Oeuvres de Turgot – 109 – Bureaux et ateliers de charité

109. — BUREAUX ET ATELIERS DE CHARITÉ.

I. — Instruction lue à l’Assemblée de charité de Limoges.

[D. P., V., 387.]

(Précautions qu’exige la charité. — Sa nécessité. — Contributions volontaires et taxation. — Assemblées et Bureaux de charité. — États des familles indigentes. — Étrangers ; pauvres honteux. — Travaux, ateliers, filatures. — Fondations. — Distributions d’aliments).

11 février.

[En raison de la disette et par arrêt du 17 janvier, enregistré le 23, en la sénéchaussée de Limoges, le Parlement de Bordeaux prescrivit la constitution, dans chaque paroisse, d’assemblées, qui se tiendraient les dimanches, de quinzaine en quinzaine, et où seraient invités les ecclésiastiques, les seigneurs, les bourgeois les plus distingués, afin d’aviser aux moyens de soulager les pauvres, de leur procurer du travail, de les nourrir jusqu’à la récolte, par des contributions dont aucun ordre de citoyens ne serait exempt.

Dans le réquisitoire du procureur général Dudon, qui détermina cet arrêt, étaient ces paroles :

« Il n’est point d’éloges que ne mérite surtout la conduite éclairée, sage et prévoyante de M. Turgot, commissaire départi dans la généralité de Limoges, au zèle et à l’activité duquel cette province doit les secours qu’elle a déjà reçus de la bonté du Roi. »

Le grand et utile concours que le peuple de la généralité de Limoges avait trouvé dans les ateliers de charité fit adopter au Gouvernement cette institution, qui fut étendue sur les autres provinces du Royaume en 1770 et principalement par les soins de M. Albert, alors Intendant du Commerce et chargé du département des subsistances. Depuis ce temps, il y a toujours eu un fonds annuel destiné à ce genre de travail (Du Pont, Mémoires, 87).]

La misère qu’occasionne parmi les peuples de cette province la rareté des subsistances n’est que trop connue. Il serait superflu d’en tracer le tableau, puisqu’elle frappe de tous côtés les yeux ; et l’on est persuadé que tous ceux qui, par leurs moyens, sont à portée de soulager les pauvres, n’ont besoin que de consulter leur propre cœur pour se porter avec empressement à remplir un devoir que la religion et l’humanité prescrivent. Mais, dans une circonstance où les besoins sont aussi considérables, il importe beaucoup que les secours ne soient point distribués au hasard et sans précaution. Il importe que tous les vrais besoins soient soulagés, et que la fainéantise ou l’avidité de ceux qui auraient d’ailleurs des ressources, n’usurpe pas des dons qui doivent être d’autant plus soigneusement réservés à la misère et au défaut absolu de ressources, qu’ils suffiront peut-être à peine à l’étendue des maux à soulager. C’est dans cette vue qu’on a rédigé le plan qui fait l’objet de cette instruction.

Il n’est pas possible d’établir dans la distribution des charités cet ordre qui seul peut en étendre l’utilité, si les personnes qui donnent ne se concertent entre elles pour connaître l’étendue des besoins, convenir de la quantité et de la nature des secours, prendre les mesures nécessaires pour les assurer en fixant la proportion dans laquelle chacun devra y contribuer, enfin pour prescrire l’ordre qui doit être observé dans la distribution, et choisir celles d’entre elles qui se chargeront spécialement d’y veiller. Il est donc avant tout indispensable que les personnes aisées et charitables, dans chaque ville, paroisse ou communauté, se réunissent pour former des assemblées[1] ou bureaux de charité, dont tous les membres conviendront de ce qu’ils voudront donner, et mettront en commun leurs aumônes pour en faire l’emploi le plus avantageux aux pauvres.

On va proposer quelques réflexions : 1° sur la manière de composer ces bureaux et sur la forme de leur administration ; 2° sur les mesures à prendre pour connaître exactement les besoins des pauvres, afin d’appliquer à propos les secours qui leur sont destinés ; 3° sur la manière la plus avantageuse de soulager la misère des peuples, en procurant de l’ouvrage à ceux qui sont en état de travailler, et en restreignant les secours gratuits à ceux que l’âge et les infirmités mettent hors d’état de gagner aucun salaire.

Ce troisième article se subdivisera naturellement en deux parties, dont l’une aura pour objet d’indiquer les différents travaux auxquels on peut occuper les pauvres, et l’autre de proposer les moyens de subvenir à la nourriture de ceux à qui l’on ne peut se dispenser de donner des secours gratuits.

ARTICLE I. — De la composition des Bureaux de charité, et de la forme de leur administration.

§ I. — Le soulagement des hommes qui souffrent est le devoir de tous et l’affaire de tous : ainsi, tous les ordres et toutes les autorités se réuniront sans doute avec empressement pour y concourir. Tous les habitants notables et distingués par leur état, et tous ceux qui jouissent de quelque aisance, doivent être invités à la première assemblée, qui doit se tenir le premier jour de dimanche ou de fête qui suivra la réception de la présente instruction.

Il est naturel que l’invitation se fasse, dans les lieux considérables, au nom des officiers de justice et de police et des officiers municipaux, et dans ceux qui le sont moins, au nom des curés et des seigneurs. L’assemblée doit se tenir dans le lieu où se tiennent ordinairement les réunions de la communauté.

À l’égard de l’ordre de la séance dans les délibérations, il convient de suivre l’usage, qui est dans toutes les villes, que le premier officier de justice préside.

L’objet particulier de celle-ci paraît cependant exiger que cet honneur soit déféré aux évêques dans les villes de leur résidence. Il s’agit d’une œuvre de charité, c’est la partie de leur ministère qui est la plus précieuse : ils doivent sans doute y avoir la principale influence ; l’on doit se faire une loi de déférer à leurs conseils, et de ne rien faire qui ne soit concerté avec eux. MM. les curés doivent, par la même raison, trouver dans les membres des assemblées la plus grande déférence pour leur zèle et leur expérience ; ils doivent même y présider dans les campagnes où il n’y a aucun juge de juridiction.

§ II. — L’assemblée formée aura, pour premier objet de délibération, de convenir de la manière dont sera fixée la contribution de chacun des particuliers. Il y a deux manières de parvenir à cette fixation. L’une est que chacun se taxe lui-même et s’engage à donner la somme qu’il croira devoir donner, en ne considérant que sa générosité et ses moyens[2]. On écrit sur une feuille de papier le nom de celui qui fait son offre, et la somme qu’il s’engage de donner.

Lorsque les personnes charitables sont en assez grand nombre et leur générosité assez étendue pour que ces souscriptions volontaires paraissent suffire à l’étendue des besoins, il est naturel de s’en tenir à ce moyen, qui est tout à la fois le plus noble et le plus doux. Il est vraisemblable que l’exemple des principaux membres excitera une émulation universelle et qu’il n’y en aura point qui ne veuille donner. S’il arrivait que quelqu’un s’y refusât, il se mettrait dans le cas d’être taxé par l’assemblée suivant ses moyens et facultés, et d’être obligé de faire, d’une manière moins honorable, ce qu’il n’aurait pas voulu faire par le seul mouvement de sa générosité et de sa charité.

§ III. — L’autre manière de régler la contribution de chacun, est de taxer tous les cotisés à proportion de leurs facultés et d’en former une espèce de rôle. Or, comme il n’est pas possible qu’une assemblée nombreuse discute et compare les facultés de chaque particulier, on est obligé de charger, ou les officiers municipaux de la communauté, ou quelques députés choisis à la pluralité des voix, de faire ce rôle au nom de l’assemblée.

§ IV. — Comme le mal auquel il s’agit de remédier doit naturellement durer jusqu’à la prochaine récolte et, par conséquent, jusqu’au mois de juillet, il sera très avantageux que la contribution, ou purement volontaire, ou répartie par un rôle, soit divisée en cinq payements, dont le premier se fera immédiatement après l’assemblée, et les autres de mois en mois d’ici au mois de juillet.

Il n’est pas possible de connaître, dès le premier moment, l’étendue des besoins à soulager. Si la contribution fixée lors de la première assemblée ne suffisait pas pour les besoins, il serait nécessaire, d’après le compte qui aurait été rendu à l’assemblée suivante, d’augmenter proportionnellement la contribution des autres mois, et de la porter au point où elle doit être pour correspondre à l’étendue des besoins.

§ V. — Il est assez ordinaire que, dans les campagnes, une partie des propriétaires ne résident pas dans les paroisses où ils possèdent des biens, et il est surtout très commun que la résidence des propriétaires des rentes en grains et dimes soit très éloignée. Il est cependant naturel et juste qu’ils contribuent comme les autres au soulagement des pauvres cultivateurs, de qui le travail seul a produit le revenu dont ils jouissent. On doit sans doute appeler aux assemblées les fermiers, régisseurs ou baillistes, qui perçoivent ces revenus ; et, en cas qu’ils ne se croient pas suffisamment autorisés pour convenir de la contribution des propriétaires qu’ils représentent, l’assemblée alors sera obligée de recourir à la voie du rôle dont il a été parlé ci-dessus (§ III), pour régler la contribution des propriétaires absents dans la même proportion que celle des propriétaires présents, et de se pourvoir pour faire contraindre les régisseurs ou fermiers à payer à la décharge des propriétaires.

§ VI. — Le second objet de la délibération des assemblées est l’ordre qu’elles établiront pour que les secours destinés aux pauvres leur soient distribués de la manière la plus utile pour eux et la moins dispendieuse.

Il ne serait pas possible qu’une assemblée nombreuse suivit par elle-même les détails compliqués d’une pareille opération, et il est indispensable de nommer des administrateurs ou députés pour remplir les différentes fonctions qu’elle exige ; pour se charger en recette des secours qui seront fournis par chaque membre de l’assemblée ; pour en faire l’emploi conformément au plan qui aura été adopté, et pour rendre compte de tout au Bureau assemblé.

Il est nécessaire que, pour recevoir ce compte, l’assemblée détermine les jours où elle se réunira de nouveau, soit tous les mois, soit tous les quinze jours, ou une fois par semaine, suivant que les détails de l’opération plus ou moins multipliés l’exigeront. Du moins, est-il indispensable que, s’il paraît trop difficile de réunir si souvent un aussi grand nombre de personnes, on y supplée en choisissant dans l’assemblée un certain nombre de membres chargés de la représenter, et qui composeront proprement le bureau auquel les députés, chargés de la recette et de la dépense, rendront compte régulièrement.

§ VII. — Il est convenable qu’une seule personne soit chargée de tout le maniement des fonds destinés aux pauvres, et remplisse ainsi les fonctions de trésorier du bureau. Cette fonction, qui demande de l’assiduité et de l’exactitude à tenir des registres de recette et de dépense, n’a rien de commun avec celle de régler la disposition des fonds de la manière la plus avantageuse. Ce sera cette dernière qui exigera le plus de mouvement et d’activité de la part de ceux qui en seront chargés.

§ VIII. — MM. les curés sont, par leur état, membres et députés nécessaires des bureaux de charité pour l’emploi et la distribution des aumônes, non seulement parce que le soin de soulager les pauvres est une des principales fonctions de leur ministère, mais encore parce que la connaissance détaillée que leur expérience et la confiance de leurs paroissiens leur donnent des vrais besoins de chacun d’eux, les rend les personnes les plus éclairées sur l’emploi qu’on peut faire des charités.

Il ne s’ensuit pas néanmoins qu’ils puissent exiger qu’on les charge seuls de cet emploi. Outre qu’ils ont d’autres fonctions qui prennent une partie de leur temps, ils sont trop raisonnables pour ne pas sentir que, les aumônes étant fournies par tous les membres des bureaux de charité, il est naturel que ceux-ci conservent quelque inspection sur la distribution qui en sera faite.

Il convient donc de joindre à MM. les curés quelques personnes considérées par leur place, par leur caractère, par la confiance du public, et auxquelles leur fortune et leurs affaires permettent de s’occuper, avec l’activité et l’assiduité nécessaires, du détail de l’administration des aumônes.

On trouvera certainement dans les villes, parmi les différents ordres de citoyens, des personnes capables de remplir ces vues avec autant de zèle que d’intelligence, et qui se feront un plaisir de s’y livrer. Il est même vraisemblable que, dans la plupart des campagnes il se trouvera quelques gentilshommes et quelques bourgeois charitables, qui pourront se charger, conjointement avec les curés, du soin de soulager les pauvres.

§ IX. — Celui qui sera choisi pour receveur ou trésorier du bureau doit avoir, comme il a été dit, un registre de recette et de dépense dans lequel ces deux articles soient séparés.

Dans le premier, il inscrira régulièrement tout ce qu’il recevra en argent, en grains, ou en autres effets propres au soulagement des pauvres.

Dans la colonne de dépense, il écrira tout ce qu’il délivrera des fonds qu’il aura entre les mains, et il ne devra rien délivrer que sur des billets signés d’un ou de plusieurs députés, ainsi qu’il aura été réglé par le bureau. Ces billets formeront les pièces justificatives de son compte.

§ X. — Il est important que le receveur et les députés chargés de l’emploi des fonds en rendent un compte exact à chaque fois que l’assemblée générale ou le bureau se tiendra ; et il est important que leurs séances soient régulières, tant pour cet objet, que pour s’occuper de tous les arrangements que les circonstances peuvent mettre dans la nécessité de prendre de nouveau, ou de changer.

§ XI. — Il ne paraît pas possible que, dans les grandes villes, un seul bureau puisse suivre tous les détails qu’exigera le soulagement des pauvres. Mais on peut, à la première assemblée, convenir d’en former de particuliers à chaque paroisse, ou bien l’on peut, dans les paroisses trop étendues, former plusieurs bureaux dont chacun ne s’occupera que des détails relatifs au canton de la paroisse qui lui aura été assignée. Peut-être encore trouvera-t-on plus simple et plus praticable de former différents départements, et d’assigner chaque paroisse ou chaque canton à un ou deux députés du bureau général.

Article II. — Des mesures à prendre pour connaître l’étendue des besoins que les Bureaux de charité auront à soulager.

§ Ier. — Donner indistinctement à tous les malheureux qui se présenteraient pour obtenir des secours, ce serait entreprendre plus qu’on ne peut, puisque les fonds ne sont pas inépuisables, et que l’affluence des pauvres, qui accourraient de tous côtés pour profiter des dons offerts sans mesure, les aurait bientôt épuisés. Ce serait, de plus, s’exposer à être souvent trompé, et à prodiguer aux fainéants les secours qui doivent être réservés aux véritables pauvres. Il faut éviter ces deux inconvénients.

