La séparation de l’École et de l’État selon Murray Rothbard. Par Olivier Ledoit

Par Olivier Ledoit*

A la lumière d’un livre de Murray Rothbard (Education: Free and Compulsory), nous essaierons dans cette étude d’offrir une explication rationnelle, cohérente et parcimonieuse de l’ensemble des dysfonctionnements de l’École d’État : effondrement du niveau, hausse vertigineuse des budgets, manuels tendancieux, réformes incessantes, inflation réglementaire, nivellement par le bas, sabotage des apprentissages de base, etc.

*Olivier Ledoit est ancien élève de l’école polytechnique de Paris et docteur en finance du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Professeur invité à HEC, à l’UCLA Anderson School of Management, à l’université de Lausanne, il est aussi chercheur permanent à l’université de Zurich en Suisse. [olivier.ledoit@econ.uzh.ch]

Sommaire

I) Introduction

1) Les yeux fermés
2) Remise en cause
3) Plan
4) La réponse est-elle évidente ?

II) Histoire

1) Éducation prussienne
2) Jules Ferry
3) Colonisation
4) Récapitulatif

III) L’État incapable

1) Calcul économique
2) À l’aveuglette
3) Conséquence
4) Et les pauvres ?

IV) L’éducation ne serait pas « une marchandise »

1) Vendeur d’enseignement
2) Analogies
3) Libérer l’éducation de la contrainte économique
4) Importance de l’éducation
5) École et démocratie
6) Théorie des biens publics
7) Solidarité inter-générationnelle
8) Éducation et redistribution

V) Faire confiance à l’État ?

1) Uniformité
2) Question de confiance

VI) Conclusion

I) Introduction
1) Les yeux fermés

Le constat des échecs navrants de l’École publique a été dressé par de nombreux auteurs[1]. Mais force est de remarquer qu’il vient toujours d’en-dehors du système. Soit de membres de la société civile (par exemple de simples parents d’élèves), soit de fonctionnaires agissant en francs-tireurs. Ce constat n’a eu aucun écho notable dans les instances hiérarchiques de l’Éducation nationale. On peut même parler d’obstruction systématique. Il est facile à un Français qui a « les yeux fermés », qui fait encore confiance à l’Administration pour l’informer et poser les termes du débat public, de passer complètement à côté.

Ceci amène à se demander s’il existe certaines questions que l’État ne sait pas poser, et encore moins résoudre ? Généralement oui : on ne peut pas lui faire confiance pour analyser ses propres limites. L’État a tendance à se croire capable de résoudre tous les problèmes. Il a horreur de reconnaître son incompétence, et prend rarement des initiatives qui puissent diminuer son propre pouvoir.

C’est pourquoi il est temps maintenant de poser les questions subversives que l’État ne sait pas poser, ne veut pas poser.

2) Remise en cause

Une fois posé le constat d’échec de l’École publique, la discussion se porte invariablement sur les moyens d’y remédier. La plupart de ceux qui sont parvenus à se hisser à ce niveau de lucidité sont prêts à remettre en cause les réformes scolaires mises en œuvre au cours des 30 dernières années.

Laurent Lafforgue[2], le grand mathématicien qui a fait un passage fulgurant au Haut Conseil de l’Éducation, a envoyé un courriel au président dudit Conseil indiquant que les meilleurs programmes étaient ceux de 1923. Il remet donc en question, au moins implicitement, certains aspects des lois sur l’Éducation promulguées au cours des 85 dernières années. Même parmi le Français qui ont « les yeux ouverts », il n’y en a pas beaucoup qui remontent aussi loin. Mais l’intelligence et l’intégrité incontestables de Laurent Lafforgue font qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main ses opinions.

À ce stade, deux questions s’imposent :

a)      Dans l’hypothèse où 85 années consécutives de réformes ont effectivement dévalorisé l’École publique, quand on se souvient que ces 85 années recouvrent toutes sortes de gouvernements, une guerre mondiale, toutes les transformations possibles et imaginables de la société française, existe-t-il une force unique mais jusqu’ici cachée qui explique cette tendance lourde et semble-t-il irrésistible ?

b)      Si l’élite remet en cause 30 ans de lois sur l’Éducation, si l’élite de l’élite remet en cause 85 ans, où s’arrêter ? Ne faut-il pas aller au-delà ? N’est-ce pas le début d’une révolution copernicienne qui aboutira inéluctablement à remettre tout en cause depuis la création de l’école publique ? Et si oui, qui osera être le premier à poser franchement le débat en ces termes ?

3) Plan

L’objectif de la présente étude est d’être la première, dans la France contemporaine, à remettre en cause 129 ans de lois sur l’Éducation. Cela recouvre toutes les lois sur l’étatisation de l’École, depuis la première loi Jules Ferry datée du 9 août 1879 incluse. On ne peut pas aller plus loin. Pour être précis, nous diviserons le problème en deux questions distinctes :

a)      L’État est-il capable d’instruire les enfants ?

b)      Peut-on faire confiance à l’État pour instruire les enfants ?

L’historien, philosophe et économiste Murray Rothbard a répondu à ces questions en 1971 dans son livre « Education : Free and Compulsory[3] ». Libre-penseur iconoclaste, Rothbard est un spécialiste de l’État et le maître à penser de l’école « libertarienne ». À cause du double-sens du mot anglais « free », la traduction française du titre est soit Éducation : Gratuite et obligatoire, soit Éducation : Libre et obligatoire. Nous nous efforcerons de transmettre l’esprit du livre, plutôt que de le suivre à la lettre. Les citations extraites de ce livre sont marquées par l’abréviation « E:F&C ».

Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous ferons un rappel historique. Ensuite nous tenterons d’analyser ces deux questions aussi posément que possible. Elles le méritent, car nul ne peut nier que ce sont des questions importantes. S’il se trouve que la réponse à l’une des deux est « non », mieux vaut s’en rendre compte maintenant que continuer tête baissée dans un tunnel sans issue.

Cette étude une sorte de méta-analyse : plutôt que de chercher à trouver la « bonne » réforme de l’École d’État, nous demanderons s’il existe quelque chose de spécifique à l’État qui fait que la « bonne » réforme ne peut pas être trouvée et appliquée. L’État est-il l’institution adéquate pour éduquer les enfants ? C’est une question ambitieuse, mais les progrès de la recherche tout au long du XXème siècle permettent aujourd’hui de l’aborder sérieusement.

4) La réponse est-elle évidente ?

À l’heure actuelle, presque personne ne se demande s’il faut séparer l’École de l’État. Certains pourraient être tentés de dire : « Presque personne ne se pose cette question parce qu’il est évident qu’il ne faut pas séparer l’École de l’État. » Avant de continuer, il est donc utile d’expliquer pourquoi personne ne pose cette question même si sa réponse est loin d’être évidente.

Il existe deux explications plausibles à cet état de fait.

La première est l’inertie. L’École a été le domaine de l’État pendant 129 ans, et personne n’imagine qu’il pourrait en être autrement. C’est pareil pour tout ce qui perdure : en 1988 les gens ne se demandaient pas si le Mur de Berlin allait bientôt tomber, et pourtant ils auraient dû.

La deuxième explication est que les questions ne sont pas posées dans le vide, elles sont posées par des gens : des experts reconnus, une élite bien informée, l’homme de la rue. Or tous ont reçu leur éducation de l’État. Il n’est pas dans l’intérêt de l’État de leur enseigner que l’enseignement doit être séparé de l’État. Seuls des fous scieraient la branche sur laquelle ils sont assis. Or, l’État n’est pas fou. On peut donc en déduire que les gens ne posent pas cette question-là parce que ceux qui leur ont appris à poser des questions ont « omis » de leur apprendre à poser celle-là.

Ce « trou noir » dans la capacité mentale à formuler certaines questions gênantes correspond à un « angle mort » dans la capacité de l’État à poser des questions introspectives.

Une fois qu’on donne à une institution – quelle qu’elle soit – le monopole de l’éducation, on peut garantir qu’au bout d’une génération, presque aucune voix bien éduquée ne s’élèvera pour remettre en cause ce monopole. Par conséquent, le fait que personne ne remette en question l’École d’État aujourd’hui ne prouve absolument pas que la question est absurde. La dernière fois que cette question pouvait être correctement posée dans le débat public, c’était au XIXème siècle. Commençons par faire un détour historique afin de voir si elle a été tranchée de manière satisfaisante à cette époque.

II) Histoire
1) Éducation prussienne

À qui doit-on l’école publique, gratuite et obligatoire ? Les gens répondent souvent Jules Ferry. Et pourtant c’est faux. Elle fut inventée par le roi de Prusse Frédéric Guillaume III.

Napoléon Ier infligea une défaite au roi de Prusse à la bataille d’Iéna en 1806. Les généraux prussiens, plutôt que d’admettre qu’ils étaient tombés devant le talent supérieur de Napoléon, ce qui aurait impliqué qu’eux-mêmes étaient des stratèges inférieurs, rejetèrent la responsabilité de la défaite sur le prétendu manque de discipline de leurs soldats. Pour préparer la revanche, le roi décida donc de former l’esprit des enfants prussiens de manière à en faire de bons soldats.

