Caisse d’épargne (Dictionnaire du commerce et des marchandises)

Pour le Dictionnaire du commerce et des marchandises, Adolphe Blanqui présente en 1837 les mérites des caisses d’épargne, qui ont, dit-il, été un évènement dans l’histoire des classes laborieuses, en ce qu’elles fermaient l’ère de la charité par l’aumône pour ouvrir celle de la philanthropie par l’indépendance du travailleur. Le développement très grand qu’a pris cette institution prouve que le ressort de l’initiative individuelle est puissant et que le sens de l’épargne peut effectivement être une ressource.

Adolphe Blanqui, « Caisse d’épargne », Dictionnaire du commerce et des marchandises, volume 1, 1837.

 

CAISSE D’ÉPARGNE. Les caisses d’épargne sont les établissements d’invention moderne qui indiquent le mieux le changement qui s’est opéré dans la condition des classes laborieuses ; elles marquent la transition entre le régime de l’aumône et celui de l’indépendance du travailleur ; elles peuvent être considérées comme le premier élément sérieux d’affranchissement qui ait été offert aux peuples.Jusqu’au moment où ces caisses furent établies, les classes ouvrières étaient à la merci du capital ; la difficulté d’économiser favorisant leur tendance naturelle à la dissipation du salaire, elles demeuraient dans un état de pauvreté perpétuelle, d’autant plus déplorable, que leurs familles étaient plus nombreuses. En fournissant aux économies un moyen de placement sûr et avantageux, les caisses d’épargne on multiplié les capitaux, et par conséquent les ressources de l’homme ; en même temps elles ont permis aux déposants de lutter, soit contre les prétentions des distributeurs du travail, soit contre les crises du commerce et les vicissitudes de la fabrication. Instituées d’abord à Londres et à Paris, les caisses d’épargne se sont promptement répandues dans les provinces en Angleterre et dans les départements en France, si bien qu’aujourd’hui on y compte, chez nos voisins, plus de 600 000 000 de fr., appartenant aux classes laborieuses, et plus de 60 000 000 chez nous.

L’organisation de ces caisses a présenté quelques problèmes intéressants à résoudre, et leur développement actuel commence à produire des résultats dignes de toute l’attention des économistes et des hommes d’État. Il s’agissait en commençant de faire comprendre aux masses l’importance de la nouvelle institution ; aujourd’hui il est devenu nécessaire de se précautionner contre l’abus qu’on en peut faire. Conservera-t-on aux déposants l’intérêt élevé dont ils jouissent, tandis que l’intérêt décroit partout ? Y aura-t-il un privilège pour les uns, quand le droit commun est appliqué aux autres ? Telles sont les questions que la multiplication des caisses d’épargne a soulevées en France et en Angleterre. Un coup d’œil rapide sur les bases de celle institution permettra d’en apprécier l’importance[1].

Les caisses d’épargne sont généralement administrées d’une manière gratuite, et ouvertes seulement le dimanche et le lundi. On n’y peut pas déposer plus de 300 fr. à la fois, ni plus de 3 000 fr. en tout. En accordant la faculté d’un dépôt de 300 fr., on a eu en vue de faciliter aux marins, aux militaires, aux voyageurs, les moyens d’accumuler des économies qui eussent été dépensées peut-être, si la loi n’avait pas permis de les déposer en une seule fois. D’un autre côté, en limitant à 3 000 fr. le maximum facultatif des versements, on a voulu obliger les citoyens à recourir aux modes ordinaires de placements, pour ne pas nuire aux entreprises industrielles, si les capitaux s’écartaient de cette direction. Aujourd’hui l’affluence des versements est telle, que le Trésor peut être embarrassé de trouver de l’emploi aux sommes déposées, sans réduire le taux de l’intérêt. Ce n’est pas quand les bons royaux se négocient à2 ou à 3%, qu’il est possible de continuer de payer à des capitaux sans cesse croissants, un intérêt de 4%. Cette prime ne serait dès lors qu’un impôt levé sur les contribuables ; elle finirait par atteindre les déposants eux-mêmes, et par troubler la marche naturelle des transactions.

Il y a donc lieu de penser qu’un jour les caisses d’épargne subiront la loi commune des capitaux, et que l’intérêt un peu plus élevé qu’elles offrent en ce moment, descendra au niveau des placements ordinaires. Le véritable avantage qu’elles présenteront sera toujours de favoriser la formation des fortunes par l’accumulation des premières épargnes du travailleur, et surtout d’encourager les hommes à l’économie et à la prévoyance. Les résultats obtenus en France depuis quelques années ont dépassé les espérances des philanthropes les plus éclairés, et chaque jour voit s’accroître le nombre des caisses d’épargne et des déposants qui y versent leurs fonds. Un simple livret, non assujetti au timbre et libre de taxes, assure la propriété des versements, qui peuvent se faire au nom des personnes mineures aussi bien que des majeures, de sorte qu’un père de famille serait maître de déposer autant de fois deux ou trois mille fr. qu’il compterait d’enfants, indépendamment de sa propre mise et de celle de sa femme. Des administrateurs choisis parmi les plus honorables citoyens de chaque localité exercent gratuitement les fonctions de surveillance nécessaires à la régularité des opérations, dont le compte général, rendu chaque année permet, soit aux intéressés, soit au pays, de juger des excellents effets de cette institution.

BLANQUI aîné.

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[1] EXTRAITS DES STATUTS ET RÈGLEMENTS. Quotité des versements. Aucun versement ne peut être moindre de 1 franc, ni comprendre des fractions de franc. — Aucun versement ne peut excéder 300 fr. à la fois. — Nul ne peut faire plus d’un versement par semaine. On ne reçoit plus de versement lorsque le compte d’un individu s’élève à 2 000 f., et celui d’une société à 6 000 francs en capital.

Emploi des fonds par la caisse d’épargne. Toutes les sommes reçues sont immédiatement versées au Trésor royal, en compte courant, pour être restituées en capital et intérêts à la caisse sur sa demande, dans un délai qui ne peut excéder dix jours ; le tout conformément à la loi du 5 juin 1835. — Chaque déposant devient ainsi propriétaire d’une somme équivalente à son avoir, à prendre au Trésor royal par l’intermédiaire de la caisse d’épargne.

Intérêts bonifiés par le Trésor à la caisse d’épargne. Les intérêts bonifiés par le Trésor à la caisse d’épargne sont fixés par la loi à quatre pour cent par année. — Pour subvenir à ses frais, la caisse d’épargne est autorisée par la loi à exercer sur le taux de l’intérêt une retenue qui ne peut excéder un demi pour cent.

Intérêts bonifiés par la caisse d’épargne aux déposants. Le conseil des directeurs fixe chaque année, au mois de décembre, le taux de l’intérêt qui sera alloué aux déposants pour l’année suivante. Ce taux est de quatre pour cent pour l’année 1836.

La caisse d’épargne tient compte de l’intérêt à partir d’une quinzaine après le jour du versement jusqu’au quinzième jour avant celui qui aura été désigné pour le remboursement. — Toute somme de 1 fr. et au-dessus produit intérêts ; les fractions de franc ne sont point productives d’intérêts. Les intérêts sont réglés à la finde décembre, sur tous les comptes courants des déposants ; on les ajoute au capital pour produire de nouveaux intérêts.

Lorsque le maximum de 2000 fr. que peut verser un déposant se sera élevé par l’effet de l’accumulation des intérêts à 3 000 fr., l’intérêt ne sera plus bonifié que sur cette dernière somme de 3 000 fr. et sur celle de 6 000 fr., s’il s’agissait d’une société de secours mutuel.

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