Oeuvres de Turgot – 009 – Lettre à l’abbé de Cicé

Œuvres de Turgot. 009. — Lettre à l’abbé de Cicé


9. LETTRE À L’ABBÉ DE CICÉ[a]

[A. L., minute.]

(Distribution de prix à l’Académie française. — Prix de Sigorgne à l’Académie des Sciences de Rouen. — Concours à l’Académie de Soissons.)

Paris, 5 août.

J’ai reçu, mon cher abbé, une de vos lettres où vous vous plaignez de moi ; vous avez dû en recevoir une pareille. Je vois que vous avez été extrêmement occupé à vos visites de Rennes et que je dois vous savoir gré d’avoir seulement pensé à moi. Effectivement, je sens tout l’effort que cela a dû vous coûter et je serais bien ingrat de ne pas vous en savoir gré. Je vous avertis pourtant qu’en pareille matière la rareté et la difficulté n’augmentent point du tout le prix de la chose.

Il n’y a ici aucune nouvelle. J’ai assisté aujourd’hui à la distribution des prix de l’Académie. Le discours était bien écrit : des peintures des mœurs, du sentiment, peu de plan, la fin traînante et ennuyeuse, et un éloge du Roi assez bien traité : voilà le sommaire de l’ouvrage.

À propos de prix de l’Académie, Sigorgne a remporté celui de l’Académie des Sciences de Rouen, sur l’ascension des liqueurs dans les tuyaux capillaires.

Pour moi, je suis résolu de travailler à celui de Soissons sur les causes du progrès et de la décadence des sciences et des arts. Si vous pensez quelque chose là-dessus, vous me ferez plaisir de m’en faire part, je répondrai et voilà notre commerce en train.

Bon m’a envoyé quelques raisons dont j’ai été assez peu content ; il n’embrasse pas toute la question et quelquefois, il donne dans le défaut de presque tous ceux qui ont traité ce sujet jusqu’à présent et qui ont plus songé à faire une satire de notre siècle qu’à examiner la chose en philosophes.

Telles sont les raisons qu’on donne ordinairement :

1° Que le beau nous lasse et que nous voulons aller au-delà ;

2° Le trop de goût pour les plaisirs et pour la société ;

3° Le désir de plaire aux femmes ;

4° Le goût de l’universalité.

Il est visible que tout cela n’est point applicable aux siècles où s’est fait sentir la décadence des arts : siècles du Bas-Empire latin et grec ; siècle dernier en Italie. De pareilles raisons sont faites sur le préjugé de la décadence des esprits dans notre siècle et le fait est faux.

Le Bon donne d’autres raisons qui ne valent guère mieux ; par exemple, le peu d’attention à cultiver les langues dont on a toujours ignoré la facture. Comme si Virgile, Homère, Le Tasse, Camoens, Milton, Racine, s’étaient beaucoup embarrassés de rechercher la manière dont les langues s’étaient formées. Si une pareille connaissance était nécessaire, il ne faudrait pas chercher la raison de la décadence des sciences ; elles n’auraient jamais fleuri, car jamais on n’a bien connu la véritable métaphysique des langues ; à peine notre siècle commence à l’entrevoir.

J’entre dans ce détail, afin que vous voyez la manière dont Le Bon prend la question. Pour moi, voici à peu près le plan sur lequel je conçois qu’il faut réfléchir[b]

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[a] L’aîné des deux frères de Cicé.

[b] On trouvera plus loin une autre version de ce plan. Elle diffère très peu de celle que Turgot envoya à de Cicé.

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