Sous le roi Frédéric Guillaume III, l’absolutisme de l’État fut renforcé. Son célèbre ministre, von Stein, commença par abolir les écoles privées semi-religieuses, et par placer toute l’éducation sous la tutelle directe du Ministère de l’Intérieur. En 1810, le ministère décréta qu’un examen d’État ainsi que l’homologation de tous les enseignants étaient obligatoires. En 1812, l’examen du brevet des écoles fut établi comme une condition nécessaire pour sortir d’une école d’État, et un système bureaucratique sophistiqué fut établi pour encadrer les écoles à la campagne et dans les villes. (E:F&C, page 14)

Finalement, les examens administrés par l’État devinrent obligatoires pour les professions libérales, les fonctionnaires et les étudiants d’université. De cette manière, l’État prussien pouvait administrer un vigoureux lavage de cerveau à la génération montante.

Le résultat fut à la hauteur des espérances. En 1870-1871, les soldats prussiens furent beaucoup plus disciplinés, et prêts au sacrifice suprême pour l’État prussien, ce qui leur permit de battre Napoléon III à Sedan. Le roi de Prusse (devenu Kaiser du IIème Reich) avait enfin pris sa revanche pour l’humiliation d’Iéna.

Rothbard (E:F&C, page 16) cite un essai de 1915 sur l’esprit de la culture allemande par l’historien, philosophe et sociologue allemand Ernest Tröltsch :

L’organisation de l’école imite celle de l’armée, l’école publique correspondant à l’armée de conscription. L’une et l’autre ont été créées durant la première grande poussée vers l’unification de l’État allemand en réaction contre Napoléon Ier. Quand Fichte soupesait les moyens possibles de ressusciter l’État allemand, alors que la nation souffrait sous le joug de Napoléon, il recommanda l’infusion massive de culture germanique dans la masse du peuple, à travers la création d’écoles primaires nationales selon les principes de Pestalozzi. Ce programme fut effectivement adopté par les différents états allemands, et s’est développé au XIXème siècle en un système scolaire intégré.

Il ne fait donc aucun doute que l’école publique, gratuite et obligatoire à la prussienne est délibérément organisée comme une armée afin d’instiller dans l’esprit malléable des jeunes une dévotion inconditionnelle envers l’État, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême.

2) Jules Ferry

Tout comme l’autoritarisme et l’absolutisme prussiens avaient été puissamment stimulés par la défaite face à Napoléon Ier, de même l’autoritarisme et le dirigisme en France furent inspirés par la victoire de la Prusse en 1871. Les victoires prussiennes furent considérées comme les victoires de l’armée prussienne et du maître d’école prussien, et la France, motivée par la soif de revanche, se mit à conformer ses propres institutions au modèle prussien. (…) Les demandes pour une éducation obligatoire naquirent du désir de revanche militaire. Comme le dit l’influent politicien Gambetta : « Le vrai vainqueur à Sedan fut l’instituteur prussien ; c’est à l’instituteur français de gagner la prochaine guerre. » (E:F&C, p. 16)

En 1881, Jules Ferry s’empara « à la prussienne » de l’esprit des jeunes Français à l’âge où ils sont le plus influençables. Il interdit à l’enseignement privé de délivrer des diplômes universitaires. L’instruction publique devint « gratuite », c’est-à-dire payée par prélèvements obligatoires sur toute la population. L’instruction fut rendue obligatoire. Le modèle prussien fut imité en tout, et n’a jamais été renié depuis : il constitue la charpente du système actuel.

Ce lavage de cerveau intensif porta ses fruits en 1914, quand une génération de jeunes hommes partit « la fleur au fusil » pour se sacrifier dans la terrible guerre des tranchées. En Prusse comme sous Jules Ferry, l’éducation publique, gratuite et obligatoire avait parfaitement rempli son objectif : elle avait fabriqué de la bonne chair à canon.

Éducation gratuite ? Rien n’est gratuit en ce bas monde. Tout se paie tôt ou tard. L’éducation « gratuite » que les jeunes enfants des villages français ont reçue de la part des instituteurs de Jules Ferry, a été payée au prix du sang – le sang des fils du village dont le nom est à jamais inscrit au monument aux morts.

3) Colonisation

Ferry était le principal champion de la nouvelle politique d’impérialisme agressif et de conquête coloniale. Des agressions furent commises en Afrique du Nord, en Afrique Noire, et en Indochine. (E:F&C, page 16)

Les deux grands combats politiques de Jules Ferry, le colonialisme et la nationalisation de l’école, étaient cohérents entre eux. D’un côté, Jules Ferry envoyait les officiers français s’entraîner à la technique du massacre à grande échelle aux dépens des populations d’Afrique et d’Indochine ; et de l’autre, il conditionnait les jeunes Français à obéir à n’importe quel ordre suicidaire et absurde pourvu qu’il émane d’un représentant officiel de l’État.

En parallèle à la colonisation militaire de la terre africaine, l’étatisation de l’école constitue une colonisation psychique de la jeunesse française. L’une et l’autre se justifiaient d’ailleurs par un appel lyrique aux « bons sentiments ». Techniquement, si vous allez abuser quelqu’un, il vaut mieux crier haut et fort que c’est « pour son bien » car cela affaiblit sa résistance. Jules Ferry était peut-être convaincu à titre personnel que ses deux politiques œuvraient pour le bien de l’humanité, mais le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Logiquement, il est impossible de faire le bonheur des gens contre leur gré. Certes, un inspecteur d’académie s’y connaît mieux au niveau des techniques d’éducation que nombre de parents, mais un colon ne s’y connaissait-il pas mieux au niveau des techniques d’irrigation que nombre de Tunisiens (pour citer un pays parmi d’autres) ? Cela n’a pas empêché, un jour, ces mêmes Tunisiens, et avec eux tous les autres peuples colonisés, de revendiquer à juste titre le droit d’assumer leurs responsabilités et de prendre leurs propres décisions, pour le meilleur et pour le pire. Il est incohérent d’être contre le colonialisme et pour l’éducation d’État obligatoire.

Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, il était inimaginable que les colons français soient chassés par les populations autochtones. Il était inimaginable que le chef de l’État français fasse acte de repentance envers ces populations pour s’être emparé par la force de leurs terres afin de les coloniser. Inimaginable, et pourtant… c’est exactement ce qui s’est passé.

Aujourd’hui, il est inimaginable que l’État soit chassé de l’École par les familles françaises. Il est inimaginable que le chef de l’État fasse un jour acte de repentance envers ces familles pour s’être emparé par la force de leurs enfants afin de les uniformiser et de modeler leur perception du monde à l’âge où ils sont le plus influençables. Inimaginable, et pourtant…

Pour résumer, la leçon de l’Histoire est qu’il existe certaines limites à ce que l’État est capable de faire. L’État français n’était pas capable de tenir l’Afrique et l’Indochine. Il a fait illusion pendant 80 ans, et puis à un moment la réalité l’a rattrapé.

Jules Ferry ne le savait pas. Il croyait que l’État français était capable de tout. Il s’est trompé.

4) Récapitulatif

Nous n’avons pas encore attaqué les questions de fond, et pourtant nous avons déjà appris un certain nombre de choses utiles :

a)      Contrairement à ce que pensait Jules Ferry, il existe certaines choses que l’État français n’est pas capable de faire.

b)      Les parents qui avaient fait confiance à Jules Ferry pour l’éducation de leurs fils les ont retrouvés quelques années plus tard criblés d’éclats d’obus, exactement comme Jules Ferry l’avait prémédité.

c)      L’État a capturé la fonction éducative en 1881 pour de mauvaises raisons.

d)     Une fois qu’une institution – quelle qu’elle soit – détient le monopole de l’éducation, au bout d’une génération presque aucune voix bien éduquée ne s’élèvera pour remettre en question ce monopole.

e)      Selon certaines personnes bien informées, cela fait 85 ans que la qualité des programmes de l’École d’État baisse.

Il est donc possible que l’État ne soit pas capable d’enseigner, et qu’il ne faille pas lui faire confiance pour enseigner. Peut-être l’État n’était-il jamais censé être l’institution qui éduque. Il est possible que tout cela ne soit rien d’autre qu’une gigantesque erreur condamnée à s’aggraver au fil du temps, même si peu de Français ont été éduqués [par l’État] à poser ce type de question.

Possible mais pas encore prouvé. La preuve suit ci-dessous. Il était nécessaire de commencer par convaincre le lecteur que c’était possible, afin de l’inciter à consentir l’effort intellectuel nécessaire à la compréhension de la preuve.

III) L’État incapable
1) Calcul économique

Le mentor de Murray Rothbard, l’économiste autrichien Ludwig von Mises, a prouvé en 1920 dans un article intitulé « Le calcul économique en régime collectiviste »[4] que l’État est incapable d’instruire les enfants.

Trois ans après la prise du pouvoir par Lénine, Mises a prédit que l’Union Soviétique allait s’écrouler parce qu’un tel régime collectiviste est par nature incapable de calculer le moyen optimal de produire les biens dont la population a besoin. De fait, en 1989-1991, l’Union Soviétique s’est effondrée parce que le Produit Intérieur Brut par habitant était environ 25 fois plus faible qu’aux États-Unis[5], c’est-à-dire que le régime était pratiquement incapable de produire les biens et les services nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux de la population. Cet épisode est à mettre sur le même plan que la confirmation de la théorie de la relativité générale par les astronomes qui observèrent, des années plus tard, que les rayons du soleil étaient courbés sous l’effet de la gravité exactement comme Einstein l’avait prédit.

