Oeuvres de Turgot – 052 – Modération d’impôts pour pertes de bestiaux

52. — MODÉRATIONS D’IMPÔTS POUR PERTES DE BESTIAUX.

Circulaires aux Curés et aux Commissaires des tailles.

I. — Première Circulaire aux Curés[1].

[D. P., IX, 419. — A. H. V., C. 100, 101, imprimé.]

(Utilité de leur concours. — Examen des requêtes des paysans.)

Paris, 3 mai.

« Turgot, dit Du Pont, tant à raison des lumières locales des curés que de l’esprit de bienfaisance qui fait une partie de leur ministère, les regardait comme des subdélégués naturels, et disait qu’on était trop heureux d’avoir dans chaque paroisse un homme qui eut reçu quelque éducation et dont les fonctions dussent par elles-mêmes lui inspirer des idées de justice et de charité. Cette considération particulière qu’il leur témoignait, l’importance qu’il attachait à leurs recherches, à leurs certificats, à leurs avis, excitaient aussi leur zèle et le genre de travail qu’il leur demandait augmentait encore leurs lumières. » (Du Pont, Œuvres de Turgot, V. 364.)

Personne, M., n’est plus à portée que MM. les curés, par leur état, par l’éducation distinguée que cet état exige, et par la confiance que leur ministère inspire au peuple, de bien connaître sa situation et les moyens de la rendre meilleure. Comme l’administration ne doit pas avoir un autre but, il est certain qu’ils pourraient lui fournir bien des secours et des lumières très précieuses. Ils pourraient aussi rendre de grands services aux sciences, aux arts, au commerce, et surtout à l’agriculture, puisqu’ils sont seuls à portée de faire une foule d’observations qui échappent nécessairement aux habitants des villes : il ne s’agirait que de prendre la peine d’informer, ou les personnes chargées de l’administration, ou les corps qui cultivent les sciences, des faits intéressants que le hasard leur présenterait. Les instructions qu’ils pourraient donner aux paysans, en leur communiquant les découvertes et les nouvelles pratiques dont l’utilité aurait été éprouvée, seraient encore très avantageuses aux progrès de la science économique.

Persuadé que leur zèle embrasse tout ce qui peut tendre au bien public, et que tous les services à rendre aux hommes sont du ressort de leur charité, je me propose de recourir souvent à eux pour leur demander des éclaircissements de toute espèce, ou pour les prier de m’aider à rendre à leurs paroissiens une justice exacte. Vous devez donc vous attendre, M., que je m’adresserai plus d’une fois avec confiance à vous, ainsi qu’à MM. vos confrères ; j’espère même qu’eux et vous, ne vous en tiendrez pas seulement à me répondre, et je vous prie de me faire part directement de toutes les choses dont vous croirez utile que je sois instruit. Vous me feriez même plaisir d’engager ceux de vos vicaires qui auraient du goût pour les différents genres d’observations dont je vous ai parlé, à s’en faire un amusement, et à me les communiquer. Vous pouvez être assuré que je me ferai un plaisir de distinguer en toute occasion et d’obliger ceux dont la correspondance m’aura procuré des éclaircissements utiles. Je me flatte que MM. les évêques ne pourront que savoir gré aux curés d’être entrés dans de pareilles vues, et je les prierai de vouloir bien leur en témoigner leur satisfaction.

La première chose que je vous demande aujourd’hui, c’est d’informer, ou moi, ou le subdélégué le plus voisin, des accidents considérables qui peuvent arriver dans votre paroisse, surtout des maladies contagieuses qui s’y répandraient, soit sur les hommes, soit même sur les animaux ; ces occasions exigent des secours qui ne peuvent être trop prompts, et je ne puis y pourvoir si je n’en suis averti sur-le-champ.

