Le Code civil et la question ouvrière

En 1886, une discussion sengage à lAcadémie des sciences morales et politiques sur le contrat de travail et la législation qui lencadre. Pour Paul Leroy-Beaulieu, lun des intervenants, la loi na plus grandchose à faire dans la question : à part la question spéciale des femmes, dont la liberté du travail est incomplète, et qui ne jouissent pas comme elles devraient de la libre disposition du salaire, le législateur aurait tort dintervenir dans les rapports entre employés et employeurs. Même pour le cas des accidents du travail, alors largement débattu, on devrait recourir dabord à lassurance libre, et ne pas postuler demblée quune loi générale est nécessaire.

 

Le Code civil et la question ouvrière. Discussion à l’Académie des sciences morales et politique

Séance du 3 avril 1886.

(Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, vol. 126, 1886, p. 129-165.)

 

DISCUSSION À L’OCCASION DU MÉMOIRE DE M. GLASSONSUR LE CODE CIVIL ET LA QUESTION OUVRIÈRE

par MM. P. Pont, A. Desjardins, Leroy-Beaulieu, Ravaisson et Glasson

 

M. Paul Pont : — Je ne viens pas ouvrir la discussion sur la très intéressante communication de notre savant confrère, ni surtout protester contre la pensée qui l’a inspirée. Je reconnais volontiers, au contraire, qu’on peut regretter de ne pas trouver dans notre code civil une réglementation du contrat de Louage de services qui, au même titre que bien d’autres contrats, y pourrait fort bien avoir sa place. Je prends la parole seulement pour faire ou plutôt pour renouveler une réserve déjà faite touchant un seul des points fort nombreux, trop nombreux peut-être, relevés par M. Glasson comme pouvant être compris dans l’organisation de ce contrat : je veux parler de la responsabilité des patrons vis-à-vis des ouvriers dans les accidents industriels.

Dans une des dernières séances, en offrant à l’Académie, au nom de M. Sainctelette, un Traité de la responsabilité et de la garantie dans lequel l’auteur a discuté la question à fond et avec autorité, j’ai réservé ce point, estimant qu’à raison de sa grande importance et de son actualité il pouvait être l’objet spécial d’une communication que je me proposais de faire à l’Académie.

Permettez-moi de le réserver de nouveau aujourd’hui en présence du Mémoire de M. Glasson. Amené tout naturellement par son sujet à s’occuper de la question, notre confrère l’a traitée à son tour. Il l’a placée, je le crois, sous l’autorité des vrais principes, auxquels cependant je crains qu’il ne soit pas resté complètement fidèle.

La question doit son actualité et son importance à deux faits d’ordre différent : l’état de la jurisprudence et la substitution du travail mécanique au travail manuel.

La jurisprudence est, en principe au moins, essentiellement défavorable et préjudiciable aux victimes des accidents industriels. Elle tient, en effet, que la responsabilité du patron est délictuelle, c’est-à-dire qu’elle a son principe dans l’article 1382 du Code civil d’après lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute de qui il est arrivé à le réparer. » D’où la conséquence, en droit, que c’est à l’ouvrier agissant en réparation d’un dommage causé par un accident industriel, à prouver la faute du patron, puisque cette faute est le fait générateur de son droit. Il y a là, pour l’ouvrier, et, s’il est mort victime de l’accident, pour sa femme, pour ses enfants qui le représentent, des difficultés à peu près insurmontables, non seulement à cause de leur inhabileté à organiser et à diriger les enquêtes devenues nécessaires, mais encore parce que la nécessité se produit à un moment où, par le fait même de l’accident, la victime est hors d’état d’agir en vue de réunir les éléments de la preuve dont la charge lui incombe. Si maintenant on rapproche de ce point de jurisprudence, le fait de la substitution du travail mécanique au travail manuel et ses conséquences, on se rend compte des discussions si vives et des propositions plus ou moins exagérées auxquelles cette question de responsabilité donne lieu depuis quelques années. Quant au fait, il n’est pas à discuter : on a constaté dans les discussions législatives de 1882 et 1883 qu’en une période de 25 à 30 ans à partir de 1850, le nombre des machines à vapeur employées dans l’industrie s’est élevé de 5 125 à 39 559. Pour les conséquences, elles se déduisent en quelque sorte d’elles-mêmes : accroissement notable de danger pour l’ouvrier et par une suite nécessaire multiplicité des accidents industriels. Dans ces mêmes discussions de 1882 et 1883, l’auteur de l’un des projets discutés a pu dire que sur un chiffre total de trois millions d’ouvriers, il y a par an, 20 000 victimes d’accidents du travail dans l’industrie grande et petite.

En cet état des choses, on a conclu, étant donné le principe posé et constamment suivi par la jurisprudence, qu’il était de nécessité absolue de changer du tout au tout, par une complète transformation de la loi, les règles suivies pour ce cas de responsabilité.

C’est le contraire, à mon avis, qu’il y aurait à demander ; le but à poursuivre est, non pas le changement des règles établies, mais leur exacte application, et la transformation de la loi ne serait nullement nécessaire pour l’atteindre, il suffirait d’un simple revirement de la jurisprudence. Du reste, la jurisprudence elle-même s’y prêterait à merveille ; car, les décisions des tribunaux prises dans leurs motifs ne paraissent guère d’accord avec le principe d’où elles procèdent. Les arrêts reconnaissent généralement que le patron est tenu non pas seulement de payer leur salaire à ses ouvriers en retour des services qu’il en reçoit, mais encore de prendre toutes les mesures propres à sauvegarder leur santé et leur vie, et même de les prémunir contre leur propre imprudence ou leur maladresse. Or ce n’est évidemment pas là l’obligation que vise l’article 1382 du Code civil : l’obligation de garantir la vie et la santé de l’ouvrier est essentiellement contractuelle ; elle existe, on l’a très justement dit, en vertu du contrat de louage même, comme conséquence des rapports juridiques qui se forment entre le patron et l’ouvrier : donc la responsabilité à laquelle aboutit cette obligation en cas d’accident est contractuelle et non délictuelle.

C’est l’avis de M. Glasson qui l’exprime très nettement et le justifie, et je suis, en cela, parfaitement d’accord avec lui ; mais, étant donné le principe, j’en veux aussi les conséquences, et c’est en quoi nous différons.

Au point de vue des procès d’accidents, la conséquence, en droit, c’est le déplacement de la preuve : l’obligation du patron étant contractuelle, il s’ensuit que ce n’est plus à l’ouvrier qu’incombe la charge de la preuve ; dès qu’il a justifié de l’existence du contrat de louage de services, son droit à indemnité est établi ; c’est au patron, qui défend à la demande, à prouver sa libération en établissant soit qu’il a satisfait aux obligations du contrat, soit que l’accident impliquant manquement à ces obligations est arrivé par cas fortuit, par force majeure, par une cause enfin qui ne peut lui être imputée. C’est là le droit commun ; c’est la règle applicable à tous les contrats.

M. Glasson en refuse le bénéfice à l’ouvrier vis-à-vis du patron auquel il est lié par le contrat de louage de services. Un ouvrier, dit-il, a été blessé par un éclat de la machine : le patron affirme qu’elle était en bon état quand il l’a livrée, et l’ouvrier soutient le contraire. Laquelle des deux affirmations faut-il préférer ? La question se ramène à savoir si la faute doit ou non être présumée contre le patron, et, posée en ces termes elle doit être tranchée par application de ce principe que la faute ne se présume pas ; c’est donc à l’ouvrier à en prouver l’existence.

Mais, M. Glasson me permettra de le dire, ce n’est pas en ces termes que la question doit ou même peut être posée. Le principe que la faute ne se présume pas n’a ici que faire, car ce n’est pas sur le fondement d’une présomption de faute qu’il s’agit de consacrer la responsabilité du patron. Le débat, dans le cas actuel, s’engage entre parties contractantes sur l’exécution d’un contrat qui les lie, du contrat même dans lequel, on le reconnaît, est la cause de la responsabilitéexercée par l’un des contractants contre l’autre. Dans cette situation, comment et pourquoi serait-il question de présomption de faute ? Il y a, non pas une faute à présumer, mais un fait acquis et certain : l’inexécution du contrat. À qui la charge de ce fait ? Voilà toute la question, et la seule question. Eh bien, le droit commun enseigne que c’est au défendeur, à moins qu’il ne prouve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est le résultat d’un cas fortuit ou de force majeure.

Je n’insiste pas davantage ; je le répète, j’ai donné ces quelques indications simplement à titre de réserves explicatives, sauf à les compléter, dans la communication que, s’il y a lieu, j’aurai à faire à l’Académie.

M. Arthur Desjardins : — La situation des gens qui vivent de leur travail manuel et dont le patrimoine se réduit à des salaires gagnés au jour le jour est particulièrement intéressante. C’est un louable effort que de chercher àl’améliorer par voie législative et je m’associe volontiers aux propositions qui tendent à ce noble but, pourvu qu’elles l’atteignent.

