La rapide croissance des dépenses publiques en France

Dans son article hebdomadaire de L’Économiste Français (11 mai 1878), Paul-Leroy Beaulieu attaque la folie dépensière des gouvernements de son temps. « La Chambre cède à un entraînement imprudent vers les augmentations de dépenses, écrit-il ; elle ne tient qu’un compte médiocre du contribuable ; il semble que ce personnage soit pour elle un être abstrait, qui n’ait ni chair ni os, qui ne subisse aucune privation, aucune gène et dont on puisse tirer, sans manquer à la justice, tout ce qu’il peut produire. »


Paul Leroy-Beaulieu

« La rapide croissance des dépenses publiques en France »

L’Économiste Français, 11 mai 1878

Extrait.

Aujourd’hui nous voulons jeter un rapide coup d’œil sur l’ensemble des dépenses publiques dans notre pays. Nous n’avons jamais dissimulé notre opinion sur cet important objet : la Chambre cède à un entraînement imprudent vers les augmentations de dépenses ; elle ne tient qu’un compte médiocre du contribuable ; il semble que ce personnage soit pour elle un être abstrait, qui n’ait ni chair ni os, qui ne subisse aucune privation, aucune gène et dont on puisse tirer, sans manquer à la justice, tout ce qu’il peut produire. L’idée qu’une forte partie des millions qui affluent dans les caisses publiques représente un surcroît de labeurs, de sueurs, d’anxiétés, de privations pour la population française, cette idée-là, qui est cependant si démocratique, n’est pas encore entrée dans la tête de nos représentants. Dès qu’ils voient une dépense qui leur paraît utile, ils s’y élancent sans regarder ni en arrière ni autour d’eux. Toutes ces augmentations partielles des crédits annuels finissent par faire un énorme total.

Un homme riche, qui a un goût dominant, peut généralement le satisfaire, sans se mettre dans l’embarras ; mais un homme, quelle que soit son opulence, qui a tous les goûts à la fois, est bien sûr, s’il ne s’impose pas une forte discipline, de tomber dans la gêne. Il en est de même pour une nation ; si elle veut largement pourvoir aux travaux publics, à l’instruction publique, elle le peut, mais à une condition, c’est de se restreindre sur d’autres natures de dépenses. Au contraire, nos gouvernants veulent à la fois faire grand en tout ; ils ne veulent pas sacrifier le nécessaire, et ils ont raison ; ils ont un goût très vif pour tout ce qui est utile, et ici il importerait déjà de se refréner un peu ; mais, en outre, le superflu, le brillant les attire, c’est là que l’imprévoyance est grande. Travaux publics, instruction publique, armée, marine, traitements civils, traitements militaires, pensions de toutes natures, indemnités de toutes sortes, il n’est pas de chapitres du budget qui ne sollicitent et n’obtiennent d’eux des augmentations. Au risque d’éveiller quelques susceptibilités, il faut parler nettement : il y a, croyons-nous, au fond de cet entraînement vers les dépenses une sorte d’émulation du gouvernement républicain avec le gouvernement impérial ; on ne veut pas céder à celui-ci en éclat, en splendeur ; ce travers est excusable, mais il est dangereux. Nous voudrions que le gouvernement actuel plaçât mieux son amour-propre…

La France ressemble actuellement à cet homme riche dont nous parlions tout à l’heure, qui aimerait à la fois les chevaux, les constructions, les arts, l’agriculture, les voyages, les réceptions, les fêtes, qui serait par surcroît charitable et qui se donnerait une large satisfaction sur chacun de ses goûts particuliers, sans jamais s’aviser de ce que coûte l’ensemble. Eh bien, au bout de plusieurs années de ce genre de vie, qu’y a-t-il ? Quelques-uns disent la banqueroute ou la faillite ; ce sont là des mots beaucoup trop durs ; mais ce que l’on rencontre inévitablement au bout de quelque temps c’est simplement la gêne ; cette gêne, elle est déjà arrivée pour la France…

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