Bien que l’argument de Mises ait été à l’origine dirigé contre le régime collectiviste de l’Union Soviétique, sa portée générale le rend applicable à tout service produit de manière collectiviste par l’État, tel que l’éducation nationale en France.

L’organisation du service de l’éducation requiert une planification. D’un côte, il existe certaines ressources rares : le temps de travail des enseignants, les bâtiments affectés à l’instruction des enfants, les manuels scolaires, etc. De l’autre, il existe des besoins : chaque famille a besoin que son enfant soit instruit de telle et telle manière. La planification est le calcul de la manière optimale d’employer les ressources rares de manière à satisfaire les besoins. C’est l’objet même de l’économie.

Or, il existe un nombre infini de plans de production imaginables. On l’a bien vu dans l’éducation : la « réformite » aiguë prouve que les planificateurs changent régulièrement d’opinion quant à la meilleure manière d’employer les ressources rares. Il faut donc choisir entre ces plans. C’est l’acte de planifier. Cela ne peut se faire qu’en calculant le degré de satisfaction des besoins qu’un plan peut atteindre, relativement aux plans concurrents, sous contrainte de rareté des ressources.

Philippe Simonnot, économiste et envoyé spécial du journal Le Monde[6], résume ainsi l’argument de Mises :

Le raisonnement est simple : toute planification implique des calculs économiques, lesquels ne peuvent se fonder que sur des prix réels. Or des prix réels ne peuvent procéder que d’échanges volontaires. De tels échanges impliquent que les échangistes soient propriétaires de ce qu’ils échangent. Or, dans une économie socialiste, les biens de production sont collectivisés. Donc aucun prix réel ne peut émaner de leurs échanges, et par conséquent aucun calcul économique n’est possible et les erreurs d’investissement sont inévitables.

Sur l’impossibilité du calcul économique en l’absence de prix réels générés par le libre marché, Murray Rothbard était en accord avec son mentor Ludwig von Mises.

Quand les parents décident de payer eux-mêmes un certain prix pour que leurs enfants soient éduqués par une certaine personne et d’une certaine manière, cette action donne naissance à un prix qui est aussi un signal. Ce prix-signal est ensuite combiné avec tous les autres signaux, eux aussi générés par l’échange volontaire d’un service ou d’un bien contre une somme d’argent, et le calcul de l’allocation optimale des ressources rares pour maximiser la satisfaction des besoins devient possible. Si les parents n’ont pas le droit de décider quel prix payer à qui, et pour quelle éducation, alors le prix-signal n’est pas produit, et tout calcul économique devient impossible.

De plus, celui qui fournit le service doit être un entrepreneur. Il doit posséder lui-même à titre individuel l’entreprise d’enseignement afin de pouvoir calculer les pertes et les profits de ses activités, et risquer son capital (une autre ressource rare) en conséquence. Si une activité, que ce soit l’éducation ou la culture des roses, n’est pas organisée sur le mode des échanges librement consentis entre détenteurs de ressources rares (livres, heures de travail), entrepreneurs, et consommateurs (parents), alors elle court à la faillite à plus ou moins long terme parce que les informations nécessaires à la prise de décisions correcte ne sont pas produites.

Seul un régime de liberté, où la contrainte étatique serait évacuée du domaine de l’éducation, produirait le système de prix nécessaire au calcul des « bonnes » réformes. Dans ce système, le calcul ne serait plus effectué par un planificateur central, mais par une multitude d’entrepreneurs en éducation.

Pour simplifier : tant que les parents ne paient pas de leur poche, on ne sait pas ce qu’ils veulent, et donc le système ne sait pas comment s’organiser pour satisfaire leurs besoins.

Pour illustrer cette loi économique, il suffit de comparer l’évolution de la satisfaction des besoins des utilisateurs au cours des dernières décennies dans deux domaines libres où le calcul économique est possible : les ordinateurs et les automobiles (progrès énorme) ; et dans deux domaines collectivisés où le calcul économique est impossible : l’éducation et les prestations médicales (recul).

Nous avons donc la réponse à deux questions posées au début :

a)      Oui, il existe une force unique qui explique la tendance lourde et irrésistible à la dévalorisation de l’École d’État par les réformes successives : cette force, c’est l’impossibilité du calcul économique dans le système collectivisé de production de l’éducation.

b)      Non, l’État n’est pas capable d’instruire les enfants, pour la même raison que l’Union Soviétique n’était pas capable de raccourcir les queues devant ses supermarchés.

2) À l’aveuglette

Dans le système actuel, quand un inspecteur d’académie prend une décision, il ne peut chiffrer ni son coût de production, ni la satisfaction des besoins qu’elle engendrera. Il ne peut donc pas comparer ces calculs avec ceux résultant d’une autre décision qui était envisageable mais a été écartée. C’est pour cela que, dans un sens profond, l’État ne pourra jamais trouver les réformes susceptibles d’améliorer la situation, car les prix-informations nécessaires au calcul des « bonnes » réformes n’existent pas.

Comment savoir quel enseignant mérite une promotion et lequel mérite d’être licencié ? Si les familles payaient, les revenus encaissés par chaque enseignant seraient une mesure du degré de satisfaction qu’il apporte. Mais comme ce sont les contribuables qui paient, sans observer la performance individuelle de chaque enseignant, cette information n’est pas produite. D’où les carrières gérées de manière bureaucratique qui découragent les bons et encouragent les mauvais.

Comment répartir les postes d’enseignant ? On n’en sait rien, parce que les parents ne font pas l’acte de payer qui signale la valeur – à leurs yeux – de la création d’un poste supplémentaire ici ou là. Alors les académies et les collectivités locales décident au petit bonheur la chance, suivant l’habileté des syndicats et des fédérations de parents à faire pression sur les pouvoirs politiques.

Comment savoir où créer de nouvelles écoles, pour mieux répondre aux exigences des familles ? Quelles écoles doit-on fermer ?  En l’absence de bilan de pertes et profits dans chaque établissement scolaire, il est impossible d’allouer les capitaux là où ils sont les plus nécessaires.

Quelles caractéristiques du secteur éducatif répondent aux attentes des familles ? On n’en a aucune idée. L’inflation réglementaire multiplie les contraintes qui « ont l’air » bonnes, sans aucun moyen d’évaluer la satisfaction des besoins. Si les familles payaient, le sabotage des apprentissages de base aurait été impossible parce que tous les établissements enseignant la lecture selon la méthode globale auraient fait faillite.

La nature a horreur du vide. Puisque, en leur interdisant de payer, on enlève le pouvoir de contrôle aux familles, des organismes spécialisés se sont emparés du pouvoir laissé vacant. Ce sont les structures d’encadrement hypertrophiées et irresponsables, les hiérarchies multiples, et les syndicats d’enseignants. Ensemble, ils paralysent le système de manière à préserver les avantages qu’ils ont conquis et à empêcher la seule réforme utile : la séparation de l’École et de l’État.

3) Conséquence

L’accumulation des décisions prises à l’aveuglette a engendré une baisse de niveau continue, inévitable et irréversible :

  • L’enquête « Orthographe, à qui la faute? » (2007) de Danièle Manesse et Danièle Cogis montre que les élèves de cinquième aujourd’hui ont un niveau d’orthographe comparable à ceux de CM2 il y a 20 ans. Soit un recul de deux ans de scolarité.
  • Calcul mental : 60% des élèves de 5e sont incapables de diviser 60 par 4 sans calculatrice.
  • La division, autrefois abordée dès le CP, n’est plus au programme qu’à partir du CM1.
  • Pour le collège, un récent projet d’arrêté portant sur l’enseignement des sciences préconise pour la fin de la 3e un niveau exigible qui se trouve en deçà de ce que prévoyaient les programmes de CM2 encore en vigueur dans les années 60.
  • La lecture n’est plus exigée en fin de CP, mais en fin de CE1, et évaluée en début de CE2.
  • Le rapport du Haut Conseil de l’éducation remis le 27 août 2007 révèle que 40 % des élèves qui sortent du primaire dont en grande difficulté et ne maîtrisent pas les bases de la lecture, de l’écriture ni du calcul.
  • Pour maquiller l’effondrement du niveau, on demande aux correcteurs de copies de faire monter les notes. L’Académie de Versailles a été prise la main dans le sac en 2006 donnant pour consigne de « mettre davantage de bonnes notes » aux correcteurs du brevet des collèges.
  • On a augmenté le taux de réussite au bac S de 10 % depuis 2001, alors que les écoles d’ingénieur se plaignent d’une baisse du niveau de leurs élèves, même issus des classes préparatoires.

Ce n’est pas faute de jeter l’argent sur le problème : la dépense éducative par élève a doublé en 30 ans (à prix constants) et s’élevait à 6 970 euros en 2005. Comme il n’y a pas de prix-signaux dans le domaine de l’éducation, nul ne sait comment employer cet argent de manière à augmenter la satisfaction des besoins des familles. Autant jeter l’argent directement par les fenêtres.

4) Et les pauvres ?

Contrairement à certaines idées reçues, les principaux bénéficiaires de la séparation de l’École et de l’État sont les enfants des familles peu aisées.