J’ai encore à vous prier de rendre un service à vos paroissiens au sujet des requêtes qu’ils sont dans le cas de me présenter pour différents objets. Je sais que souvent ils s’adressent à MM. les curés pour les leur composer ; je ne puis trop applaudir à la charité de ceux qui veulent bien prendre ce soin et je les exhorte à continuer. Je serais fort aise qu’ils voulussent aussi se charger de m’adresser toutes ces requêtes, et qu’ils persuadassent aux paysans de ne point se détourner de leur travail pour venir me les présenter eux-mêmes, comme il ne leur arrive que trop souvent. Les audiences que je suis obligé de leur donner sont une pure perte de temps pour moi ; mais j’ai bien plus de regret encore à la perte du leur, et aux frais que leur occasionnent ces voyages, pour lesquels ils dépensent souvent plus que ne peut valoir une modération légère qu’ils viennent demander sur leur capitation.

Je vous serai donc obligé de vouloir bien prévenir vos habitants, de ma part, qu’ils feront très bien de s’épargner l’embarras de ces voyages, et de vous confier leurs requêtes pour me les faire passer ; vous pourrez en même temps les assurer que je n’en aurai pas moins d’attention à y répondre exactement et promptement. Au moyen du parti que j’ai pris de faire enregistrer et numéroter dans mes bureaux toutes les requêtes[2] avec les décisions, il devient presque impossible qu’elles soient oubliées et qu’elles restent sans être expédiées : ainsi, les paysans doivent être fort tranquilles sur la crainte de ne recevoir aucune réponse.

Je vous prie de m’adresser à Limoges, par la poste, toutes les requêtes qui vous auront été remises, et de mettre sur l’enveloppe le mot Bureau, afin qu’on soit averti d’ouvrir le paquet à Limoges dans le cas où je serais absent, et qu’on puisse enregistrer les requêtes avant de me les envoyer. J’aurai attention qu’elles soient expédiées à mesure qu’elles me parviendront ; je les renverrai répondues à MM. les receveurs des tailles ou à MM. les subdélégués, qui se chargeront de vous les faire tenir, et je vous prierai de vouloir bien les remettre aux particuliers. Il sera nécessaire qu’en m’envoyant ces requêtes vous m’en donniez avis par un mot d’écrit, afin que je sache de qui elles me viendront et à qui je dois les renvoyer.

Il y a une espèce de requêtes dont je reçois une grande quantité, et qui pourraient être facilement supprimées ; je parle de celles que les habitants de la campagne sont dans l’habitude de me présenter pour obtenir des modérations de capitation en dédommagement des pertes de bestiaux qu’ils ont éprouvées ; ces pertes sont constatées par des certificats souvent assez informes, et sur lesquels on ne peut guère compter, auxquels on a cependant égard, quelquefois par pitié pour ceux qui les apportent. Ces certificats ne peuvent être donnés avec trop de facilité, parce que, comme ils ne produisent que des modérations sur la capitation, il n’en résulte pas une surcharge immédiate pour les autres habitants de la paroisse. Il est cependant vrai que l’imposition faite sur la Province doit remplir le montant de ces modérations, et qu’ainsi elles retombent toujours sur les autres contribuables, quoique d’une manière peu sensible.

Des états des pertes de bestiaux arrivées dans chaque paroisse, dressés sous une forme claire et revêtus de la signature de curé, du syndic et des principaux habitants, auraient toute l’authenticité qu’on peut désirer. Je pourrais, sur ces états, accorder à tous ceux qui y seraient compris, la modération ordinaire, sans qu’ils eussent besoin de me présenter leur requête chacun en particulier.

J’ai fait imprimer des modèles de ces états en blanc, et j’en ai de plus fait joindre un à la suite de cette lettre, rempli de noms fictifs, pour donner une idée précise de la manière dont les états en blanc doivent être remplis.

La première colonne doit contenir l’indication des villages où habite chacun de ceux qui ont éprouvé les pertes comprises dans l’état. Cette indication est nécessaire pour qu’on puisse trouver sur les rôles des tailles l’article sous lequel chaque particulier est taxé, et lui appliquer la modération qui lui est due. La seconde colonne contient les noms de ceux qui ont perdu des bestiaux, et la troisième, le nombre et la qualité des bestiaux morts, avec la date de leur perte. Cette dernière circonstance m’a paru nécessaire à marquer pour faciliter les moyens de reconnaître si l’on n’a pas allégué des pertes supposées, et d’éviter dans les états des doubles emplois qui pourraient s’y glisser.