M. Glasson propose de refondre les dispositions du Code civil qui concernent le louage de services. Il est vrai que le Code a traité brièvement de ce contrat, puisqu’il n’en parle que dans trois articles (art. 1710, 1779, 1780). Au demeurant il se borne à prescrire de n’engager ses services qu’à temps et pour une entreprise déterminée : le reste, il l’abandonne à l’initiative individuelle, à la liberté des conventions. Ce laconisme ne me déplaît pas. D’abord la règlementation législative des contrats ne me paraît désirable que si elle est nécessaire : à quoi bon, par exemple, tracer législativement une ligne de démarcation entre le louage de services et le mandat ? Cujas l’a fait avec un certain éclat ; mais c’est une besogne qu’il faut laisser aux juristes et aux juges. Ensuite les rédacteurs du Code civil, gens pratiques, me paraissent avoir renoncé à surmonter des obstacles insurmontables. Les applications de ce contrat sont multiples et diverses. Les ouvriers de l’agriculture et de l’industrie, les domestiques, les commis, les employés, les acteurs, les rédacteurs de journaux, les entrepreneurs d’ouvrages par suite de devis et marchés louent également leurs services. Les conditions mêmes du louage se diversifient à l’infini avec la nature des services engagés. Comment plier à des règles communes tous ces modes d’exercice de l’activité humaine ?

Règlementer l’objet du contrat, c’est règlementer le travail lui-même. Or il ne faut pas toucher à la liberté du travail ; il n’y faut toucher du moins que si la prestation de services stipulée et promise est contraire à l’ordre public ou à la morale publique. J’approuve donc les lois du 22 mars 1841 et du 19 mai 1874, le décret du 22 mai 1875, les trois décrets du 31 octobre 1882. Que les enfants ne puissent être employés dans les usines, manufactures, ateliers ou chantiers avant l’âge de 12 ans, sauf dans certaines industries[1]où ils sont admis à 10 ans ; que le maximum de la journée de travail, avant 12 ans, soit de six heures divisées par un repos ; que le travail de nuit soit prohibé pour les enfants mâles jusqu’à 16 ans, pour les filles mineures jusqu’à 21 ans (dans les usines et manufactures) ; que le travail souterrain soit absolument interdit aux femmes ; qu’il soit défendu d’employer les enfants dans des établissements où l’on redoute des émanations corrosives, des dangers d’explosion ou de brûlures ou à des travaux qui sont effectués sur les toits ou à des travaux de traction trop pénibles soit sur la voie publique, soit dans l’intérieur des ateliers, d’accord. Mais, sans incriminer les intentions des hommes qui votèrent la loi du 9 septembre 1848, limitant à douze heures de travail effectif la journée de l’ouvrier adulte dans les usines et manufactures, je désapprouve le principe de cette loi. En fait la journée de travail, de 1848 à 1883, dépassa rarement douze heures, non qu’on se préoccupât de la loi (les témoignages recueillis dans une récente enquête prouvent que les industriels en ignoraient l’existence), mais parce que la nature des choses et l’état de nos mœurs conduisaient à ce résultat. On eût atteint le même but sous un régime de liberté, sans jeter une mauvaise semence dans notre législation. Ainsi qu’on devait s’y attendre, des hommes d’État cherchèrent en 1879, non seulement à faire consacrer, mais à faire aggraver les prescriptions législatives de septembre 1848. On voulait faire réduire par les chambres la journée de travail à dix heures pour les adultes. De là les discussions des 21, 22, 28 et 29 mars 1881 à la Chambre des députés et le vote par cette Chambre d’une proposition qui restreignait la durée du travail des femmes adultes, annoncée comme le préliminaire d’une mesure plus générale. Mais le Sénat refusa d’entrer dans cette voie et repoussa le projet admis par la Chambre. Il se contenta de voter sans discussion la loi du 16 février 1883, qui confie à certains agents l’exécution de la loi de 1848, sans aggraver la règlementation. Laissons donc faire les adultes puisqu’ils règlent sciemment et librement les conditions de leur engagement.

Mais, sans réglementer l’objet même du contrat, n’en pourrait-on pas régler les conditions ? Ne faudrait-il pas organiser législativement, par exemple, la résiliation du louage de services ? Au demeurant la question se réduit à ces termes : accordera-t-on ou n’accordera-t-on pas à celui qui loue ses services pour une durée indéterminée des dommages-intérêts en cas de résiliation ? Or l’intervention du législateur me paraît inutile. Refuser indistinctement des dommages-intérêts ? Nul n’y songe. En accorder indistinctement (et, par conséquent, même au cas de résiliation justifiée) ? Ce serait absurde. Qu’on y prenne garde, d’ailleurs : l’arme est à deux tranchants, et les ouvriers seraient exposés à leur tour, s’ils provoquaient la rupture du pacte, à des poursuites judiciaires, alors qu’il importe avant tout de laisser à ces salariés une entière liberté de mouvements. C’est donc aux résiliations insolites ou vexatoires qu’il faut rattacher l’action en dommages-intérêts. Eh bien ! les textes actuels suffisent. La question fut posée à la cour de cassation le 4 août 1879 : il est aisé, dis-je alors à la cour, puisque le législateur a eu la sagesse de ne pas établir une règle fixe, de résoudre la question conformément aux notions générales de justice et aux principes du droit. Il fut donc jugé que, si le louage de services sans détermination de durée pouvait, en thèse, cesser par la libre volonté des contractants, c’était à la condition qu’on observât les délais commandés par l’usage, ainsi que les autres conditions expresses ou tacitesde l’engagement. Que veut-on de plus ?

On tient plus encore, si je ne m’abuse, à introduire dans le Code civil de nouvelles règles sur la responsabilité des accidents dont les ouvriers peuvent être victimes. Je ne saurais adopter sur ce point l’opinion que mon éminent et cher confrère M. P. Pont vient de développer. Serrons de près la question. On aboutit, selon moi, à une solution fausse par une analyse inexacte des éléments du « contrat de travail ».

Aux yeux de certains publicistes (et nous retrouvons l’écho de cette opinion dans les travaux législatifs d’une des deux Chambres), le contrat de travail implique pour le patron l’obligation d’indemniser les ouvriers des accidents arrivés même par leur faute (quelques hommes d’État veulent bien excepter la faute lourde). Je ne m’attarderai pas à réfuter ce système. Il faut, pour analyser un contrat, interroger avant tout l’intention des contractants. Comment présumer que le patron, traitant avec un être intelligent et libre, l’ait autorisé d’avance, en dépit de son intérêt et du sens commun, à mésuser de son intelligence et de sa liberté ? Par un motif analogue, le même contrat n’implique pas, pour le patron, l’obligation d’indemniser les ouvriers des accidents arrivés par cas fortuit : comment présumer qu’il ait pris à sa charge les conséquences d’évènements que la prudence humaine ne pouvait prévoir ni conjurer ? D’ailleurs, M. Pont se borne à demander que le fardeau de la preuve soit déplacé.

Donc le patron, actionné en responsabilité, aurait à faire, contrairement au droit commun, une preuve et, qui plus est, une preuve négative ; il devrait démontrer « qu’il n’est pas en faute ». Ce raisonnement repose sur une confusion entre le louage de choses et le louage de services. Le locataire d’une chose livrée en bon état la détient matériellement, en dispose, et, s’il la rend en mauvais état, peut être présumé l’avoir détériorée ; est-ce que le locataire de services est obligé, par une extension de la même idée, de rendre la personne en bon état ? La personne n’est pas un outil sur lequel il exerce une mainmise ; elle va, vient, se meut par elle-même, est capable de résister et de désobéir. C’est un sophisme que de dire : l’accident est présumé provenir d’un travail par cela seul que la victime de l’accident est employée à ce travail. Le travail n’enfante pas l’accident comme les prémisses d’un syllogisme enfantent sa conséquence. Vous faites abstraction, a priori, de la liberté individuelle et de la force majeure ; or rien ne vous en donne le droit. Que l’on continue donc d’appliquer le droit commun, mais qu’on l’applique avec intelligence. Je ne demande pas que, dans les contestations issues de l’accident, on fasse abstraction des rapports juridiques qui unissent le patron à l’ouvrier ; tout au contraire ! Le patron exerce une autorité ; donc sa faute la plus légère doit entrer en ligne de compte : il est responsable de l’outil défectueux qu’il a fourni, de la direction imprudente ou intempestive qu’il a donnée au travail des uns ou des autres. Où d’autres n’auraient rien à se reprocher, il peut être en faute ; mais du moins qu’on prouve la faute.

M’engageant sur le terrain où s’est placé M. Glasson, je traiterai brièvement quelques points de détails.

Ilserait utile, en effet, d’autoriser soit l’ouvrier qui prétend n’être pas payé ou dispute sur la quotité des salaires, soit le patron qui prétend être libéré, à invoquer la preuve testimoniale et, par conséquent, les présomptions, quand même la somme ou la valeur contestée excèderait 150 francs. Cette matière est peut-être une de celles auxquelles il conviendrait d’étendre les franchises du droit commercial, car le litige est, dans bien des cas, industriel et quasi-commercial. D’ailleurs, même dans la sphère du pur droit civil, il y aurait lieu d’élargir, selon moi, la place actuellement réservée à la preuve testimoniale et aux présomptions.

Il serait bon, je le crois encore, de généraliser la disposition de l’article 549 du Code de commerce. « Le salaire acquis aux ouvriers employés directement par le failli pendant le mois qui aura précédé la déclaration de faillite, dit cet article, sera admis au nombre des créances privilégiées au même rang que le privilège établi par l’article 2101 du Code civil pour le salaire des gens de service. » On s’efforce, et l’on a raison, de garder à ces salariés un morceau de leur pain quotidien. Mais, si la mesure est utile quand un commerçant tombe en faillite, elle ne l’est pas moins quand un non-commerçant tombe en déconfiture.