§ II. — Le remède au premier est de limiter les soins des bureau de charité aux pauvres du lieu, c’est-à-dire : dans les campagnes, à ceux de la paroisse ; dans les villes, à ceux de la ville et de la banlieue, non pas uniquement cependant à ceux qui sont nés dans le lieu même ; il est juste d’y comprendre aussi tous ceux qui sont fixés depuis quelque temps dans le lieu, y travaillent habituellement, y ont établi leur domicile ordinaire, y sont connus et regardés comme habitants. Ceux qu’on doit exclure sont les étrangers qui ne viendraient dans le lieu que pour y chercher des secours dus par préférence aux pauvres du lieu même. Ces étrangers doivent être renfermés, s’ils sont vagabonds ; et, s’ils ont un domicile, c’est là qu’ils doivent recevoir des secours de la part de leurs concitoyens, qui seuls peuvent connaître s’ils en ont un besoin réel et si leur pauvreté n’est pas uniquement l’effet de leur fainéantise.

§ III. — L’humanité ne permet cependant pas de renvoyer ces pauvres étrangers chez eux, sans leur donner de quoi subsister en chemin. Voici le moyen d’y pourvoir qui a paru le moins compliqué et le moins sujet à inconvénient. La personne préposée par le Bureau de charité pour ce détail fournira au mendiant étranger sa subsistance en nature, ou à raison d’un sou par lieue, jusque chez lui, si la distance n’est que d’une journée. Elle y joindra un passeport ou certificat portant le nom du mendiant, le nom du lieu d’où on le renvoie et du lieu dont il se dit originaire et où il doit se rendre, le jour de son départ, et mention du secours qu’il aura reçu. Le mendiant, arrivé chez lui, doit présenter son certificat à l’officier de police ou municipal, ou au curé, ou à celui qui sera proposé pour ce soin par le Bureau de charité du lieu, et ce sera à ces personnes à s’occuper de lui procurer des secours ou du travail. Si cet étranger avait plus d’une journée à faire pour se rendre chez lui, l’on se contenterait de lui fournir sa subsistance jusqu’à la résidence du subdélégué le plus prochain, lequel, sur la représentation de son certificat, lui donnerait une route pareille à celle qu’on délivre aux hommes renvoyés des dépôts de mendicité, avec laquelle il se rendrait chez lui en recevant à chaque résidence de subdélégué le secours d’un sou par lieue.

§ IV. — Si cependant cet étranger était attaqué d’une maladie qui le mît hors d’état de se rendre chez lui, il faudrait le faire conduire dans un hôpital à portée pour y recevoir les mêmes secours que les pauvres du lieu. À défaut d’hôpital, les secours doivent lui être fournis par le Bureau de charité, comme aux pauvres mêmes du lieu, jusqu’à ce qu’il soit rétabli et qu’on puisse le faire partir.

§ V. — En excluant ainsi les étrangers, il deviendra plus facile de n’appliquer les secours qu’à propos, et de les proportionner aux vrais besoins. Il faudra cependant du soin et de l’attention, afin d’en connaître exactement l’étendue.

Le moyen le plus simple pour y parvenir est de dresser un état, maison par maison, de toutes les familles qui ont besoin de secours, dans lequel on marquera le nombre de personnes dont est composée chaque famille, le sexe, l’âge, et l’état de validité ou d’invalidité de chacune de ces personnes, en spécifiant les moyens qu’elles peuvent avoir pour gagner de quoi subsister ; car il y a tel pauvre qui peut, en travaillant, gagner la moitié de sa subsistance et de celle de sa famille : il n’a besoin que du surplus. S’il ne manque que d’occasion de travail, le Bureau s’occupera de lui en procurer, et non de lui fournir des secours gratuits. Ces états ne peuvent donc être trop détaillés. Personne n’est autant à portée que MM. les curés de donner les connaissances nécessaires pour les former et, lorsqu’ils n’en seront pas chargés seuls, les commissaires nommés par le Bureau doivent toujours se concerter avec eux.

§ VI. — Dans les très grandes paroisses de ville, qu’on aura jugé à propos de subdiviser en plusieurs cantons soumis chacun à l’inspection d’un Bureau particulier, il sera nécessaire de former l’état des pauvres de chaque canton séparément.

§ VII. — La formation de ces états des pauvres est indispensable, non seulement pour connaître l’étendue des vrais besoins et n’être pas trompé dans l’emploi des charités, mais encore pour mettre quelque ordre dans les distributions. Il ne faut pas cependant se dissimuler un inconvénient de ces états, si l’on voulait y comprendre sans exception toutes les personnes qui ont besoin de secours. Il est certain qu’il y en a parmi celles-ci qui n’ont que des besoins momentanés, occasionnés par des circonstances extraordinaires, et dont la misère n’est point connue. Des charités publiques les dégraderaient en quelque sorte au-dessous de l’état dont elles jouissent, et la plupart d’entre elles aimeraient mieux souffrir la plus affreuse misère, que d’être soulagées par cette voie. Ce genre de pauvres est très commun dans les grandes villes. Leur juste délicatesse doit être ménagée, et il n’est pas possible de les comprendre dans les états de pauvres ; cependant, il est à désirer qu’on puisse aussi les soulager. Il ne paraît pas qu’il y ait d’autre moyen d’obvier à cette difficulté, que de destiner sur la masse totale des fonds du Bureau un fonds particulier pour le soulagement des pauvres honteux, et d’en confier la distribution à MM les curés, ou avec eux à un ou deux membres du Bureau engagés au même secret qu’eux.

§ VIII. — Il est quelquefois arrivé que, dans des temps difficiles où les métayers n’avaient point assez récolté pour leur subsistance, des propriétaires, pour se dispenser de les nourrir, les ont mis dehors, sans doute dans l’espérance que ces malheureux trouveraient des ressources dans les charités publiques. Si ces cultivateurs abandonnés par leurs maîtres étaient compris dans les états de ceux dont les Bureaux de charité se chargeront, ce seul article absorberait une grande partie des fonds qui pourraient être consacrés à cet objet dans les campagnes. Rien ne serait plus injuste. Les cultivateurs doivent trouver des ressources dans les avances ou les dons de leurs maître, qui leur doivent ce secours moins encore à titre de charité qu’à titre de justice, et même à ne consulter que leur seul intérêt bien entendu. Ces métayers ne doivent donc point être mis dans l’état des pauvres, et c’est aux maîtres à pourvoir à leur subsistance[3].

ARTICLE III. — De la nature des soulagements que les Bureaux de charité doivent procurer aux pauvres.

Il ne faut pas que les Bureaux de charité perdent de vue que les secours destinés à la pauvreté réelle ne doivent jamais être un encouragement à l’oisiveté. Les pauvres se divisent en deux classes, qui doivent être secourues de deux manières différentes. Il y en a que l’âge, le sexe, les maladies, mettent hors d’état de gagner leur vie par eux-mêmes ; il y en a d’autres à qui leurs forces permettent de travailler. Les premiers seuls doivent recevoir des secours gratuits ; les autres ont besoin de salaires, et l’aumône la mieux placée et la plus utile consiste à leur procurer les moyens d’en gagner. Il sera donc nécessaire que, d’après l’état qui aura été formé de ceux qui sont dans le besoin, l’on fasse la distinction des pauvres qui peuvent travailler et de ceux qui ne le peuvent pas, afin de pouvoir fixer la partie des fonds du Bureau qu’il faudra destiner aux divers genres de soulagement qui doivent être appliqués aux uns et aux autres. Ces deux objets du travail à procurer aux uns, et des secours gratuits à fournir aux autres, présentent la subdivision naturelle de cet article, et nous allons en traiter successivement.

ARTICLE III : PREMIÈRE PARTIE. — Des différents travaux auxquels on peut employer les pauvres.

§ Ier — Il semble que tous les propriétaires aisés pourraient exercer une charité très utile, et qui ne leur serait aucunement onéreuse, en prenant ce moment de calamité pour entreprendre dans leurs biens tous les travaux d’amélioration ou même d’embellissement dont ils sont susceptibles. S’ils se chargent d’occuper ainsi une partie des pauvres compris dans les états, ils diminueront d’autant le fardeau dont les Bureaux de charité sont chargés, et il y a lieu de penser qu’on pourrait de cette manière employer un grand nombre des pauvres de la campagne. Les propriétaires, en leur procurant ce secours, n’auraient fait qu’une avance dont ils tireraient un profit réel par l’amélioration de leurs biens.

§ II. — Si les travaux que peuvent faire exécuter les particuliers ne suffisent pas pour occuper tous les pauvres, il faut chercher quelques ouvrages publics où l’on puisse employer beaucoup de bras. Les plus simples et les plus faciles à entreprendre partout sont ceux qui consistent à remuer des terres. Le Roi ayant bien voulu accorder au soulagement de la Province des fonds dont la plus grande partie est destinée, suivant les intentions de M. le Contrôleur général, aux travaux publics et en particulier aux grands chemins, les entrepreneurs ont reçu ordre en conséquence de doubler le nombre des ouvriers sur les différents ateliers des routes, et ils en ont ouvert ou en ouvriront incessamment plusieurs nouveaux. Mais, outre que ces entrepreneurs, faisant travailler pour leur compte, ne peuvent, sans risque de perdre, employer toutes sortes d’ouvriers, quelque nombre d’ateliers qu’on puisse ouvrir sur les grandes routes, il y aura toujours beaucoup de paroisses hors de portée d’en profiter, et les fonds accordés par le Roi ne suffiront pas pour en établir partout où il serait nécessaire. Il est donc à désirer que l’on destine partout une partie des contributions de charité à faire quelques ouvrages utiles, tels que l’arrangement de quelques places publiques, et surtout la réparation de quelques chemins qui facilitent le commerce des habitants.

§ III. — Ces travaux, peu considérables, peuvent être conduits par économie et suivis par quelque personne de bonne volonté qui se charge d’y donner ses soins. Mais il est essentiel qu’ils soient suivis avec la plus grande attention pour prévenir les abus qui peuvent aisément s’y glisser. Il faut s’attendre que plusieurs des travailleurs chercheront à gagner leur salaire en faisant le moins d’ouvrage possible, et que surtout ceux qui se sont quelquefois livrés à la mendicité travailleront fort mal. D’ailleurs, dans un ouvrage dont le principal objet est d’occuper les pauvres, on est obligé d’employer des ouvriers faibles, des enfants, et quelquefois jusqu’à des femmes, qui ne peuvent pas travailler beaucoup. On est donc obligé de partager les ouvriers en différentes classes, à raison de l’inégalité des forces, et de fixer des prix différents pour chacune de ces classes. Il serait encore mieux de payer tous les ouvriers à la tâche, et de prescrire différentes tâches proportionnées aux différents degrés de force ; car il y a des travaux qui ne peuvent être exécutés que par des hommes robustes ; d’autres exigent moins de force : par exemple, des enfants et des femmes peuvent facilement ramasser des cailloux pour raccommoder un chemin et porter de la terre dans des paniers. Mais, quelque parti que l’on prenne de payer à la tâche, ou de varier les prix suivant l’âge et la force, la conduite de pareils ateliers exigera toujours beaucoup d’intelligence et d’assiduité.

§ IV. — On a eu occasion de remarquer un abus qui peut facilement avoir lieu dans les travaux de cette espèce. C’est que des gens, qui d’ailleurs avaient un métier, quittaient leur travail ordinaire pour se rendre sur les ateliers où l’on payait à la journée. Cependant, ces ateliers de charité doivent être réservés pour ceux qui manquent d’ailleurs d’occupation. L’on n’a trouvé d’autre remède à cet inconvénient que de diminuer le prix des journées, et de le tenir toujours au-dessous du prix ordinaire.

§ V. — Si les ouvrages qu’on entreprendra ne sont pas de ces ouvrages simples que tout le monde peut conduire, il deviendra nécessaire d’employer et de payer quelque ouvrier principal intelligent, qui servira de piqueur et de conducteur. On trouvera vraisemblablement partout de bons maçons propres à cette fonction. Si la nature de l’ouvrage exigeait un homme au-dessus de cet ordre, et qui sût lever des plans et diriger des travaux plus difficiles, il faudrait, en cas qu’il n’y en ait pas dans le canton, s’adresser à M. l’intendant, qui tâchera d’en procurer.

§ VI. — Il y a des ouvrages utiles qui ne peuvent guère se bien faire que par entreprise, et qui exigent que des gens de l’art en aient auparavant dressé les plans et les devis. Tels sont des chaussées, des adoucissements de pentes et autres réparations considérables aux abords des villes, et quelques chemins avantageux pour le commerce, mais trop difficiles dans l’exécution pour pouvoir être faits par de simples ateliers de charité. De pareils travaux ne peuvent se faire que sur les fonds d’une imposition autorisée par un arrêt du Conseil.

Il y a eu quelques projets de ce genre faits à la requête de plusieurs villes ou communautés. Il y en a beaucoup d’autres qu’on pourrait faire, si les communautés qu’ils intéressent voulaient en faire la dépense. Il serait fort à souhaiter qu’elles s’y déterminassent dans ce moment : ce serait encore un moyen de plus d’occuper un grand nombre de travailleurs, et de répandre de l’argent parmi le peuple. Indépendamment de la diminution qu’il est d’usage d’accorder, lors du département, aux communautés qui ont entrepris de faire à leurs frais ces travaux utiles, et qui réduit presque leur dépense à moitié, M. l’intendant se propose encore, pour procurer plus de facilité, de faire l’avance d’une partie de l’argent nécessaire, afin qu’on puisse travailler dès à présent, quoique les fonds qui seront imposés en vertu des délibérations ne doivent rentrer que longtemps après, et lorsque les rôles seront mis en recouvrement.

§ VII. — Ce qu’il y a de plus difficile est d’occuper les femmes et les filles qui pour la plus grande partie ne peuvent travailler à la terre. Il n’y a guère d’autre travail à leur portée que la filature, soit de la laine, soit du lin, soit du coton. Il serait fort à désirer que les Bureaux de charité pussent s’occuper d’étendre ce genre de travail, en avançant des rouets aux pauvres femmes des villes et des campagnes, et en payant dans chaque lieu une fileuse pour instruire celles qui ne savent point encore filer. Il faudrait encore se pourvoir des matières destinées à être filées, et s’arranger à cet effet avec des fabriques ou avec des négociants qui fourniraient ces matières et emploieraient ou vendraient le fil à leur profit. Pour faciliter l’introduction de cette industrie dans les cantons où elle est peu connue, M. l’intendant se propose d’envoyer chez ses subdélégués quelques modèles de rouets, d’après lesquels on pourra en faire. Il destinera aussi volontiers à cet objet une partie des fonds que le Roi a bien voulu accorder pour faire travailler les pauvres. Au surplus, les personnes qui se chargeront de ce détail dans les villes ou dans les campagnes, sont invitées à informer des difficultés qu’elles pourraient rencontrer et des secours qu’elles croiraient nécessaires pour assurer le succès de cette opération, M. Desmarets, inspecteur des manufactures de la Généralité, qui se fera un plaisir de leur faire passer directement, ou par la voie de MM. les subdélégués, les éclaircissements qui lui seront demandés. Il faudra que les lettres lui soient adressées sous le couvert de M. l’intendant.

