistes sur la question des attributions de l’État.

Pour ce qui concerne l’orateur, il n’accorde à l’État que les fonctions d’assureur ; il lui refuse absolument celles de tuteur. Il se contente de présenter à l’appui de cette opinion deux simples observations : la première, c’est qu’à mesure que l’État étend le cercle de ses attributions et de ses fonctions, il devient moins capable de les remplir. Supposons, dit-il, qu’une Compagnie de chemins de fer, qui a pour attribution naturelle de transporter des voyageurs et des marchandises, se mette à fabriquer elle-même ses locomotives et ses wagons ; qu’elle se mette encore à exploiter des mines de fer, des hauts fourneaux et des charbonnages, sous le prétexte qu’elle consomme du fer et du charbon ; qu’elle produise du blé et fabrique du pain pour la nourriture de ses ouvriers ; n’est-il pas clair qu’à mesure qu’elle étendra et diversifiera ainsi ses opérations elle deviendra moins capable de remplir économiquement ses fonctions naturelles ? N’en est-il pas de même pour l’État ? Si la police devient de plus en plus insuffisante, la justice de plus en plus lente et chère, n’est-ce point parce que l’État, au lieu de s’occuper exclusivement de ses services essentiels, éparpille son attention et ses forces sur une infinité d’autres ?

La seconde observation qui se présente à l’esprit de l’orateur, c’est que dans un pays où tous les citoyens ont été déclarés politiquement majeurs et capables de s’occuper des affaires de l’État, on les traite de plus en plus comme s’ils étaient économiquement mineurs et incapables de s’occuper de leurs propres affaires. L’orateur voudrait donc enlever à l’État toutes ses attributions de tuteur pour le réduire à celui d’assureur, c’est-à-dire à la garantie de la propriété et de la liberté des personnes. L’État gendarme, voilà son idéal ! Il établit toutefois une exception, laquelle même n’en est pas une, en faveur des mineurs, qui sont incapables de se protéger eux-mêmes. Il est partisan des lois qui limitent la durée du travail des enfants dans les manufactures, quoiqu’il ne se fasse aucune illusion sur la capacité et le zèle de l’État à faire observer ces lois ; il va même plus loin, en matière de protection des mineurs, qu’un certain nombre de ses collègues, et il rappelle à ce propos la discussion qu’il a soutenue, il y a vingt-cinq ans, contre son confrère et ami M. Frédéric Passy, au sujet de l’enseignement obligatoire. S’il n’est partisan ni de la gratuité ni de la laïcité à outrance de l’enseignement, il est d’avis que les parents ont, dans l’état actuel de la société, l’obligation naturelle de donner à leurs enfants un minimum d’instruction, et que l’État a le droit de les y contraindre, en sa qualité de protecteur de ceux qui sont incapables de se protéger eux-mêmes ; mais là doit se borner, selon l’orateur, l’intervention de l’État. Il n’ignore pas que cette opinion est en complète opposition avec les tendances actuelles des gouvernements et même des peuples, et que nous allons, au contraire, aujourd’hui, à un maximum d’intervention et d’attributions de l’État, autrement dit au socialisme. Si nous nous laissions entraîner par le courant, nous passerions, nous aussi, au socialisme et nous devrions changer la dénomination de notre Société. C’est pourquoi l’orateur conclut en disant qu’au lieu d’augmenter les attributions de l’État, il faut les diminuer et se rapprocher de plus en plus du minimum.

M. E. Alglave veut répondre à une assertion de M. Nottelle, disant que la société doit répandre parmi ses membres le plus de bonheur possible. Il fait remarquer que tout le socialisme sort naturellement d’une semblable formule. Le protectionnisme, en particulier, y trouve immédiatement sa justification.

M. de Molinari et d’autres orateurs ont dit qu’il faut examiner chaque cas en particulier. M. Alglave croit qu’il est possible de formuler un principe, de dire, par exemple, que l’État doit la sécurité, la viabilité aussi, et qu’il ne doit que cela. Mais il ne doit pas se charger d’autre chose, sous le prétexte qu’il « ferait mieux » que les particuliers, car il tuerait alors l’initiative individuelle.

En dehors de cela, l’État, reconnaissant le droit de propriété, est maître d’y apporter toutes les restrictions compatibles avec l’état des mœurs.

De même pour la protection des mineurs, des faibles ; mais ce n’est plus là une attribution « économique ».

L’État peut avoir encore à intervenir pour des œuvres de charité, pour la protection des lettres, des arts, de la danse, parce que l’État tient à ce qu’il y ait des danseuses et des hommes de lettres. Mais l’avis de M. Alglave est que l’État a tort de se mêler des théâtres.

Quant à l’instruction des jeunes générations, l’intervention de l’État ne peut se justifier qu’en raison des intérêts politiques mis là en cause.

En somme, la source de toute richesse est l’énergie des caractères individuels, énergie que l’action gouvernementale ne peut qu’affaiblir.

M. Fréd. Passy n’essaye pas, vu l’heure avancée, de résumer la discussion. Il aurait cependant quelques réserves à formuler à propos de certaines paroles de M. Alglave, spécialement ; par exemple, au sujet du principe de propriété, M. Passy fait remarquer que l’État ne crée pas la propriété, mais la consacre et la protège. Mais il ne fait que signaler ce point.

M. Fréd. Passy préfère insister sur les dernières paroles de M. Alglave, sur la dernière formule, parce que là, il le pense, du moins, tous les assistants sont d’accord, sont unanimes pour restreindre le rôle de l’État. Oui, les attributions de l’État doivent être limitées au strict minimum.

En outre, on l’a bien fait remarquer, si l’action de l’État est celle d’une personne permanente, il faut se souvenir que l’État, c’est « un monsieur », c’est un individu ayant ses opinions personnelles, ses erreurs, sa variabilité individuelle.

En résumé, l’autorité a pour principale mission de sauvegarder la liberté, la sécurité, tout en assurant la protection des enfants et des faibles.

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