Il reste une quatrième colonne intitulée : Observations ; elle est destinée à remarquer quelques circonstances particulière qui pourraient influer sur le plus ou le moins de modération à accorder, comme pourrait être la perte d’un boeuf par un travail forcé pour le service du public, tel, par exemple, que la corvée ; ou bien, si le propriétaire avait essuyé depuis peu d’autres pertes considérables : s’il avait, par exemple, perdu l’année précédente la totalité de ses bestiaux ; s’il avait été incendié, il faudrait en faire mention dans cette colonne.

Ces états doivent être remplis à mesure que les accidents arrivent. C’est à vous que j’adresse les modèles en blanc. Si vous voulez les garder et vous charger de les remplir vous-même, j’en serai bien aise. Si vous aimez mieux les confier au syndic de la paroisse, en cas que celui-ci sache écrire, vous en êtes fort le maître. Dans l’un et l’autre cas, vous voudrez bien avertir vos paroissiens de venir, lorsqu’ils auront essuyé quelque perte de bestiaux, la déclarer aussitôt, ou à vous, ou au syndic, afin qu’on puisse l’écrire sur l’état. Je vous prie de les prévenir, en même temps, que ces états doivent m’être envoyés tous les mois et que je ne recevrai plus de requêtes, ni de certificats, pour les pertes qui n’auraient pas été inscrites dans le mois.

Pour n’être pas obligé de m’en rapporter uniquement à la déclaration du propriétaire, et pour que vous puissiez la vérifier sans peine, je crois qu’il n’y a pas de meilleur moyen que de lire publiquement, à l’issue de la messe paroissiale, le premier dimanche de chaque mois, l’état du mois précédent, en avertissant les paroissiens que, s’ils avaient connaissance de la supposition de quelques-unes de ces pertes comprises dans cet état, ils sont intéressés à vous en faire leur déclaration. J’espère que vous voudrez bien prendre la peine de faire cette lecture tous les mois, et effacer de l’état les pertes qui seraient reconnues fausses. Vous voudrez bien signer, en conséquence, le certificat au bas de l’état, et le faire signer pareillement au syndic et aux principaux habitants présents à la lecture. Vous me le ferez passer ensuite, et je vous renverrai une ordonnance de modération pour les particuliers qui y seront compris.

Je crois nécessaire de faire ces états de mois en mois ; si l’on attendait plus longtemps, il serait difficile que les paysans se souvinssent des pertes qu’auraient essuyées leurs voisins et de leurs dates, et l’on ne pourrait guère éviter d’être trompé quelquefois.

En conséquence, j’aurai soin de vous envoyer chaque année une douzaine d’états en blanc, afin que vous puissiez chaque mois m’en renvoyer un, rempli suivant le modèle ci-joint. Vous n’en recevrez cette année que sept, et vous ne commencerez à remplir le premier que dans le courant du mois de juin, pour me l’envoyer dans le commencement de juillet. À l’égard des pertes arrivées dans les cinq premiers mois de cette année, je vous serai obligé d’en faire aussi dresser un état dans la même forme, mais qui comprendra ces cinq mois entiers. Je vous prie, à cet effet, de demander à vos paroissiens leur déclaration des bestiaux qu’ils ont perdus depuis le 1er janvier, et de prendre toutes les précautions qui dépendront de vous pour n’être point trompé. Vous pourrez me faire tenir, au commencement de juin, un état particulier pour lequel je vous envoie aussi un modèle en blanc.

Je vous serai encore obligé, lorsque vous aurez reçu les ordonnances en modération de capitation, que je vous adresserai pour cet objet ou pour tout autre, de rendre à ceux qui les auront obtenus un second service : c’est de les faire venir chez vous avec les collecteurs, et de vous donner la peine de faire croiser en votre présence, sur le rôle, à la marge de leurs articles, le montant de ces modérations, en remettant les ordonnances aux collecteurs. Par là, vous préviendrez toutes les disputes qui pourraient s’élever à cette occasion, et les ordonnances de modération courront moins le risque de s’égarer.