ARTICLE III : DEUXIÈME PARTIE. — De la nature et de la distribution des secours.

§ 1er. — On peut pourvoir de deux manières à la subsistance des pauvres : ou par une contribution dont les fonds soient remis au Bureau de charité pour être employés de la manière qu’il jugera la plus avantageuse, ou par une distribution des pauvres entre les personnes aisées, dont chacune se chargerait d’en nourrir un certain nombre, ainsi qu’il a été pratiqué plusieurs fois dans cette province.

§ II. — Cette dernière méthode a quelques inconvénients. Un des plus grands paraît être le désagrément auquel s’exposent les personnes qui se chargent de nourrir ainsi les pauvres, d’avoir à essuyer les murmures de ces sortes de gens, qui sont quelquefois très difficiles à contenter. Un Bureau de charité leur en imposerait vraisemblablement davantage, et personne ne serait importuné de leurs plaintes, dont le peu de fondement serait connu. D’ailleurs, cette méthode de rassembler ainsi les pauvres pour ainsi dire à chaque porte ressemble trop à une espèce de mendicité autorisée. Il est plus avantageux que les secours leur soient donnés dans l’intérieur de chaque famille. Il paraît même qu’on ne peut guère soulager autrement ceux qui n’ont besoin que d’un supplément de secours, et qui sont en état de gagner une partie de la subsistance de leurs familles ; car comment ferait-on pour mesurer les aliments qu’on leur donnerait et les proportionner à leurs besoins ? Vraisemblablement, les personnes qui se seraient chargées d’eux ne penseraient qu’à leur ôter tout prétexte de murmurer, en leur donnant autant de nourriture qu’ils en voudraient, sans pouvoir, ou même sans vouloir exiger d’eux aucun travail, ce qui leur ferait contracter l’habitude de l’oisiveté.

§ III. — Cependant cette méthode peut avoir quelques avantages dans la campagne où peut-être quelques propriétaires trouveraient moins dispendieux de nourrir quelques personnes de plus avec leurs métayers ou leurs valets, que de donner de l’argent ou du grain pour faire le fonds du Bureau de charité. Si quelques paroisses préfèrent cette méthode, il sera toujours nécessaire d’arrêter, d’après l’état des pauvres, un rôle pour fixer le nombre que chaque propriétaire devra nourrir.

§ IV. — Dans le cas, qui paraît devoir être le plus général, où l’on choisira de mettre des fonds en commun pour être employés à la disposition des Bureaux de charité, les offres pourront être faites ou en argent, ou en grains, ou même en autres denrées propres au soulagement des pauvres. Il est vraisemblable que, surtout dans les campagnes, la plus grande partie des contributions se feront en grains.

§ V. — Quand même la plus grande partie des contributions se feraient en argent, il y aurait beaucoup d’inconvénients à distribuer de cette manière les secours destinés à chaque famille. Il n’est arrivé que trop souvent que des pauvres auxquels on avait donné de l’argent pour leur subsistance et celle de leur famille l’ont dissipé au cabaret, et ont laissé leurs familles et leurs enfants languir dans la misère. Il est plus avantageux de donner à chaque famille les denrées dont elle a besoin ; il s’y trouve même une espèce d’économie, en ce que ces denrées peuvent être à meilleur marché pour le Bureau de charité qu’elles ne le seraient pour les pauvres mêmes, qui seraient obligés de les acheter en détail chez les marchands, et de supporter par conséquent le profit que ceux-ci devraient y faire.

§ VI. — On ne pense pas cependant qu’il convienne d’assembler les pauvres pour leur faire des distributions de soupe ou de pain, ou d’autres aliments : ces distributions ont l’inconvénient, qu’on a déjà remarqué, de les accoutumer à la mendicité. Il est d’ailleurs très difficile d’y mettre l’ordre et d’éviter l’abus des doubles emplois, et des pauvres inconnus peuvent se glisser dans la foule.

§ VII. — La voie la moins sujette à inconvénient paraît être que les personnes chargées de veiller à la distribution journalière, soit les curés, soit d’autres députés du Bureau, aient un boulanger attitré pour les secours qui devront être donnés en pain ;

Qu’ils désignent quelque personne intelligente et capable de détail, lorsque l’on jugera plus à propos de faire préparer quelque autre aliment, comme pourraient être du riz ou des légumes ;

Et qu’ils remettent à chaque chef de famille un billet d’après lequel le boulanger, ou les personnes chargées de la distribution des autres aliments, donneront au porteur la quantité qu’il aura été trouvé convenable de lui fournir, soit en pain, soit en autres aliments, soit tous les jours, soit un certain nombre de fois par semaine, ainsi qu’il aura été réglé.

Cette méthode aura l’avantage de pouvoir fixer, sans aucun embarras, la quantité de secours qu’on voudra donner à chaque famille. Il deviendra aussi facile de régler la portion de celui qui sera en état de gagner les trois quarts de sa subsistance, que celle du misérable qui ne peut absolument vivre que de charité.

§ VIII. — Le pain étant, par les malheureuses circonstances où se trouve la Province, une des denrées les plus chères, il serait à souhaiter qu’on pût en diminuer la consommation en procurant aux pauvres d’autres subsistances aussi saines et moins dispendieuses. Vraisemblablement, dans plusieurs campagnes, on pourra faire usage du blé noir.

Le Roi, ayant eu la bonté d’autoriser M. l’intendant à employer des fonds en achat de riz, il en a fait venir une certaine quantité de Bordeaux, et il doit en arriver dans quelque temps encore davantage. Ce grain est susceptible d’être préparé de différentes manières peu dispendieuses ; elles sont expliquées dans un Avis imprimé, dont il sera joint quelques exemplaires à la présente Instruction. Il est à désirer que dans chaque lieu quelque personne charitable se charge de faire exécuter celle de ces préparations qui se trouvera être la moins dispendieuse, ou la plus au goût du peuple : les communautés religieuses seraient plus à portée que personne de prendre ce soin. On distribuerait ce riz de la même manière que le pain, sur des billets du curé ou du député du Bureau. Il y aurait beaucoup de désavantage à distribuer le riz en nature, et sans l’avoir fait préparer : la plus grande partie de ceux à qui l’on en donnerait de cette manière ne sauraient pas en tirer parti, et vraisemblablement ils s’en déferaient à vil prix. On a vu, dans des occasions semblables, des paysans donner une livre de riz pour une livre de pain : cependant une livre de riz nourrit au moins quatre à cinq fois autant qu’une livre de pain, parce qu’il se renfle prodigieusement à la cuisson.

§ IX. — Il ne paraît guère possible de payer autrement qu’en argent les ouvriers employés dans les ateliers de charité ; cependant il leur sera vraisemblablement avantageux de profiter de la facilité que donnera la préparation du riz, pour se nourrir à bon marché : il serait par conséquent utile de leur en procurer les moyens. Cela peut se faire de deux manières : ou en chargeant quelque personne de leur vendre du riz préparé au prix courant, ou en leur donnant des billets pour en recevoir de la même manière que les pauvres ; mais, dans ce cas, on aurait l’attention de retenir sur leurs salaires la valeur de ce riz.

§ X. — Le besoin de la subsistance n’est pas le seul qui se fasse sentir : le chauffage dans les villes, le vêtement dans les villes et dans les campagnes, sont encore deux objets dont les Bureaux de charité pourront avoir à s’occuper ; mais on croit inutile d’entrer à ce sujet dans aucun détail.

§ XI. — Il n’est pas possible de s’occuper, quant à présent, de répartir le riz que le Roi a bien voulu destiner au secours des pauvres, la répartition ne peut être faite que d’après l’état connu des pauvres de chaque paroisse. Il est donc nécessaire avant tout que chaque Bureau de charité adresse à M. l’intendant, le plus promptement qu’il sera possible, l’état qui aura été dressé des pauvres de chaque paroisse, et de la quantité de secours à fournir à chacun. Cet état doit être accompagné d’une copie de la délibération par laquelle on se sera fixé aux arrangements qu’on aura cru devoir adopter dans chaque ville ou dans chaque communauté. C’est d’après cet envoi que M. l’intendant déterminera, en connaissance de cause, la répartition des secours dont il peut disposer.

§ XII. — Il y a quelques paroisses dans lesquelles il a été fait des fondations pour distribuer, chaque année, aux pauvres une certaine quantité de grains. Différents arrêts du Conseil ont réuni quelques-unes de ces fondations aux hôpitaux voisins, mais elles subsistent encore dans plusieurs paroisses. Le meilleur usage qu’on en puisse faire est de les employer avec les contributions qui seront fournies de la même manière, et suivant les arrangements qui seront pris par le Bureau de charité. Ce serait peut-être même un moyen d’engager le Conseil à laisser subsister ces fondations, au lieu de les réunir aux hôpitaux, que de charger un Bureau de charité, établi à demeure dans la paroisse, d’en faire la distribution d’après les règles qui auront été établies dans l’occasion présente. La protection du Gouvernement serait d’autant plus assurée à ces Bureaux de charité permanents, que leur concours serait infiniment utile au succès des vues qu’a le Conseil pour la suppression totale de la mendicité, lesquelles ne peuvent être remplies qu’autant que les pauvres seront assurés de trouver les secours nécessaires dans la paroisse.

§ XIII. — Dès à présent l’établissement des Bureaux de charité, quoiqu’ils ne doivent avoir lieu que jusqu’à la récolte prochaine, mettra du moins en état de délivrer la Province des vagabonds qui l’infestaient ; car, au moyen de ce que les Bureaux assureront la subsistance à tous les pauvres connus, il ne pourra rester d’autres mendiants que des étrangers sans domicile ou des vagabonds volontaires, et la maréchaussée aura ordre de les arrêter partout où ils se trouveront[4].

II. — Circulaire aux curés sur les Assemblées de charité.

[D. P., V, 424.]

Limoges, 10 février.

Vous trouverez, M., joint à cette lettre, un Arrêt du Parlement de Bordeaux, qui ordonne qu’il sera tenu, dans chaque paroisse ou communauté, une assemblée pour délibérer sur les moyens de parvenir au soulagement des pauvres, et que tous les particuliers aisés, habitant, ou possédant des revenus dans les paroisses, seront tenus d’y contribuer à raison de leurs biens et facultés, sans distinction de privilégiés ou non privilégiés. Il ordonne aussi que la contribution des absents sera payée par leurs fermiers, régisseurs ou baillistes.

Les mêmes vues qui ont déterminé le Parlement de Bordeaux à rendre cet arrêt m’avaient engagé à concerter, avec M. l’évêque de Limoges, un plan d’Assemblée de charité et de contribution volontaire en faveur des pauvres dans chaque paroisse. Ce plan peut être suivi dans les lieux où la bonne volonté et la charité offriront des secours assez abondants pour subvenir aux besoins des pauvres. Je suis même assuré par la correspondance que j’ai eue à ce sujet avec M. le procureur général, et par les instructions qu’il a données à MM. les officiers des sénéchaussées, que cette voie de contribution volontaire, lorsqu’elle sera suffisante, remplira entièrement les intentions du Parlement.

Je vous adresse, en conséquence, une Instruction imprimée sur les moyens de former ces Assemblées ou Bureaux de charité, et de remplir leur objet. J’ai dû embrasser, dans cette instruction, différents moyens qui peuvent être pris pour soulager les pauvres et, quoique ces moyens ne puissent pas être également appliqués dans tous les lieux, j’ai dû les développer tous, en rédigeant une instruction destinée à être répandue dans toutes les parties de la Province. Mais je sens que c’est principalement dans les villes et dans les lieux considérables que le plan proposé pourra être exécuté dans toute son étendue, et je m’attends qu’il faudra le simplifier et le restreindre au pur nécessaire dans plusieurs paroisses de campagne trop peu considérables, et où il serait trop difficile de trouver des personnes capables de suivre avec exactitude les détails d’une opération compliquée. C’est dans cette vue que je destine une partie de cette lettre à présenter une espèce d’extrait de cette Instruction[5] réduit à l’exposition la plus simple des points essentiels qu’on doit exécuter partout, et même dans les communes de la campagne. Il sera cependant utile d’y joindre la lecture de l’instruction même, qui fera mieux connaître l’ensemble de l’opération et les vues qui doivent diriger les personnes chargées de l’exécution.

P. S. — J’ai parlé à la fin de l’Instruction des fondations qui ont été faites dans quelques paroisses pour distribuer aux pauvres de l’argent, des grains ou d’autres aumônes, et j’ai observé que ces aumônes ne pouvaient être mieux employées, cette année, qu’en les joignant aux fonds des aumônes des bureaux de charité, à la décharge de ceux qui doivent contribuer pour soulager les pauvres, et dont la contribution serait d’autant diminuée. Je vous prie de me mander, en m’informant du parti qui aura été pris par vos habitants et en m’envoyant l’état de vos pauvres, s’il y a dans votre paroisse quelque aumône annuelle de ce genre : vous voudrez bien me marquer en quoi elle consiste, quelles personnes sont chargées de la payer, si elle est exactement acquittée et, dans le cas où elle ne le serait point, depuis combien d’années le payement en est interrompu ; enfin, par qui et dans quelle forme se fait la distribution de cette aumône. Il y en a quelques-unes qui ont été réunies par le Conseil à des hôpitaux : il ne faut pas omettre d’en faire mention, et je vous prie, en ce cas, de me mander si vous pensez qu’on puisse les employer dans votre paroisse de façon à les rendre plus utiles qu’elles ne le sont, étant réunies aux hôpitaux.

III. — Circulaire aux subdélégués sur les Assemblées de charité et sur la Mendicité.

[D. P., V, 438.]

(Envoi de la lettre aux curés du 10 février et de la délibération de l’assemblée de la ville de Limoges du 11 février ci-dessous.)

Limoges, 16 février.

… Vous verrez dans les Instructions qu’un des moyens, qui me paraît le plus avantageux pour soulager les pauvres, est de procurer de l’occupation à ceux qui ont la force de travailler. Je propose différents genres d’occupations, tant pour les hommes que pour les femmes. Cet article exige encore une correspondance de chaque paroisse avec moi, laquelle doit passer par vous.

Enfin, comme le renvoi des mendiants étrangers dans leurs paroisses fait partie du projet, qui se lie par là au plan adopté depuis quelque temps par le Conseil sur la suppression de la mendicité, il est encore nécessaire, par cette raison, que l’ensemble des opérations passe continuellement sous vos yeux et sous les miens.