Quant à l’insaisissabilité des salaires ayant un caractère alimentaire, si la législation actuelle paraît insuffisante ou trop peu explicite, qu’on la réforme. Mais ne suffit-elle pas ? La chambre des requêtes de la cour de cassation, par une interprétation peut-être un peu trop précipitée des textes, avait cru pouvoir déclarer, par un arrêt du 22 novembre 1853, ces salaires saisissables ; mais la chambre civile, à qui le dernier mot appartient dans notre travail régulateur, arriva, par une analyse plus approfondie des textes et notamment de l’article 581 du Code de procédure, à déclarer les salaires insaisissables quand ils ont un caractère alimentaire (arrêts du 10 avril 1860). Cette jurisprudence est acceptée : est-il indispensable de légiférer ?

Je sais, comme M. Glasson, que la femme de l’ouvrier est quelquefois réduite à une situation pitoyable, et je conçois qu’on cherche à prendre en main ses intérêts. Mais convient-il, pour atteindre ce but, d’ouvrir une brèche dans le système de régimes matrimoniaux établi par le code civil ? On se propose de soustraire les salaires de la femme à la mainmise du mari. Qu’on y prenne garde ! Tant que les époux vivront ensemble, si le mari veut abuser de sa force, il en abusera, sous l’empire de n’importe quelle législation. J’ajoute que si l’ouvrier, dont on restreindrait les droits, trouve un désavantage matériel à contracter une union légitime, il prendra souvent une maîtresse au lieu de prendre une femme. Or il ne faut pas détourner les ouvriers du mariage. N’oublions pas enfin que la femme salariée obtient facilement, depuis près d’un demi-siècle, l’assistance judiciaire, quand elle réclame sa séparation de biens.

Il ne faut toucher au droit commun, même en faveur des plus intéressants ou des plus dignes, qu’avec une extrême circonspection. J’aurais compris qu’on réclamât un certain nombre de privilèges en faveur des ouvriers avant 1789, c’est-à-dire à une époque où notre législation était un tissu de privilèges. Sous un régime d’inégalité, chacun se défend comme il peut. Aujourd’hui, non seulement ceux qui vivent de leur travail manuel sont arrivés à la plénitude des droits ; mais, comme ils sont les plus nombreux, ils sont les plus forts. Dès lors le législateur doit y regarder à deux fois avant de les placer en dehors et au-dessus du droit commun. La plupart des brèches faites au droit commun sont faites soit à la liberté, soit à l’égalité. J’ouvre la déclaration des droits de l’homme du 24 juin 1793 et je lis que tous les hommes sont égaux « par la nature et devant la loi » (art. 3). J’y lis encore (art. 34) : « Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé ». Ces principes resteront, j’en suis convaincu, ceux de la démocratie française.

M. Paul Leroy-Beaulieu ne veut pas entrer dans des développements étendus sur une question qui a des aspects très nombreux et très divers. Il se contentera de quelques remarques. « J’ai peine à croire, dit-il, que les ouvriers aient été vraiment oubliés dans le Code civil, qu’il y ait eu à leur sujet de la part du législateur une distraction, un manque de mémoire. Les ouvriers, en effet, à la fin du siècle dernier, comme maintenant, c’était déjà le gros bloc de la population. Si par ouvrier on doit entendre — ce qui paraît raisonnable en l’absence de corporations— toutes les personnes qui vivent d’un travail salarié, on peut dire que la plus grande partie des adultes mâles d’un pays rentrent dans cette catégorie. Or, il est très invraisemblable que des hommes réfléchis, comme ceux qui ont fait le Code civil, ne se soient pas souvenus, pendant les quatre ou cinq années de leurs travaux, qu’il y avait un nombre infini de gens vivant de salaires.

On trouve, d’ailleurs, dans le Code diverses dispositions qui prouvent que ses rédacteurs avaient bien présente à l’esprit l’existence des ouvriers. Ces dispositions, il est vrai, sont en général restrictives ; l’article, par exemple, qui défend aux ouvriers de s’assembler et de faire des grèves ou coalitions ; l’article qui porte que, en cas de contestation entre maître et ouvrier, le premier sera cru sur son affirmation ; les mesures encore relatives à l’obligation du livret. On pourrait, sans doute, en citer d’autres ; mais celles-là suffisent. Ces dispositions ont été pour la plupart soit amendées soit abolies, par le progrès de la liberté et de l’égalité dans les mœurs ou dans les lois. Néanmoins, elles prouvent que, si les rédacteurs du Code n’ont pas étendu davantage la législation ouvrière, ce n’est pas qu’ils ignorassent l’existence d’une catégorie de citoyens louant à d’autres, moyennant salaires, leur force de travail, c’est simplement qu’ils pensaient que, en dehors de quelques cas nettement spécifiés, le droit commun suffisait pour le train habituel de la vie.

Il semblait aux législateurs de la fin du dernier siècle que les ouvriers, pour la généralité de leurs actes, ne se distinguaient pas des autres citoyens. Aujourd’hui on a une tendance à faire des ouvriers dans la nation une classe tout à fait à part, se distinguant de toutes les autres, et devant jouir dans tous les détails de leur vie, d’un traitement particulier. C’est là une conception toute contemporaine et qui a un grand défaut, auquel les législateurs de la fin du dernier siècle et du commencement de celui-ci, auraient résisté avec une suprême énergie, ce défaut c’est de rompre l’unité de la nation.

La théorie des législateurs de la Révolution et du Consulat c’est de constituer un droit pour tout le monde, un droit commun, non pas une série de droit divers suivant les professions. Il faut d’autant plus s’en tenir à cette règle qu’il est absolument impossible de distinguer aujourd’hui celui qui est ouvrier et celui qui ne l’est pas. Les frontières intérieures ont été abaissées et supprimées dans l’enceinte sociale : les professions se sont plus ou moins mêlées. À quel signe peut-on aujourd’hui reconnaître l’ouvrier ? Du temps des corporations, quand les uns étaient légalement apprentis, d’autres légalement compagnons, d’autres encore légalement maîtres, quand le nombre des gens de chacune de ces trois catégoriesétait strictement limité, on pouvait savoir qui était ouvrier et qui ne l’était pas. Plus tard même, quand subsistaient contre les ouvriers les lois spéciales citées plus haut, on pouvait savoir ce qu’était l’ouvrier, un homme assujetti à un livret, un homme encore dont la parole ne valait pas celle de son maître. Mais on a supprimé on l’on veut supprimer toutes ces lois, en quoi alors l’ouvrier se différencie-t-il des simples citoyens ? L’employé de bureau ou de commerce, louant aussi sa force de travail et vivant de salaires, n’est-il pas un ouvrier ? L’ingénieur, le chimiste, engagés au mois dans une manufacture, ne sont-ils pas des ouvriers ? Le journaliste qui a un contrat, soit à la tâche pour chaque article fourni, soit au temps, pour chaque mois, diffère-t-il par quelques traits essentiels de l’ouvrier ?

On dira que la loi contemporaine reconnaît bien l’existence d’une catégorie spéciale de gens qui sont des ouvriers, puisqu’elle institue des tribunaux de prud’hommes, composés mi-partie de patrons, mi-partie d’ouvriers. La réponse n’est pas suffisante : les tribunaux de prud’hommes n’existent que dans quelques industries et quelques localités ; il faudrait les étendre singulièrement, on le propose d’ailleurs, on en créerait dans le commerce pour statuer sur les différends entre patrons et commis ; il faudrait arriver à en établir pour prononcer toujours entre « l’employeur » et « l’employé ». Ces deux expressions sont les vraies: il n’y a plus à vraiment parler de maîtres et d’ouvriers ; ces termes courants et vulgaires sont surannés et manquent de précision ; il y a, comme le disent à merveille, les Anglais des « employeurs » et des « employés », ceux-ci peuvent appartenir aux situations sociales les plus diverses, même les plus élevées. Une même personne peut être à la fois « employeur» et « employé » ; c’est ce qui m’arrive à moi-même, dit M. Leroy-Beaulieu ; quand j’écris, comme je le fais souvent, dans le journal d’autrui, je suis un employé ou un ouvrier ; quand j’écris dans le mien, je suis un employeur ou un patron.

L’expression d’ouvrier manque donc de précision scientifiqueet appartient en réalité à un autre temps, à un temps de différenciation sociale et de différenciation législative qui n’est plus le nôtre. L’embarras est encore beaucoup plus grand pour définir l’ouvrière que pour définir l’ouvrier. C’est surtout pour la femme que les divers caractères de personne salariée et de petit entrepreneur se mêlent d’une façon inextricable. La tisseuse dans une fabrique est une ouvrière dans toute la force de l’expression vulgaire ; mais la femme qui à domicile fait de la couture pour des clientes diverses, est-ce une ouvrière aussi ? Dans le sens scientifique du mot, c’est un petit entrepreneur, et cependant elle a une vie souvent beaucoup plus précaire et plus dépendante que la tisseuse de fabrique. Et la brodeuse des Vosges, et la dentelière en chambre, et toutes les femmes qui se louent à la journée, soit comme couturières, soit comme femme de ménage ? Prétendra-t-on ou contestera-t-on qu’elles sont des ouvrières ? Si l’on ne regarde que le caractère laborieux de leur vie, la rémunération chétive qu’elles reçoivent et l’intérêt dont elles sont dignes, est-ce que la femme qui donne des leçons au cachet, est-ce que même la petite marchande ne méritent pas autant la bienveillance du législateur ? Qu’est-ce qu’un système qui veut ainsi parquer les sympathies, les accorder à ceux qui portent un titre particulier, celui d’ouvrières, et les refuser à d’autres qui ne sont ni moins dépourvues de ressources, ni moins méritantes ?

M. Leroy-Beaulieu n’est donc pas partisan d’une législation spéciale. La législation spéciale, c’est le privilège et c’est l’injustice.

