Murray Rothbard – L’éducation gratuite et obligatoire (10/12)

coverRothbardEducationFin 2015, l’Institut Coppet a dirigé la première traduction française de Education: free and compulsory par Murray Rothbard. Elle a été réalisée conjointement par Nathanael Lavaly, Claude Balança et Marius-Joseph Marchetti. Ce petit livre apporte une critique vigoureuse de l’éducation nationalisée telle qu’on la connaît de nos jours, l’accusant d’être inefficace, injuste et tyrannique. Rothbard y défend la liberté de l’éducation, l’instauration d’un marché de l’éducation où écoles privées et éducation à la maison (homeschooling) pourraient enfin se développer. Le livre est sorti en format papier en mars aux éditions de l’Institut Coppet. Fidèle à notre projet de diffuser les idées, nous accompagnerons la version papier d’une version électronique gratuite (pdf, epub, mobi, doc et html)

Nous diffuserons aussi ce petit livre sur notre site, en 12 courtes parties. Dans la dixième partie, intitulée « Arguments pour et contre l’école obligatoire aux États-Unis », Murray Rothbard synthétise la teneur des débats à l’aube de l’instauration, aux États-Unis, de la scolarisation publique obligatoire.


Table des matières du livre :

  1. L’éducation de l’individu
  2. L’instruction formelle
  3. La diversité humaine et l’instruction individuelle
  4. Le parent ou l’État ?
  5. Les fréquentations de l’enfant
  6. Éducation obligatoire vs. éducation libre
  7. La scolarisation obligatoire en Europe
  8. Le Fascisme, le Nazisme et le Communisme
  9. L’enseignement obligatoire aux États-Unis
  10. Arguments pour et contre l’école obligatoire aux États-Unis
  11. Les objectifs de l’enseignement public : Le Mouvement éducationniste
  12. L’Instruction progressiste et la situation actuelle

 

Arguments pour et contre l’école obligatoire aux États-Unis

(Murray Rothbard, L’éducation gratuite et obligatoire)

 

La tradition individualiste sur cette question a été bien illustrée au début du XIXe siècle par Thomas Jefferson. Quoiqu’il était un ardent défenseur des écoles publiques pour aider les pauvres, Jefferson rejetait complètement le principe de l’obligation :

Il est préférable de tolérer le cas rare d’un refus par les parents de faire éduquer leur enfant, que de choquer les sentiments et les idées communes par le placement forcé de l’enfant dans une institution éducative contre la volonté du père. [1]

De manière similaire, un autre Virginien de cette époque a mis en garde contre tout transfert des droits des parents vers l’État, mettant ainsi en péril la relation vitale entre le parent et l’enfant. [2] À la fin du XIXe siècle, cependant, la tradition individualiste avait fortement décliné. Un rapport, typique de la défense de l’enseignement obligatoire, a été préparé par l’un des groupes d’éducateurs professionnels, l’association d’éducation publique de Philadelphie (1898). [3] L’association affirmait que tant qu’il y aurait des parents ignorants ou égoïstes, l’obligation devrait être utilisée dans le but de protéger les droits de l’enfant. Le rapport se plaignait qu’en Pennsylvanie la loi de 1895 sur l’enseignement obligatoire ne soit pas appliquée, et recommandait qu’elle le soit. Il indiquait que l’un des principaux soutiens de ces lois provenait du mouvement syndical naissant. [4]

