Œuvres de Turgot – 220 – Les impôts

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

220. — LES IMPÔTS

I. — Perception.

Circulaire à divers intendants.

[A. Calvados. — A. Haute-Marne. — A. Neymarck, Nouvelles lettres inédites de Turgot.]

(Troubles et Développement de la contrebande.)

Versailles, 4 février.

Je vous ai déjà écrit, M., au commencement de l’année dernière[1] ainsi qu’à tous MM. les Intendants, sur les avis que j’avais reçus de la fermentation que des gens mal intentionnés cherchaient à exciter parmi le peuple contre la perception des revenus du Roi et particulièrement contre les droits des Fermes. L’esprit de justice et l’affection pour son peuple que le Roi a marqués dans les premières démarches qu’il a faites au commencement de son règne, ont servi de prétexte pour abuser les peuples et leur faire espérer la suppression de plusieurs droits. Le premier désir du Roi sera toujours de venir au secours de ses sujets, lorsque les circonstances pourront le lui permettre ; mais il ne souffrira pas qu’il soit donné d’atteinte à son autorité, ni que ceux qui perçoivent les impôts en son nom soient troublés dans leurs fonctions.

Ces fermentations, sourdes dans les commencements, ont eu les suites funestes qu’on en devait attendre ; elles ont enfin éclaté dans plusieurs provinces : l’audace avec laquelle les troupes nombreuses de contrebandiers se sont montrées, sur les côtes et dans plusieurs autres parties de son royaume, détermine S. M. à prendre les mesures les plus efficaces pour étouffer dans son principe, cet esprit de révolte contre son autorité. Elle m’a ordonné de vous en écrire et de vous charger de sa part de me mettre en état de lui rendre compte des faits qui seront venus à votre connaissance. Elle est informée que ces excès sont la suite d’associations fort considérables pour y fournir leurs fonds et préparer les moyens d’exécuter ces entreprises criminelles ; elle vous charge en conséquence de prendre sur ces objets tous les éclaircissements que vous pourrez vous procurer, soit par votre subdélégué, soit par les Directeurs des Fermes qui sont dans votre Généralité, et de me mander ce que vous pensez des moyens les plus propres à contenir les contrebandiers. Je crois devoir vous prévenir que le Roi attend sur cet objet important les preuves du zèle que vous avez pour le bien de son service. L’intention de S. M. est qu’il soit exactement rendu justice à tous ses sujets, et si quelques-uns de ceux qui habitent votre Généralité avaient des plaintes légitimes à faire sur des perceptions injustes ou abusives, ils peuvent s’adresser à vous ou à moi, et vous aurez soin de vérifier les faits pour me mettre en état de leur faire rendre justice. Mais si les employés des Fermes doivent être contenus dans les bornes des perceptions légitimes, ils doivent être soutenus et protégés dans leurs fonctions ; c’est l’intention du Roi.

J’espère que vous me mettrez en état de la remplir en m’envoyant un avis fondé sur les connaissances locales que vous avez, qui indiquent les moyens les plus propres à arrêter l’audace des contrebandiers et à réprimer l’indiscrétion de ceux qui tendraient à exciter et à fomenter cette fermentation dangereuse…

II. — Les Gabelles.

1. Arrêt du Conseil rendant à des propriétaires de bois affouages aux Salines royales la liberté de disposer[2].

[D. P., VIII, 386.]

4 mars.

Le Roi, s’étant fait représenter, en son conseil, tous les différents règlements rendus, tant par les rois ses prédécesseurs que par les anciens souverains de son Comté de Bourgogne, concernant l’affectation des bois, tant de ceux de ses forêts que ceux appartenant aux seigneurs particuliers, Communautés séculières et régulières, à l’affouagement de ses Salines ; S. M. a vu avec peine que la nécessité de les pourvoir de bois avait forcé ses prédécesseurs à priver les propriétaires de ces bois, du droit qui leur appartenait de disposer du produit de leurs terres, de la manière qui leur aurait paru la plus convenable pour leur intérêt.

Par ces règlements, et notamment par ceux de 1586 et 1604, tous les bois situés dans ses six lieues comtoises de la ville de Salins étaient affectés ou destinés à l’affouagement de la Saline de cette ville.

Par divers arrêts du Conseil, tous les bois situés dans des arrondissements circonscrits, étaient pareillement affectés ou destinés au service des Salines de Salins ou de Montmorot.

S. M. a reconnu que le feu Roi s’était occupé de chercher les moyens de parvenir à approvisionner ses Salines sans laisser subsister des règlements si préjudiciables à plusieurs sujets propriétaires de bois… C’est dans cet esprit que, par arrêt de son Conseil, S. M. a accepté les offres qui lui ont été faites de conduire une partie des eaux salées de la source de Salins, jusque sur les bords de la forêt de Chaux qui lui appartient, d’y construire une nouvelle Saline, et d’y employer le bois provenant de la coupe de la dite forêt de Chaux…

Quoique cette nouvelle saline ne soit pas encore entièrement construite, et que S. M. n’en puisse encore tirer les avantages qu’elle s’en était promis, elle a cru devoir se hâter d’annoncer à ses sujets l’intention où elle est de les affranchir des règlements qui gênaient la vente et le débit de leurs bois.