M. Glasson a parlé de l’utilité de réglementer par des lois le contrat de travail. Il a admis, toutefois, que la loi devait reconnaître les règlements d’atelier quand ils n’ont rien d’immoral. Mais si l’on reconnaît les règlements spéciaux des ateliers divers, on est loin de donner satisfaction à la plupart des meneurs d’ouvriers. Dans la plupart des cas, les réclamations, souvent les grèves, ont pour origine ces règlements d’atelier contre lesquels ils protestent et qu’ils prétendent attentatoires à leur liberté. Ils ne veulent pas supporter les amendes ou retenues que ces règlements édictent. D’autre part, si l’on voulait, allant plus loin que M. Glasson, que la loi s’ingérât dans les règlements d’ateliers, les rendît uniformes, que deviendrait la discipline nécessaire au travail en commun et la diversité des organisations qui tient à la variété même de l’industrie moderne ? Ce sont les mœurs en cette matière qui peuvent intervenir, non les lois. C’est par la juridiction familiale des Conseils de prud’hommes et des Tribunaux de commerce, non par des prescriptions générales, préventives, uniformes, qu’on peut redresser les abus et les atténuer.

M. Leroy-Beaulieu ne peut pas voir comment la loi pourrait, sans de très grands inconvénients, réglementer en détail le contrat de travail, préciser notamment les cas de force majeure pour rupture des contrats. C’est aux tribunaux à apprécier, espèce par espèce, la responsabilité encourue et les indemnités dues en pareil cas. Rien n’est plus variable, en effet, et ne doit l’être, par la force des choses, suivant les lieux, les industries, les mœurs, les personnes, les nations, que le contrat de travail. C’est un Protée. M. Leroy-Beaulieu, à ce sujet pense qu’il faut prendre la question de plus haut. Doit-on supprimer tous les usages locaux et toutes les coutumes ? Les jurisconsultes sont disposés à penser qu’on doit tout codifier, que la raison écrite, avec son uniformité inflexible et rigoureuse, doit partout écraser la coutume, se substituer à l’appréciation libre des magistrats. Il semble à M. Leroy-Beaulieu que cette conception est fausse. Il y a deux types très divers et également défectueux en matière de droit etde législation : le premier type est le système du cadi, du magistrat jugeant seul, d’après quelques principes généraux et ne consultant, avec les circonstances du cas spécial, que sa propre conscience, s’inspirant uniquement de l’équité naturelle. Ce type de justice est sans doute très imparfait, mais on a la prétention de lui en substituer un autre qui ne l’est pas moins : c’est le système qui consiste à prévoir dans la loi tous les détails et toutes les variétés des actions humaines, à les soumettre à une règle écrite uniforme que les juges ne feront plus qu’appliquer en esclaves. Ce système déifie le législateur et humilie le magistrat. À l’un une prévoyance en quelque sorte providentielle et divine qui embrasse tout, à l’autre une subordination toute passive sans aucune indépendance de jugement. M. Leroy-Beaulieu croit que la vérité est entre ces deux extrêmes. Il ne voit pas pourquoi l’on se plaît à attribuer aujourd’hui toute la sagesse, toute l’impartialité au législateur, c’est-à-dire à la majorité fugitive d’un Parlement, majorité souvent accidentelle, qui représente un parti politique ou social, qui est animée de préjugés et vote parfois avec présomption et ignorance ; M. Leroy-Beaulieu ne comprend pas d’autre part pourquoi cette sagesse et cette impartialité, dont on fait l’apanage des législateurs instables et improvisés, on les refuse aux magistrats qui sont en général dans des conditions de préparation, de permanence et d’indépendance d’esprit bien plus favorables à une bonne justice. M. Leroy-Beaulieu conclut qu’il est déraisonnable de vouloir tout codifier, c’est-à-dire de supprimer dans la justice l’élément d’appréciation individuelle ; il affirme qu’en face du Code qui, dans les questions aussi variées et changeantes que celles qui se rattachent au contrat de travail, doit se contenter de poser des principes généraux, une place doit être faite à la coutume, qui est plus souple, plus aisément progressive et s’adapte beaucoup mieux à toutes les circonstances diverses.

M. Leroy-Beaulieu passe à la question des accidents dont on se préoccupe beaucoup en Europe et en France depuis quelques années. Il semble que la vie de l’ouvrier soit singulièrement menacée et que la mort accidentelle fait dans les rangs des travailleurs manuels des fauchaisons redoutables. M. Paul Pont a parlé de 20000 victimes par an sur une population de 3 millions d’ouvriers. M. Leroy-Beaulieu a été fort surpris de ce chiffre et les documents qu’il a à sa disposition sont loin de le confirmer. Si l’on ouvre, par exemple, l’Annuaire statistique de la France paru en 1882, on voit que cette publication (page 79), enregistre bien pour l’année 1879 le chiffre considérable de 13 549 morts accidentelles, dont 10 918 pour les hommes et 2 631 pour les femmes. Mais il faut entrer dans le détail, et l’on voit que les neuf dixièmes de ces accidents ne concernent pas des ouvriers frappés pendant leur travail ou à cause de leur travail. Ainsi sur les 10 918 accidents parmi les hommes, on relève d’abord 4 071 noyés : or, la vraisemblance c’est que la plupart de ces noyés ne sont pas des gens qui sont morts dans l’exercice de leur profession. On trouve ensuite 2 814 individus « morts subitement de maladie naturelle »; on avouera que la rupture d’un anévrisme ou une attaque d’apoplexie n’a rien à faire en général avec la question ouvrière et la responsabilité du patron ; puis viennent 497 victimes de l’usage immodéré du vin ou des liqueurs fortes : ce ne sont pas là non plus des accidents techniques ; 511 individus morts de faim, de froid ou de fatigue, cela doit intéresser la charité et l’assistance publique, mais on ne peut faire rentrer cet article dans les accidents industriels. Il en est de même de la plupart des 1 127 individus, présentés comme asphyxiés, dont 86 par la foudre, de même encore des 160 hommes tués par l’explosion d’une arme à feu, la plupart étant des chasseurs imprudents ou des amateurs. On recense 1 456 individus comme tués en tombant d’un lieu élevé ; sans doute, il y a parmi eux des couvreurs ou des maçons, mais la généralité sont des personnes qui, en dehors de l’exercice de leur profession, ont commis une imprudence. On compte aussi 1 085 personnes tuées ou écrasées par des voitures, des charrettes ou des chevaux; dira-t-on que toutes soient des ouvriers se livrant à leur travail ? non, la plupart sont des passants, souvent des enfants. On signale 386 hommes tués par des accidents de chemins de fer : un certain nombre sont des employés qui, eux, succombent à un accident professionnel, mais beaucoup sont de purs voyageurs. Ici encore on peut observer que la grande industrie n’a pas multiplié les accidents comme on le prétend, puisque le nombre des gens écrasés par des voitures, charrettes ou chevaux est presque triple de celui des personnes qui sont victimes d’accidents de chemins de fer. Il y a eu, en 1879, 731 hommes tués ou écrasés par des corps durs, éboulements de terrains, constructions ; on peut admettre que la plupart sont des ouvriers, mais non pas tous cependant. On ne compte que 126 hommes tués ou écrasés par des roues de moulins, mécaniques, explosions de mines ; ici presque tous sont des ouvriers, mais le nombre des victimes est petit. Les morts accidentelles par l’explosion de machines à vapeur n’ont atteint que le chiffre de 93 en 1879 : ce sont sans doute uniquement des ouvriers. Si l’on ajoute 492 individus victimes de tout autre genre de mort accidentelle, on arrive à ce total de 10918 hommes tués par accidents en 1879. Qu’on étudie attentivement la décomposition que nous en avons faite, on verra que les ouvriers frappés dans l’exercice de leur profession ne forment qu’une infime minorité de ce chiffre de 10 918 ; très probablement ils n’en constituent pas plus du huitième ou du septième, à coup sûr pas le quart. La question des accidents, si intéressante qu’elle soit, ne tient donc pas dans ce que l’on appelle la question sociale la place prédominante qu’on lui attribue. Dans la pratique, la généralité des tribunaux, faisant une application large et humaine des principes généraux de nos lois, allouent des indemnités toutes les fois que la faute de l’ouvrier n’est pas manifeste et que le patron paraît être dans son tort. Il est très difficile, sans doute, de légiférer d’une manière précise sur ce sujet.

M. Glasson a reconnu que des deux systèmes en présence, celui de la responsabilité délictuelle, qui met la preuve à la charge de l’ouvrier, et celui de la responsabilité contractuelle, qui met la preuve à la charge du patron, il est difficile de dire lequel est le plus favorable à l’ouvrier, et qu’au surplus le patron pourra, dans la plupart des cas, échapper à toute responsabilité par le moyen des règlements d’atelier, qui sont inattaquables. Au lieu donc d’imaginer une nouvelle législation, ne serait-il pas plus simple de recourir au procédé de l’assurance libre ? Quand on a le choix entre deux méthodes, celle de la contrainte et celle de la liberté, pourquoi se prononcer toujours pour celle de la contrainte; en admettant que celle-ci ait un peu plus de promptitude, la première à la longue a beaucoup plus d’efficacité.

