Oeuvres de Turgot – 019 – Lettre au Chevalier Turgot à Malte

19. — LETTRE AU CHEVALIER TURGOT À MALTE.

[A. L., autographe.]

(Détails divers. — Discours à la Sorbonne. — Le Prévôt des marchands. — Nouvelles littéraires.)

Paris, 31 juillet.

Il y a longtemps, mon très cher Chevalier, que j’avais renoncé à vous écrire et que j’espérais toujours avoir de jour en jour le plaisir de vous embrasser. Je vois avec douleur que votre voyage souffre toujours de nouveaux retardements. Le chevalier de Breteuil nous a appris que vous ne comptiez partir qu’au mois de septembre sur un vaisseau de la Religion. Mon père me charge de vous mander qu’il vous conseille de prévenir même son départ, si vous en avez le temps. On dit qu’il passe très souvent des vaisseaux français à Malte et qui sont même plus sûrs que celui de la Religion. Mon père est surpris de vos retardements, et vous pourrez juger par la tendresse que j’ai toujours eue pour vous combien ils m’inspirent d’impatience. Il y a assez longtemps que je suis privé du plaisir de vous voir pour le désirer avec ardeur.

Je vous aurais écrit plus souvent, mais après avoir été trois mois dans un état de langueur, dont je suis parfaitement rétabli, j’ai eu à faire un discours latin que j’ai prononcé le 3 juillet et dont le succès a été tout au plus flatteur pour moi. J’en ai actuellement quatre petits environ par semaine avec douze arguments, en attendant que j’en prononce un second le 27 novembre[1]. Il m’occupe dès à présent beaucoup et je serai charmé de vous y avoir pour auditeur.

Adieu, mon très cher Chevalier, aimez-moi et venez. Vous trouverez la santé de mon père se soutenant toujours dans des alternatives de bien et de mal qui heureusement ne sont accompagnées d’aucun danger, mais qui rendent son état fort triste. Je l’ai quitté hier qu’il est revenu du Tremblay où j’ai aussi passé quelques jours avec M. de Creil[2]. Il y a longtemps que je n’ai vu mon père si bien.

Je ne vous mande point de nouvelles : je n’en sais que de littéraires et peu. Le Catilina[3] de Voltaire est admirable, aussi bien qu’une pièce de Mme de Graffigny, auteur des Lettres péruviennes ; elle a pour titre Cénie[4]. Je n’entre dans aucun détail ; ce serait m’exposer à laisser passer la poste et à ne vous écrire peut-être de longtemps. Ce ne serait pas la première fois qu’un excès de diligence m’aurait rendu paresseux. Ayez pitié de cette pauvre paresse et ne m’obligez plus à vous écrire.

J’espère que vous m’écrirez le jour précis de votre arrivée. Adieu, soyez toujours sûr de l’amitié la plus tendre de ma part[5].

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[1] La date fut reculée au 11 décembre.

[2] Oncle de Turgot.

[3] Rome sauvée ou Catilina, tragédie représentée à Sceaux le 21 juin 1750.

[4] Comédie, représentée au Théâtre-Français.

[5] On lit dans les lettres du Prévôt des marchands à son fils le Chevalier de Malte :

3 février. — « L’abbé est prieur de Sorbonne ; il a un si gros rhume que j’ai été obligé de le faire venir ici où il est resté huit jours au lit. Il a été saigné deux fois et a pris de la manne et du kermès minéral par demi-grains qui l’ont rétabli en peu de temps. Il avait traîné ce rhume depuis plus de six semaines ».

23 octobre. — « Je vous ai mandé, dans le temps, le succès prodigieux de la harangue que l’abbé fit au mois de juillet dernier ; il doit encore en faire une le 27 du mois prochain. Je reviens le 21 (d’Evêquemont, près Meulan, propriété des Turgot de Saint-Clair) parce que je veux que l’abbé me récite son discours avant de le prononcer en public ».

7 décembre. — « Votre frère l’abbé prononce vendredi prochain une harangue latine. Il me l’a récitée ; elle est plus belle encore que l’autre. Le sujet en est : les progrès de l’esprit et des arts depuis la création du monde. Votre frère a un beau talent, c’est celui de composer au mieux, car il y a bien de l’esprit dans ses discours ».

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