Il est donc indispensable que, dans les paroisses mêmes où l’on aurait déjà commencé à opérer en vertu des ordres donnés par les officiers de justice, l’on s’occupe de répondre aux différents objets que je demande, soit par mon Instruction, soit par ma lettre du 10 février[6].

Le premier soin dont vous ayez à vous occuper est, après être convenu de toutes vos démarches avec les officiers de justice, de distribuer les différents paquets que je vous adresse, soit pour les officiers municipaux des villes, soit pour les curés de votre subdélégation. La circonstance est trop pressante, et les envois ont déjà été trop retardés pour attendre les occasions ordinaires, et je vous prie de distribuer les paquets par des exprès. Tâchez de choisir des personnes sûres, et mettez-y d’ailleurs toute l’économie que vous pourrez ; je vous ferai rembourser sur-le-champ de la dépense que vous aurez faite à cette occasion.

Outre les paquets destinés aux curés, j’ai cru devoir vous envoyer un assez grand nombre d’exemplaires des Instructions et de la Lettre afin que vous puissiez en distribuer aux principaux seigneurs et gentilshommes de votre subdélégation qui résident dans les paroisses de la campagne, et que vous croiriez disposés à concourir par leurs soins au succès de l’opération. Cette attention sera surtout nécessaire dans les paroisses où vous sauriez que le curé, soit par défaut de capacité, soit par quelque vice de caractère, ou seulement parce qu’il n’aurait pas la confiance de ses habitants, ne peut seul conduire l’opération et la faire réussir. C’est à votre prudence que je m’en rapporte pour vous assurer de ces circonstances, et pour juger des personnes auxquelles il convient de vous adresser afin de suppléer au défaut de capacité ou de volonté des curés. Dans le cas même où le curé mérite toute confiance, il est toujours utile que les principaux seigneurs ou gentilshommes soient instruits du plan ; mais, sans doute, que les curés leur communiqueront mes instructions, ainsi que je les en ai priés par ma lettre du 10 février.

Dans les villes il est nécessaire de donner aussi mes Instructions aux principaux officiers du corps de ville et des juridictions, qui tous doivent coopérer à l’exécution du plan ; vous voudrez donc bien leur en faire part. À l’égard de la Délibération de la ville de Limoges, elle ne peut guère être imitée que dans les villes les plus considérables, et je n’ai pas cru, par cette raison, devoir vous en envoyer un grand nombre d’exemplaires.

J’ai joint à la lettre destinée aux curés de campagne des états à colonne en blanc, qui serviront à former les états des pauvres de leur paroisse. Vous en trouverez aussi d’autres pour dresser les états des pauvres des villes. La forme en est un peu plus compliquée que celle des états relatifs aux pauvres de la campagne, parce que j’ai cru ce détail nécessaire dans les villes ; vous voudrez bien remettre ou faire remettre aux Assemblées ou Bureaux de charité la quantité nécessaire pour en distribuer aux curés de chaque paroisse, afin qu’ils puissent, en les remplissant, présenter un état exact de leurs pauvres. Je vous prie de me rendre compte de ce qui aura été fait, et de veiller à ce qu’un double de ces états me soit renvoyé. Il m’a paru avantageux de faire remplir fictivement quelques-uns de ces états, afin de donner à MM. les curés une idée plus précise de la façon dont ils doivent être remplis. Vous trouverez quelques-uns de ces états fictifs dans votre paquet.

L’article du plan qui concerne le renvoi des mendiants étrangers vous occasionnera une légère augmentation de travail. Vous avez pu voir dans mes instructions que, lorsque ces mendiants sont originaires d’un lieu éloigné de plus d’une journée de celui d’où l’on a jugé à propos de les renvoyer, on ne leur fournira la subsistance que jusqu’à la résidence du subdélégué le plus prochain. Pour qu’ils puissent de là se conduire jusque chez eux, il faudra que vous leur donniez des routes pareilles à celles qu’on donne aux mendiants mis en liberté et renvoyés chez eux avec le secours d’un sou par lieue. Vous ne leur donnerez ce sou par lieue que jusqu’au premier endroit où ils trouveront un subdélégué, et vous vous conformerez à cet égard à ce que je vous ai prescrit par ma lettre du 25 octobre 1768, en vous envoyant mon instruction du 1er août de cette même année, relative à la suppression de la mendicité[7]. Vous trouverez dans votre paquet un certain nombre de routes en blanc, que vous expédierez à ceux qui vous seront renvoyés des paroisses sur la présentation qu’ils vous feront du certificat prescrit par le paragraphe 25 de ma lettre du 10 février, et par le paragraphe 3 de l’art. II de l’Instruction.

Je dois vous prévenir encore que, conformément à ce que j’annonce dans ma lettre du 10 février, § 23, j’ai fait passer à M. de Gilibert les ordres que M. le Chancelier et M. de Choiseul m’avaient adressés l’automne dernier pour étendre la capture des mendiants à ceux même qui sont domiciliés. Comme j’étais autorisé à suspendre l’envoi de ces ordres, j’avais différé cet envoi à cause de la misère générale ; mais, dès qu’il aura été pourvu dans chaque paroisse à la subsistance des pauvres du lieu, et que les pauvres étrangers auront été renvoyés chacun chez eux, il n’y aura plus aucun prétexte pour mendier, et ce moment est le plus favorable qu’on puisse prendre pour exécuter complètement les vues du Conseil.

Cependant, je n’ai pas pensé qu’on dût emprisonner indistinctement toutes les personnes qu’on aurait trouvées mendiant ; j’ai, au contraire, mandé à M. le prévôt qu’il convenait de relâcher ceux qui, n’étant point notés comme de mauvais sujets ou des vagabonds incorrigibles, promettraient de ne plus mendier ; et la nouvelle Instruction que je me propose d’envoyer sur ce point à toutes les brigades de maréchaussée, leur prescrit de n’emprisonner les domiciliés arrêtés en mendiant dans l’étendue de leur paroisse, qu’après s’être assurés du commencement de l’exécution du plan projeté pour procurer la subsistance aux pauvres et, après s’être concertées avec les curés dans les campagnes, et dans les villes avec les subdélégués ou les officiers de police. Vous recevrez par le prochain courrier cette Instruction particulière, qu’il n’a pas encore été possible d’imprimer[8].

Si les besoins des paroisses qui auront été reconnus lors des assemblées de charité, et qui seront constatés par les états des pauvres que je demande à chaque curé, me déterminent à leur faire passer quelques portions des secours en riz que M. le Contrôleur général m’a autorisé à faire acheter, vous serez chargé de la distribution de ce riz aux paroisses de votre subdélégation, conformément à l’état que je vous en enverrai, et vous recevrez en même temps un Avis imprimé sur les différentes manières d’employer le riz.

Vous verrez, dans la première partie de l’article III de mes Instructions quelles sont mes idées sur les différentes manières d’occuper les pauvres. Si vous avez connaissance de quelque ouvrage utile et qu’on puisse entreprendre promptement dans quelques lieux de votre subdélégation, vous me ferez plaisir de me l’indiquer, et de me faire part en même temps des moyens que vous imaginez qu’on pourrait prendre pour trouver des fonds suffisants. Je sais qu’il y a dans plusieurs petites villes des revenus, assez modiques à la vérité, mais dont les arrérages accumulés depuis longtemps, et laissés entre les mains, ou des fermiers, ou des officiers municipaux auxquels on a négligé d’en faire rendre compte, forment une somme assez considérable, qu’on pourrait employer à des ouvrages utiles et propres à occuper les pauvres ; faites-moi part de ce que vous savez à cet égard. Indépendamment de cette ressource, je vous répète que je me porterai volontiers à aider, ainsi que je l’ai dit dans l’Instruction, les communautés qui voudront entreprendre quelque ouvrage utile à leurs frais, soit en leur avançant de quoi travailler dès ce moment sans attendre le recouvrement des sommes qui seront imposées en vertu de leur délibération, soit même en leur accordant quelque secours, lorsque l’ouvrage paraîtra devoir être avantageux au commerce de la Province.

L’occupation des femmes est un objet non moins digne d’attention. J’ai parlé, dans l’Instruction, de ce qu’il y aurait à faire pour étendre les filatures dans les campagnes et dans les petites villes. Afin d’y réussir, il est absolument nécessaire de trouver quelque négociant qui fasse filer pour son propre compte, et qui se charge de fournir les matières et même les rouets, ce détail étant trop compliqué pour que je puisse le suivre, ni même le faire suivre de Limoges. Je fournirai cependant volontiers quelques secours pour cette opération, si je puis être assuré qu’ils seront employés utilement. Vous m’obligerez de vous occuper très sérieusement de cet objet, et de vous concerter, soit avec les négociants ou fabricants que vous saurez être à portée de faire filer, soit avec les curés ou autres personnes intelligentes des paroisses où la filature peut s’étendre avec avantage. Vous voudrez bien en même temps me mander l’espèce et la quantité des secours qu’il vous paraîtrait convenable d’accorder ; vous pourrez suivre cette correspondance avec M. Desmarets, ainsi que je l’indique dans l’Instruction.

Je ne m’éloignerai même pas de faciliter encore par quelques secours l’introduction des fabriques de siamoises et autres petites étoffes dans les campagnes ou dans les petites villes, si, par la connaissance que vous avez du local, ou par les lumières que vous donneront les négociants auxquels vous vous adresserez, vous vous apercevez que cette idée soit praticable. Je vous prie de me le mander, et d’entrer en même temps dans le détail des moyens que vous jugerez propres à en assurer le succès.

Le post-scriptum qui est à la fin de ma lettre du 18 février mérite une attention particulière de votre part, et je vous prie de faire dresser de votre côté un état des paroisses de votre subdélégation dans lesquelles il y a des aumônes régulières et fondées, soit en argent, soit en grains, et de vous mettre, par tous les moyens que vous pourrez imaginer les plus sûrs, en état de remplir ce que je demande aux curés dans ce post-scriptum.

Je ne pense pas avoir rien de plus à vous marquer quant à présent sur l’opération du soulagement des pauvres : je ne puis trop vous recommander d’y donner tous vos soins, et de m’instruire exactement du succès qu’elle aura dans les différentes parties de votre subdélégation.

IV. — Délibération de l’Assemblée de charité de la ville de Limoges.

11 février.

Aujourd’hui, 11 février 1770, dans la grande salle de l’Intendance, à l’Assemblée de charité convoquée par Mgr l’évêque de Limoges et M. l’intendant :

Après qu’il a été unanimement convenu par l’assemblée de n’observer aucun rang dans l’ordre de la séance et des opinions, Mgr l’évêque a fait une courte exposition des circonstances où la Province se trouve réduite, et particulièrement la ville de Limoges, par la rareté et par la cherté excessive des subsistances en tout genre ; et il a dit que cette situation, connue du Parlement (de Bordeaux) a déterminé cette Cour à rendre, le 17 du mois de janvier dernier, un Arrêt, enregistré le 25 du même mois en la sénéchaussée de Limoges, à l’effet de subvenir aux besoins pressants des pauvres de la Province : après lequel exposé, la lecture de l’Arrêt a été faite par M. Juge, avocat du Roi, et a été suivie de celle d’une Instruction en forme d’Avis pour toute la Généralité, par M. l’intendant.

Ensuite, Mgr l’évêque a fait des observations sur l’exécution de l’Arrêt relativement à la ville de Limoges, et il a proposé d’en remplir les vues par la voie des offres volontaires, comme plus honorable et non moins fructueuse que celle de l’imposition.

La chose mise en délibération, il a été arrêté que la voie des offres volontaires serait préférée à tout autre moyen.

Pour y parvenir, Mgr l’évêque a proposé de former un registre sur lequel seront inscrites toutes les offres particulières, payables tant par mois, à commencer le 20 du courant, et à continuer ainsi jusqu’au 20 juin prochain ; en sorte qu’il y aura cinq payements pour cinq mois de subsistance jusqu’à la récolte, ce qui a été adopté par l’Assemblée. Il y a été aussi convenu que ces offres volontaires seront faites à l’instant, en pleine assemblée, par ceux de ses membres qui le jugeront à propos, et qu’elles seront enregistrées sur-le-champ : à l’égard des absents, et de ceux qui, présents, croiront devoir différer, MM. les députés de chaque corps et compagnie formant l’assemblée actuelle, y ont été priés d’avoir un petit registre sur lequel ils recevront, et feront signer les soumissions particulières de chacun des membres du corps qu’ils représentent ; lequel registre, lorsqu’il sera complet, sera remis par lesdits députés à M. l’intendant, pour être joint au registre des offres générales.

Quant aux autres habitants qui n’appartiennent à aucun corps ou compagnie, il sera indiqué par MM. les curés, de concert avec M. le lieutenant-général et avec M. le juge de la cité pour ce qui le concerne, une assemblée dans laquelle lesdits sieurs curés recevront aussi sur un registre les offres particulières qui leur seront faites.

Comme il n’est pas d’usage que les dames se trouvent aux assemblées de paroisse, MM. les curés pourront, chacun dans la leur, indiquer une assemblée particulière, à laquelle seront invitées les dames qui n’ont ni mari, ni représentant dans aucune des assemblées générales ou particulières, et qui y feront leurs offres et soumissions par suite sur le même registre.

MM. les curés ont été aussi priés de se donner la peine de passer chez toutes les personnes aisées de leurs paroisses, qui, à raison de leurs infirmités ou autres empêchements, n’auraient pu se trouver à quelqu’une desdites assemblées ; d’y recevoir pareillement et y faire signer leurs soumissions, en faisant une note de ceux qui auraient été refusants ; et, lorsque leur registre sera complet, ils voudront bien le remettre à Mgr l’évêque, pour être joint aux soumissions générales. Au surplus, on les a invités à convoquer par billets, sous trois jours au plus tard, les personnes qui, conformément aux dispositions ci-dessus, doivent former leur assemblée en sorte qu’ils soient en état de remettre, samedi matin, pour le plus tard, leur registre à Mgr l’évêque, le premier bureau devant se tenir le même jour à deux heures de relevée. M. l’intendant a fait une pareille invitation aux députés des corps et compagnies. Quant aux communautés religieuses, Mgr l’évêque s’est chargé de rapporter leurs offres pour le même jour.

Ensuite, Mgr l’évêque a proposé de nommer un trésorier, qui recevra et enregistrera les sommes provenant des offres, et un secrétaire qui rédigera les délibérations dans le Bureau subsistant dont on va parler ; ce qui ayant été jugé nécessaire, l’assemblée a nommé pour trésorier M. François Ardent, et pour secrétaire M. Poujaud de Nauclas.