M. Leroy-Beaulieu serait disposé à s’associer à M. Glasson pour ce qu’il demande soit contre l’ouvrier débiteur, soit en faveur de l’ouvrier créancier. Mais, en ce qui concerne l’ouvrier débiteur, il aperçoit de grandes difficultés dans la pratique. Quelle indemnité réclamer, en cas de rupture d’un contrat, à un homme qui n’a rien ? Nos mœurs ne permettent point qu’on prenne une sorte d’hypothèque sur la personne comme cela se fait chez les Arabes, pour les individus que l’on appelle des Khammès, sortes de serfs hypothéqués à leur dette. On a d’ailleurs supprimé, ou on va le faire, le livret, et l’on a aboli la prison pour dette. On a un recours pécuniaire contre le patron ; on n’en a point contre l’ouvrier. Que peut-on, d’autre part, saisir sur le salaire de celui-ci ? Tout au plus une fraction insignifiante : l’ouvrier ayant besoin, pour vivre, de la totalité de son salaire, échappe, ipso facto, à toute contrainte. Quant à l’ouvrier créancier, il est juste de lui accorder un privilège, mais le même principe est applicable à quiconque vit de son travail, et d’ores et déjà les tribunaux l’appliquent très largement ; il n’y a pas longtemps qu’une « grande ouvrière », qui gagne 1 500 francs par soirée, ayant procès avec ses créanciers, les juges lui ont réservé pour ses besoins personnels le tiers de sa recette, soit 500 francs par soirée.

Pour la femme de l’ouvrier, il y a sans doute quelque chose de plus à faire que ce qu’on a déjà fait, puisqu’on ne lui a pas encore accordé en France la libre disposition de son salaire. À cet égard, M. Leroy-Beaulieu irait à la rigueur aussi loin que vont les législations anglaise et danoise, non toutefois sans quelque appréhension. On est en train, dit-il, de changer le caractère du vieux mariage romain et chrétien, d’adopter un mariage à l’américaine, qui est une sorte de société en participation facilement modifiable. Cela n’est pas sans inconvénient ; néanmoins, on peut s’y résigner, quoique avec des regrets. Il y a lieu peut-être avec quelques réserves d’instituer pour toute femme qui travaille une séparation de biens anticipée ; mais il ne s’agit pas ici seulement de ce que l’on appelle l’ouvrière, mais aussi de la couturière à domicile, de la modiste entrepreneuse, de l’institutrice, de la maîtresse de langue ou de musique, de la sage-femme, de la femme artiste, de la femme médecin, de la marchande. M. Leroy-Beaulieu rejette ces dénominations étroites, superficielles et surannées d’ouvrier et d’ouvrière.

M. Glasson a parlé de dégrever des droits de timbre, de greffe, etc., les contestations relatives aux salaires. M. Leroy-Beaulieu donne ici une adhésion empressée au vœu de son savant confrère. Seulement les gouvernements en rendent l’application très difficile. Toutes les fois que l’on parle d’amélioration sociale, on se heurte au même obstacle, le principal des obstacles, l’avidité du fisc. C’est ici l’une des contradictions de la démocratie, et il faut signaler hautement cette contradiction déplorable. On veut rendre plus aisé et plus supportable le sort des travailleurs et des humbles, leur faciliter l’association, l’assurance, l’épargne, le progrès, et en même temps on augmente démesurément les dépenses publiques. Ceci est l’ennemi de cela. Le pire adversaire du progrès populaire, c’est le budget de l’État énorme et dévorant. Que nos États modernes apprennent à être économes et à réduire leurs attributions, ils pourront alors diminuer les impôts, et cela vaudra beaucoup mieux pour le progrès populaire que vingt réformes prétentieuses inscrites dans les lois.

En résumé, c’est par une hygiène générale, des procédés d’ensemble s’appliquant à la société toute entière que l’on peut surtout alléger les maux que l’on signale. Que l’on s’occupe d’assurer des garanties à tous ceux, grands ou petits, hommes ou femmes, aisés ou non, qui vivent de leur travail personnel, M. Leroy-Beaulieu s’en félicitera ; mais il verrait avec regret que l’on voulût uniquement légiférer en faveur d’une classe quelconque, mal définie d’ailleurs et indéfinissable, de la société.

M. Ravaisson : — La discussion qui a déjà tant occupé l’Académie sur la question ouvrière a abouti en dernier lieu à la proposition de certaines modifications à introduire dans les lois pour améliorer la condition des ouvriers. Mais cette proposition a rencontré beaucoup d’objections. Comme le disait Villermé, le bien en ce genre est difficile à faire ! Par exemple, en voulant assurer à la femme de l’ouvrier la conservation de son salaire, soit dans son intérêt, soit dans celui de son mari même et de ses enfants, parce qu’elle a généralement à un degré supérieur l’esprit d’économie et celui, qui y tient, de tempérance et de sacrifice, on risque d’affaiblir l’unité conjugale et même de diminuer le nombre des mariages. En tout cas les mesures législatives sur lesquelles on parviendrait à se mettre d’accord n’opposeraient guère aux maux dont on cherche les remèdes que des palliatifs très insuffisants. Tout au plus contribueraient-elles à augmenter l’avoir de l’ouvrier ; mais aurait-on par là amélioré essentiellement sa condition, si, d’un côté, il la rendait de plus en plus mauvaise par un mauvais emploi de ses ressources, si, d’un autre côté, tout en devenant réellement meilleure, elle lui apparaissait de plus en plus comme mauvaise ?

La Révolution française, en mettant fin à un régime qui avait perdu en grande partie ses raisons d’être, et duquel d’ailleurs il ne subsistait plus guère que des ruines, a proclamé, avec l’abolition des privilèges légaux, la liberté de tous, et promis de plus l’égalité et la fraternité. Mais la liberté qui peut suffire aux forts, ne suffit pas aux faibles, et tels sont tous les pauvres. En les délivrant de bien des tyrannies, on les a privés d’un patronage dont il leur était difficile de se passer. Aussi s’en faut-il de beaucoup qu’avec la liberté on ait vu se réaliser ni cette égalité, ni par suite, cette fraternité qui devaient l’accompagner.

Suivant des économistes considérables, si, grâce aux progrès de la science et de l’industrie, la richesse produite croît rapidement, la répartition en serait de plus en plus inégale, les riches devenant, généralement parlant, de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres. Autrement dit l’inégalité irait toujours croissant, et, par suite, l’antagonisme des deux classes. Suivant d’autres, à la vérité, il n’en est pas ainsi, et la condition des classes laborieuses s’améliore : les ouvriers sont mieux vêtus, mieux nourris qu’autrefois, leur vie moyenne tend à s’allonger. Mais ce qui semble incontestable, ce que constatait déjà il y a un demi-siècle l’exact et impartial observateur Villermé, et qui est plus frappant encore aujourd’hui, c’est que le sentiment de ce qui reste, en tout cas, d’inégalité est dans les classes inférieures de plus en plus amer, c’est que l’ouvrier, moins indigent, si l’on veut, est de plus en plus mécontent. La liberté donnée par la Révolution, l’égalité qu’elle a promise ont allumé chez les plus humbles, disait encore Villermé, une ambition qui les rend impatients de leur sort, et ce sentiment semble devenir de jour en jour plus vif.

Un de nos confrères, savant économiste, a dit de l’égalité qu’il la voyait célébrée par tous les philosophes et tous les politiques, mais qu’il n’avait jamais pu en comprendre la raison. Pourtant les Platon, les Aristote, les Tacite, les Montesquieu et nombre d’autres penseurs et observateurs de premier ordre qui, en effet, ont parlé avec faveur de l’égalité, ont donné de cette faveur un motif qui ne paraît pas sans force, à savoir que, lorsque l’inégalité des fortunes est grande dans une société, les pauvres envient les riches, les riches méprisent et craignent les pauvres ; et c’est là une disposition morale qui, en rendant malheureux les uns et les autres, menace en outre la cité de fréquentes et graves révolutions, assurément tout le contraire de la fraternité, tout le contraire de cette union dont les grands politiques ont fait la condition d’une société bien réglée et même son principal objet. Leibniz disait que Dieu avait créé le monde pour l’harmonie, que l’harmonie était la raison de la création : on peut dire que c’est aussi la raison de cette seconde création qui est la société. Dès lors, si une certaine inégalité lui est nécessaire, puisque, comme disaient les vieux philosophes, il faut pour l’accord une certaine inégalité, une inégalité excessive lui est contraire. Et c’est pourquoi, pour ne citer qu’un seul des grands auteurs qui ne veulent pas d’une inégalité excessive, Aristote dit que la cité la mieux constituée et la plus stable est celle où les fortunes sont pour la plupart moyennes.

Mais, quelque idée qu’on se fasse des avantages et des inconvénients de l’égalité et de l’inégalité des conditions, ce que personne, sans doute, ne niera, c’est qu’il est fâcheux qu’un peuple se refuse de plus en plus àsouffrir ce que les conditions auront toujours après tout de plus ou moins inégales.

Aux temps où les sociétés sont fortement constituées, et, par suite, stables, il y a un correctif à ce qui s’y trouve toujours d’inégalité réelle entre les classes et aux sentiments hostiles qui en peuvent résulter, c’est l’idée de l’échange mutuel des services. Un homme de grande expérience comme de haute intelligence, l’ancien ministre du Trésor Mollien, dont j’avais l’honneur d’être parent, me disait souvent : les choses iront bien en ce monde, quand y régnera la pensée de la réciprocité.

