Oeuvres de Turgot – 074 – La Société d’agriculture du Limousin

74. — LA SOCIÉTÉ D’AGRICULTURE DU LIMOUSIN.

I. — Programme d’un Concours sur l’impôt indirect[1].

[Graslin, Essai analytique, etc. ; Saint-Péravy, Mémoires sur les effets de l’impôt indirect. — D. P., IV, 305, avec quelques changements.]

(Juillet).

(La Société Royale d’Agriculture de Limoges était présidée par Turgot : elle proposait tous les ans un prix sur quelque sujet d’économie rurale ; Turgot y joignait de ses propres deniers un autre prix sur quelque question d’économie politique, ou quelque travail d’administration intéressant l’agriculture.

Il s’est plusieurs fois chargé de la rédaction des programmes, surtout de ceux relatifs aux prix qu’il donnait et que, vraisemblablement sur son indication, proposait la Société.

En juillet 1765, un prix fut proposé pour le mois de janvier 1767 et fut destiné au Mémoire dans lequel on aurait le mieux démontré et apprécié l’effet de l’impôt indirect sur le revenu des propriétaires des biens-fonds.

Voici comment Turgot développa cette question dans le programme de la Société.)

Il paraît nécessaire de donner quelques éclaircissements sur le sujet de ce second prix, et de fixer avec exactitude l’état de la question.

Les personnes les plus éclairées dans la science de l’économie politique savent depuis longtemps que tous les impôts, sous quelque forme qu’ils soient perçus, retombent nécessairement à la charge des propriétaires des biens-fonds, et sont toujours en dernière analyse payés par eux seuls, ou directement, ou indirectement.

L’impôt que le propriétaire paye immédiatement sur son revenu est appelé impôt direct. L’impôt qui n’est point assis directement sur le revenu du propriétaire, mais qui porte, ou sur les frais productifs du revenu, ou sur les dépenses de ce revenu, est appelé impôt indirect.

L’impôt indirect, malgré la variété des formes dont il est susceptible, peut se réduire à trois classes :

L’impôt sur les cultivateurs ; — l’impôt sur les profits de l’argent ou de l’industrie ; — l’impôt sur les marchandises passantes, vendues ou consommées.

Ces trois classes, et les différentes formes d’impositions dans lesquelles elles se subdivisent, peuvent retomber sur les propriétaires par un circuit plus ou moins long, et d’une manière plus ou moins onéreuse.

Les propriétaires payent l’impôt indirect de deux façons, en augmentation de dépense et en diminution de revenu.

Si l’augmentation de la dépense ne tombe pas uniquement sur le propriétaire, mais sur le cultivateur, elle devient, quant à la partie supportée par celui-ci, une augmentation de frais de culture, et par conséquent une diminution de revenu.

Si, par les variations que les besoins de l’État amènent dans la quotité de l’impôt, la dépense des cultivateurs augmente d’une manière imprévue, la condition du cultivateur deviendra plus mauvaise ; il ne pourra plus remplir les engagements qu’il a contractés antérieurement avec le propriétaire des fonds sans prendre, ou sur le salaire de ses peines affecté à sa subsistance et à l’entretien de sa famille, ou sur les avances affectées à la reproduction de l’année suivante, laquelle sera diminuée à proportion, ce qui le forcera de chercher un second supplément toujours plus fort sur le fond de ses avances. Ainsi, tandis que la charge croîtra d’année en année, les produits diminueront toujours, et le cultivateur marchera à grands pas vers sa ruine totale, jusqu’au moment où le terme de ses engagements lui permettra (s’il peut encore les renouveler) de faire supporter la totalité de la charge au propriétaire en lui donnant un moindre prix de sa terre. L’impôt qui est ainsi prélevé sur les avances nécessaires à la production du revenu est appelé par quelques écrivains l’impôt anticipé.

De très grands génies[2] ont cru que la forme des impôts indirects mis sur l’industrie et les consommations pouvait avoir beaucoup d’avantages, — en ce que le partage apparent des charges publiques entre tous les membres de la société en rend le poids moins sensible ; — en ce qu’une partie de cette charge est payée volontairement ; — en ce qu’elle se proportionne même à la fortune des contribuables, qui ne payent qu’à raison de leurs dépenses, et qui ne dépensent qu’en proportion de leurs richesses ; — enfin, en ce que ces impôts sont quelquefois dans la main du gouvernement un moyen d’écarter, de certaines branches de commerce, la concurrence des étrangers, et d’en réserver le profit aux nationaux.