Après quoi, sur la proposition faite par Mgr l’évêque, l’assemblé a formé pour l’administration un Bureau subsistant, auquel elle a donné tout pouvoir en son nom, et qui sera composé des personnes spécialement chargées, par leur état et leur place, de procurer le bien et l’utilité publique ; d’un député de chaque corps ou compagnie nombreuse et d’un député de plusieurs corps réunis ensemble, lorsqu’ils seront trop nombreux, de sorte que le Bureau sera composé comme il suit…

MM. les curés ont été invités à se rendre au Bureau toutes les fois qu’ils auront quelques lumières à communiquer, ou quelques représentations à faire relativement aux besoins de leurs paroisses.

Il a été aussi délibéré que le Bureau, ainsi formé, s’assemblera chez Mgr l’évêque régulièrement tous les samedis à deux heures après midi ; et, dans le cas d’absence ou d’empêchement, chez M. l’intendant ; et, en cas d’absence ou d’empêchement de l’un et de l’autre chez M. le lieutenant général.

Et pour que le Bureau de charité soit en état de proportionner la distribution de ses fonds au nombre des pauvres, l’assemblée a prié MM. les curés de former trois états, dont le premier contiendra, avec le plus grand détail, le dénombrement des pauvres natifs ou domiciliés depuis six mois dans la ville, faubourgs et banlieue, maison par maison, feu par feu, en observant de distinguer l’âge, le sexe, l’état de validité ou d’invalidité desdits pauvres, et ce, conformément au modèle qui leur sera délivré en blanc, et dont ils rempliront les colonnes.

Le second sera composé des familles honnêtes et indigentes dont, par ménagement, les noms n’y seront pas portés, mais seulement le nombre des personnes, avec une estimation que MM. les curés y joindront des secours qu’ils croient devoir être distribués à chaque famille. Le troisième contiendra le nom des pauvres étrangers qui sont dans le cas d’être renvoyés, et MM. les curés sont priés d’user de la plus grande diligence pour former lesdits états, sans lesquels le bureau de charité ne peut agir.

Pour faciliter leur opération, il sera nommé par les assemblées de leurs paroisses, dans chacune de celles de Saint-Pierre et de Saint-Michel, comme les plus considérables, quatre personnes notables, autres que les membres du bureau de charité, pour servir à MM. les curés de conseils et d’adjoints, tant pour la confection des états et dénombrements des pauvres de la première et de la troisième classe, que pour la distribution des fonds provenant de la caisse de charité destinés pour la première et la seconde classe. À l’égard des autres paroisses moins nombreuses, deux adjoints suffiront.

Mais dans toutes, MM. les curés et leurs adjoints s’assembleront chaque semaine, à l’heure la plus commode pour eux, la veille ou l’avant-veille du jour fixé ci-dessus pour la tenue du bureau général, afin de pouvoir faire entre eux, de concert, les observations nécessaires au soulagement de leurs pauvres, et d’en référer, s’il est besoin, au Bureau général.

Afin d’engager tous les citoyens à faire les plus grands efforts pour le soulagement général des pauvres, il a été convenu qu’il ne serait point fait à Pâques prochain de quête pour l’hôpital mais qu’attendu le préjudice qui résulterait de la suppression de ce secours pour une maison dont la conservation et la subsistance sont si intéressantes pour le public, il sera pris sur les fonds de la caisse de charité une somme égale au produit de la dernière quête, pour être délivrée au receveur de l’hôpital.

V. — Instructions générales pour les Ateliers de charité[9].

(Résumé tiré des Éphémérides du citoyen.)

[Éphémérides du citoyen, 1772, II, 195. — D. P., VI, 52.]

On a borné les Ateliers de charité aux parties de chemins dont la construction ne présente pas de grandes difficultés et peut être exécutée par des travailleurs peu instruits, tels que sont les ouvriers de toute espèce, hommes, femmes et enfants, qui sont dans le cas de s’y présenter. Les parties qui demandent une plus grande capacité ont été adjugées par entreprise à prix d’argent, et au rabais, comme le sont ordinairement tous les chemins à construire dans la généralité de Limoges, depuis que les corvées y sont abolies. Alors, c’est à l’entrepreneur à choisir, instruire, payer et surveiller ses ouvriers, de manière que son chemin soit bon et recevable.

Mais, quand le public est obligé d’être lui-même entrepreneur pour la distribution de charités consacrées à des travaux utiles, on ne peut les choisir d’une espèce trop aisée, afin d’éviter les négligences et les malfaçons, si faciles à introduire dans un ouvrage public qui serait un peu compliqué.

Dans les ateliers composés de plusieurs centaines de travailleurs, il deviendrait impossible de distribuer chaque jour une tâche à chacun. Cette opération trop longue consumerait un temps précieux. Il faut donc, pour abréger, distribuer l’ouvrage en tâches qui puissent occuper plusieurs ouvriers pendant plusieurs jours, et réunir ainsi plusieurs travailleurs sur une même tâche. Mais, pour éviter dans ces réunions les jalousies et les disputes, que l’inégalité des forces et l’inégalité de l’assiduité au travail pourraient occasionner, on donne chaque tâche à une famille entière, qui a l’intérêt commun de faire le plus d’ouvrage possible pour la subsistance commune, et dans laquelle le père occupe chacun selon ses forces, et surveille et contient chacun de ses coopérateurs mieux que le piqueur le plus vigilant. Les conducteurs de travaux, choisis par les ingénieurs ou sous-ingénieurs, les subdélégués ou les commissaires ad hoc, qui sont la plupart des gentilshommes voisins, des curés ou des particuliers distingués par leurs lumières et leur zèle, que l’amour du bien public porte à surveiller les ateliers de charité et à concourir au bien qu’ils procurent, ces conducteurs marchandent avec le chef de famille le prix de la tâche dont il se charge. Ce marché peut bien être sujet à quelque erreur, comme le sont ceux des bourgeois qui marchandent avec des ouvriers pour ouvrir des fossés ou faire d’autres travaux de ce genre ; mais une sorte d’expérience, quoique peu éclairée, qu’ont les gens de la campagne, n’y laisse pas de grandes inexactitudes ; et, d’ailleurs, dans le cas d’erreur trop grande ou de lésion, le recours au commissaire de l’atelier est toujours ouvert.

Dans les ouvrages qui consistent en déblais ou transports de terre, les tâches se règlent avec facilité par le nombre des hottées, brouettées, civières ou camions. Il n’est pas même besoin alors d’associer plusieurs travailleurs, quoiqu’il soit toujours bon de le faire par familles. Ceux qui transportent deviennent les piqueurs naturels de ceux qui piochent ; à chaque voyage, le manœuvre reçoit du préposé une marque de cuir destinée à cet objet, et selon la convention, on lui délivre pour un certain nombre de marques ou de voyages, ce qu’on appelle dans le pays un marreau ; le mot français est méreau.

Ces méreaux sont une espèce de monnaie de cuir, qui a été imaginée pour empêcher que le père ne dissipât au cabaret le salaire destiné à la subsistance de sa famille, comme cela arrivait trop souvent dans ce pays ignorant, misérable, abruti, lorsqu’on y payait en argent les ouvriers qui se présentaient aux ateliers de charité.

Il y a quatre sortes de méreaux. Celui qu’on nomme du n° 4 est empreint de quatre fleurs de lis. Il vaut une espèce de pain connu en Limousin sous le nom de tourte, et qui pèse vingt livres.

Le méreau n° 3, qui ne porte que trois fleurs de lis, ne vaut qu’une demi-tourte ou un pain de 10 livres.

Le méreau n° 2, qui n’a que deux fleurs de lis, est reçu par le boulanger pour un quart de tourte ou 5 livres.

Enfin le n° 1 ne vaut qu’une livre de tourte et ne sert que pour les  appoints.

Les marques qui certifient le nombre des voyages sont d’une forme différente, et ne peuvent être confondues avec les méreaux.

Le subdélégué, ou le commissaire de l’atelier, fait avec un boulanger voisin un marché pour qu’il cuise la quantité de pain nécessaire au nombre d’ouvriers qui s’y réunissent, et qu’il le leur délivre pour des méreaux ; et, en rapportant ces méreaux au caissier, le pain dont il constate la fourniture est payé au boulanger selon le prix qui a été arrêté avec lui, conformément à celui du grain.

Afin que ce marché ne dégénère pas en privilège exclusif, qui pourrait autoriser des infidélités ou des négligences dans la fourniture, les ouvriers sont libres de prendre leur pain chez le boulanger qui se tient à portée, ou chez tout autre boulanger qui les accommoderait mieux ; et tout boulanger qui rapporte des méreaux à l’atelier est payé par le caissier de la quantité de pain qu’il a donnée pour eux, au même prix et sur le même pied que celui avec lequel le marché fondamental est fait.

Cette liberté de concurrence contient le boulanger principal dans le devoir.

Indépendamment du pain, et pour procurer au peuple diverses subsistances qui varient ses jouissances, ce qui est utile à la santé, et dans les temps de calamité lui fait supporter son infortune, on a établi, à portée des ateliers, des cuisines où l’on accommode, d’une manière économique, différentes espèces de soupes composées de riz et de carottes, de raves, de citrouilles, de fèves et de pommes de terre où l’on a pu s’en procurer.

On a calculé qu’une chopine de cette soupe nourrit à peu près autant et coûte à peu près autant qu’une livre de pain. On en délivre pour des méreaux sur ce pied, et les méreaux rendus par les entrepreneurs de ces cuisines leur sont remboursés de même en argent. Mais on ne rembourserait en argent aucuns méreaux ni aux cabaretiers, ni à aucun particulier, parce que leur objet est d’assurer la subsistance des familles, dans un temps de calamité, contre les dangers de l’inconduite, consolation trop fréquente de la misère habituelle.

On a même le soin de ne délivrer chaque jour, et par forme d’à-compte, que la quantité de méreaux qui suffit pour pourvoir aux besoins physiques des diverses personnes employées sur l’atelier ; et, si une famille laborieuse fait plus d’ouvrage qu’il n’en faut pour sa subsistance, on lui donne à la fin du travail le surplus en argent. Les conducteurs d’ateliers ont pour cela une forme de comptabilité très claire, établie par des registres à colonnes imprimées.

Tous ces arrangements et toutes les précautions nécessaires pour qu’ils s’exécutent avec facilité, simplicité et sûreté, sont développés avec beaucoup de clarté dans une lettre et une instruction circulaires adressées par l’Intendant de Limoges aux subdélégués et aux commissaires des ateliers de charité répandus dans les divers endroits de la Province. Nous n’avons pu voir sans surprise et sans émotion dans cette lettre et cette instruction, qui sont imprimées, jusqu’où s’étend la sagesse attentive, prévoyante et paternelle qui en a dicté tous les détails. Ce que l’on peut imaginer au monde de plus pénible, surtout pour un homme d’un savoir étendu et d’un génie élevé, comme le magistrat qui administre cette province, ce sont les travaux de ce genre. On trouvera cent hommes capables de concevoir et d’exécuter un de ces projets brillants avec lesquels on bouleverse le monde, contre un qui saura empêcher qu’une pauvre famille soit privée de la soupe dont elle a besoin, et que des commis puissent malverser avec les fonds qu’il faut leur confier. Ce sont là les véritables soins de l’administration, ceux dont elle doit être occupée sans cesse, ceux qui sont les plus ignorés, les plus difficiles mêmes à comprendre, ceux qui figurent le moins dans les nouvelles publiques : mais ceux aussi qui sont le plus utiles, qui méritent le mieux la bénédiction des peuples, qui montrent le plus aux sages quel terrible fardeau est attaché aux fonctions publiques pour l’homme de bien éclairé.

VI. — Ordonnance sur la subsistance des pauvres jusqu’à la récolte.

[D. P., VI, 13.]

(Assemblées de charité. — Dénombrement des pauvres. — Étrangers. — Contributions volontaires et contributions d’office. — Pauvres à la charge des propriétaires. — Réclamations possibles.)

Limoges, 1er mars.

De par le Roi, Anne Robert Jacques Turgot, etc.

Étant informé que la modicité des récoltes de l’automne dernier a répandu dans les villes et les campagnes de cette province la misère la plus excessive, et multiplié le nombre des pauvres au point que plusieurs seraient réduits à manquer des choses les plus nécessaires à la vie, s’il n’était incessamment pris des mesures pour assurer leur subsistance par l’application et la répartition la plus juste des secours qu’ils sont en droit d’attendre de la religion et de l’humanité des personnes aisées, et désirant y pourvoir ; vu les ordonnances rendues par nos prédécesseurs dans les chertés de grains qui ont précédemment affligé la généralité, nous ordonnons ce qui suit[10] :

Article I. — Huit jours au plus tard après la réception de la présente ordonnance, il sera convoqué dans chacune des villes, paroisses ou communautés de la Généralité ; savoir, dans les villes, à la diligence des officiers municipaux, et dans les campagnes, à la diligence du syndic en charge ou de celui qui sera nommé par nos subdélégués pour en tenir lieu, une Assemblée générale de charité composée des habitants notables et propriétaires de biens fonds, en présence des curés, des seigneurs, des officiers de justice et de police, et de concert avec eux, pour, par eux et entre eux, être conjointement délibéré sur les mesures les plus propres à assurer la nourriture et la subsistance des pauvres, habitants ou originaires du lieu, et de leurs femmes et enfants hors d’état de gagner leur vie par le travail.

II. — En cas de négligence de la part des syndics à se conformer à ce qui leur est prescrit par l’article ci-dessus, les curés, seigneurs ou officiers de justice, seront autorisés à provoquer lesdites Assemblées, sans préjudice de la punition que nous nous proposons d’infliger aux syndics qui se seraient rendus coupables de cette négligence.

III. — Dans les villes où il y a un corps municipal établi en conséquence de l’Édit du mois de mai 1765, l’on observera dans lesdites Assemblées, entre les différents corps, le même ordre qui s’observe dans les Assemblées générales des notables, conformément à l’article XLII dudit édit, sans préjudice néanmoins de la présidence, qui doit être déférée aux évêques dans les villes de leur résidence.

IV. — Dans les lieux moins considérables, où il n’y a point de corps municipal en règle, et dans les campagnes, les curés présideront aux dites Assemblées de charité.

V. — Tous les habitants aisés résidant dans la ville ou paroisse, tous ceux qui y possèdent des biens fonds, des dîmes ou des rentes, seront tenus d’assister, suivant leurs moyens, les pauvres de la ville ou de la paroisse.

VI. — Il sera loisible aux Assemblées de se déterminer entre les deux manières de pourvoir aux besoins des pauvres, ou par la voie de soumissions purement volontaires, ou par la voie d’un rôle de contributions proportionnées aux facultés de chacun, soit que ces contributions se fassent en argent ou en pain, soit qu’on préfère de donner à chaque habitant aisé un certain nombre de pauvres à nourrir.