À cela il faut ajouter qu’en ce commerce mutuel des supérieurs et des inférieurs, dans la cité comme dans la famille, c’est aux supérieurs qu’il appartient de commencer. Montesquieu nous autorise à invoquer en matière sociale et politique les plus anciens exemples, parce que les peuples n’ont pu, dit-il, former que par de grandes vertus de grands établissements. Eh bien, aux temps primitifs, dont nous nous entretenions ici il y a quelques mois (à propos de la Germanie de Tacite), les compagnons d’un chef lui étaient dévoués jusqu’à ce point de ne pas vouloir lui survivre. C’est que le chef se dévouait à eux, vivait, mourait pour eux. Par là, par 13 dévouement réciproque ils étaient, dans leur inégalité, égaux en quelque façon les uns aux autres ; par là il y avait entre eux, non haine et antagonisme, mais au contraire affection. Au Moyen-âge encore, a dit à peu près M. Renan, le paysan voyant son seigneur avec ses armes splendides, sur un beau cheval, ne songeait pas d’ordinaire à l’en jeter bas ; il montait en quelque sorte, en idée, avec lui sur ce cheval, était fier avec lui de ses belles armes, glorieux de sa grandeur. C’est que son seigneur, à l’occasion, combattait, se faisait tuer pour lui. Tels étaient l’un pour l’autre dans la très ancienne Rome le patron et le client.

Au sacre d’Innocent III, ainsi que nous le racontait il y a quelque temps M. Zeller, on jetait au peuple de l’or et de l’argent, et le pape disait : « Ce que j’ai, je le donne » ; c’est-à-dire qu’il ne devait être riche que pour donner. Et, ainsi que j’ai déjà eu occasion de le dire, àpropos de la générosité qui était un trait essentiel des habitudes primitives, dans notre siècle encore un prince de ces pays slaves où se sont conservées les anciennes mœurs, prince qui possédait des pays entiers, ne portait jamais sur lui qu’un écu; et il disait : « Si l’on trouvait sur moi de l’or, mes ancêtres auraient honte de moi. » Cet idéal du clergé et de la noblesse, assurément il s’en fallait beaucoup que la pratique y répondît toujours : ce n’en était pas moins comme une étoile vers laquelle s’orientait jadis la société.

Aujourd’hui que les privilèges légaux auxquels avaient répondu autrefois de telles compensations, lesquelles, à la fin de l’Ancien régime, n’y répondaient plus que par exception, ont totalement et définitivement disparu, il faut, pour qu’il y ait encore, non un simple voisinage et commerce d’affaires entre individus plus ou moins hostiles les uns aux autres, mais une société véritable, il faut que ce que les lois ne font plus, les moeurs le fassent.

Former ou réformer les mœurs, c’est chose surtout d’éducation. C’est donc à une question d’éducation générale que se réduit, pour l’essentiel, la question sociale.

Si le peuple se comporte mal, disait Platon, ce n’est pas tant à lui que doivent s’en prendre ceux qui sont à sa tête qu’à eux-mêmes. Il leur appartenait de bien l’élever.

Mais ce qu’il faut ajouter, c’est qu’il n’est de véritable éducation que par l’exemple.

La classe qui s’est élevée sur les ruines des anciennes classes a beau être arrivée par son labeur et en grande partie par ses mérites aux avantages qui formaient jadis leurs dotations, elle se tromperait, si elle croyait pouvoir en jouir, dans les conditions nouvelles qui semblent avoir donné à tous une absolue indépendance à l’égard les unes des autres, sans aucun équivalent ou avec des équivalents insignifiants des devoirs attachés jadis à la richesse et au pouvoir. Ce serait l’hæreditas sine sacris peu approuvée, moralement et politiquement parlant, des anciens Romains.

L’homme du peuple ne peut certainement parvenir à une condition heureuse que par le travail joint à la tempérance, c’est-à-dire, généralement par l’esprit de sacrifice aux siens, c’est-à-dire encore, comme l’a écrit un moderne publiciste, d’accord d’ailleurs avec les philosophes et les politiques les plus éclairés de tous les temps, par la vertu. Mais c’est de ceux qui sont placés le plus haut dans la hiérarchie sociale, telle que la comporte notre régime moderne de liberté, que l’exemple en doit partir, aussi bien que la leçon.

Ce serait, d’ailleurs, une autre erreur de croire qu’il s’agit de semences à jeter dans un sol stérile. Le Dr Villermé qui, pour remplir une mission à lui confiée par cette Académie, avait été observer de si près et si consciencieusement les ouvriers, disait que si le peuple avait des vices fâcheux, dont il faut avouer d’ailleurs que l’exemple lui est quelquefois donné de haut, il avait la vertu d’être volontiers secourable. Mais cette vertu, c’est celle que le vieil Aristote proclamait la plus grande de toutes, c’est-à-dire la bonté. Le peuple, donc, a bon cœur. Dès lors, il est docile au langage du cœur ; qu’on le lui parle, il aura bientôt répondu.

Mais le langage du cœur, c’est l’exemple bien plus encore que la parole. Que les classes supérieures renouvellent, et s’il se peut avec plus de force, la tradition de l’antique générosité d’où est sorti partout, mais peut-être plus encore en France qu’ailleurs, tout ce qui s’est fait de grand : on verra se reformer une société unie et par suite durable.

Pour résumer ma pensée, je dirai qu’à mon avis la seule solution que puisse recevoir ce qu’on appelle la question ouvrière, et plus généralement la question sociale, c’est une réforme morale qui rétablirait la réciprocité des dévouements et des services ; que cette réforme doit résulter d’une éducation nouvelle donnée à la nation ; que cette éducation, c’est aux classes supérieures qu’il appartient de l’entreprendre, mais en commençant par elles-mêmes.

Comment peut on comprendre l’organisation d’une telle éducation, c’est ce que je ne rechercherai pas aujourd’hui. Je me réserve de le faire dans quelque autre occasion. Je n’ai déjà que trop abusé, sans doute, de la patience et du temps de l’Académie.

M. Glasson : — Les objections adressées par MM. Pont, Desjardins et Leroy-Beaulieu au mémoire que j’ai lu devant l’Académie sont de deux sortes : les unes générales ; les autres spéciales. M. Pont s’est borné à une simple réserve sur la question de la preuve pour le cas où un ouvrier est victime d’un accident. M. Desjardins a sensiblement élargi le cercle de la discussion : tout en admettant qu’on pourrait étendre l’application de la preuve testimoniale, accorder à l’ouvrier un privilège en cas de déconfiture comme en cas de faillite, peut-être même déclarer le salaire insaisissable, il soutient qu’il n’y a pas lieu de réglementer le louage de service. Cela est même impossible selon M. Desjardins et c’est pour ce motif que les rédacteurs du Code civil ont gardé un prudent silence. D’ailleurs le droit commun et les usages suffisent complètement. Il ne faut pas surtout toucher aux droits que la loi reconnaît à l’ouvrier vis-à-vis de sa femme, car autrement il ne se marierait plus.

M. Leroy-Beaulieu n’est pas de cet avis : il pense qu’il y a lieu de protéger la femme de l’ouvrier contre les excès de son mari; il admet aussi qu’on accorde un privilège à l’ouvrier créancier en cas de déconfiture et qu’on déclare même son salaire insaisissable. Mais il n’admet pas d’ailleurs qu’on réglemente le louage de service et sur ce point il se rencontre avec M. Desjardins tout en donnant à sa solution des motifs différents.

À vrai dire, M. Leroy-Beaulieu a encore plus étendu la sphère du débat que ne l’avait fait M. Desjardins. Il affirme en effet qu’on ne doit pas réglementer le louage de service par deux motifs : il n’y a plus d’ouvriers ; la coutume est préférable à la loi écrite.

Est-il vraiment exact de dire qu’il n’existe plus d’ouvriers, mais seulement des citoyens libres, tous soumis aux mêmes lois, qu’il est impossible de définir l’ouvrier et de le distinguer des autres hommes ? Sans doute la division des personnes en classes a définitivement disparu. Mais à défaut des classes, les professions existent toujours et permettent de distinguer les citoyens au lieu de les confondre tous dans une masse immense et confuse. Malgré la disparition des classes, il y aura toujours des clercs et des laïques, des militaires et des civils, des commerçants et des non commerçants, des fonctionnaires publics et de simples particuliers, des patrons et des ouvriers. La suppression des classes n’empêche donc pas de distinguer les hommes par leur profession. On peut même sans témérité et quoi qu’en dise M. Leroy-Beaulieu, tenter une définition des ouvriers et des domestiques : ce sont ceux qui se livrent à des travaux manuels pour le compte d’autrui et moyennant salaire. Ce travail manuel devient-il l’accessoire d’un travail intellectuel, celui qui s’y livre cesse d’être un ouvrier. On discutera peut-être sur le point de savoir s’il faut ranger dans la catégorie des ouvriers, par exemple, un peintre sur porcelaine, et cependant même dans ce cas notre criterium ne fait pas défaut : il suffira de rechercher si cet homme produit des objets d’art ou se borne à enluminer des faïences grossières. D’ailleurs dans plusieurs circonstances, la loi elle-même parle des ouvriers : elle leur donne un privilège en cas de faillite ; elle les déclare électeurs aux Conseils de prud’hommes. C’est donc qu’il est possible de les reconnaître à certains caractères distinctifs.

Il semble bien que M. Leroy-Beaulieu l’admette lui-même, puisqu’il est d’accord avec nous pour demander au profit de l’ouvrier un privilège en cas de déconfiture ainsi que l’insaisissabilité de son salaire Nous sommes heureux de ces concessions, mais nous ne voyons pas comment elles peuvent se concilier avec le point de départ de notre savant contradicteur. S’il n’y a plus d’ouvriers, il n’y a rien à faire pour eux, car ils n’existent pas ; admettez-vous qu’on puisse proposer certaines mesures en leur faveur, c’est qu’alors vous reconnaissez nécessairement la possibilité de les distinguer des autres citoyens.