D’autres[3] prétendent, au contraire, que l’impôt indirect, non seulement retombe en entier sur les propriétaires des fonds, mais qu’il y retombe d’une manière beaucoup plus onéreuse, qui même a été évaluée dans quelques écrits au double de ce qu’on payerait, si l’État avait demandé directement aux propriétaires la même somme que le Trésor public retire de l’impôt indirect.

Une question, dont les conséquences sont aussi étendues et aussi intéressantes, a paru à la Société digne d’être proposée aux recherches des personnes éclairées.

II. — Autres concours ouverts par la Société d’Agriculture.

(La distillation du vin. — Histoire du charançon. — La manière d’estimer les revenus des biens-fonds. — Emploi des bœufs et des chevaux pour le labour.)

(La Société d’Agriculture avait proposé pour le mois de janvier 1767 un prix au meilleur mémoire Sur la manière de brûler ou de distiller les vins la plus avantageuse relativement à la qualité et à la quantité de l’eau-de-vie.

Ce prix fut remporté par l’abbé Rozier.

La Société proposa, dans les termes suivants, les sujets des prix qu’elle devait adjuger au mois de janvier 1768 :

« Celui du prix de la Société, est l’Histoire du charançon et les moyens d’en préserver les grains.

« Les Mémoires devront comprendre : 1° l’histoire de l’individu, c’est-à-dire la description de cet animal, son origine, sa manière de vivre et de s’établir dans les grains, ses différentes métamorphoses, la manière dont il se multiplie ; 2° l’histoire de l’espèce, c’est-à-dire la différence qui se trouve dans la marche des transformations et des générations de cet insecte, suivant la différence des saisons ; l’ordre dans lequel ces générations se succèdent d’une saison à l’autre et d’année en année ; 3° les moyens les plus sûrs et les moins coûteux d’empêcher sa multiplication et de préserver les grains de ses ravages.

« La Société pense que ceux qui voudront travailler sur ce sujet ne pourront mieux faire que de prendre pour modèle l’histoire que MM. Duhamel et Tillet ont donnée du papillon des grains, si commun dans l’Angoumois et le Poitou.

« Le sujet du prix donné par M. l’intendant est : La meilleure manière d’estimer exactement les revenus des biens-fonds dans les différents genres de culture.

« On entend par le revenu des biens-fonds, non le produit total des récoltes, mais ce qui en revient de net au propriétaire, déduction faite des frais de culture, charges, profits et reprises du cultivateur : en un mot, ce que le cultivateur peut et doit en donner de ferme.

« La Société voudrait qu’on indiquât des principes sûrs pour faire avec précision les calculs que fait nécessairement, et pour ainsi dire par tâtonnement, d’une manière plus ou moins vague, plus ou moins incertaine, tout fermier qui passe le bail d’un fonds de terre qu’il entreprend d’exploiter, ou tout homme qui veut l’acheter. »

Le prix sur le charançon fut remporté par M. de Joyeuse.

Le prix sur le revenu des biens-fonds ne fut pas décerné.

Un troisième concours fut ouvert Sur les avantages du labour des chevaux et de celui des bœufs et sur les raisons qui peuvent faire préférer l’un à l’autre.

Turgot avait rédigé le programme qui, dit Du Pont, est très instructif et plus instructif peut-être que le Mémoire que la Société a couronné[4]. Turgot a repris la question dans son mémoire sur la surcharge des impositions, p. 445 ci-dessous.)

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[1] Turgot envoya ce programme à plusieurs journaux : le Mercure, le Journal de Verdun, le Journal Encyclopédique, le Journal de l’Agriculture, du Commerce et des Finances. Il l’envoya aussi à la Société d’Agriculture de Paris, sous le couvert de l’Intendant, Bertier de Sauvigny ; celui-ci le retint comme étant une infraction à la Déclaration du 28 mars 1764 qui défendait d’écrire sur les finances. Cette Déclaration avait L’Averdy pour auteur.

[2] Colbert.

[3] Quesnay.

[4] Du Pont n’a pas dit à qui le prix fut donné.

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