VII. — Il sera fait, préalablement à la répartition des contributions, un dénombrement exact des pauvres qui se trouvent dans la communauté, conformément aux Instructions que nous avons rédigées à cet effet, et envoyées dans chaque paroisse.

VIII. — Lesdits états comprendront tous les habitants de la paroisse qui ne peuvent vivre sans les secours de la charité, encore même qu’ils possédassent quelque petit héritage, si, par la discussion des ressources qu’ils peuvent retirer desdits héritages ou de leur travail, ils paraissent être dans l’impossibilité de subsister sans secours.

IX. — Les mendiants étrangers doivent être renvoyés dans les paroisses dont ils sont originaires, en leur fournissant de quoi subsister dans la route, ainsi qu’il est expliqué aux articles 23, 24 et 25 de notre lettre aux curés en date de ce jour.

X. — N’entendons comprendre, sous le nom de mendiants étrangers, les particuliers établis et domiciliés dans la paroisse, non pour y mendier, mais pour y gagner leur vie par le travail, et qui n’ont besoin d’un secours extraordinaire qu’à cause de la cherté actuelle, ou en conséquence d’infirmités qui leur seraient survenues. Les pauvres de cette classe doivent être censés habitants des paroisses, et comme tels y être secourus.

XI. — Les métayers et colons doivent être nourris par les propriétaires des domaines, conformément à notre ordonnance du 28 février dernier[11] ; ils ne seront point compris dans les états des pauvres.

XII. — Dans les paroisses où l’on fera un rôle de contributions, lesdites contributions seront imposées sur tous les habitants aisés résidant dans le lieu, et sur tous les propriétaires de fonds, de dîmes et de rentes, sans distinction de présents ou d’absents, de privilégiés ou non privilégiés, même sur les ecclésiastiques et sur les communautés religieuses, à l’exception des seuls curés et vicaires à portion congrue.

XIII. — Pour former lesdits rôles de contributions, l’on se conformera aux règles qui vont être expliquées.

XIV. — Il sera fait un relevé du revenu des biens fonds, tels qu’ils sont évalués aux rôles des tailles de la paroisse, en observant de n’y comprendre que les corps de domaines, et non les petites propriétés détachées.

XV. — À l’égard des prés et autres héritages détachés, ainsi que des profits de fermes, rentes constituées et autres facultés personnelles, il en sera pareillement fait un relevé, dans lequel ne seront compris que les articles des particuliers taxés à quarante livres de principal de taille et au-dessus ; les facultés au-dessous de ce taux étant dispensées de contribuer. Et les revenus des biens et facultés compris dans ledit relevé seront portés sur le même pied que dans le rôle des tailles.

XVI. — Les revenus des rentes en grains seront évalués sur le pied des fermages, ou à défaut de fermages sur le prix moyen des dix dernières années.

XVII. — Les dimes seront pareillement évaluées sur le produit commun calculé comme celui des rentes, d’après le prix moyen des dix dernières années.

XVIII. — Les contributions charitables seront réparties sur la totalité des revenus, tant sur ceux compris dans les deux relevés, ci-dessus mentionnés aux articles 14 et 15, des corps de domaines et des cotes pour héritages et facultés portant quarante livres de taille et au-dessus, que sur ceux des rentes en argent ou en denrées, et des dîmes, en observant néanmoins de taxer au double les propriétaires de rentes et de dîmes, attendu que ces derniers genres de revenus ne supportent que très peu de charges et de frais, et que les propriétaires de biens fonds, étant d’ailleurs obligés de fournir des secours à leurs cultivateurs, doivent être plus ménagés.

XIX. — Le rôle sera fait, d’après les règles ci-dessus, par celui que la paroisse en chargera, et signé par le curé et les principaux habitants qui savent signer.

XX. — Il sera ensuite adressé à nos subdélégués, pour être par eux vérifié et rendu exécutoire, en vertu du pouvoir que nous leur donnons à cet effet.

XXI. — Le rôle ainsi vérifié sera remis entre les mains du receveur que la paroisse aura choisi et désigné, lequel en fera le recouvrement sur les y dénommés, et ce de mois en mois, la contribution devant être partagée en autant de payements égaux qu’il s’écoulera de mois jusqu’à la récolte. Le premier paiement doit être fait immédiatement après que le rôle aura été arrêté. Seront, au surplus, tous les payements croisés en marge dudit rôle.

XXII. — Les régisseurs ou baillistes seront tenus de fournir, sur les revenus des biens qu’ils régissent ou qu’ils tiennent à bail, la cote-part à laquelle les propriétaires auront été taxés ; à quoi faire ils seront contraints par voie de saisie-arrêt, même d’exécution si besoin est, sauf à se faire rembourser par les propriétaires desdits biens ou revenus, de ladite cotisation, ou à la précompter sur le prix de leurs fermes ou baux judiciaires, d’après les quittances qui leur seront données par le receveur desdites contributions charitables.

XXIII. — Dans les paroisses où l’on aura préféré de distribuer les pauvres entre les différents propriétaires des domaines, de rentes et de dîmes, et de charger ceux-ci de les nourrir, on suivra les mêmes règles prescrites ci-dessus par rapport à la distribution des contributions, c’est-à-dire qu’on ne distribuera des pauvres qu’aux propriétaires de corps de domaines, ou aux habitants dont la cote de taille s’élève à quarante livres et au-dessus ; et qu’à l’égard des propriétaires de rentes et de dîmes, on observera pareillement de leur faire supporter une charge double de celle des autres propriétaires de biens fonds et de facultés.

XXIV. — L’on observera que les pauvres soient distribués, autant qu’il sera possible, dans les villages qu’ils habitent ou dans ceux qui en sont le plus à portée.

XXV. — Seront, les états de distribution des pauvres, arrêtés et signés par le curé et les principaux habitants.

XXVI. — La nourriture qui sera fournie aux pauvres par ceux auxquels ils auront été distribués, ne pourra être au-dessous d’une livre et demie de pain par jour, ou autre aliment équivalent, pour chaque pauvre au-dessus de l’âge de seize ans, et à proportion pour les âges au-dessous.

XXVII. — Ceux auxquels les pauvres auront été ainsi distribués, pourront exiger que les pauvres valides auxquels ils fourniront la subsistance travaillent pour eux, à la charge néanmoins de leur donner en forme de supplément un salaire de trois sous par jour.

XXVIII. — Les propriétaires absents seront tenus de passer en compte à leurs métayers le grain nécessaire à la nourriture des pauvres qui leur auront été distribués. Les propriétaires de dîmes et de rentes absents, seront pareillement tenus de passer en compte à leurs fermiers ou régisseurs la dépense que ceux-ci auront faite pour nourrir les pauvres.

XXIX. — En cas que quelques-uns des particuliers fissent difficulté de fournir la nourriture aux pauvres qui leur auront été assignés par état de distribution, ils y seront contraints, soit par saisie-exécution, soit par voie de garnison, à la diligence du syndic et sur les exécutoires que nous autorisons nos subdélégués et même le juge le plus prochain à décerner par provision.

XXX. — Seront pareillement contraints ceux qui refuseront de satisfaire aux cotisations auxquelles ils auront été portés dans les rôles, à la diligence du receveur nommé par la paroisse, soit par voie de saisie-exécution, soit par établissement de garnison ; et ce, sur les ordonnances de nos subdélégués.

XXXI. — Les actes relatifs auxdites poursuites pourront être faits par le ministère de tous les huissiers et sergents, soit royaux ou seigneuriaux, ou des simples huissiers aux tailles ; autorisons même les huissiers de justices seigneuriales à exploiter, pour cet objet seulement, hors de l’étendue des juridictions aux greffes desquelles ils sont immatriculés.

XXXII. — Seront aussi tous actes relatifs à la subsistance des pauvres et à l’exécution de notre présente ordonnance, écrits sur papier non timbré, et affranchis de la formalité du contrôle et scel.

XXXIII. — Les oppositions et plaintes en surcharges, tant contre lesdits rôles de contributions que contre les états de distribution des pauvres, si aucune il y a, et généralement toutes contestations relatives à l’exécution desdits rôles et états, seront portées devant nos subdélégués, que nous autorisons à y statuer par provision ; sans préjudice aux parties qui se croiraient lésées de nous faire leurs représentations, sur lesquelles nous nous réservons de statuer définitivement, sauf l’appel au Conseil. Et seront les ordonnances rendues par nos subdélégués, exécutées par provision, nonobstant tout appel ou opposition quelconques.

XXXIV. — Ne seront au surplus admises lesdites oppositions ou plaintes en surcharges, si au préalable l’opposant ou plaignant ne justifie avoir satisfait au premier payement de la taxe, ou avoir fourni la nourriture aux pauvres qui lui auraient été distribués.

XXXV. — Autorisons en outre nos subdélégués à statuer pareillement sur les contestations qui pourraient survenir relativement à la validité ou invalidité des délibérations qui auraient été prises dans les paroisses, ainsi qu’à ordonner la tenue de nouvelles assemblées en leur présence ou en celle de personnes par eux commises à cet effet, dans le cas où les premières Assemblées ne se seraient pas conformées aux dispositions de notre présente ordonnance, ou n’auraient pas suffisamment pourvu aux besoins des pauvres. Seront pareillement les ordonnances par eux rendues à cet égard exécutées par provision, nonobstant appel ou opposition quelconque, sans préjudice aux parties de nous faire leurs représentations, sur lesquelles nous nous réservons de statuer définitivement, sauf l’appel au Conseil.

XXXVI. — Les mesures qui doivent être prises en exécution de notre présente ordonnance devant assurer partout la subsistance des pauvres, et ôter, par conséquent, tout prétexte à la mendicité, il sera en conséquence défendu, conformément aux ordres à nous adressés par le Conseil, à toute personne de mendier, même dans le lieu de son domicile, à peine d’être arrêtée et poursuivie suivant la rigueur des ordonnances et déclarations du Roi. Et seront les ordres et instructions par nous adressés à cet effet, tant à nos subdélégués qu’à la maréchaussée, mis à exécution dans chaque paroisse, dans le délai de quinze jours, après qu’il aura été pourvu à la subsistance des pauvres, ainsi qu’il est prescrit par la présente ordonnance.

Mandons à nos subdélégués de tenir la main à l’exécution de notre présente ordonnance, laquelle sera lue et publiée sans délai dans chaque paroisse en la forme ordinaire.

VII. — Circulaire aux subdélégués envoyant l’Ordonnance du 1er mars.

[D. P., VI, 27].

Limoges, 3 mars.

L’Ordonnance et les différentes Lettres et Instructions que je vous envoie, M., vous donneront une idée exacte du plan général auquel je me suis arrêté pour assurer la subsistance des pauvres.

L’Instruction est principalement relative au système des offres purement volontaires et contient des détails assez compliqués qui paraissent être plus propres aux villes et aux lieux considérables. Je sens que, dans la plus grande partie des paroisses de campagne, on sera forcé de choisir les moyens les plus simples pour remplir les mêmes vues.

J’ai tâché de rassembler dans l’Ordonnance toutes les parties de l’opération et d’y donner en même temps des règles précises et d’une application qui ne soit pas trop difficile dans la pratique. J’ai cru devoir y joindre une nouvelle Lettre pour les curés, datée aussi du 1er mars, et qui forme une seconde Instruction plus sommaire que la première.

J’y ai joint, comme à la précédente, des tableaux à colonnes en blanc destinés à former les états des pauvres de la campagne, et d’autres un peu plus compliqués pour former les états des pauvres des villes, dans lesquelles il m’a paru que l’opération exigeait de plus grands détails. Quelques-uns de ces états ou tableaux sont remplis fictivement, afin de donner à MM. les curés une idée plus nette de l’opération pour laquelle je demande leur coopération et celle des Bureaux de charité.

Je suppose que les curés auront soin de faire connaitre mon Ordonnance et d’avertir les syndics de convoquer les Assemblées. Je vous prie de veiller avec attention à ce que ces Assemblées se tiennent partout. Si l’on négligeait d’exécuter mon Ordonnance, il serait nécessaire que vous les fissiez indiquer de votre autorité, et, même s’il en était besoin que vous vous transportassiez sur les lieux, ou que vous commissiez quelqu’un à votre place pour faire tenir les Assemblées en sa présence.

Comme il se peut que les curés ne soient pas également disposés partout à concourir au succès d’un travail pourtant si nécessaire, et comme on doit même prévoir que quelques-uns peuvent éprouver des obstacles de la part de leurs habitants, il faudra y suppléer, si le cas se présente, en engageant ou le seigneur, ou quelque personne notable qui possède la confiance de la paroisse, à prendre le soin de diriger les opérations relatives au soulagement des pauvres.

Je vous envoie par cette raison, outre les paquets destinés aux curés, un assez grand nombre d’exemplaires, tant de la Lettre que je leur écris, que de l’Instruction et de mon Ordonnance, afin que vous puissiez en distribuer aux principaux seigneurs ou gentilshommes de votre subdélégation qui résident dans les paroisses de la campagne, et que vous croirez disposés à faciliter l’opération par leurs soins. Je présume, au reste, que dans le plus grand nombre des paroisses les curés eux-mêmes leur communiqueront mes Instructions, ainsi que je les en prie par ma lettre du 1er mars.

Dans les villes, c’est aux officiers municipaux que mes lettres et instructions doivent être remises, puisque c’est à eux à convoquer les assemblées ; mais il est convenable que vous donniez aussi connaissance de toute l’opération aux principaux officiers des juridictions, en leur remettant un exemplaire de l’Ordonnance et de mes Instructions. Je ne doute pas qu’ils ne se fassent un plaisir de concourir à l’objet que je me suis proposé, et de donner l’exemple aux autres citoyens.

Vous verrez, par la lecture de mon Ordonnance, que tout ce qu’il peut y avoir de contentieux dans l’opération, tout ce qui peut y exiger l’intervention de l’autorité, roulera entièrement sur vous. Je sens que ce sera un détail fatigant ; mais j’ai compté sur votre zèle dans une occasion aussi intéressante pour l’humanité.

J’ai cru devoir aussi, dans le cas prévu par l’article 29 de cette Ordonnance, autoriser même les premiers juges sur ce requis à décerner à votre défaut les contraintes pour obliger les particuliers refusant de nourrir les pauvres qui leur auraient été distribués, à leur fournir du moins la subsistance par provision, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. Il y a des paroisses très éloignées de la résidence du subdélégué, et il serait à craindre qu’avant que celui-ci eût pu rien statuer, les pauvres ne demeurassent sans ressources : j’ai pensé que toute autorité était bonne pour pourvoir à un besoin aussi pressant.

