Beaucoup de problèmes monétaires et par conséquent, économiques restent à résoudre. L’étude de la circulation monétaire peut jeter une vive lumière sur les relations et les échanges.
La monnaie médiévale a un double caractère. Elle est, à la fois, un instrument de mesure et une marchandise. Nicolas Oresme, évêque de Lisieux (1382), dans son Traité de la première invention des monnaies, définit la monnaie : “un instrument artificiellement inventé pour faciliter l’échange des richesses naturelles”. Définition qui a été reprise et complétée par nombre d’auteurs : hommes politiques, économistes ou historiens. La monnaie est “un objet revêtu de la confiance publique qui sert de mesure à tout ce qui se vend” (Mirabeau, Discours sur la monnaie, 1790). Elle a “une valeur intrinsèque; [elle] est une matière précieuse dont la valeur et le poids sont garantis par le poinçon de l’État” (Th. Mommsen). Elle est “un lingot de métal précieux, de forme et de dimensions variables dont l’autorité publique garantit le poids et le titre” (Léon Say). C’est une “pièce de métal servant aux échanges, frappée par une autorité souveraine et marquée au coin de cette autorité” (Littré). En somme, il s’agit d’un instrument de mesure destiné à faciliter les échanges dont les caractéristiques sont fixées et garanties par l’autorité qui l’a fabriqué.
AVANT-PROPOS
Hormis un cercle restreint de spécialistes, les questions monétaires, particulièrement celles du Moyen Age, sont mal connues. Certes, articles et ouvrages qui traitent de numismatique ne manquent pas. Beaucoup plus rares sont ceux consacrés à l’histoire de la monnaie et, plus précisément, à l’histoire de la monnaie médiévale. Au vrai, il n’existe qu’un petit manuel, celui de Marc Bloch, Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe paru en 1954, qui reproduit un cours professé une vingtaine d’années auparavant et dont quelques fragments avaient déjà été publiés dans les Annales (Économies, Sociétés, Civilisations). Mais cet ouvrage ne consacre guère que la moitié de ses pages à évoquer, dans leurs grandes lignes, les problèmes monétaires du Moyen Age, le reste traitant du “régime monétaire de l’ère capitaliste”), Certaines conceptions, certaines explications de l’auteur apparaissent aujourd’hui périmées. Les spécialistes ont, en effet, depuis plus de trente ans, beaucoup travaillé. Telles pages, celles qui traitent, par exemple, du denier de la loi salique, sont complètement dépassées. Tout en lui rendant un hommage mérité car en ce domaine, comme en bien d’autres, Marc Bloch a été un précurseur et un initiateur -il n’en reste pas moins que le sujet était non seulement à reprendre, mais encore à développer.
L’ouvrage que nous présentons n’est pas un traité de numismatique. Non que nous méprisions cette science sans laquelle toute histoire monétaire serait d’ailleurs impossible, mais notre préoccupation a eu un autre objet. Il ne s’est pas agi pour nous de décrire des types de monnaies ou de les classer, mais de retracer l’histoire de la monnaie, d’étudier son statut juridique et économique, ses variations, d’en rechercher les causes et d’en déterminer les conséquences. Et, somme toute, comme la monnaie est l’instrument de mesure des échanges, n’avons-nous, en définitive, émit qu’un chapitre d’histoire économique.
Ce livre, essentiellement destiné aux étudiants de l’Enseignement Supérieur, se propose un double but. Il veut, en premier lieu, être un ouvrage d”initiation. Il veut dégager les grandes lignes de l’histoire monétaire de l’Occident médiéval et tenter de présenter une synthèse, toute provisoire d’ailleurs, de nos connaissances actuelles sur ce sujet. En second lieu, il veut être une invitation, une incitation à la recherche. Aussi bien, le chercheur débutant trouvera-t-il en Appendice une bibliographie que d’aucuns trouveront peut-être un peu ample, mais qui est nécessaire comme point de départ pour de futures recherches.
Le sujet à traiter était vaste. Il convient d’en préciser les limites dans le temps et dans l’espace.
Dans le temps d’abord. Comme tout ouvrage d’histoire médiévale, il commence avec les invasions barbares. Il faut toutefois observer que le monnayage barbare n’est qu’une survivance du système monétaire romain et qu’il n’y a apparition d’une monnaie nettement originale qu’au VIIe siècle avec le denier. Mais cette nouvelle espèce ne s’explique que par une étude préalable de la monnaie depuis les derniers temps de la domination romaine, autrement dit depuis le début du Ve siècle. En ce qui concerne le terme de notre étude -et nous rejoignons ici encore les historiens du Moyen Age – l’événement capital dont la portée est immense est la découverte de l’Amérique. Le Nouveau Monde, en déversant sur le vieux continent des quantités considérables de métaux précieux, a provoqué des changements considérables dans l’économie et la monnaie. Ce livre va jusqu’en 1514, date à laquelle apparaît en France et ce, à l’imitation des Italiens, une nouvelle espèce d’argent, pièce très lourde, au flan épais et dont le type est caractérisé par l’effigie du souverain. C’est ce que les contemporains ont appelé le teston dont la frappe a été rendue possible par l’afflux du métal blanc américain. En résumé, le cadre chronologique de cet ouvrage va du début du Ve siècle au début du XVIe.
Les limites dans l’espace sont plus difficiles à préciser. Il s’agit, bien sûr, de l’Occident européen. Mais doivent en être écartées les zones où circulèrent les espèces byzantines, comme l’Italie méridionale, ou les monnaies arabes, comme l’Espagne ou, suivant les époques, certaines parties de l’Espagne, et également de l’Italie du Sud. Il reste en somme la partie de l’Europe occidentale qui, au VIIIe siècle, a abandonné la frappe de l’or pour ne la reprendre qu’au XIIIe siècle. En gros, ce territoire correspond à l’empire carolingien dans sa plus grande extension, auquel il faut ajouter les Iles Britanniques. La pièce maîtresse de cet ensemble est donc la Gaule. Et comme dans un manuel élémentaire il n’est pas possible de tout étudier, notre travail est resté centré sur la France. Bien entendu, nous ne nous sommes pas interdit des incursions dans les pays voisins.
[gview file=”//www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2013/10/Histoire-monétaire-de-lOccident-médiéval-Etienne-Fournial.pdf”]