Quand un système collectiviste ne marche pas, les gens emploient toutes les ressources à leur disposition pour compenser. Les privilégiés, par définition, ont beaucoup de ressources, donc ils peuvent acheter une meilleure éducation pour leurs enfants. Et ils ne s’en privent pas. Ils achètent des logements à proximité des meilleurs établissements. Ils paient pour des cours particuliers et pour des écoles privées indépendantes qui suivent les méthodes traditionnelles. Ils envoient leurs enfants en pensionnat à l’étranger, voire emploient à plein temps un tuteur qualifié qui dispense une éducation personnalisée. Bref, à la fin, leur richesse leur permet de contourner ou d’ignorer complètement l’École d’État. Si l’École était séparée de l’État du jour au lendemain, cela améliorerait peu la qualité de l’éducation qu’ils achètent pour leur progéniture. Ils seront donc indifférents.

Au contraire, les pauvres n’ont pas de ressources à leur disposition pour compenser les déficiences de l’École d’État, donc leurs enfants n’ont pas d’issue. Si l’École était séparée de l’État, ils pourraient acheter sur le marché libre l’instruction adaptée à leurs besoins. Le coût de production des services éducatifs chuterait de manière spectaculaire et la qualité augmenterait. La seule raison pour laquelle il y a un tel gaspillage et les besoins sont si mal satisfaits aujourd’hui, c’est que les prix-signaux nécessaires au calcul de l’organisation optimale du secteur éducatif n’existent pas.

Jusqu’en 1989, les privilégiés en U.R.S.S. avaient des manteaux de fourrure, de belles datchas (résidences secondaires) et du caviar. Depuis, rien n’a changé : les privilégiés ont toujours accès aux produits de luxe. Par contre, les principaux bénéficiaires de l’effondrement du communisme, ce sont les pauvres. Avant 1989, ils devaient faire la queue devant les supermarchés pendant des heures pour trouver des étagères vides. Maintenant, comme par miracle, ils peuvent acheter des œufs, de la farine, de la viande et du lait. Ce sera pareil si on dé-collectivise l’éducation en France.

Nul ne peut dire à l’avance à quoi ressemblera l’École sans l’État, pas plus qu’il n’était possible en Union Soviétique de prédire le nombre de chaînes de supermarchés indépendantes après leur dé-collectivisation. On sait juste que les principaux bénéficiaires de ce changement seront les enfants des familles qui n’ont pas les moyens de contourner le système actuel.

5) Autres critiques

Les arguments économiques déployés par Mises sont « wertfrei », c’est-à-dire libres de tout jugement de valeur. Ils ne disent pas le bien et le mal, le juste et l’injuste, le beau et le laid. Ils disent uniquement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. On est dans le domaine de la science et de la vérité, pas celui des envolées lyriques. Même si on ignore la force mise à jour par Mises, elle agira quand même. Même si on ignore l’effet de la gravité, elle courbera quand même les rayons du soleil. Quoi qu’on décide de faire, qu’on décide de continuer sur le même chemin ou de libérer intégralement l’École de l’emprise de l’État, les mécanismes décrits par Mises resteront à l’œuvre. C’est en revanche le degré de satisfaction des besoins éducatifs des familles qui sera différent.

Bien entendu, cela ne suffira pas à arrêter les critiques. En vrac : on s’attaquera à la personne, aux opinions et aux fréquentations de Ludwig von Mises ; on dira que ses thèses ont été réfutées depuis longtemps, y compris dans son propre camp, que sa méthodologie est désuète. On emploiera le dernier argument démocratique à la mode (cf. le réchauffement climatique) : « si plus de 90 % des économistes pensent que X est faux, alors ça prouve que X est faux. » On déformera les idées de Mises ; on redéfinira les mots qu’il emploie jusqu’à ce que ses propositions ne veuillent plus rien dire. On dira : « C’est bien joli en théorie, mais ça ne marchera jamais en pratique. » Ou qu’en France, c’est différent.  Ou que l’éducation, c’est différent. On prétendra que la science économique a été inventée de toutes pièces par la classe bourgeoise pour berner ses ennemis et justifier ses turpitudes. On remettra en cause la notion même de vérité scientifique comme étant « oppressive ». Et ainsi de suite…

Ces techniques ont beau être éculées, elles ne sont pas dénuées d’un impact. À la fin, c’est à chaque Français de se faire sa propre opinion. Pour ceux qui veulent aller plus loin, les œuvres de Mises et de ses successeurs comme Murray Rothbard sont disponibles sur Internet, la plupart traduites en français et la plupart gratuites.[7]

IV) L’éducation ne serait pas « une marchandise »

On entend souvent dire que « l’éducation n’est pas une marchandise », et on se sert de ce slogan pour ne pas répondre aux arguments qui démontrent l’inefficacité de l’Ecole gérée par l’Etat. Il est donc nécessaire de réfuter ce slogan.

1) Vendeur d’enseignement

L’enseignement est un bien économique puisque l’enseignant vend sa prestation. Tout travail mérite salaire, et celui du maître d’école ne fait pas exception. Si celui qui enseigne vend ses services, alors cela prouve que ce qu’il vend est un bien économique ou, si l’on veut, une marchandise.

Puisque le maître d’école vend de l’enseignement, cela implique que quelqu’un achète l’enseignement. Or, cela ne peut pas être l’État, parce que l’État n’a rien en propre. Ses caisses ne sont remplies que de ce qu’il prend de force aux contribuables. Par conséquent, l’acheteur de la marchandise éducation, c’est le contribuable.

Le contribuable a deux caractéristiques qui le différencient d’un acheteur normal : premièrement, il n’a pas le choix de ne pas acheter (imaginez que vous refusiez de payer vos impôts…) ; deuxièmement, ce n’est pas lui qui consomme l’éducation qu’il achète.

Arrêtons-nous sur ce point. Pourquoi dissocier l’identité du payeur et celle du consommateur ? En quoi est-ce juste de forcer quelqu’un à payer pour ce qu’un autre consomme ? En quoi est-ce différent de l’exploitation ou de l’esclavage ? En effet, l’esclave ne paie-t-il pas par son travail et sa sueur pour produire ce qu’un autre (le maître) consomme ?

De plus, dissocier l’identité du payeur et celle du consommateur pose des problèmes de contrôle insurmontables. Si le consommateur n’est pas content de la qualité, il faut qu’il téléphone au payeur pour lui dire d’arrêter de payer tant que le producteur n’aura pas fait un effort. Or, est-il possible aujourd’hui à un parent d’élève mécontent de son école de téléphoner aux contribuables qui l’ont financée pour leur dire d’arrêter de payer leurs impôts jusqu’à ce que la qualité de l’enseignement augmente ? Évidemment non ! Donc il n’y a aucun contrôle. Dans ces conditions, on ne peut pas s’étonner que la qualité baisse.

En résumé : non seulement l’enseignement est une marchandise (parce que le labeur de l’enseignant mérite salaire), mais faire payer cette marchandise par quelqu’un (le contribuable) qui ne la consomme pas est à la fois moralement douteux et suicidaire au niveau du contrôle de la qualité.

2) Analogies

Une autre manière de bien voir que l’éducation est une marchandise, c’est de regarder autour de l’éducation : qu’est-ce qui est similaire à l’éducation, et est-ce une marchandise ?

  • L’information est une marchandise. Il faut payer pour acheter un journal ou un magazine. Or l’information est comme l’éducation, puisqu’elle arme l’esprit et permet d’avoir de nouvelles idées. Et pourtant, ça ne choque personne.
  • Les livres de développement personnel : « Comment être plus heureux », « comment réfléchir vite et bien », « comment réussir dans la vie », etc. Comme l’éducation, ils permettent à chacun de mieux réaliser son potentiel personnel. Et pourtant, c’est de la marchandise.
  • L’art, c’est de la marchandise. Un Picasso coûte trente millions d’euros. La poésie est une marchandise. Un recueil de poèmes d’Arthur Rimbaud coûte 3 euros.
  • L’eau et la nourriture sont des marchandises. Et pourtant elles sont bien plus importantes que l’éducation, car sans eau ni nourriture c’est la mort assurée en quelques jours. Or personne ne prétend que « la nourriture n’est pas une marchandise ».
  • L’alliance que l’homme passe à l’annulaire de sa dulcinée lors de la cérémonie du mariage est une marchandise. Cette bague symbolise l’amour, la fidélité, et peut-être la naissance prochaine d’enfants qui auront besoin d’éducation. Le fait que cette alliance ait coûté 79 euros minimum ne choque personne et ne diminue en rien sa beauté, son pouvoir et son symbolisme.
  • Même dans le domaine de l’éducation, les cours particuliers sont de la marchandise. Pas de paiement, pas de cours particuliers. Ça ne choque personne. Or, que fait celui qui donne un cours particulier sinon enseigner ?

Ce rapide tour d’horizon montre que l’anomalie, c’est plutôt ceux qui prétendent que « l’éducation n’est pas une marchandise ». C’est donc à eux de faire l’effort de justifier leur affirmation gratuite.

En résumé : est-ce qu’un rose au parfum capiteux devient nauséabonde du seul fait qu’on l’achète chez le fleuriste ? Non. Le fait de payer ne transmute pas l’objet ou le service en question. Ça ne fait que faciliter la relation entre le consommateur et le producteur. Si les consommateurs d’éducation (les parents) payaient eux-mêmes directement les producteurs (les enseignants), alors la relation entre parents et enseignants (qui est actuellement très tendue) deviendrait aussi harmonieuse que la relation entre l’acheteur de roses et le fleuriste.

