Les bienfaits de la concurrence en matière de religion, par Henri Basnage de Beauval (1684)

Les bienfaits de la concurrence en matière de religion

 par Henri Basnage de Beauval

(extrait de : Basnage de Beauval, Tolérance des religions, 1684, p. 64-68.)

 

 

L’ignorance est le premier fruit de la paix. Car l’esprit de l’homme est encore plus paresseux que son corps, la nature est ennemie du travail, et l’amour-propre fuit les inquiétudes et cherche le repos. Ainsi pour rompre les liens de l’amour-propre et de la nature et se porter au travail il faut que l’homme fasse des efforts sur soi-même, et qu’il soit piqué par le désir de la gloire et de la récompense. Quand les pasteurs n’ont d’autre emploi que de gourmander les vices, de faire la guerre au luxe, et de censurer la conduite de quelques particuliers, ces vulgaires occupations ne leur paraissant pas d’un assez grand éclat, le zèle se relâche, l’esprit et le mérite languissent et s’endorment dans le repos comme le feu s’éteint quand on ne lui fournit plus de matière pour l’entretenir. Le soldat oublie sa valeur, et laisser enrouiller ses armes dont l’usage est inutile, et le courage qui ne cherche la gloire qu’au prix du sang et des hasards qu’elle coûte, s’amollit pendant la paix ; mais la guerre forme les héros, elle les endurcit au travail, elle les fait arriver à la gloire, et elle rehausse l’éclat et la beauté de ces illustres vertus qui ne reçoivent leur lustre que de la poussière et du sang, que la mollesse du repos avait étouffées. Le pilote oublie son expérience pendant le calme et la bonace, ce sont les tempêtes qui l’instruisent, et ce sont les orages qui le rendent habile dans cet art si hasardeux.

De même quand l’Église n’a point d’ennemis à repousser, et qu’elle vogue sur une mer tranquille, personne ne pense à se préparer au combat, ni à marquer les écueils où l’on se pourrait briser pendant l’orage. L’Église tombe nécessairement dès qu’elle s’imagine qu’elle ne peut plus tomber, sans doute par la négligence qui suit cette préoccupation, car on ne songe guère à approfondir les matières de la religion que personne ne conteste. On néglige l’étude de ces beaux ouvrages qui ont fait autrefois le triomphe de l’Église comme des choses inutiles dans la paix et l’on voit mourir peu à peu l’amour des sciences parce que le danger et la gloire sont l’aiguillon qui l’excite ; enfin le pilote s’endort sur le timon de son vaisseau qui n’a plus de besoin de son adresse et de sa vigilance. Mais quand le vaisseau de l’Église est battu des vents et de l’orage et que l’ennemis presse, le pilote jette la main sur le gouvernail, et chacun prend les armes pour courir à la brèche, le zèle redouble dans le péril comme la nature redouble l’ardeur du feu pendant la violence de l’hiver, on fait revivre les belles lettres et l’on cultive les sciences comme des remèdes contre l’erreur, on consulte les écritures, et l’on retourne aux pères et aux conciles, en un mot c’est ce qui a produit ces miracles de savoir et d’éloquence qui ont tant fait d’honneur à leur siècle, et qui sont encore des flambeaux qui éclairent à toute la postérité. Au reste cela est fondé sur l’expérience de tous les siècles, car sans entrer dans le détail de toute l’histoire, le siècle d’Arius dont l’hérésie est celle de toutes qui a fait le plus de fracas dans l’Église, a été le plus fertile en grand génies, et si l’on veut mettre la réformation dans ce rang, le siècle où elle a paru a plus produit d’hommes extraordinaires que les plus heureux temps de l’Église.

Ainsi l’on peut dire que les hérésies sont d’utiles ennemis et qu’elles sont dans l’ordre de Dieu pour l’avantage de son Église. Ce sont comme des aiguillons qui excitent la diligence des pasteurs, ou comme des coups de marteau qui les tirent d’un profond sommeil, ou si l’on veut comme les hurlements du loup qui font reprendre aux bergers la houlette qu’ils avaient abandonnée, qui les obligent à veiller sur leurs brebis de peur que le loup ne les ravisse, et à revenir auprès de leurs troupeaux dont ils avaient négligé la conduite par trop de sécurité.

Or si la paix traîne l’ignorance avec elle, l’on peut ajouter que la corruption des mœurs et la superstition marchent avec l’ignorance et qu’elles en sont inséparables parce qu’elles cherchent le silence et l’obscurité. L’ignorance est la cause de la plupart des maux qui affligent le genre humain. Elle aveugle les hommes de telle sorte qu’ils bronchent à chaque pas sans voir ce qui est à leurs pieds et que ne voyant pas le danger qui est proche, ils en craignent un éloigné. C’est à la faveur des troubles que l’erreur s’avance, et que le vice impuni prend de profondes racines. C’est pendant la nuit que le larron perce la maison, et pendant que les hommes dorment que l’ennemi sème l’ivraie. Quand les bergers ignorent où sont les pâturages, et que les guides ne savent pas où est le chemin, il est impossible que les peuples ne s’égarent en mille manières.

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