Il me semble avoir donné, dans les articles 8 et suivants jusqu’à l’article 19, des règles si précises sur la manière dont les contributions doivent être réparties, que vous aurez peu de peine, soit à en vérifier les rôles, soit à statuer sur les plaintes en surcharge. Il vous suffira le plus souvent de consulter les rôles des tailles.

Quant aux exécutoires pour procéder, soit par voie de saisie-exécution, soit par établissement de garnison pour contraindre les refusants, vous les décernerez sur la requête, ou des Assemblées de charité, ou des curés, ou des syndics des pauvres, si les paroisses en choisissent.

Ce qui vous embarrassera le plus sera de décider sur toutes les altercations qui s’élèveront vraisemblablement dans beaucoup de paroisses à cette occasion. Je m’attends bien que partout il y aura des plaintes, les uns trouvant qu’on a trop restreint le nombre des pauvres, les autres, qu’en l’étendant trop, on a trop grevé les aisés. Les présents voudront presque partout se décharger de la plus grande partie du fardeau sur les absents. Souvent ceux qui ont quelque pouvoir en abuseront pour se dispenser de contribuer, et peut-être il y aura bien des paroisses où l’on ne voudra prendre aucune résolution. Il m’est impossible de vous prescrire des règles fixes pour tous ces cas ; je dois m’en rapporter à votre zèle et à votre prudence ; je vous exhorte, en général, à ne rien épargner pour terminer ces divisions par voie de conciliation. Le plus souvent, vous y parviendrez en vous transportant sur les lieux, ou en chargeant quelqu’un de confiance de s’y rendre en votre nom, ainsi que vous y êtes autorisé par l’article 30 de mon Ordonnance[12]

VIII. — Ordonnance suspendant les droits de timbre et autres pour les opérations des Bureaux de charité[13].

[D. P., VI, 34.]

7 mars.

De par le Roi Anne Robert Jacques Turgot, etc.

Nous ayant été exposé par le sieur lieutenant général de la sénéchaussée de Limoges, que, dans les différentes contestations qui s’élèvent sur l’exécution de l’Arrêt du Parlement de Bordeaux du 17 janvier dernier relatif à la subsistance des pauvres, les Bureaux de charité établis en chaque paroisse, lorsqu’ils sont forcés de faire des actes aux différents particuliers qui refusent de se soumettre aux répartitions par eux faites, font écrire ces actes sur du papier marqué, les font revêtir de la formalité du contrôle, et se servent quelquefois d’huissiers royaux, quoiqu’éloignés de leurs paroisses, sous prétexte que ces actes doivent être faits hors de l’étendue des juridictions seigneuriales aux greffes desquelles les sergents sont immatriculés ; Que, de toutes ces circonstances, il résulte des frais d’autant plus préjudiciables, que, dans une opération momentanée et nécessairement précipitée, il n’est pas possible qu’il ne se soit fait plusieurs injustices involontaires ; que ceux qui éprouvent ces injustices seraient trop à plaindre, s’ils étaient obligés de payer des frais qu’ils n’auraient pas mérités ; qu’il ne semble pas juste non plus de faire tomber ces frais sur les bureaux de charité, composés d’honnêtes citoyens qui n’ont que des vues louables et qui peuvent facilement être trompés sur une multitude de faits et de discussions qu’entraîne l’opération à laquelle ils se livrent pour soulager les malheureux ; qu’en conséquence il croit devoir nous représenter la nécessité d’obvier à ces inconvénients, en autorisant les Bureaux de charité et les juges des lieux, ainsi que les sénéchaux, à faire usage de papier non timbré dans tous les actes relatifs à la subsistance des pauvres et à l’exécution dudit Arrêt du Parlement, du 17 janvier dernier ; comme aussi en déchargeant lesdits actes et ordonnances de la formalité du contrôle et du scel, et finalement en autorisant les sergents des juridictions seigneuriales à exploiter dans cette partie, même hors de leur juridiction ;

Vu lesdites représentations, et considérant qu’en effet on ne peut trop s’occuper du soin de décharger de tous frais inutiles une opération aussi intéressante que la répartition des contributions charitables destinées dans chaque paroisse à la subsistance des pauvres ; que ces motifs ont déjà déterminé le Parlement de Bordeaux à statuer que toutes les ordonnances rendues sur cette matière seraient purement gratuites ; que les vues de cette Cour ne seraient qu’imparfaitement remplies à cet égard, si les différents actes pour l’obtention et l’exécution de ces ordonnances demeuraient assujettis à des formalités dispendieuses ; qu’enfin les droits du Roi et les intérêts de l’adjudicataire des fermes ne souffriront aucune lésion, puisqu’il s’agit uniquement de la répartition d’une contribution de charité, laquelle ne peut être regardée comme faisant partie du cours ordinaire des actes relatifs aux intérêts des particuliers, ou à l’administration de la justice ; que, par conséquent, il y a lieu de croire que cet adjudicataire ne fera aucune difficulté de se prêter à un arrangement aussi avantageux aux pauvres ; attendu, en outre, que les motifs des dites représentations sont également applicables à toutes les parties de la province

Nous autorisons les Bureaux de charité et les juges des lieux, ainsi que les sénéchaux, à faire usage de papier non timbré dans tous les actes relatifs à la subsistance des pauvres et à l’exécution de l’Arrêt du Parlement de Bordeaux du 17 janvier dernier ; comme aussi dispensons les dits actes et ordonnances de la formalité du contrôle et du scel, et finalement autorisons les sergents des juridictions seigneuriales à exploiter, pour cet objet seulement, même hors de l’étendue des juridictions aux greffes desquelles ils sont immatriculés. Le tout néanmoins par provision et tant qu’il n’en sera autrement ordonné par le Conseil.

IX. — Ordonnance imposant aux propriétaires de nourrir leurs métayers jusqu’à la récolte.

[D. P., VI, 8.]

Limoges, 28 février.

De Par le Roi.

Anne Robert Jacques Turgot, etc…

Sur ce qui nous a été représenté par les bureaux de charité, déjà établis dans différentes paroisses de cette généralité pour subvenir aux besoins des pauvres, que plusieurs propriétaires de fonds ont été engagés, par la modicité de leurs récoltes et la cherté actuelle des grains, à renvoyer une partie de leurs métayers ou colons, ne voulant pas suppléer à l’insuffisance de la portion desdits métayers dans la dernière récolte et fournir à leur subsistance dans le cours d’une année aussi malheureuse ; que ces métayers ou colons, ainsi abandonnés par leurs maîtres et dénués de toute ressource, sont réduits, eux et leur famille, à la plus grande misère, et contraints à quitter le pays, abandonnant leurs femmes et leurs enfants à vivre de charité[14], ce qui augmente à l’excès la charge des habitants, obligés de se cotiser pour subvenir à la nourriture des pauvres déjà trop nombreux ; que la réclamation desdits habitants contre cette surcharge est d’autant plus juste, que, conformément à nos instructions et aux règles par nous prescrites sur la répartition des contributions pour le soulagement des pauvres, les propriétaires des biens-fonds n’ont été taxés qu’à la moitié de ce que supportent les propriétaires de rentes et de dîmes, et ce en considération de ce que ceux-ci n’ont point de colons dont la nourriture soit à leur charge ; que lesdits propriétaires de biens-fonds partageant avec tous les citoyens aisés l’obligation qu’imposent la religion et l’humanité de soulager les pauvres, cette obligation devient plus stricte encore, et semble appartenir plutôt à la justice qu’à la charité, lorsqu’il s’agit d’un genre de pauvres avec lesquels ils sont liés par des rapports plus particuliers fondés sur les services mêmes qu’ils sont dans l’habitude d’en recevoir ; que ces pauvres, au moment où la misère les a frappés, s’épuisaient par les plus durs travaux à mettre en valeur les biens de leurs maîtres, lesquels doivent à ces travaux tout ce qu’ils possèdent ; qu’à ces motifs d’humanité et de justice se joint, pour les propriétaires, la considération de leur véritable intérêt, puisque la mort ou la fuite des cultivateurs, l’abandon et l’anéantissement de leurs familles, suites infaillibles de la situation à laquelle ils seraient réduits, priveraient leurs maîtres des moyens de tirer de leurs terres un revenu qu’elles ne peuvent produire que par le travail ; que cet intérêt, dont la voix devrait être si puissante sur les particuliers, est en même temps de la plus grande importance pour le public et pour la Province, qui, par la dispersion de la race des cultivateurs, souffrirait l’espèce de dépopulation la plus désastreuse et la plus terrible dans ses conséquences, pour la Province, qui, privée des seules ressources qui lui restent pour réparer ses malheurs par les travaux des années à venir, perdant, faute de bras, l’avantage des saisons les plus favorables, serait longtemps dévouée à la stérilité, et verrait se perpétuer d’année en année les maux accablants sous lesquels elle gémit ; et nous ayant paru aussi juste qu’intéressant, pour le soutien de la culture et l’avantage de l’État, d’avoir égard auxdites représentations :

À ces causes, nous ordonnons que les propriétaires de domaines, de quelque qualité ou condition qu’ils soient, privilégiés ou non privilégiés, seront tenus de garder et nourrir jusqu’à la récolte prochaine les métayers et colons qu’ils avaient au 1er octobre dernier, ainsi que leurs familles, hommes, femmes et enfants. Ordonnons à ceux qui en auraient renvoyé de les reprendre dans la huitaine du jour de la publication de la présente ordonnance, ou d’autres en même nombre, à peine d’être contraints à fournir, ou en argent ou en nature, à la décharge des autres contribuables de la paroisse, la subsistance de quatre pauvres, par chacun de leurs métayers ou colons qu’ils auraient congédiés et non remplacés. Enjoignons aux syndics, collecteurs et principaux habitants de chaque paroisse de nous avertir, ou notre subdélégué le plus prochain, des contraventions qu’ils apprendraient avoir été faites à notre présente ordonnance, laquelle sera lue, publiée et affichée partout où besoin sera. Mandons à nos subdélégués d’y tenir la main.

X. — Lettre au Chancelier[15] en vue d’obtenir que le paiement des rentes stipulé en grains ne puisse être exigé en argent à des prix de disette[16].

[A. N. K 908, minute. — D. P., VI, 61.]

Limoges, 14 mai.

Mgr, la disette et la cherté excessive des subsistances rendant la charge des rentes en grains assises sur presque tous les héritages de cette province accablante pour les propriétaires, le Parlement de Bordeaux a jugé à propos de rendre un Arrêt de règlement pour ordonner que les arrérages des rentes en grains de toute espèce, dus pour l’année 1769, se payent sur le prix commun que les grains ont valu pendant le cours du mois d’août 1769, ou pendant les deux marchés les plus voisins du temps de l’échéance de ces rentes.

Je crois devoir vous faire passer l’exemplaire de cet arrêt[17] que M. le procureur général vient de m’envoyer. Quoique cette matière semble appartenir à la législation, ce magistrat s’est cru autorisé, par la Déclaration du 8 octobre 1709, à requérir cet arrêt, cette déclaration ayant laissé à la prudence des Cours de parlements de pourvoir, par des règlements convenables et appropriés aux différents usages des lieux et à la quotité de la récolte, à la manière de payer les cens et rentes en grains. Il est certain qu’on ne peut qu’applaudir aux motifs qui ont engagé M. Dudon à faire rendre cet arrêt, et à la sagesse de ses dispositions. J’ose même dire que les circonstances rendaient ce règlement absolument nécessaire, et que la même nécessité a lieu pour les parties de ma généralité situées dans le ressort du Parlement de Paris, et même pour quelques provinces voisines. J’avais, de mon côté, réfléchi sur cet objet, et j’avais pensé à vous proposer de faire rendre une déclaration dans les mêmes vues que le Parlement de Bordeaux a rendu son arrêt ; mais, ayant eu connaissance du travail de M. Dudon, j’ai préféré d’en attendre le résultat pour vous proposer simplement d’en adopter les dispositions, si vous les approuvez.

Je pense qu’en effet il est indispensable de venir au secours des censitaires, dont le plus grand nombre serait entièrement ruiné, si les redevances en grains pouvaient être exigées d’eux sur le pied de la valeur actuelle des grains. Je dois observer à ce sujet que ces sortes de redevances sont d’une tout autre importance dans la plupart des provinces méridionales que dans les provinces riches, telles que la Normandie, la Picardie et les environs. Dans ces dernières provinces, la principale richesse des gros propriétaires consiste dans le produit même des terres, qui sont réunies en grands corps de ferme, et dont le propriétaire retire un gros loyer. Dans les terres les plus considérables, les rentes seigneuriales ne forment qu’une très modique portion du revenu, et cet article n’est presque regardé que comme honorifique. Dans les provinces moins riches et cultivées d’après des principes différents, les seigneurs et les gentilshommes ne possèdent presque point de terres à eux ; les héritages, qui sont extrêmement divisés, sont chargés de très grosses rentes en grains, dont tous les co-tenanciers sont tenus solidairement. Ces rentes absorbent souvent le plus clair du produit des terres, et le revenu des seigneurs en est presque uniquement composé. Cette observation vous fera sentir, Mgr, la justesse des réflexions de M. le Procureur général sur le malheureux sort des censitaires dans l’état de disette où est la Province.

Le remède qu’il propose d’y appliquer, et que le Parlement a adopté par son Arrêt, me paraît tout à la fois le plus simple et le plus juste dans la circonstance : il consiste à ordonner que les rentes ne pourront être exigées que sur le prix moyen des marchés les plus voisins de l’échéance des rentes ou prestations. La disposition qui a pour objet d’annuler tous les actes, commandements et saisies, même les contrats et obligations portant promesse de payer les redevances sur un pied plus haut que celui fixé par l’Arrêt, est une suite de la première, et nécessaire pour ôter les moyens d’éluder celle-ci.

Peut-être le Parlement aurait-il pu mettre à son Arrêt une modification en faveur des seigneurs relativement aux rentes assises sur les moulins. Il est certain que les meuniers, dont le salaire se paye en nature sur le pied du seizième des grains qu’ils réduisent en farine, ont prodigieusement gagné à la cherté des grains, et qu’ils ne seraient donc aucunement lésés en payant à leur seigneur, sur le pied de la valeur actuelle, le grain qu’ils ont eux-mêmes perçu sur le pied de cette valeur. Si vous vous déterminez à faire rendre une Déclaration uniquement relative à la circonstance actuelle, et pour les seules provinces qui ont souffert de la disette, vous ferez vraisemblablement usage de cette observation.