3) Libérer l’éducation de la contrainte économique

On lit aussi parfois que l’éducation n’est pas une marchandise parce qu’elle doit être libérée de la contrainte économique de rendement. C’est la version polie, respectable et édulcorée des monstruosités qu’on entend à tout bout de champ dans le débat public : « l’éducation ne doit pas être asservie au règne de l’argent fou, aux exploiteurs capitalistes, à la quête effrénée du profit ». Néanmoins, ça veut dire exactement la même chose. Or qu’est-ce que ça veut dire ?

« L’éducation ne doit pas être asservie à l’économie » veut dire « l’éducation ne doit pas être asservie au marché ». Or si un produit n’a pas d’acheteur, il n’a pas de marché. Sur le marché, l’acheteur règne en maître. Si les acheteurs n’aiment pas une certaine caractéristique du marché éducatif, cette caractéristique disparaît faute de financement.

Et sur le marché de l’éducation, qui sont les acheteurs ? Ce sont les familles. Les familles sont demandeuses d’éducation pour leurs enfants. Donc « l’éducation ne doit pas être asservie à l’économie » veut dire très exactement : « l’éducation ne doit pas satisfaire les besoins des familles ». C’est un point de vue, certes, mais un point de vue qu’il sera difficile de faire accepter aux familles.

4) Importance de l’éducation

On entend dire aussi que l’éducation est trop importante pour être une marchandise.

Il est vrai que l’éducation est très importante. Or, plus une chose est importante, plus il est essentiel que ce soit une marchandise. En effet, seul le secteur privé est capable de produire quelque chose de manière à satisfaire les besoins. Nous avons vu dans la section précédente (sur l’impossibilité du calcul économique) que l’État est mécaniquement incapable de satisfaire les besoins.

Donnons une illustration. En URSS, les produits agricoles essentiels (blé, pommes de terre, lait, etc.) ont été collectivisés. Cela provoqua nombre de famines. En particulier, celles de 1932-1933 tuèrent environ sept millions de soviétiques. Au lieu de cela, si l’État avait collectivisé des produits agricoles non essentiels (cornichons, persil, moutarde, etc.) alors il y aurait eu à la place un effondrement de la qualité et de la quantité de ces condiments. Mais cela n’aurait provoqué aucune famine. Sept millions d’êtres humains auraient eu la vie sauve.

Il n’y a pas que Mises et Rothbard qui voient les choses ainsi. Même ceux qui réclament l’abolition de la propriété privée le reconnaissent ! Voici ce que dit Karl Marx, dans le Manifeste du Parti Communiste (1848), au sujet de la bourgeoisie et de la propriété privée des moyens de production :

C’est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l’activité humaine. Elle a créé des merveilles qui surpassent de loin les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques (…)

Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l’amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares.  (…)

Elle a créé d’énormes cités; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celles des campagnes, et par là, elle a arraché une grande partie de la population à l’abrutissement de la vie des champs. (…)

La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses et plus colossales que l’avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol – quel siècle antérieur aurait même soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ?

On ne saurait rêver de compliment plus élogieux. Lénine lui-même, devant l’échec de la collectivisation des facteurs de production, prit le virage de la NEP (Nouvelle Politique Économique, 1921-1928) qui autorisait le secteur privé à satisfaire partiellement les besoins alimentaires de la population soviétique. Donc plus une chose est importante, plus il est essentiel d’en faire une marchandise.

Ainsi l’éducation générale de base est trop importante pour ne pas être une marchandise. Si l’État veut assurer « gratuitement » l’enseignement de la broderie sur tulle, d’accord, mais c’est tout.

5) École et démocratie

On objecte souvent que l’éducation n’est pas une marchandise parce qu’un minimum de régulation de l’École par l’État, par exemple la loi sur l’instruction obligatoire (de 6 à 16 ans), est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. C’est absolument correct.

Néanmoins, pour en déduire que cela justifie l’intervention de l’État dans ce domaine, il faudrait d’abord porter un jugement de valeur sur la supériorité de la démocratie vis-à-vis des autres régimes politiques. Or ceux qui ont passé plus d’une décennie sur les bancs de l’école publique en sortent très mal équipés sur le plan intellectuel pour formuler une question aussi fondamentale. Les économistes Andrew Young et Walter Block[8] résument ainsi la situation :

Les individus enracinés dans des positions de pouvoir au sein de l’État sont ceux qui contrôlent ce qu’on apprend aux enfants au sujet de l’histoire, du gouvernement, de l’économie, etc. Le résultat est une population éduquée par les opérateurs de l’État sur la manière de choisir les opérateurs de l’État !

Cela tourne en circuit fermé, et aucune réflexion sérieuse ne peut avoir lieu dans de telles conditions. Pour porter un regard éclairé sur la démocratie, il faut changer de perspective.

D’abord, les plus grands philosophes de l’antiquité, à commencer par Platon et Aristote, n’avaient que mépris pour la démocratie, qu’ils considéraient comme un régime dégénéré, on dirait aujourd’hui un communisme soft. D’ailleurs il y a des points communs troublants entre la dictature de Robespierre et celle de Lénine.

Jusqu’à Rousseau, on serait bien en peine de trouver un philosophe de poids qui soit partisan de la démocratie. Même Rousseau n’envisageait la démocratie que dans une petite communauté de quelques dizaines de milliers d’habitants au maximum. Dans son Contrat social[9], il dit : « S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »

Les grands penseurs de la Révolution américaine étaient tous farouchement opposés à la démocratie. D’ailleurs le mot démocratie n’apparaît nulle part dans la Déclaration d’Indépendance américaine de 1776 ni la Constitution américaine de 1787.

Il est vrai que, depuis cette époque, de nombreux philosophes payés par les États démocratiques occidentaux (de nos jours la plupart des chercheurs et des enseignants sont fonctionnaires) ont chanté les louanges de la démocratie. Mais là encore ça ne prouve strictement rien, si ce n’est qu’on ne mord pas la main qui nourrit.

Pour se faire une opinion un peu moins biaisée, il n’y a qu’à regarder l’échec patent de la démocratie dans de nombreux pays où elle a été essayée. L’Allemagne en 1933. En Thaïlande, les premiers ministres démocratiquement élus sont tellement corrompus que l’armée est obligée de les renverser à intervalles réguliers, et la population est reconnaissante. En Algérie, les élections de 1991 ont dû être annulées parce que les islamistes radicaux allaient l’emporter. Et ainsi de suite. Si la démocratie était vraiment la panacée universelle, comment expliquer un tel taux d’échec ?

Pourtant les alternatives à la démocratie ne manquent pas. Par exemple, l’économiste et philosophe Hans-Hermann Hoppe, successeur de Rothbard, a prouvé dans son livre « Democracy : The God that failed[10] » que la monarchie était un régime supérieur à la démocratie car le roi a une vision à long terme, puisqu’il veut léguer le royaume en bon état à son fils. Par contre, la démocratie incite les dirigeants en place à adopter une vision à court terme et à exploiter de manière effrénée les privilèges qui leur sont conférés parce qu’ils ne dureront qu’un quinquennat.

Hoppe est pourtant loin d’être royaliste. Il recommande plutôt de morceler la France en 36000 communes indépendantes, sur le modèle de l’Allemagne du temps de Beethoven et de Goethe, afin de permettre aux citoyens de voter plus facilement « avec leur pieds ». Ludwig von Mises reconnaissait un droit de sécession inconditionnel à n’importe quel village, ce qui aboutit en fin de compte à la même chose. En définitive, c’est le seul moyen sûr de forcer un gouvernement à respecter ses citoyens. De plus, les États de petite taille comme Monaco, Singapour ou les Bermudes ne sont pas très belliqueux.

Finalement, si on conçoit la démocratie comme un droit collectif de choisir le gouvernement, il faut s’interroger sur cette notion de « droit collectif ». Ce n’est pas un vrai droit, parce que quand on se trouve être en désaccord avec la majorité (ce qui arrive environ 49 % du temps), on n’a aucun pouvoir.

Si choisir son gouvernement est une bonne chose, alors il faut en faire un droit individuel. Supposons que je vote pour Ségolène Royal et que mon voisin vote pour Nicolas Sarkozy, alors je serai administré pendant 5 ans par le PS et mon voisin par l’UMP. De multiples équipes de gouvernement se feront concurrence au sein d’un même territoire et chercheront à gouverner mieux leurs administrés afin d’en séduire un plus grand nombre. Ce régime politique a donné lieu à des recherches très poussées depuis 40 ans. Mais il ne faut pas compter sur les États démocratiques pour en informer leurs sujets.

En conclusion, affirmer que le contrôle de l’École par l’État est nécessaire à la démocratie est absolument correct. Mais, logiquement, ceci constitue plutôt un argument contre la démocratie : un régime qui a besoin de formater l’esprit de ses enfants pour survivre n’est pas un régime où la libre pensée est bienvenue.

6) Théorie des biens publics

On dit aussi que l’éducation n’est pas une marchandise parce que c’est un bien public.

Ceci est une tentative de raccrocher le problème de l’éducation à une théorie de science économique qu’on appelle la théorie des biens publics. Comme cette théorie est présentée comme étant scientifique, c’est au niveau scientifique qu’il est nécessaire de la réfuter.