D’ailleurs au point de vue du contrat de louage, cette objection de M. Leroy-Beaulieu ne paraît pas bien gênante, car je ne demande pas la réglementation de ce contrat pour les ouvriers seulement, mais pour toutes les personnes, sans aucune distinction. Je ne saurais trop répéter qu’il ne s’agit pas de créer une législation spéciale au profit des ouvriers, mais seulement de réglementer le louage de service comme le sont déjà les autres contrats par le Code civil.

Il est vrai que d’après M. Leroy-Beaulieu les usages non écrits sont préférables à la loi d’un Code. Mais c’est une question immense que celle de savoir s’il faut préférer les codes aux usages non écrits : l’opinion de M. Leroy-Beaulieu poussée dans ses dernières conséquences, ne conduit, en effet, rien moins qu’à la suppression des Codes et cependant à l’heure actuelle, toutes les nations de l’Europe imitent à l’envi l’exemple que nous leur avons donné au commencement de ce siècle. Cette question de la codification n’est pas neuve et elle me semble même complètement épuisée. Elle a longtemps agité l’Allemagne au commencement de ce siècle. L’école philosophique à la tête de laquelle était placé Thibaut demandait énergiquement des codes pour l’Allemagne ; les usages, disait-on, sont nécessairement incertains et varient à l’infini, d’une contrée à l’autre. Des lois précises peuvent seules assurer la sécurité aux citoyens contre les prétentions de la mauvaise chicane : elles dispensent le juge et le praticien de longues études historiques qui le plus souvent restent sans résultat pratique. Les hommes de lois ne sont plus obligés de pâlir sur les vieilles coutumes et sur le texte des Pandectes. Ceux qui ont du temps à perdre apprendront avec plus de profit les lois de la Chine, car ils peuvent être un jour appelés par leurs affaires dans ce pays, tandis qu’ils n’iront certainement jamais dans l’Empire romain. Les études historiques ne sont que des recherches d’érudition oisive, mais elles ne servent pas au développement du droit.

L’école historique représentée par Savigny répondait : un code a le grave inconvénient d’être une loi brutale et rigide qui ne se plie pas facilement aux besoins multiples d’un peuple et aux changements incessants auxquels est soumise la vie sociale. Le droit varie avec les temps et les mœurs ; comme la langue d’un peuple, il grandit, souffre et prospère avec ce peuple et disparaît avec lui. Les usages seuls produisent un droit conforme au génie et aux besoins de la nation.

Telle est la grande question qui a passionné les esprits au commencement de ce siècle. De part et d’autre on avait commis d’évidentes exagérations. Mais le temps a fait son œuvre : les passions se sont calmées ; on reconnaît aujourd’hui sans peine qu’un code donne l’unité de législation à une nation, des principes nets et précis à la science du droit et à la pratique des affaires, mais il doit être éclairé par l’histoire. Le législateur vraiment digne de ce nom est en effet tenu de connaître les institutions anciennes et de s’inspirer de leur esprit pour continuer la tradition nationale, en tenant compte des nécessités de son temps. Ce n’est pas sa volonté arbitraire qu’il doit placer dans la loi : il se borne à confirmer en les précisant les usages sanctionnés par le temps. D’ailleurs un code ne doit pas tout dire ; il est complété par la jurisprudence qui comble ses lacunes, adoucit ses rigueurs, assouplit ses dispositions aux besoins nouveaux de la vie sociale. C’est en ce sens et dans cette mesure qu’a triomphé le système de la codification.

Il n’est pas permis, dans un si grave problème, d’oublier les leçons de l’histoire. Du Xau XVsiècle notre pays a été soumis à ce système des coutumes non écrites que semble préférer M. Leroy-Beaulieu. C’est l’époque la plus sombre de notre histoire pour le droit et la justice ; partout régnait l’arbitraire le plus complet ; aussi les populations dès qu’elles purent élever la voix, se hâtèrent de réclamer sans cesse et avec énergie la rédaction des coutumes. Cet immense bienfait commença enfin à se réaliser au XVsiècle. On avait obtenu la fixité du droit à la place de l’arbitraire. C’est qu’en effet une coutume écrite ne diffère pas bien sensiblement d’un code. Toutefois la variété de nos anciennes coutumes était encore une cause de graves embarras. Déjà dans les derniers siècles de l’ancienne monarchie on avait demandé des lois plus uniformes et la royauté avait commencé à réaliser cette grande œuvre lorsque éclata la Révolution. Le code civil a enfin donné à la France l’unité de la loi civile. Ne nous en plaignons pas et avant de nous prononcer en faveur des coutumes non écrites, rappelons nous l’état de notre pays à l’époque de l’anarchie féodale.

M. Desjardins n’a pas agité ce grave problème ; mais par d’autres motifs, il arrive au même résultat que M. Leroy-Beaulieu. Il ne faut pas, dit-il, réglementer le louage de service par la raison bien simple que cela est impossible. C’est ce qu’ont eu la sagesse de comprendre les rédacteurs du Code civil.

À mon avis, le silence à peu près complet des auteurs du Code sur le louage de service s’explique tout autrement. Il suffit de se rappeler comment les rédacteurs de cette loi ont procédé dans leur œuvre. Pour tout ce qui concerne la théorie des obligations et les divers contrats de la vie civile, ils se sont bornés à reproduire les principales règles posées par le jurisconsulte Pothier. Or Pothier ne dit pour ainsi dire rien du louage de service et j’en ai donné la raison dans mon mémoire. Les règlements des corporations suffisaient autrefois à tout. D’ailleurs les procès-verbaux de la discussion du Code au Conseil d’État ont été publiés et il suffit de s’y reporter pour découvrir les causes des lacunes de la loi actuelle.

Le louage de service n’a donné lieu à aucune observation, sauf sur un point : le projet primitif contenait une disposition aux termes de laquelle on ne pourrait pas forcer personnellement l’individu à exécuter son engagement, sauf à accorder contre lui des dommages-intérêts en argent. Cette disposition a été supprimée sur cette observation qu’elle reproduisait un article déjà voté, l’article 1142. Il n’a rien été dit de plus au sujet de ce contrat ; dans la discussion du conseil d’État[2] le discours prononcé au Corps législatif par le conseiller d’État Galli sur le louage est encore plus bref. Il se borne à rappeler « qu’on ne peut engager ses services qu’à temps ou pour une entreprise déterminée. À la vérité, dit-il, il serait étrange qu’un domestique, un ouvrier puissent engager leurs services pour toute leur vie. La condition d’homme libre abhorre toute espèce d’esclavage. Passons maintenant aux devis et marchés. » Un peu plus loin le rapporteur résume le contrat de louage et il n’y mentionne même plus le louage de service[3]. Il n’est donc pas permis d’affirmer que les rédacteurs du Code civil ont gardé un silence à peu près complet sur le louage de service parce qu’ils ont reconnu l’impossibilité de le réglementer. C’est là une conjecture purement gratuite.

En effet, cette impossibilité n’existe pas. En vain objecte-t-on qu’il y a des variétés infinies dans le louage de service ; la vente en comporte bien plus encore et cependant le législateur n’a pas hésité à les réglementer avec un soin minutieux ; vente des immeubles, vente des meubles, vente des droits réels, vente des créances, vente des animaux, etc., etc., tout cela est prévu et réglementé. Le contrat de louage de service est beaucoup plus simple. Il ne s’agit pas d’ailleurs dans une loi de tout dire ; mais il faut aussi se garder de ne rien dire. Le législateur pose les principes les plus essentiels, la jurisprudence fait le reste.

Pour déterminer ce que doit contenir une loi nouvelle complétant une loi ancienne, il suffit de se reporter aux arrêts des cours d’appel et de la cour de cassation. Ces arrêts nous font connaître quelles sont les questions qui ont soulevé le plus de difficultés et s’ils sont en désaccord les uns avec les autres, ces divergences sont la meilleure preuve de la nécessité d’une intervention du législateur[4]. C’est une grave erreur de dire qu’à défaut de loi la jurisprudence la remplace. J’ai suffisamment montré dans mon mémoire les dangers de cette doctrine ; lorsque la loi fait défaut, la jurisprudence manque de son guide habituel et tombe dans la voie de l’arbitraire. De leur côté les particuliers sont placés dans une situation tout à fait défavorable. Il suffit pour s’en convaincre de se demander ce qui arriverait si le Code civil n’avait pas réglementé les contrats les plus fréquents, par exemple la vente, le louage des biens, le contrat de mariage. Quiconque voudrait vendre ou louer son bien serait tenu de prévoir dans son interminable écrit toutes les clauses de son contrat et Dieu sait si néanmoins il ne courrait pas le risque de nombreux procès ! Il y aurait de beaux jours pour les notaires et les gens de justice. De même tous ceux qui se marient seraient obligés de s’adresser à un notaire pour adopter le régime de la communauté si le Code n’organisait pas pour eux ce régime. On pourrait multiplier les exemples. J’en ai dit assez pour montrer l’utilité des lois qui déterminent à l’avance les conditions ordinaires des contrats tout en permettant aux parties de s’en écarter par des conventions contraires.

Ce qui est vrai de tous les contrats, l’est généralement du louage de service. En vain prétend-on que le droit commun suffit ici. Qu’est-ce que ce droit commun ? Où est-il et que dit-il ? Personne n’en sait rien. J’en tire la preuve de cette discussion même. Trois opinions ont été émises sur la question des accidents et chacune d’elles a la prétention de se fonder sur le droit commun !