Quelques peines que puissent vous donner les détails que je vous demande, le bien qui doit en résulter me persuade que vous vous y livrerez avec plaisir, et je vous serai obligé de me faire part de vos dispositions en m’accusant la réception de cette lettre.

II. — Deuxième Circulaire aux Curés.

[D. P., IX, 428. — A. H. V., C. 101. 102.]

(Utilité de leur concours pour la confection des rôles.)

Paris, 25 juin.

Les lettres que j’ai reçues de plusieurs de MM. les curés, à l’occasion de ma lettre circulaire du 3 mai dernier, m’ont donné M., la plus grande satisfaction par le zèle avec lequel ils paraissent se livrer au bien public. Je suis persuadé que ceux dont je n’ai point encore reçu les réponses ne sont pas entrés moins volontiers dans mes vues, et que j’aurai les mêmes remerciements à leur faire.

Voici, M., une nouvelle occasion de montrer votre bonne volonté. Vous pouvez, par vos soins, contribuer à rendre aussi utile qu’il est possible à vos paroissiens un travail très considérable qui va se faire pour mettre en règle les rôles des tailles de l’année prochaine. Un commissaire doit se rendre incessamment dans votre paroisse pour faire la vérification du rôle, et pour remédier autant qu’il sera possible, non pas à tous les objets des plaintes qu’a occasionnées la taille tarifée (car il est impossible de corriger, dès la première année, les imperfections des abonnements et des estimations), mais du moins pour remédier aux abus qui ont pu se glisser dans la répartition les années précédentes, et pour rendre à chacun la justice qui lui est due d’après les règles établies.

Je n’entre dans aucun détail sur les motifs et les objets de ces vérifications. Je trouve plus court de joindre à cette lettre un exemplaire de l’Instruction que j’envoie aux commissaires eux-mêmes[3]. En voyant ce qu’ils ont à faire, vous verrez en quoi vous pouvez les aider, et vous pourrez en même temps instruire vos paroissiens de ce qu’ils doivent faire pour profiter de la présence du commissaire et le mettre à portée de leur rendre une pleine justice.

Parmi les objets généraux du voyage des commissaires, je leur ai proposé, comme à vous, de rassembler toutes les observations qui viendront à leur connaissance sur les différentes matières relatives à l’administration du bien public[4]. Je suis entré dans un détail un peu plus grand que dans la lettre du 3 mai[5] ; ainsi, je vous prie, en lisant cet article de l’Instruction aux commissaires, de le regarder comme vous étant adressé et comme formant un supplément à ma première lettre.

Quant à l’objet principal de leur voyage, qui consiste dans la vérification des rôles, je vous serai obligé de vouloir bien leur procurer toutes les facilités qui dépendront de vous, et surtout d’engager vos paroissiens à se rendre assidus aux vérifications, chacun pour le canton ou village qui le concerne ; de leur faire sentir combien ils sont intéressés à s’y trouver, soit pour se défendre contre les déclarations que d’autres pourraient faire à leur préjudice, soit pour déclarer eux-mêmes ceux qui voudraient se soustraire aux impositions qu’ils doivent supporter, ce qui porterait préjudice aux autres contribuables.

Vous pouvez encore faciliter infiniment le travail des vérifications en communiquant aux commissaires, dans l’assemblée, vos registres des baptêmes et des sépultures, pour y vérifier la date des naissances et des morts, lorsque ces dates doivent influer sur la formation de quelque cote. Je crois vous faire plaisir en vous proposant d’exercer par là une action de charité envers vos habitants.