La théorie des biens publics dit qu’il existe certains biens qui profitent à quelqu’un d’autre que leur acheteur. Par exemple, si j’achète de l’éducation pour mon fils, alors ceux qui croiseront mon fils tout au long de sa vie en bénéficieront, car il est plus agréable d’interagir avec quelqu’un d’éduqué. Comme tout le monde est bénéficiaire, l’État doit taxer tout le monde pour financer l’éducation de mon fils.

La théorie des biens publics a beau être enseignée à Sciences Po et à Harvard, elle est fallacieuse et vide de contenu scientifique.

Ce qui est problématique, c’est ce postulat que « le bien X acheté par une personne Y bénéficie à une autre personne Z qui ne l’a pas acheté ». C’est problématique à cinq niveaux différents :

a)      Seul Z peut dire effectivement s’il bénéficie de l’achat de X par Y. C’est l’opinion subjective de Z qui fait que le bien X est public ou non. Or cette opinion peut se retourner du jour au lendemain car l’être humain est libre de changer d’avis quand il veut. Quelque chose d’aussi transitoire ne saurait fournir une base fiable à la délimitation du champ d’action légitime de l’État.

b)      Comment savoir si Z bénéficie effectivement de l’achat de X par Y ? Au minimum, il faut lui demander. Pour classer un bien X comme public, il faut donc interroger les 60 millions de Français. Or un enquête d’ampleur aussi massive est pratiquement impossible, et ça ne s’est jamais fait.

c)      Est-ce qu’il suffit qu’il existe un Français qui dise bénéficier de l’achat de X par Y pour classer le bien X comme public ? Alors tous les biens sont publics ! Même mes sous-vêtements sont un bien public, parce que je pourrais les montrer en toute intimité à une personne du sexe opposé qui les trouverait à son goût. On ne peut quand même pas tout nationaliser.

d)     Est-ce qu’il suffit qu’il existe un Français qui dise souffrir de l’achat de X par Y pour que le bien X ne soit pas classé comme public ? Alors aucun bien n’est public. Sur 60 millions de Français, il y a au moins un grincheux qui rouspètera contre l’achat de X par Y.

e)      Même si tous les Français disaient qu’ils bénéficient personnellement de l’achat de X par Y, comment être sûr que leurs réponses ne sont pas fantaisistes ? Seule une action tangible peut révéler les préférences réelles. Il faut donc laisser aux gens le choix de payer ou non l’impôt destiné à financer le bien X. S’ils choisissent librement de faire l’action de payer, cela prouve qu’ils bénéficient vraiment de l’achat de X. Or les impôts ne sont pas facultatifs.

La grande faille de la théorie des choix publics, c’est qu’elle suppose que l’État sait ce qui bénéficie aux gens mieux qu’ils ne le savent eux-mêmes. Or il est, par définition, impossible de faire le bonheur de quelqu’un contre son gré. Une fois qu’on commence à agir ainsi, il n’y a pas de limite. On peut très bien envoyer quelqu’un au Goulag pour le « rééduquer » contre son gré et le transformer en quelqu’un de « meilleur ». On peut aussi justifier l’esclavage en disant qu’on amène le progrès et la civilisation dans les colonies.

Il y a, bien sûr, d’autres problèmes avec cette théorie. D’abord, elle n’explique pas du tout les actions réelles de l’État. Il y a énormément de biens dits « publics » qui sont produits par le secteur privé (programmes de télévision, déodorants, Google). De même, l’Etat produit beaucoup de biens dont il est possible de limiter les bénéfices aux acheteurs eux-mêmes (chemins de fer, poste, électricité), et qui seraient donc à classer comme « biens privés ».

Ensuite, elle se présente comme une théorie économique, et en science économique les jugements de valeur sont absolument interdits. Ces derniers relèvent de l’éthique ou de la politique. Donc même si, comme le prétend la théorie des biens publics, tout le monde bénéficiait du financement par l’impôt du bien X, pour en déduire que l’État doit financer le bien X par l’impôt, il faudrait émettre un jugement de valeur sur le bien et le mal, le juste et l’injuste, ce qu’on doit faire et ce qu’on ne doit pas faire. Ceci outrepasse les limites que la science économique s’est elle-même fixée.

La théorie des biens publics est une feuille de vigne pseudo-scientifique destinée à cacher une réalité autrement plus crue. La réalité, c’est qu’on compte le nombre de soi-disant « bénéficiaires » et qu’on le compare au nombre de perdants. On compare l’intensité du soi-disant « bénéfice » reçu par les gagnants à l’intensité de la perte subie par les autres. On pondère le tout selon qu’une population est plus « sympathique » qu’une autre. Tout cela est strictement interdit dans le cadre d’une théorie économique.

La question cruciale, c’est de savoir qui émet ces jugements purement politiques. Bien évidemment, c’est l’État. Puisqu’un « bien public » est tout ce que l’État veut bien classer comme tel, justifier une intervention étatique par la théorie des biens publics relève de la pure tautologie. La théorie des biens publics doit donc être considérée comme un outil psychologique popularisé par l’Etat afin de conférer une aura de respectabilité à ses actions, de manière à obtenir l’obéissance des citoyens à moindre coût.

7) Solidarité inter-générationnelle

Une autre justification du slogan « l’éducation n’est pas une marchandise » fait appel au concept de solidarité inter-générationnelle. Il faudrait payer des impôts et les dépenser à la production d’éducation afin d’augmenter le capital de connaissances que nous léguerons aux générations futures.

Si un individu veut, de son propre chef, dépenser son argent d’une manière qui lui semble susceptible d’améliorer la condition des générations futures, c’est très louable.

Mais il faut demander, dans le cas qui nous occupe, qui prétend parler au nom de ces générations futures. C’est l’État, bien sûr. Donc, en fait, c’est lui qui décide souverainement quel niveau de sacrifices imposer à la génération actuelle, et personne ne peut le contredire. C’est très pratique… pour l’État.

Quitte à prendre en compte les désirs non exprimés des générations qui ne sont pas encore nées, il faudrait peut-être que l’État commence par rembourser la dette qu’il a accumulée, d’environ 2 000 milliards d’euros selon le rapport Pébereau[11]. Ça allègera d’autant les impôts des générations futures. Il semble assez clair que notre descendance préférerait un désendettement tangible aux hypothétiques bénéfices d’une « augmentation de la connaissance », dont le moins qu’on puisse dire est que l’Education nationale ne semble pas en mesure de la garantir, malgré son niveau de dépense faramineux.

Même sans aller aussi loin, l’État pourrait commencer par avoir un budget en équilibre de manière à ne pas alourdir cette dette. Cela fait plus de 30 ans que l’État français n’a pas eu de budget en équilibre. Pour une institution qui se targue d’être le porte-parole des générations futures, c’est gênant.

Il faut plutôt voir l’argument de la solidarité inter-générationnelle comme un chantage émotionnel qui détourne un sentiment réel et puissant, l’amour des parents pour leurs enfants, afin de faciliter l’exercice de l’arbitraire étatique.

8) Éducation et redistribution

Une dernière variante est de dire que l’éducation n’est pas une marchandise comme les autres parce qu’il est nécessaire que les riches aident financièrement les familles pauvres à assurer l’éducation de leurs enfants.

Or c’est confondre deux questions qui sont logiquement indépendantes : celle de la redistribution, et celle de l’éducation.

La première est une question politique ; la seconde requiert au contraire une dépolitisation complète de l’école. Si on veut prendre l’argent à ceux qui en ont plus et le donner à ceux qui en ont moins, on peut toujours le faire, quelle que soit la structure du secteur éducatif.

Par exemple, il est tout à fait possible de calculer combien l’État dépense actuellement pour chaque enfant, et de faire un virement sur le compte en banque de chaque famille pour ladite somme. Ainsi les taux progressifs d’imposition restent fixes, le budget de l’éducation nationale reste de la même taille, et le principe de la redistribution est préservé – mais on a com-plètement évincé l’État de l’école.

Remettre cet argent à chaque famille, sans aucune contrainte quant à son emploi, revient à transférer le pouvoir de l’État vers les citoyens. Chaque citoyen pourra décider librement du meilleur moyen d’éduquer ses enfants. Cette révolution forcera le secteur éducatif à satisfaire les besoins de chaque famille, et non plus ceux des apparatchiks du Ministère.

Cela mettrait les partisans d’une intervention – même minime – de l’État dans l’éducation dans une position intenable. Si une famille qui en a les moyens financiers (parce qu’on l’a suffisamment subventionnée) refuse d’envoyer son enfant dans une école agréée par l’État, aux âges déterminés par l’État, suivre les programmes homologués par l’État, alors ils l’y forceraient contre son gré pour son propre bien et celui de la société.