Mais je vous avoue, Mgr, qu’il me paraîtrait utile d’aller plus loin, et de donner une loi dont les dispositions, s’étendant à tout le Royaume et à tous les temps, prévinssent dans tous les cas l’inconvénient auquel le Parlement de Bordeaux a voulu pourvoir dans le cas particulier. Rien ne me paraît plus simple et plus juste que d’établir en loi générale la règle que les redevances en denrées ne puissent être exigées sur un pied plus haut que la valeur de ces denrées à l’époque où les rentes sont échues. Cette règle est déjà établie dans plusieurs provinces en vertu d’usages locaux confirmés par des arrêts particuliers ; elle serait partout avantageuse aux censitaires, dont le sort serait fixe, sans être préjudiciable aux seigneurs, dont la recette serait toujours réglée par le prix commun des grains, les bonnes années compensant toujours les mauvaises dans le cours ordinaire des choses. Je ne pense donc pas que ce règlement pût souffrir aucune difficulté fondée.

Je pense même qu’en se renfermant dans cette disposition unique, la loi nouvelle ne serait pas assez favorable aux censitaires, et ne préviendrait point assez sûrement dans tous les cas l’excessive aggravation de leur fardeau par le manque de récoltes. En effet, il est très possible que l’époque où les rentes échoient soit précisément celle de l’année où les grains sont le plus chers, et alors le redevable perdrait à la fixation. Par exemple, l’échéance des rentes en Limousin tombe communément au mois d’août. Cette année, il est avantageux aux censitaires de payer suivant la valeur des grains à cette époque ; quoique la récolte ait été très modique, la disette ne s’étant déclarée qu’après la perte totale des récoltes de la Saint-Michel, qui forment le plus grand fond de la subsistance du peuple dans les années ordinaires. Mais, dans d’autres provinces, où la récolte des froments et des seigles est presque la seule, ainsi que dans les années où c’est cette récolte qui manque totalement, comme dans la fameuse année 1709, le moment même de la récolte est celui où l’on aperçoit le vide des subsistances, où l’alarme se répand, où les grains se resserrent, et où leur prix s’élève tout à coup à un taux exorbitant ; il est évident qu’alors la fixation du payement des redevances sur le pied du prix courant lors de l’échéance deviendrait très défavorable au censitaire qui resterait soumis à l’augmentation ruineuse dont il paraît juste de le garantir.

Il y a, ce me semble, un moyen de prévenir pour toujours cet inconvénient, sans que les seigneurs puissent se plaindre. Il suffirait d’ordonner que, lorsque le prix des grains serait monté plus haut que la moitié en sus du prix moyen des dix dernières années, la rente ne pourrait être exigée qu’en argent, et ne pourrait l’être sur un pied plus fort que le prix moyen en y ajoutant la moitié en sus. Ainsi, en supposant que le prix moyen du froment soit de 20 livres le setier de Paris, lorsqu’il montera à plus de 30 livres à l’époque de l’échéance, le censitaire ne pourra être tenu de payer qu’en argent et sur le pied de 30 livres le setier. Je crois que personne ne pourrait se plaindre de cette fixation, qui laisserait le seigneur et le censitaire profiter tour à tour de toute l’étendue des variations que le cours naturel d’un commerce libre peut apporter au prix des grains. Un prix plus fort passe cette limite, et peut être regardé comme une circonstance extraordinaire et comme un commencement de disette. Or, dans les temps de disette, il est humain et même juste que la loi vienne au secours du censitaire accablé de tous côtés ; le propriétaire de la rente, que la cherté enrichit, ne pourrait, sans montrer une avidité odieuse, prétendre tirer de la cruelle circonstance où se trouve son tenancier un profit encore plus exorbitant. C’est à votre prudence, Mgr, à peser les avantages que je crois voir dans la loi que je prends la liberté de vous proposer.

Dans le cas où vous vous y détermineriez, je ne crois pas qu’il fût nécessaire d’y insérer la modification dont j’ai eu l’honneur de vous parler relativement aux rentes assises sur des moulins. Cet objet, envisagé sous le point de vue d’une loi générale, me paraît perdre de son importance, et ne pas mériter qu’on rende la loi plus compliquée par une exception. On doit prévoir que, par une suite de la liberté rendue au commerce des grains, l’usage de payer les meuniers en nature s’abrogera, et qu’on y substituera celui de les payer en argent. Alors leur sort ne sera point amélioré par la cherté des grains, et il n’y aura aucune raison de les traiter plus défavorablement que les autres censitaires.

Mais il serait toujours indispensable de joindre aux deux dispositions qui composeraient la loi générale, une disposition particulière relative au moment actuel, pour annuler, ainsi que l’a fait le Parlement de Bordeaux, tous les actes déjà faits depuis la cherté de 1769, pour obliger les  censitaires à payer sur le pied de l’excessive valeur actuelle des grains.

Si vous vous bornez à une Déclaration particulière, momentanée et locale, il paraît juste de l’étendre aux provinces qui ont souffert cette année de la disette. Je ne suis pas assez instruit de l’état des provinces circonvoisines pour pouvoir vous tracer la limite des cantons affligés ; mais sans doute les Avis que les différents intendants ont envoyés à M. le Contrôleur général vous donneront toutes les lumières que vous pourrez désirer sur ce point de fait.

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[1] Les assemblées tenaient leurs séances à l’Intendance ; le nombre des laïcs y dépassait celui des membres du clergé (Leroux, Inventaire, CXLII).

[2] Sur la liste de souscription s’inscrivirent :

L’évêque de Limoges.                                    500 livres par mois.

Turgot                                                            500 livres    —   —

Roulhac                                                         240 livres    —   —

L’abbé de Montesquiou                                 78 livres      —   —

(A. H. V., C. 361).

[3] Voir ci-dessous, p. 243.

[4] Cette Instruction générale était accompagnée d’une Instruction particulière sur différentes manières peu coûteuses de préparer le riz, contenant :

1° La préparation générale du riz, ou la manière de le laver, de le faire cuire et renfler sur le feu, quelque préparation ultérieure qu’on veuille lui donner ; 2° celle du riz au lait ; 3° celle du riz au beurre ou à la graisse ; 4° celle du riz au bouillon ; 5° celle de la crème de riz pour les malades ; 6° celle du riz à la viande ; 7° celle de la soupe au riz et au pain, préparée à la graisse ou au beurre ; 8° celle de la soupe au riz et au pain, préparée avec le lait ; 9° celle du riz économique, telle qu’elle était établie, dès l’année 1768, à la paroisse Saint-Roch, à Paris, par les soins du Dr Sallin.

C’était une soupe au riz, au pain, aux pommes de terre et aux légumes, de la nature de celles que fit distribuer (sous le premier Empire) la Société Philanthropique de Paris, et qui ne revenait pas plus cher alors. Cette espèce de soupe n’a pu être améliorée pour la qualité, qui était excellente ; mais les lumières d’un savant étranger (Ruhmkorff), qui s’en est spécialement occupé depuis, et qui, en l’adoptant, lui a donné son nom, ont procuré pour sa confection de l’économie dans le combustible.

10° Celle du riz pour les petits enfants, telle qu’on la faisait aussi sur la paroisse Saint-Roch ; 11° celle de la bouillie au riz.

Toutes ces Instructions étaient suivies de l’indication des divers marchands ou négociants chez lesquels on pouvait trouver du riz dans les principales villes de la Province.

Turgot joignit à l’Instruction sur ces préparations du riz une autre Instruction sur la culture des pommes de terre à la manière irlandaise, et suivant les deux méthodes usitées en France. Il détaillait et développait, dans cette Instruction, les différents usages de cette racine bulbeuse, et les avantages de sa culture. Il indiquait aussi les dépôts où l’on en trouverait, tant pour la consommation, que pour la plantation, que l’on avait encore tout le temps de faire.

On voit combien de précautions avaient été prises avec une très sage prévoyance et une prodigieuse activité, sans tourmenter le Gouvernement, sans effrayer la Province (Du Pont).

[5] La reproduction de cet extrait serait sans intérêt.

[6] Ci-dessus, p. 220.

[7] Nous n’avons pu retrouver ni cette lettre du 25 octobre 1768, ni l’instruction qu’elle accompagnait (Du Pont).

[8] Nous n’avons pas cette Instruction particulière (Du Pont).

[9] Les Instructions générales rédigées par Turgot pour la formation des ateliers de charité n’ont pas été retrouvées. Mais Du Pont en avait fait pour les Éphémérides du Citoyen un résumé qui a été inséré dans le volume II, de 1772, et qu’il a reproduit dans les Œuvres de Turgot en le modifiant un peu.

On trouve en même temps, dans les Éphémérides, une lettre signée : Treilhard, de la Société d’agriculture de Brive, et signalant que le maréchal prince de Soubise, propriétaire du duché de Ventadour, avait donné 6 000 livres en 1771, et autant en 1772, soit le quart du revenu de ses terres dans la province du Limousin, pour être employées aux Ateliers de charité, sur les routes nouvelles entre le Limousin et l’Auvergne.

[10] Nous avons vu combien Turgot aimait à porter les hommes vers le bien public en excitant leur moralité et en invoquant leur raison. Il a presque toujours commencé par dire ce qui était à faire ; il se plaisait à développer comment et pourquoi… Les ordres mêmes, disait-il, doivent être semés en terre préparée…

Ses Instructions étaient répandues dans la Province ; elles étaient l’objet de toutes les conversations ; elles avaient porté la consolation chez le peuple et animé le zèle de ceux qui pouvaient concourir à leur exécution ; cette exécution même était commentée dans la plupart des paroisses. Il les rendit, par son ordonnance, positivement obligatoires dans les paroisses où l’on ne s’y conformait qu’avec lenteur.

Les boulangers de Limoges, pendant la cherté, voulurent augmenter le prix du pain au-dessus de la proportion qu’indiquait le prix du blé. Turgot suspendit le privilège exclusif, en permettant à tout le monde d’apporter et de vendre du pain dans cette ville. Il en arriva de toutes parts. On en fit pour Limoges jusqu’à Saint-Junien, qui en est éloigné de 5 grandes lieues, et la proportion du prix fut rétablie à l’instant (Du Pont, Mémoires, 99).

[11] Voir ci-dessous, p. 243.

[12] Le surplus de la circulaire rappelle celle du 16 février. — Une circulaire analogue fut envoyée aux curés (Du Pont).

[13] Tous les travaux dont on vient de rendre compte et de publier les principales pièces, avaient organisé les Bureaux de charité. Mais, dans leurs opérations, ils rencontrèrent la fiscalité, qui exigeait que leurs actes fussent sur papier timbré, et qui les soumettait au contrôle. Ils trouvèrent encore les privilèges des officiers ministériels immatriculés dans les juridictions royales : dépense et retard, fondés néanmoins sur des lois financières et sur l’organisation des tribunaux.

Tout intendant aurait senti, comme Turgot, que cette fiscalité et ces formes, ces privilèges qui tenaient originairement à une autre fiscalité, étaient, dans une telle circonstance, tout à fait contraires aux intentions du Gouvernement qui, loin de vouloir tirer un revenu de la calamité publique, se portait généreusement à des sacrifices considérables pour en alléger les maux. Il n’en était presque aucun qui ne se fût hâté de le représenter au ministre des finances et au chancelier, et n’eût sollicité à cet égard la décision du Conseil, puis les ordres du Roi. Tous auraient cru devoir les attendre. Nul autre que Turgot n’aurait osé suspendre provisoirement l’effet de deux lois, l’une fiscale, l’autre judiciaire, parce qu’elles absorbaient une partie des fonds et ralentissaient les efforts de la charité. Il est même très vraisemblable que tout autre aurait été blâmé de l’avoir pris sur lui. Mais Turgot ne craignait jamais de faire ce qui était évidemment utile. Le poids de sa vertu et celui de son caractère empêchaient qu’on lui reprochât d’y avoir mis de la célérité. Il est vrai qu’il avait à son appui, au Conseil d’État et auprès des deux ministres, la vertu non moins grande et les lumières de MM. Trudaine père et fils. La seule précaution qu’il prit fut de se faire représenter le fait par le lieutenant-général de la sénéchaussée (Du Pont).

Trudaine père mourut en janvier 1769 ; il restait Trudaine de Montigny.

[14] Turgot avait prévu ce danger dans son Avis sur la taille pour 1770, ci-dessus p. 48.

[15] Maupeou.

[16] La plupart des terres de la Généralité de Limoges étaient accensées par les seigneurs pour des rentes en grains. Les grains manquaient absolument, même à la subsistance des cultivateurs. Il était donc impossible à ceux-ci d’en fournir pour leurs rentes, quand ils n’en avaient pas pour leur pain. Les seigneurs exigeaient alors qu’on acquittât en argent les rentes que l’on ne pouvait pas payer en nature et ils estimaient ces rentes d’après le prix qu’avait momentanément au marché la quantité de grains qui leur était due.

Ce prix était porté par la disette au quadruple des prix ordinaires. Il s’ensuivait donc que les seigneurs et les autres propriétaires de rentes en grains se faisaient un titre de la calamité générale et de la souffrance universelle pour quadrupler leur revenu…

La rigueur de la loi, le fardeau qu’elle imposait, étaient aggravés par les poursuites judiciaires, et l’étaient encore dans un grand nombre de communes par la solidarité entre les censitaires que prononçait le titre primitif, et qui donnait au seigneur le droit de ruiner, à son gré, ce qui restait de possesseurs un peu à leur aise dans chaque paroisse.

Heureusement, il y avait alors au Parlement de Bordeaux, et dans les fonctions qui donnaient le plus d’influence, un magistrat d’un rare mérite, Dudon, procureur général. Nous avons vu la justice qu’il rendait à Turgot. Ils avaient presque en tout les mêmes principes… Ils s’appuyèrent sur une Déclaration du 8 octobre 1709, qui, dans un cas à peu près semblable, s’en était référé à la sagesse des Parlements pour ordonner ce qu’exigeraient les circonstances locales. Dudon demanda, justifia, obtint un arrêt du Parlement qui réglait, pour l’année 1770, le payement en argent des rentes de l’année 1769, dues en grains, en conciliant les droits comme les intérêts des propriétaires et de leurs débiteurs. Turgot se chargea d’exposer au Chancelier les raisons qui avaient rendu cette mesure indispensable, et de lui demander qu’elle fût étendue à la partie de la Province qui ressortissait du Parlement de Paris.

Le bien se trouva fait plus sûrement et plus vite que si l’on se fût borné à solliciter de loin une décision du Conseil d’État, qui apportait toujours, a ce qui touchait à la législation, une sage lenteur, que ne comportait point la conjoncture… (Du Pont.)

[17] Cet arrêt du 8 mars 1770 porte que les arrérages des rentes en grains de toute espèce, soit que lesdites rentes soient directes, seigneuriales ou simples prestations et redevances foncières, dues pour l’année 1769, seront payées pour le Limousin sur le prix commun que lesdits grains auront valu pendant le cours du mois d’août 1769 et pour le Périgord sur le prix des deux marchés les plus voisins du temps de l’échéance des rentes. [A. H. V., C. 422.]

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