Il est possible que, dans l’intervalle qui s’écoulera entre le départ du commissaire, après sa vérification, et le 1er octobre, jour auquel la taille est due au Roi, il arrive dans votre paroisse quelques changements par mort, vente, ou autrement, dont vous ne pouvez manquer d’être instruit. Vous rendrez un grand service à votre paroisse, et surtout aux collecteurs de l’année prochaine, si vous voulez bien prendre la peine d’en former un état, de le lire dans l’assemblée des habitants le premier dimanche du mois d’octobre, et de l’envoyer signé de vous, du syndic, du collecteur porte-rôle, et de tous ceux des collecteurs et des habitants présents qui sauront signer, au commissaire chargé de votre paroisse, lequel établira en conséquence ces changements sur le rôle.

Je vous prie aussi d’avoir soin que le billet d’avertissement par lequel le commissaire indiquera le jour de son arrivée, soit exactement publié, et d’en expliquer les dispositions tant aux syndics et Collecteurs qu’aux autres habitants, et en particulier aux anciens collecteurs qui ont des états de faux taux à présenter.

J’espère, M., que je n’aurai pas moins de remerciements à vous faire sur cet objet important que sur les états de bestiaux que vous voulez bien prendre la peine de dresser.

P. S. — Plusieurs de MM. les curés m’ont paru douter si les brebis devaient être comprises dans les états de bestiaux. Il est vrai que, lorsqu’il ne s’agit que d’une ou deux brebis, la modération qu’on obtiendrait par là serait si peu considérable que ce n’est guère la peine d’en faire un article particulier dans les états : mais, lorsque le nombre est plus considérable et va jusqu’à dix ou douze, il est juste d’en faire un article, mon intention étant d’accorder une modération toutes les fois que la perte est considérable[6].

J’ai vu avec douleur que, dans quelques paroisses, le curé a signé seul parce que personne ne savait signer ; cet excès d’ignorance dans le peuple me paraît un grand mal, et j’exhorte MM. les curés à s’occuper des moyens de répandre un peu plus d’instruction dans les campagnes, et à me proposer ceux qu’ils jugeront les plus efficaces. S’ils pouvaient, au défaut de signature, faire apposer dans les assemblées la croix du syndic et des principaux habitants, cette espèce de solennité me semblerait propre à exciter la confiance du peuple, et je leur en serais obligé.

Parmi les réponses que j’ai reçues à ma lettre du 3 mai, quelques-unes contiennent des observations intéressantes. J’y ai trouvé aussi des représentations sur plusieurs abus dont je sens tous les inconvénients, et auxquels je voudrais bien pouvoir remédier. Mais, sur quelques-uns, je ne vois que des moyens très peu faciles à mettre en œuvre, et peut-être dangereux par l’atteinte qu’ils donneraient à la liberté dont chaque citoyen doit jouir et qui ne saurait être trop respectée.

III. — Troisième Circulaire aux curés.

[A. Cor., C. 1.]

(Application des Circulaires précédentes. — Les bêtes à laine.)

28 septembre.

Je me suis fait rendre compte, M., de l’état que vous avez bien voulu m’envoyer des bestiaux que vos paroissiens ont perdus pendant les cinq premiers mois de cette année ; j’en ai fait faire la copie que je vous envoie, au bas de laquelle vous trouverez l’Ordonnance que j’ai rendue pour la diminution qu’il m’a été possible d’accorder aux propriétaires de ces bestiaux sur leur capitation de la présente année.

Vous pourrez remarquer, dans cet état de modérations, que je n’en ai point accordé pour la perte des bêtes à laine ; mon premier dessein était cependant d’en accorder aussi pour cet objet, mais après avoir bien réfléchi, j’ai cru devoir me borner à gratifier ceux qui ont perdu de gros bestiaux. Bien des raisons m’ont déterminé à prendre ce parti.

En premier lieu, tous MM. les curés n’ont pas suivi la même règle pour comprendre les brebis dans les états qu’ils m’ont envoyés ; les uns n’en ont omis aucune de celles qui leur ont été déclarées ; d’autres n’en ont fait mention que lorsqu’il y en avait un nombre considérable ; au moyen de quoi, je n’aurais pu répartir la gratification dans toutes les paroisses dans la même proportion que la perte. En second lieu, j’ai considéré que la perte des bêtes à laine, quoi qu’assez considérable, se répare facilement par la naissance des agneaux, au lieu qu’un bœuf perdu ne peut plus se remplacer qu’avec de l’argent.