Selon Rothbard, l’effet de toute loi sur l’éducation obligatoire est :

de forcer dans les écoles des enfants qui ont peu ou pas d’aptitude pour l’instruction. Il se trouve que, dans l’éventail des aptitudes humaines, il existe un grand nombre d’enfants inférieurs à la normale, d’enfants qui ne sont pas réceptifs à l’instruction, dont la capacité à raisonner n’est pas très forte. Forcer ces enfants à être exposés à l’instruction, comme l’État le fait presque partout, est une offense criminelle contre leur nature. Sans la capacité d’apprendre les sujets systématiques, soit ils doivent rester là et souffrir pendant que les autres apprennent, soit il faut ralentir énormément le développement des élèves brillants et moyens pendant qu’on met la pression sur ces enfants pour qu’ils apprennent. De toute façon, l’instruction n’a presque aucun effet sur ces enfants, qui gâchent un grand nombre d’heures de leur vie simplement par décret de l’État. Si ces heures étaient passées en expériences simples et directes susceptibles d’être mieux absorbées par eux, il ne fait aucun doute qu’ils seraient des enfants et par la suite des adultes mieux dans leur peau. Mais les contraindre à aller à l’école pendant la décennie formatrice de leur vie, les forcer à suivre des classes pour lesquelles ils n’ont aucun intérêt ni aucune aptitude, cela déforme complètement leur personnalité. (E:F&C, page 6)

Rothbard cite aussi la réponse d’Isabel Paterson (E:F&C, page 10) aux enseignants qui réclament la scolarisation forcée des enfants :

Pensez-vous que nul ne vous confierait volontairement ses enfants pour vous payer à les éduquer ? Pourquoi avez-vous besoin de vous emparer de vos élèves par la force ?

V) Faire confiance à l’État ?
1) Uniformité

La première raison pour laquelle on ne peut pas faire confiance à l’État pour éduquer les enfants, c’est que l’École d’État impose l’uniformité. Quand l’État contrôle les parents qui éduquent leurs enfants à domicile, il uniformise des enseignements personnalisés qui seraient sans cela d’une variété infinie. Quand l’État homologue les écoles privées, c’est là encore pour uniformiser les programmes. Finalement, l’École d’État toute entière est un monolithe uniforme où les mêmes réformes sont imposées à travers toute la France au même moment. L’uniformité sied au tempérament bureaucratique. De plus, c’est plus facile à faire respecter.

Or l’uniformité est mauvaise, surtout en éducation. C’est une violence faite à la diversité naturelle des enfants.

En effet, ce qui fait la singularité de l’espèce humaine vis-à-vis de toute espèce animale, c’est que les êtres humains sont très différenciés les uns par rapport aux autres, alors que les individus d’une même espèce animale sont beaucoup plus semblables les uns aux autres. L’unique chose que les humains ont en commun, c’est que chacun est unique.

Cette différenciation s’exprime surtout au niveau des facultés supérieures qui nous élèvent au-dessus de la bête : nos goûts, nos aptitudes, les activités que nous choisissons d’exercer. Les activités d’un animal sont génétiquement programmées, contraintes par la force de l’habitude et orientées par l’instinct. Les activités humaines, par contraste, sont infiniment variées – et c’est précisément ce qui fait la beauté du monde. Comme on dit, les goûts et les couleurs…

Le développement de la diversité des individus tend à être à la fois la cause et l’effet du progrès de la civilisation. Au fur et à mesure que la civilisation progresse, il existe plus d’opportunités pour le développement du raisonnement et du goût de la personne dans un large éventail de domaines. Et de ces opportunités naissent les découvertes dans le domaine de la connaissance et les progrès qui, en retour, élèvent le niveau de civilisation de la société. De plus, c’est la diversité des intérêts et des talents individuels qui permet la croissance de la spécialisation et de la division du travail, dont dépendent les économies civilisées. (E:F&C, page 4)

On peut distinguer trois étapes principales :

a)      Les peuples vivant à l’état sauvage sont uniformes. Les distinctions principales sont le sexe, l’âge, la taille et la force. Et c’est tout. Il n’y a pratiquement pas de variété, juste une horde indifférenciée d’hommes, de femmes et d’enfants.

b)      Au stade suivant du développement, celui des tribus barbares, on commence à observer une partition entre guerriers, sorciers et paysans.

c)      Au fur et à mesure que l’homme civilisé émerge des ténèbres, on assiste à une explosion d’occupation diverses : mécaniques, commerciales, éducatives, scientifiques, politiques, artistiques, juridiques, médicales, et ainsi de suite à l’infini.

Étant donné deux organismes, moins ils ont d’attributs en commun, plus ils sont inégaux. Seuls des robots sur la chaîne d’assemblage ou des brins d’herbe peuvent être complètement égaux, c’est-à-dire identiques dans tous leurs attributs. Avec le progrès de la civilisation et de la diversité, il existe de moins en moins de dimensions où les individus sont identiques, et donc moins d’ « égalité ». Ce constat d’inégalité, en termes de goûts, d’aptitudes ou de caractère, n’implique pas du tout qu’un individu X soit supérieur à un autre Y, bien au contraire : les gens sont par nature inclassables. Ça reflète juste la diversité humaine.

Ce raisonnement amène Murray Rothbard à une conclusion sans appel (c’est nous qui soulignons) :

Il est évident que l’enthousiasme actuel pour l’égalité est fondamentalement anti-humain. Il a tendance à réprimer l’éclosion des personnalités individuelles, la diversité, et jusqu’à la civilisation elle-même. C’est un retour à l’uniformité du monde sauvage. Comme les aptitudes et les intérêts sont naturellement divers, rechercher l’égalité dans la plupart des dimensions est nécessairement un nivellement par le bas. C’est faire obstacle à l’éclosion du talent, du génie, de la variété et de la capacité à raisonner. Puisqu’il nie les principes mêmes de la vie humaine et du développement humain, le credo de l’égalité et de l’uniformité est un credo de mort et de destruction. (E:F&C, page 4)

Il n’existe qu’un sens restreint dans lequel l’égalité entre les hommes est justifiée. Ni la raison, ni la créativité ne s’épanouissent sous la contrainte, donc chaque individu doit être libre de toute violence à son encontre. Si chaque personne a une défense égale contre la violence, cette « égalité face à la loi » lui permettra de réaliser le maximum de son potentiel.

Pour résumer, la leçon à tirer de tout cela est qu’on ne peut pas faire confiance à l’État pour respecter chez les enfants cette diversité qui est l’essence même de la vie et du développement humain.

2) Question de confiance

Nous avons déjà noté plus haut qu’on ne peut pas faire confiance à l’État pour :

a)      prendre conscience de ses propres limites,

b)      enseigner à la population comment mettre en cause l’extension des pouvoirs de l’État,

c)      et diffuser les raisonnements économiques qui délégitiment ses interventions.

Ces assertions de bon sens sont soutenues par de nombreuses écoles de pensée, dont la « théorie des choix publics ». Cette théorie, qui a valu à son inventeur James Buchanan le prix Nobel d’Économie 1986, peut être résumée ainsi :

Pour dire les choses simplement, la théorie des choix publics affirme que le comportement des politiciens et des bureaucrates peut être expliqué par les mêmes principes que ceux qui gouvernent le comportement dans les affaires économiques privées. Dans ce dernier cas, les personnes agissent généralement de manière à faire avancer leur intérêt propre.[12]

En d’autres termes, les membres de l’appareil d’État agissent généralement de manière à faire avancer leur intérêt propre, comme tous ceux qui ne sont pas fous.

Certes, ils disent souvent vouloir poursuivre l’ « intérêt général », et peut-être en sont-ils eux-mêmes persuadés. Néanmoins, la fonction même de l’agent de l’État est d’être celui qui interprète ce que la notion nébuleuse d’ « intérêt général » veut précisément dire en pratique. Il lui est donc possible d’interpréter l’« intérêt général » comme voulant dire quelque chose qui se trouve être aussi aligné avec son intérêt propre, et avec l’intérêt propre de son employeur : l’État. Les individus qui se montrent incapables de réconcilier mentalement une interprétation particulière de l’ « intérêt général » avec leur intérêt propre ne seront pas bien dans leur peau au sein de l’appareil d’État, et iront voir ailleurs. Il est, en fait, encore plus probable qu’ils seront détectés très vite par l’État et, soit recalés à l’entrée, soit gentiment poussés vers la sortie, soit enfermés dans un placard. Par ce processus de sélection naturelle, seuls resteront en activité les individus dont l’interprétation particulière de ce que veut dire l’« intérêt général » se trouve être alignée avec leur intérêt propre et celui de l’État. Par conséquent, la théorie des choix publics est parfaitement compatible avec l’existence d’agents de l’État qui sont eux-mêmes sincèrement persuadés d’agir dans l’intérêt général.

La théorie des choix publics a un pouvoir prédictif remarquable ; elle explique bon nombre de comportements de l’État qui, sans elle, seraient absolument incompréhensibles. Dans un style différent, le grand linguiste Noam Chomsky est tout aussi lucide :

C’est seulement dans les contes populaires, les histoires pour enfants, et les journaux d’information réputés sérieux, que le pouvoir est utilisé sagement et efficacement afin de détruire le mal. Le monde réel enseigne des leçons très différentes, et il faut une ignorance volontaire et soigneusement entretenue pour ne pas s’en apercevoir.[13]

Or le plus grand des pouvoirs, c’est celui de conditionner les esprits malléables des jeunes enfants afin de leur inculquer un infini respect et une dévotion réelle pour l’État. Pas pour un parti politique ou un autre, mais pour l’État en général en tant que lieu de pouvoir. Les livres d’école dépeignent généralement l’État comme un Dieu omniscient et omnipotent, bienveillant et jaloux.

