Œuvres de Turgot – 231 – Lettres à Condorcet

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

231. — LETTRES À CONDORCET

[Henry, 267.]

XXXIX. (Candidature de Turgot à l’Académie française. — Détails divers).

Versailles, 30 janvier.

Remerciez pour moi M. de Saint-Lambert ; ce n’est pas encore dans ce moment-ci qu’il me convient de fixer sur moi les yeux du public, pour un autre objet que les affaires de ma place. Je crois qu’il faut tâcher de faire nommer La Harpe. Si on ne peut pas y réussir, pourquoi l’Académie ne prendrait-elle pas l’abbé Barthélémy ? [1]

Je trouve qu’on traite trop sévèrement M. Chabanon[2]. Il n’est point, quoi qu’on en dise, sans talent. Il est vrai qu’il n’a donné aucun ouvrage complet. On n’a pas toujours été aussi sévère.

Vous avez donc été dénoncé et supprimé ? Je suis fâché de cette aventure, surtout dans ce moment. Adieu, je vous embrasse.

XL. (Détails divers. — Liberté du désarmement des navires.)

Versailles, 8 février.

J’ai beaucoup souffert hier et je suis fort loin de pouvoir penser à retourner à Paris ; ainsi ceux de mes amis qui voudront venir me voir me feront un grand plaisir.

Je n’ai plus d’instructions sur les bestiaux ; M. Trudaine doit m’en envoyer. Je vous en ferai passer pour M. d’Alembert.

La défense de désarmer ailleurs qu’à Lorient est l’absurdité des absurdités. Vous ne doutez pas que je n’aie impatience de la révoquer. Mais les États de Bretagne mettent une grande chaleur à la conserver. Il faut donc que je traite cela comme un procès et avec quelque lenteur. Je voudrais que les Chambres de Commerce se réunissent à me demander la liberté et l’on a mille peines à les réveiller là-dessus, nommément celle de Dunkerque qu’on a sondée et dont les principaux membres ont répondu que cela ne faisait rien.

Il m’est impossible de donner une décision définitive avant la saison actuelle, puisque les vaisseaux partent en février et en mars. Mais je crois pouvoir répondre qu’avant le retour des vaisseaux, ils pourront désarmer dans tous les ports indistinctement.

XLI. (La jauge des tonneaux.)

Versailles, jeudi 21 mars.

La nouvelle jauge remplit tout ce qu’on peut désirer pour que l’on ne soit pas obligé de payer des droits plus forts que ceux qui sont dus à raison de la quantité de liqueur. Mais elle n’obvie pas aux fraudes qui peuvent être commises par le vendeur contre l’acheteur pour donner moins de liqueur.

Par exemple, s’il y a un double fond au tonneau, s’il y a plus d’épaisseur de bois, l’acheteur sera lésé. Cette fraude est surtout commune dans le commerce des eaux-de-vie. Ne pourrait-on pas rendre la nouvelle jauge propre à découvrir ce genre de fraude ? Il est visible que s’il y a un double fond en mesurant la distance du boudon au bord du fond, la ligne oblique devient plus courte[3]. La mesure de cette ligne doit donc indiquer l’existence du double fond. Il est plus difficile de reconnaître la plus grande épaisseur du bois, parce qu’on peut la placer de façon que la jauge ne puisse pas atteindre à l’endroit qu’on a rendu plus épais que le tour du bondon. Mais je n’imagine pas qu’un pareil genre de fraude soit commun, ni qu’il présente un assez grand intérêt pour s’exposer à la honte d’être reconnu fripon. Le dépotement est toujours la ressource dernière.

Vous pourriez demander à M. Dez s’il pourrait donner une règle simple pour connaître par la mesure oblique si l’épaisseur du fond est trop grande. Je vous embrasse.

Vous voyez qu’on s’occupe de l’affaire de la jauge[4].

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[1] L’auteur du Voyage du jeune Anacharsis en Grèce.

[2] Gui de Chabanon de l’Académie française (1780).

[3] Il nous a paru inutile de reproduire cette figure.

[4] Les droits sur les boissons étaient en France une partie considérable du revenu public. Plusieurs autres denrées, sous forme liquide, étaient assujetties à des impositions, et la méthode de jauger les vaisseaux était devenue importante pour l’administration comme pour le peuple.

Kepler s’était occupé de cette question, et elle l’avait conduit à quelques découvertes géométriques. Mais, dans la pratique, on se contentait en France d’une méthode grossière, sujette à des erreurs importantes pour le commerce, et, ce qui était bien plus fâcheux, dépendante d’évaluations arbitraires.

Cet arbitraire servait à étendre les droits.

On proposait une méthode, approuvée par l’Académie des Sciences, très simple dans la pratique, susceptible, en cas de plainte, de vérification précise. Elle n’avait qu’un défaut, celui de donner une contenance un peu au-dessus de la contenance réelle.

Turgot voulut établir cette méthode, et il éprouva les plus grandes réclamations de la part de ceux dont cette innovation augmentait les profits. Cependant, elles trouvèrent des protecteurs, on fit des expériences ; on savait qu’elles confirmeraient la démonstration ; mais elles devaient faire perdre du temps et par là, on parvint à empêcher Turgot de détruire un abus de plus. (Condorcet, Vie, 96.)

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