Une troisième raison est la multitude des pertes de ce genre : quelque peu que j’accordasse pour chacune, la totalité des modérations surpasserait de beaucoup les fonds destinés à subvenir aux diminutions de capitation ; il faudrait donc, ou prendre le surplus sur des diminutions dues à des accidents plus fâcheux, ou augmenter les charges de la province ; et je trouve beaucoup moins d’inconvénients à supprimer la gratification que je destinais au dédommagement de ceux qui ont perdu des moutons.

Mais, au défaut de ces gratifications, j’ai pris un parti qui leur sera encore plus avantageux et qui pourra encourager encore plus la multiplication des bêtes à laine, c’est de supprimer totalement la taxe à laquelle elles étaient ci-devant assujetties dans les rôles des taille ; le préambule des rôles ne fixant aucun tarif pour cette espèce de bétail, je me crois suffisamment autorisé par là à ne point la taxer du tout.

Comme je désire que chacun des particuliers, compris dans l’état ci-joint, ait connaissance de la modération que je leur ai accordée, je vous serai obligé de les faire venir chez vous avec les collecteurs de 1762, et de vous donner la peine de faire croiser en votre présence sur le rôle de la capitation, à la marge de leurs articles, le montant de la modération que j’ai fixée pour chacun, dans la colonne intitulée : décision de M. l’Intendant.

Vous voudrez bien remettre ensuite mon Ordonnance aux collecteurs, afin qu’ils s’en fassent tenir compte dans le premier paiement qu’ils feront au receveur des tailles de leur exercice ; vous préviendrez par là toutes les discussions qui pourraient s’élever à cette occasion, et je serai certain que ceux de vos paroissiens qui auront essuyé quelque perte jouiront exactement de la modération portée par mon Ordonnance.

IV. — Circulaire aux Commissaires des Tailles.

[A. Cor., C. 1.]

(Les bêtes à laine.)

28 septembre.

Cette circulaire a le même objet que la circulaire ci-dessus adressée aux curés ; elle fait connaître que le contrôleur général, pour encourager la multiplication des bêtes à laine, s’est proposé d’exempter totalement d’impositions, cette espèce de bétail. « Je n’ai pas hésité, dit Turgot, à me conformer à des vues si sages, en vous mandant de ne point taxer les bêtes à laine dans les rôles que vous allez faire. »

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[1] À la circulaire, était joint un modèle qu’il serait sans intérêt de reproduire.

« Dans l’état même où se trouvaient les curés, dit Du Pont, comme ils étaient presque les seuls hommes lettrés de la campagne et obligés de prêcher la morale, d’apaiser les querelles, de recommander la concorde et l’union, le poids de ces fonctions paternelles rendait leur service très désirable pour préparer l’esprit du peuple au bien qu’on voulait lui faire : car on avait tant et si longtemps fait du mal aux classes inférieures de la société, qu’elles ne pouvaient entendre parler de l’administration qu’en tremblant, et s’imaginaient toujours qu’on ne s’occupait d’elles que pour enlever à leur pauvreté le fruit pénible de ses sueurs. » (Du Pont, Mémoires, 72.)

[2] Voir ci-dessus la circulaire sur l’Enregistrement des requêtes, p. 133.

[3] « On n’a pas cru, dit Du Pont, devoir réimprimer cette Instruction, qui remplirait environ cent pages, se rapportant à un intérêt local qui n’existe plus. Elle aurait cependant montré avec quelle sagacité, quelle prévoyance, quelle prudence, M. Turgot s’occupait des moindres détails propres à substituer une exacte justice au désordre qui avait jusqu’alors régné dans la répartition des impositions de la province qui lui était confiée. »

Cette Instruction n’a pas été retrouvée.

[4] Voir ci-dessus, p. 154.

[5] Voir ci-dessus, p. 169.

[6] Voir la circulaire du 28 septembre, ci-dessous.

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