Oeuvres de Turgot – 151 – Affaires de Cour

1774

151. — AFFAIRES DE COUR

I. — Lettres de Monsieur, comte de Provence.

[A. L. — Dubois de l’Estang, Turgot et la famille royale.]

1. (Apanage du prince.)

Fontainebleau, 30 octobre.

Je reviens sur ma conversation avec vous, M. ; je ne puis que me louer du zèle que vous m’avez montré ; mais je ne voudrais pas que vous restassiez dans l’opinion que quand le Roi m’aura accordé le Duché d’Alençon, j’aurai un apanage de 400 000 1. de rente ; vous n’avez pas examiné les charges avec autant de scrupule que les produits et, si vous pensez, comme vous me l’avez dit et comme c’était l’intention du feu Roi, que je devrais avoir 5 à 600 000 l. de rente, je laisse plus de 300 000 sur votre conscience. La tendresse et la justice du Roi et votre caractère honnête me sont garants que cela ne sera pas oublié dans l’occasion.

J’ai oublié tout net de vous parler de mes autres demandes. Vous m’avez paru l’avant-dernière fois que je vous ai vu n’y faire aucune difficulté et je les crois trop justes et trop modérées pour en souffrir. Celle de la dot de Madame saute aux yeux. En me donnant 150 000 l. pour mon deuil, il m’en coûtera encore du mien et vous vous rappelez qu’on le paye au comte d’Artois. Les écuries qu’on bâtit pour lui coûteront plus de 1 200 000 l. ; on en a déjà fourni 700 000 ; je me contente de cette dernière somme pour en construire partout, n’en ayant nulle part ; mais je les ferai très simples. Je réclame 50 000 l. pour mes frais d’évaluation[1] ; ce n’est que le remboursement d’une avance que j’ai faite et que le Roi est tenu de payer. Enfin, je demande 150 000 pour le déficit qui se trouve dans le produit de mon apanage depuis mon mariage et je pourrais en demander plus de 300, puisqu’il devait être rigoureusement de 200 000 l. au lieu de 106 000 l. et cela depuis près de 4 ans. Cette considération ne pourrait-elle pas déterminer le Roi à me continuer la grâce des 96 000 l. de ma cassette ? C’est en cela principalement que je puis éprouver l’effet de votre bonne volonté, tout le reste étant de justice. J’insiste toutefois pour avoir des décisions sur tous ces points à la fois. Vous savez que je les attends depuis longtemps et que mon frère me les a promis pour aujourd’hui. Vous devez être aussi convaincu de ma reconnaissance, M., que de tous mes sentiments pour vous.

LOUIS STANISLAS XAVIER.

P. S. Au surplus, je donnerai toute facilité pour les payements ; n’en soyez pas inquiet[2].

2. (Sur le secrétaire de ses commandements.)

27 novembre.

M. Dumesjan[3], M., m’a fait part de l’intention où vous êtes de lui donner un adjoint à la place de fermier général et des propositions que vous avez chargé M. Trudaine de lui faire à cet égard.

Comme je sais qu’il a 28 confrères qui n’en ont pas, que 5 ou 6 sont ses cadets, qu’il y en a qui ne sont point mariés et qu’ils sont tous plus riches que lui, je dois présumer que votre justice seule le mettra à l’abri de cette charge et que vous ne lui en donnerez pas moins la correspondance qui lui a été offerte, quand vous connaîtrez tout l’intérêt que je prends à son sort. C’est une nouvelle marque d’amitié que j’attends de vous et à laquelle je serai infiniment sensible.

LOUIS STANISLAS XAVIER.

3. (Même objet. Recette du port Saint-Nicolas.)

Versailles, 10 décembre.

Il me revient, M., qu’on affecte de débiter que je vous sais mauvais gré, ainsi qu’à M. Trudaine, de l’adjonction de M. Dumesjan. Rien n’est plus faux et je me réfère entièrement à ce que M. Cromot[4] a écrit à M. de Vaines à cet égard. Mais il se passe une chose sur laquelle je ne puis m’empêcher de vous témoigner ma surprise : c’est l’affaire du Sr Beugnet pour la recette du port Saint-Nicolas. Après [ce] qu’il m’a été assuré que vous aviez assuré aux fermiers généraux, je ne puis qu’être infiniment étonné de tout ce qui se passe sur cette affaire. J’espère toutefois que vous ne suspendrez pas plus longtemps l’effet d’une grâce accordée à ma recommandation. Il paraîtrait trop extraordinaire qu’elle pliât devant la protection de M. Boutin. D’ailleurs, le titre qu’il invoque serait plus favorable au Sr Celse qu’à son bourrelier. Comme je suis très bien instruit de son histoire et de tous les faits, je vous prie de viser au reçu de ma lettre la commission que les fermiers généraux ont signée pour le Sr Beugnet et de donner ordre à M. Boutin de la lui délivrer sans difficulté ni délai. Vous connaissez, M., tous mes sentiments pour vous.

LOUIS STANISLAS XAVIER.

II. — Lettre dit Duc d’Orléans au sujet de la survivance d’un directeur des tabacs.

[A. L. — Dubois de l’Estang, Turgot et la famille royale.]

31 octobre.

Vous savez, M., que les places de receveurs généraux de l’Orléanais sont à ma nomination ; je désirerais fort que le Roi voulut bien accorder la survivance de celle du Sr Dumatz au Sr d’Amennéville[5], actuellement directeur du tabac à Orléans. Je vous ai remis un Mémoire pour vous mettre au fait de ce qui s’était passé du vivant du feu Roi à l’occasion de cette place. Ce qu’il y a de très sûr, c’est que sans la mauvaise volonté de l’abbé Terray qui voulait la faire avoir au Sr Le Normand que le feu-Roi m’avait dit qu’il ne voulait pas qui l’eut, il est très vrai qu’il y a plus d’un an que le Sr d’Amennéville aurait cette survivance. Je vous prie donc, M., de faire ce qu’il dépendra de vous pour réparer le tort que la mauvaise volonté de votre prédécesseur a fait à d’honnêtes gens auxquels je m’intéresse et d’être persuadé du plaisir que j’aurai de joindre les sentiments de reconnaissance à ceux d’estime que vous m’avez inspirez.

L. PHIL. D’ORLÉANS

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[1] Les frais d’évaluation des biens donnés en apanage.

[2] Au sujet de l’avidité de Monsieur, on peut voir les lettres de Marie-Antoinette (2 novembre 1775) et de Mercy (16 novembre 1775).

[3] Girard Dumesjan, secrétaire des commandements de Monsieur, avait comme adjoint dans sa place de fermier général Poujaud de Nanclas. Les fermiers généraux étaient divisés en Commissions chargées chacune d’un département, c’est-à-dire des affaires rentrant dans une spécialité déterminée. En outre, quelques-uns étaient chargés de la correspondance avec plusieurs directions provinciales. Dumesjan obtint la correspondance avec les directions des Tabacs de Bordeaux, Bayonne et Auch. (Dubois de l’Estang)

[4] Cromot du Bourg, surintendant des finances, bâtiments, arts et jardins de Monsieur.

[5] Il existait deux places de receveurs généraux de l’Orléanais et Dumas occupait l’une d’elles.

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