Le rapport faisait pompeusement l’éloge du système prussien et de sa fréquentation obligatoire. Il louait le Massachusetts et la Prusse pour leurs systèmes qui n’autorisaient la scolarisation dans les écoles privées que pour autant que celles-ci respectaient les exigences imposées par le bureau national de l’éducation. Il vantait également le fait que le Massachusetts et l’État de New York avaient mis en place des établissements réservés aux coupables d’absentéisme à l’école, et que, si les parents refusaient d’y envoyer leur enfant absentéiste, les tribunaux pouvaient forcer la décision. L’intention des éducateurs professionnels est explicite dans certaines déclarations mentionnées dans ce rapport. Ainsi, un éducateur de Brooklyn critiquait le système alors en vigueur parce qu’il renvoyait les enfants absentéistes le 31 juillet de chaque année, et plaidait pour que la peine soit prolongée indéfiniment jusqu’à ce qu’une preuve de changement d’attitude soit présentée, ou jusqu’à ce que l’enfant ait passé l’âge de la scolarité obligatoire ; en d’autres termes, il recommandait la saisie complète et l’incarcération des jeunes absentéistes. Un directeur d’école de Newburgh, dans l’État de New York, suggérait pour sa part que les enfants de plus de 14 ans, qui n’avaient pas fréquenté les écoles, et qui étaient donc au-dessus de la limite d’âge pour la scolarisation obligatoire, devaient être forcés à fréquenter les écoles de formation manuelle, de musique et d’exercices militaires.

La Prusse était aussi présentée comme un idéal par un journal de premier plan défendant l’éducation obligatoire. L’influent New York Sun déclarait que les enfants devaient avoir une éducation, et qu’ils devaient la recevoir obligatoirement de l’État ; il faisait l’éloge de l’universalité du système de l’enseignement obligatoire en Prusse et dans les autres États allemands. [5]

En 1872, B. G. Northrup, le secrétaire du conseil de l’éducation de l’État du Connecticut, estimait qu’il allait de soi que les enfants avaient un « droit sacré » à l’éducation, et que grandir dans l’ignorance était un « crime ». (Nous avons vu dans la première partie que tout le monde, y compris les analphabètes, accèdent à la connaissance et à « l’éducation », même sans instruction formelle.)

L’association centrale des professeurs, la National Education Association, se déclarait, lors de sa réunion 1897, favorable aux lois étatiques rendant l’éducation scolaire obligatoire. [6]

Ainsi, nous voyons que les éducateurs professionnels ont été la force agissante, avec l’appui des syndicats, qui a imposé l’enseignement obligatoire en Amérique.

Il y a eu une vague d’opposition à l’enseignement obligatoire au début des années 1890, mais, dès cette époque, l’enseignement obligatoire s’est dirigé vers une victoire éclatante. Deux fois, en 1891 et 1893, Pattison, le gouverneur de Pennsylvanie — un État avec une tradition libérale dans le domaine de l’éducation — opposa son veto aux lois liées à la scolarisation obligatoire, au motif que toute interférence avec la liberté personnelle des parents était, dans le principe, contraire aux valeurs de l’Amérique. La loi a toutefois été adoptée en 1895, lorsque le gouverneur Hasting a signé le projet de loi avec beaucoup de réticence. [7] En 1892, les cadres du Parti démocrate ont déclaré :

« Nous sommes opposés à l’intervention de l’État dans les droits parentaux et les droits de conscience dans l’éducation des enfants, la considérant comme une violation de la doctrine démocratique fondamentale qui veut que la plus grande liberté individuelle compatible avec les droits d’autrui assure à la citoyenneté américaine sa plus haute valeur et à tous le meilleur des gouvernements. » [8]

______________

[1] Cf. Saul K. Padover, Jefferson (New York, Harcourt, Brace and Company, 1942), p. 169.

[2] « A Constituent », Richmond (Va.) Enquirer, January 1818.

[3] Compulsory Education, preparé par la Public Education Association of Philadelphia, 1898.

[4] Cf. Philip Curoe, Educational Attitudes and Policies of Organized Labor in the United States (New York, Teachers College, Columbia University, 1926).

[5] New York Sun, 16 April 1867.

[6] Journal of Proceedings and Addresses, N.E.A., 1897, p.196.

[7] Knight and Hall, Readings in American Educational History.

[8] Ibid. ; et H.L. Mencken, A New Dictionary of Quotations on Historical Principles from Ancient and Modern Sources (New York, A.A. Knopf, 1942), p.333-34.

 

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