Le métropolitain

En 1894, Yves Guyot appuie les nouveaux efforts entrepris pour construire le réseau de transport parisien connu sous le nom de métropolitain. Ainsi qu’il le rappelle lui-même, il est un partisan de cette innovation depuis plus de vingt ans. S’il préférerait que l’opération se mène sans subventions ni garanties publiques, compte tenu des habitudes prises il a toujours été prêt, comme conseiller municipal, comme député, comme ministre, à appuyer les projets solides qui aboutiraient et auraient le plus faible impact possible pour les finances de l’État.

 

 

Le métropolitain, Le Siècle, 25 mars 1894.

LE MÉTROPOLITAIN

La question du Métropolitain reparaît. Voilà vingt-deux ans qu’elle existe. Quand, en 1872, j’étais rédacteur en chef du journal la Municipalité, je me rappelle avoir examiné dix projets de métropolitains, soumis au Conseil municipal ; nous sommes en 1894 et nous n’avons pas encore de Métropolitain. Je suis heureux de voir M. Jonnart reprendre cette question, et j’espère qu’il aboutira.

À tous ceux qui m’ont demandé, soit comme conseiller municipal, soit comme député, soit comme ministre, de quel projet de Métropolitain j’étais partisan, j’ai toujours répondu :

De celui qui réussira.

Le 4 octobre 1886, M. Baïhaut avait signé une convention avec M. Christophle, complétée par un avenant du 3 janvier 1887, concédant cinq lignes à la Compagnie du Métropolitain, et garantissant un intérêt de 4% à la Compagnie, sans que le montant de la garantie pût dépasser la somme de 8 800 000 francs.

Le 30 juin 1887, je déposai l’avis de la commission du budget sur cette convention. La majorité de la commission l’approuva. En réalité, il fallait porter en atténuation de cette somme de 8 800 000 une somme de 5 000 000 que les grandes compagnies devaient payer à titre de péages pendant vingt ans.

En outre la ville de Paris s’engageait à payer une somme annuelle de 2 225 000 fr., dont une contribution fixe et préalable de 1 275 000 francs afférant à l’opération de la rue Réaumur.

Il restait donc en réalité à la charge de l’État une somme annuelle de 1 575000. La convention était fort avantageuse pour l’État. Je terminais mon rapport par ces mots :

« M. Pradon, dans son rapport, a vanté à juste titre l’esprit d’initiative des Anglais : ils ont entrepris leurs lignes de chemins de fer sans intervention de l’État, sans garantie d’intérêt, sans annuités. Certes, nous pouvons regretter qu’il n’en ait pas été de même en France ; mais, étant données les habitudes prises, le système suivi depuis tant d’années en cette matière, et que personne ne peut avoir la prétention de réformer immédiatement, on ne peut que rechercher les moyens de restreindre la participation de l’État au minimum. Dans le cas actuel, nous pouvons hardiment dire que les conventions financières concernant le métropolitain ont, au moins, le grand avantage de limiter étroitement le risque à courir par l’Etat. »

Deux séances furent consacrées à l’examen de ce projet de Métropolitain ; si avantageuses que fussent les conditions financières pour l’État, elles furent encore trouvées trop onéreuses par 258 voix contre 221.

La majorité des députés n’entendait pas donner de garanties d’intérêts pour un chemin de fer « qui n’intéressait que Paris », disaient les adversaires.

Devenu ministre des travaux publics, on m’apporta beaucoup de projets de Métropolitain. Je répondis à tous ceux qui les avaient étudiés plus ou moins sérieusement :

Avez-vous de l’argent pour exécuter ces beaux projets ?

C’était, comme toujours, ce qui manquait le plus.

La Chambre avait repoussé le projet de Métropolitain de 1887 parce qu’il exigeait une garantie d’intérêts.

Je résolus de supprimer cette difficulté en prenant pour formule :

— Ni subvention, ni garanties.

Je pus obtenir un engagement ferme de tous les grands établissements de crédit, qui choisirent les établissements Eiffel pour faire les études et demander la concession. Le premier tracé était modeste : il était, il est vrai, complété par le prolongement de la ligne des Moulineaux aux Invalides et de la ligne de Sceaux au carrefour Médicis, et des lignes du Nord aux Halles centrales et au nouvel Opéra. Pour moi, l’important n’était pas de faire un grand réseau, c’était de commencer un réseau.

Le projet fut mis à l’enquête, quoique à la rigueur, l’enquête faite déjà en 1882 eût pu suffire. On trouva les objections que rencontre toute œuvre nouvelle ; mais les résultats de l’enquête furent favorables.

Le Conseil municipal avait une politique particulière à l’égard du Métropolitain. Chaque conseiller voulait une ligne dont profitât son quartier, et, en même temps, la majorité du Conseil municipal eût voulu un métropolitain qui lui appartint et sur lequel elle pût faire des expériences socialistes.D’autres conseillers municipaux plus malins voulaient profiter du Métropolitain pour faire faire des travaux de voirie par la compagnie concessionnaire.

Enfin, après de nombreux pourparlers, capables d’éprouver la patience d’un brahmane, par 58 voix contre 8, le Conseil municipal, le 25 juillet 1891, se déclara favorable au projet de Métropolitain, mais avec cette réserve qu’il passerait par la rue Réaumur, qui était à construire.

Des conseillers municipaux voulaient mettre ce percé à la charge du Métropolitain ; enfin, la majorité du Conseil finit par voter, le 16 janvier 1892, un emprunt de 120 millions, dans lesquels était comprise la somme afférant à ce travail.

Le tracé du Métropolitain avait été modifié par le Conseil municipal, de manière à entraîner un excédent de charges et de dépenses de 60 millions pour le premier réseau et de 40 millions pour le second. Cette surcharge exigeait des modifications dans les arrangements financiers. Cependant, tout était définitivement arrêté, et j’allais déposer le projet de loi, lorsque le ministère Freycinet tomba le 18 février 1892.

J’allai voir M. Viette pour le mettre au courant ; mais au bout de deux ou trois entrevues, dans lesquelles il fut fort aimable en me parlant d’autre chose, je n’insistai pas.

Je félicite M. Jonnart de reprendre un projet de Métropolitain. Il le reprend tout simplement avec les grandes compagnies de chemins de fer. Je crois qu’aujourd’hui c’est la seule solution possible.

Seulement, de toutes manières, il se heurtera à l’objection faite au projet Baïhaut. Car il ne pourra faire abstraction de la garantie d’intérêts. Or, avec les exigences introduites par l’administration de M. Viette dans l’exploitation des chemins de fer, la garantie d’intérêts a augmenté dans des proportions considérables ; la politique protectionniste n’est pas favorable au développement de leur trafic ; nous ne voyons pas bien comment les compagnies pourraient entreprendre un travail aussi considérable, sans que les conventions financières de l’État avec les Compagnies y fussent intéressées.

Le projet de M. Jonnart, que le Siècle a indiqué, est peu compliqué, assuré d’un trafic. Nous espérons que la Chambre des députés n’aura pas la même attitude qu’en 1887 et qu’elle comprendra qu’il est honteux pour une ville comme Paris de n’avoir pas encore à sa disposition ce puissant et économique moyen de transport.

YVES GUYOT.

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