D’après M. Desjardins toutes les fois qu’un ouvrier, victime d’un accident, demande des dommages-intérêts à son patron, il doit prouver la faute de ce patron par application de l’article 1382 du Code civil. J’ai montré dans mon mémoire que cet article 1382 est étranger à notre question. Il existe en effet dans le Code civil deux théories des fautes : l’une pour les personnes liées l’une à l’autre par un contrat (faute contractuelle), l’autre pour les personnes étrangères, c’est-à-dire dégagées de tout contrat entre elles, faute délictuelle, ou delictueuse ou plus simplement délit civil. Cette seconde théorie est celle de l’article 1382. Pour savoir s’il faut l’appliquer entre patrons et ouvriers, il suffit de rechercher s’il existe un contrat entre ces personnes. Ramenée à ces termes, la question ne peut donner lieu à aucun doute. Aussi l’application de l’article 1332 est-elle critiquée par presque tous les auteurs les plus récents ; elle a été abandonnée par la jurisprudence belge et complètement condamnée par celle du grand duché de Luxembourg[5]. En rapportant ces derniers arrêts dans le Recueil général, M. Labbé ne peut s’empêcher de s’exprimer ainsi : « Nous nous étonnons que l’article 1382 conserve des partisans. Nous savons qu’il est dangereux de croire à l’évidence ; on est moins bien placé pour chercher des preuves et réfuter des objections. Nous exprimons naïvement l’état de notre esprit. »

Il faut donc appliquer entre patrons et ouvriers la théorie de la faute contractuelle. Sur ce point je suis heureux de me trouver en parfait accord avec M. Pont. Mais la divergence commence de suite lorsqu’il s’agit de savoir en quoi consiste le droit commun de cette faute contractuelle. D’après M. Pont, la preuve incombe au patron : il doit établir le cas fortuit s’il veut échapper à une condamnation ou à des dommages-intérêts. Le doute ne serait pas possible dans le cas où il s’agirait d’un contrat de transport : lorsque le voiturier ne remet pas les objets transportés ou les livre avariés au destinataire, il est tenu de payer des dommages-intérêts à moins qu’il ne prouve le cas fortuit. On doit raisonner de même par analogie dans le louage de service.

À mon avis l’analogie n’existe pas. Dans le cas de contrat de transport, il est prouvé que le voiturier n’a pas exécuté son obligation de livrer les objets transportés et il est certain que cette inexécution du contrat n’est pas imputable au destinataire ; il faut donc bien que le voiturier prouve le cas fortuit ou la force majeure pour éviter de payer des dommages-intérêts ; ce sont là les seuls événements qui peuvent le dispenser de remplir son obligation et il est bien obligé, par l’évidence des faits, d’avouer qu’il ne l’a pas exécutée. Tout autre est la situation dans le cas où à la suite d’un louage de service l’ouvrier est victime d’un accident. Celui-ci ne prouve pas comme le destinataire par l’évidence du fait que le patron n’a pas exécuté son obligation de veiller à la sécurité des personnes qu’il emploie ; l’ouvrier se borne à l’affirmer, de même que le patron soutient le contraire. En outre, il est possible que l’accident ait été produit par la faute de l’ouvrier, tandis que dans le cas de transport il est certain que les marchandises n’ont pas été avariées ou détruites par le fait du destinataire. Celui-ci prouve que le voiturier n’a pas exécuté son obligation et alors ce voiturier est bien obligé d’établir ensuite qu’il y a eu cas fortuit, force majeure pour échapper aux dommages-intérêts. L’ouvrier au contraire prétend mais ne prouve pas que le patron a manqué à ses obligations lorsqu’il demande des dommages-intérêts en se bornant à invoquer l’accident. Il faut donc chercher ailleurs l’élément de la solution et il se trouve à notre avis dans cette règle suivant laquelle la faute ne se présume pas.

Quoi qu’il en soit ces divergences rendent une loi nécessaire.

Malgré l’avis contraire de M. Desjardins nous persistons à croire qu’il serait également utile de s’occuper de la résiliation du louage de service. Nous avons montré dans notre mémoire que ces questions donnent lieu à une foule de procès. Les solutions les plus diverses ont été données par les arrêts. M. Desjardins préfère cependant en cette matière la jurisprudence à la loi. Selon lui la loi serait obligée de poser un principe absolu : accorder ou refuser dans tous les cas des dommages-intérêts. La jurisprudence au contraire peut établir des distinctions et par exemple décider, comme l’a fait la Cour de cassation par un arrêt rendu sur les conclusions de M. Desjardins, qu’il ne sera dû de dommages-intérêts qu’autant que la résiliation aura été imposée contrairement aux conditions expresses ou tacites du contrat ou aux usages. Il nous semble cependant que le législateur peut en matière de dommages-intérêts, aussi bien qu’un arrêt de la cour de cassation, établir certaines distinctions. C’est ce qu’il a fait dans la théorie générale des obligations. Ainsi et par exemple, la formule proposée par M. Desjardins ou toute autre à rechercher, pourrait sans inconvénient passer du texte d’un arrêt dans celui d’une loi. Il y aurait même un grand avantage à procéder ainsi : la formule devenue texte de loi serait obligatoire pour les tribunaux, tandis que l’arrêt de la Cour de cassation, malgré la grande autorité de cette Cour, n’a exercé aucune influence sérieuse sur la jurisprudence et n’a pas empêché, ainsi qu’on peut s’en convaincre en se reportant à mon Mémoire, les divergences de se reproduire comme par le passé.

C’est par la même raison que je voudrais aussi lire dans la loi une définition du louage de service. M. Desjardins proteste cependant encore : les définitions, dit-il, sont affaire de doctrine et non de législation. Que les jurisconsultes y attachent une sérieuse importance dans leurs livres, rien de mieux, mais leur place n’est pas dans la loi. Je ferai remarquer d’abord queles rédacteurs du Code civil ont cependant tenu à donner la définition de presque tous les contrats ; il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la loi. Mais enfin je reconnais volontiers qu’une définition n’est pas toujours nécessaire dans un code. Àmon avis, il faut distinguer : les jurisconsultes et les praticiens s’entendent-ils sur la nature et les caractères d’un acte, par exemple d’un contrat, la définition législative devient tout à fait inutile ; mais s’il existe des divergences, s’il s’élève des controverses, surtout dans la jurisprudence, alors l’intervention de la loi est indispensable pour mettre un terme aux procès. C’est précisément ce qui se produit comme je l’ai dit dans mon Mémoire, à l’occasion du louage de service.

Par toutes ces raisons, comme on dit au Palais, je suis obligé de terminer en disant que je persiste fermement dans mes premières conclusions.

M. Arthur Desjardins : — J’aurais beaucoup à répondre ; mais ce débat ne peut pas se prolonger indéfiniment. Je tiens seulement à rectifier une erreur matérielle. La jurisprudence belge ne se prononce pas pour la thèse de M. Sainctelette, ni même pour celle de M. Glasson. Au mois de janvier dernier, la cour de cassation de Belgique a décidé, par un arrêt fortement motivé, que les ouvriers, demandeurs en dommages-intérêts à la suite d’un accident, devaient faire la preuve de la faute d’après les règles du droit commun, c’est-à-dire conformément à l’article 1382 du Code civil. La jurisprudence belge est donc en accord parfait avec la jurisprudence française.

_______________

[1] Déterminées exceptionnellement par le décret du 27 mars 1875.

[2] Voyez Locré, La législation civile de la France, t. XIV, p. 298.

[3] Mais nous relevons à titre de simple curiosité que ce rapport demande le développement de la langue française dans le Piémont et pour exciter les Piémontais à se livrer avec ardeur à l’étude de notre langue, il leur promet des fauteuils à l’Académie française. « Un Gilles Ménage, d’Angers ; un François Regnier, de Paris, ont su écrire, ont pu imprimer en langue italienne, ont pu être inscrits en Toscane, académiciens de la Crusca ; les Piémontais ne pourront-ils pas un jour se rendre dignes d’être inscrits dans la classe de la langue et de la littérature française ? Je l’espère. »

[4] Dans le mémoire que j’ai lu à l’Académie, j’ai eu soin de relever la plupart des nombreux arrêts rendus en matière de louage de service.

[5] La Cour de cassation de Belgique, par arrêt du 8 Janvier 1886, a repoussé la solution qui tendait à prévaloir parmi les Cours d’appel belges et suivant laquelle, pour échapper à toute responsabilité en cas d’accident survenu à un ouvrier, le patron tenu de l’obligation de garantie devait prouver l’exécution de cette obligation et par conséquent l’absence de toute faute de sa part, pour échapper à la condamnation des dommages-intérêts. Certaines personnes en ont conclu que par cet arrêt la Cour de cassation de Belgique avait adopté la solution de la jurisprudence française et s’était prononcée pour l’application de l’article 1382.

Cependant cette interprétation nous paraît tout à fait inexacte et contraire au texte même de l’arrêt que nous allons rapporter. Sans doute, il n’admet pas la doctrine des Cours d’appel belges, qui met la preuve à la charge du patron. Mais il repousse également le système de la jurisprudence française fondé sur l’article 1382. En définitive, il se prononce pour une troisième solution qui est précisément la nôtre : la preuve de la faute du patron incombe à l’ouvrier, mais il s’agit de la faute contractuelle et non de la faute délictuelle de l’art. 1382. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la fin de l’arrêt, lequel a soin d’omettre l’article 1382, et de citer à sa place l’article 1147, c’est-à-dire celui qui consacre la faute contractuelle. L’application de l’article 1147 implique nécessairement le rejet de l’article 1382 : s’il y a faute contractuelle, il n’y a pas faute délictuelle. C’est de toute évidence. Voici d’ailleurs le texte intégral de l’arrêt. [Ici non reproduit.]

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