Le fait que la France soit une démocratie ne rend pas le culte officiel de l’État dans les écoles moins pernicieux. Bien au contraire, il est d’autant plus essentiel que les électeurs puissent former leur propre opinion sans aucune interférence de l’État, et ce dès le berceau, puisque c’est précisément leur opinion qui est censée contrôler l’État (via le bulletin de vote), et mettre un frein à son appétit de puissance :

On n’a aucun problème à comprendre pourquoi les dictatures insistent que les media soient contrôlés par le gouvernement, ou pourquoi la liberté de la presse est considérée comme une protection fondamentale contre le pouvoir du gouvernement. (…) Les gouvernements peuvent quand même contrôler les flux d’idées sans contrôler les media, s’ils peuvent contrôler le système éducatif.[14]

La séparation de l’École et de l’État est donc tout aussi indispensable à la bonne marche de la démocratie que la séparation de la Presse et de l’État, ou celle de l’Église et de l’État (dans la mesure où la religion influence la vision du monde de ses fidèles). William Godwin, philosophe influencé par les Lumières, écrit en 1793 dans son Enquête sur la justice politique :

[O]n doit décourager sans exception tout projet d’éducation nationale à cause de son évidente alliance avec le gouvernement. Il s’agit d’une alliance d’une nature plus redoutable que l’alliance ancienne et controversée entre l’Église et l’État. Avant de placer un instrument si efficace sous le contrôle d’un agent si ambigu, il est utile que nous réfléchissions bien à ce que nous faisons. Le gouvernement ne manquera pas de l’utiliser pour raffermir sa poigne et perpétuer ses institutions.[15]

La séparation de l’Église et de l’État de 1905, intervenant après que Jules Ferry eut mis en place un système éducatif laïc sur le mode prussien, ne fut rien d’autre que la substitution d’un culte pour un autre : on évinça des écoles le culte du Dieu chrétien pour y mettre à sa place le culte du Dieu-État. Et la liberté de penser dans tout cela ? Elle ne progressa pas d’un pouce. Rothbard décrit ainsi ce phénomène :

[D]epuis que l’État a commencé à contrôler l’éducation, sa tendance évidente a été d’agir de plus en plus d’une manière qui encourage l’étouffement et l’obstruction de l’éducation, plutôt que le développement réel de la personne. Cette tendance a été orientée vers la contrainte, l’égalité forcée au niveau le plus bas, l’affaiblissement des programmes, le dénigrement des matières intellectuelles, et même l’abandon de toute instruction formalisée au profit de l’apprentissage de l’obéissance à l’État et au « groupe », plutôt que le développement d’un esprit indépendant.

Et c’est finalement la soif de pouvoir de l’État et de ses complices qui explique la place accordée par l’ « éducation moderne » à l’ « éducation totale de l’enfant » : faire de l’école une « tranche de vie » où l’individu joue, s’adapte au groupe, etc. L’effet de ces mesures est de freiner le développement des pouvoirs de raisonnement et de l’indépendance individuelle ; d’essayer d’usurper la fonction d’ « éducation » (hors de l’instruction formelle) de la famille et des amis, et d’essayer de conformer l’enfant au modèle désiré.

Comme personne n’aurait accepté la « collectivisation » brutale des enfants, même en Union Soviétique, il est évident que la prise du contrôle par l’État devait être réalisée de manière plus silencieuse et subtile. (E:F&C, pages 7-8)

Rothbard en conclut qu’au lieu d’hommes et de femmes spontanés, dissemblables et indépendants, on élève une race de moutons passifs asservis à l’État. Comme ils ne sont pas complètement développés, ils ne sont qu’à moitié vivants.

Ludwig von Mises était de la même opinion. Il disait au sujet de l’école[16] :

On ne peut lui retirer son caractère politique tant qu’elle demeure une institution publique et obligatoire. Il ne reste, en fait, qu’une seule solution : l’État, le gouvernement, les lois ne doivent en aucun cas s’occuper des écoles et de l’éducation. Les fonds publics ne doivent pas être utilisés à cette fin. Élever et instruire la jeunesse doit être l’apanage exclusif des parents ainsi que des associations et institutions privées.

Rappelons pour mémoire la définition universellement admise de l’État : c’est un groupe d’individus qui, sur un territoire donné, détient le monopole de la violence. [17] Est-ce vraiment le genre de bande organisée à laquelle on a envie de confier ses enfants ?

VI) Conclusion

Dans cette étude, nous avons essayé d’offrir une explication rationnelle, cohérente et parcimonieuse de l’ensemble des dysfonctionnements de l’École d’État : effondrement du niveau, hausse vertigineuse des budgets, manuels tendancieux, réformes incessantes, inflation réglementaire, nivellement par le bas, sabotage des apprentissages de base, etc. Il y a trop de faillites, depuis trop longtemps, malgré trop d’efforts de la part de gens de bonne volonté, pour que ça puisse être une coïncidence. Parfois, pour expliquer les dérèglements d’un système, il faut avoir le courage de remettre en question ses présupposés.

Dans un premier temps nous avons établi que l’institution étatique était mécaniquement incapable d’assurer la fonction éducative. Dans un deuxième temps, nous avons montré qu’on ne pouvait pas faire confiance à l’État pour : a) respecter la diversité des besoins des familles en matière d’éducation ; et b) résister à la tentation de conditionner en sa faveur les jeunes esprits malléables.

Cette analyse en profondeur confirme que l’État n’était jamais censé être l’institution qui éduque. Tout cela n’est qu’une gigantesque erreur historique due aux bellicistes revanchards du XIXème siècle. Une fois lancée, cette erreur s’auto-reproduit en empêchant les Français d’acquérir les schémas mentaux nécessaires pour la rectifier. L’ampleur des dégâts n’ira qu’en s’aggravant. Il est donc indispensable et urgent d’effectuer complètement et définitivement la séparation de l’École et de l’État. Pour réitérer, les trois raisons complémentaires qui justifient cette séparation sont :

a)      une raison d’organisation : permettre au secteur éducatif de s’organiser de la manière la plus apte à répondre aux besoins des familles et à minimiser les gaspillages ;

b)      une raison de liberté individuelle : permettre à chaque famille d’éduquer ses enfants comme elle l’entend ;

c)      une raison politique : permettre à chaque futur électeur d’acquérir le regard critique sur l’État qui est indispensable au plein exercice de ses responsabilités civiques.

Peut-on dire que c’est une recommandation radicale ? Sans doute. D’ailleurs ceux qui ont séparé de l’Église et de l’État en 1905 portaient eux aussi le nom de « radicaux ». Cela n’a pas été facile, et il faut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour la séparation de l’École et de l’État. La décolonisation militaire de la terre africaine n’a pas été facile, et il faut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour la décolonisation psychique de la jeunesse française.

Néanmoins, tergiverser ne ferait que rendre la période transitoire d’ajustement plus coûteuse. Et il faut bien franchir le pas un jour si les parents désirent élever des enfants libres qui, une fois arrivés à l’âge adulte, élèveront eux-mêmes des enfants libres, qui eux-mêmes…


[1] Parmi les plus récents : Vous avez dit lecture ? Catherine Thomas-Toste (2006) ; La fabrique du crétin, Jean-Paul Brighelli (2005) ; Parents d’élèves au bord de la crise de nerfs, Laurence Delpierre-Prier (2003). La liste est interminable.

[2] Courriel confidentiel au Président du HCE, Laurent Lafforgue, 16 novembre 2005. Le fait de citer M. Lafforgue n’implique pas qu’il approuve les conclusions de la présente étude.

[3] Education : Free & Compulsory, Murray Rothbard (1971). Les numéros de page se réfèrent à la version PDF disponible sur : //www.mises.org/books/education.pdf

[4] Article repris dans le livre de Mises intitulé Le Socialisme, deuxième partie, section I.

[5] Source: Yuri Maltsev, ancien conseiller économique de Mikhaïl Gorbatchev.

[6] Article publié dans l’édition du mardi 7 octobre 2003 et disponible gratuitement sur le site du Ludwig von Mises Institute à l’adresse //www.mises.org/etexts/lemonde.pdf

[7] Le meilleur livre pour les débutants est : L’économie politique en une leçon, de Henry Hazlitt (1946).

[8] Enterprising Education: Doing Away with the Public School System, Andrew Young & Walter Block, International Journal of Value-Based Management, vol. 12, n° 3, 195-207 (1999).

[9] Du contrat social – ou Principes de droit politique, Jean-Jacques Rousseau (1762), livre III, chapitre 4.

[10] Democracy : The God that failed, Hans-Hermann Hoppe (Transaction Publishers, 2001). Un extrait a été traduit par François Guillaumat sous le titre À bas la démocratie.

[11] Rompre avec la facilité de la dette publique, Rapport de la commission présidée par Michel Pébereau (2005).

[12] Privatization and Educational Choice, Myron Lieberman (1989), page 11. New York: St. Martin’s Press.

[13] The World After September 11, conférence donnée à l’AFSC (American Friends Service Committee) le 8 décembre 2001.

[14] A Theory of the Theory of Public Goods, Randall Holcombe, Review of Austrian Economics, vol. 10, no 1 (1997), pages 1-22.

[15] Livre VI, chapitre VIII. Traduction française de l’extrait : Alain Thévenet. Texte intégral en anglais disponible gratuitement sur : //www.efm.bris.ac.uk/het/godwin/pj.htm

[16] Le libéralisme, Ludwig von Mises (1927), chapitre 3, section3.

[17] Le savant et le politique, Max Weber (1919), chapitre : Le métier et la vocation d’homme politique.

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