S. M. aurait désiré qu’il lui eût été possible dès à présent de se passer de tous les bois compris dans ces arrondissements, mais les bois qui lui appartiennent et qu’elle se propose de destiner à cet usage n’étant pas encore en assez grande quantité pour pouvoir suffire à ce service, S. M. en rendant dès à présent la liberté entière aux propriétaires des bois situés dans les quatrième, cinquième et sixième lieues de l’arrondissement de Salins, a fixé au 1er octobre 1778 l’époque à laquelle les seigneurs et propriétaires particuliers, situés dans les trois premières lieues des arrondissements de Salins et de Montmorot, pourront librement disposer de leurs bois. Elle est forcée de laisser encore les bois appartenant aux communautés assujettis à l’usage des salines, en se réservant d’employer tous les moyens qui seront en son pouvoir pour parvenir à étendre à ces communautés la liberté qu’elle accorde aux particuliers.

Les entrepreneurs de la formation des sels, dans ces salines, ont offert à S. M. de continuer de lui fournir les quantités de sels convenues au même prix fixé par leur traite, quoique cette liberté soit rendue aux propriétaires des bois ; mais ils ont observé qu’ils ne pouvaient en même temps continuer de fournir les chantiers des villes de Salins et de Lons-le-Saulnier, comme ils s’y étaient engagés.

S. M. s’est fait rendre compte, en son Conseil, des représentations faites par les officiers municipaux de ces deux villes, qui ont été instruits de ce projet ; elle a jugé que, l’affectation de ces bois étant le seul prétexte qui pût autoriser cette obligation, il était juste d’en décharger les entrepreneurs, puisqu’ils étaient privés des ressources qu’ils trouvaient dans les bois des particuliers pour la remplir. S. M. a bien voulu cependant prendre tous les moyens qui lui ont paru propres à faciliter aux habitants de ces villes l’approvisionnement de bois destinés à leur consommation, sans nuire aux droits des propriétaires de bois.

(Arrêt conforme.)

Art. II. Distrait pareillement S. M., à compter de l’époque qui sera ci-après fixée, tous les bois appartenant aux seigneurs ou particuliers, situés même dans les trois lieues de l’arrondissement des salines de Salins ou de Montmorot, soit que ces bois soient de la nouvelle ou de l’ancienne affectation[3].

2. Arrêt du Conseil sur la vente du sel de Neuvy.

[D. P., VIII, 534.]

23 avril.

(Arrêt ordonnant aux officiers du grenier de Neuvy et à tous autres, de fournir sans frais à l’adjudication des fermes, de quartier en quartier, des certificats de ce qui aurait été vendu de sel et de ce qui en resterait, et leur défendit d’intenter aucune action pour raison des gratifications d’excédents de ventes ailleurs qu’au Conseil.

3. Projet de suppression.

Turgot voulait supprimer plusieurs impôts, en convertir un grand nombre d’autres, de manière à rendre les impositions moins onéreuses et réunir dans une seule régie intéressée tous les impôts indirects dont les circonstances forceraient de prolonger la durée.

L’équité exigeait que des arrangements fussent conclus avec les compagnies fermières existantes. On avait commis l’imprudence de leur demander des avances considérables, et il aurait fallu les rembourser.

Turgot aurait exposé aux assemblées des Provinces, soumises aux aides et aux gabelles, ce que ces impositions coûtaient au peuple ; il leur aurait confié le soin de l’exécution de la réforme. Il leur aurait prescrit de respecter les exemptions anciennes, mais de n’en point établir de nouvelles.

La gabelle, par exemple, portait sur les citoyens de tous les ordres, excepté un très petit nombre de magistrats qui jouissaient d’une exemption sous le titre de franc-salé, pour la consommation de leur maison.

En percevant l’imposition de remplacement pour une somme égale à ce qu’il en coûtait précédemment, il en serait résulté environ 30 millions d’augmentation de revenus, avec lesquels on aurait pu supprimer les droits de traite, et du Domaine d’Occident qui, réunis, montaient à 19 millions, et diminuer les Tailles de 11 millions (Du Pont, Mém., 334).

III. — Marque des cuirs et Marque des fers.

Projet de suppression.

Les cuirs, lors de la perception du droit, étaient frappés d’une marque. Mais la nature des peaux susceptibles de s’étendre par l’humidité et de se resserrer par la sécheresse, laissait toujours lieu de soupçonner la fraude et mettait dans l’impossibilité de reconnaître la fidélité des marques. De là, une foule de procès plus onéreux que l’impôt. Turgot, touché de la décadence des tanneries, proposa les moyens de remplacer le droit de marque par un impôt non vexatoire. L’État aurait économisé un million qui était consumé aux frais d’une régie très compliquée.

Il avait préparé aussi la suppression de la marque des fers. (D. P., Mém., 344.)

IV. — Droits d’amortissement.

Arrêt du Conseil allégeant ces droits sur les dîmes perçues au profit des Curés.

[D. P., VIII, 105. — D. D., II, 415.]

29 janvier.

Vu par le Roi, étant en son Conseil, le Mémoire que le clergé de France a présenté à S. M. lors de sa dernière assemblée, contenant : Que les transactions sur les novales et autres dîmes entre les décimateurs, sont considérées comme étant assujetties au droit d’amortissement ou à celui de nouvel acquêt, lorsque les dîmes sont cédées aux gros décimateurs ou curés primitifs, sous prétexte que l’article XIV du règlement du 13 avril 1751 paraît n’avoir affranchi de l’amortissement les dîmes dépendantes des paroisses, que dans le cas seulement où elles sont acquises par les curés au profit de leurs cures. Le clergé ayant déjà fait des représentations sur cet objet lors de son assemblée tenue en 1769, le feu roi répondit qu’il ne pouvait étendre aux gros décimateurs ou curés primitifs la faveur accordée aux curés ou vicaires perpétuels. Vu pareillement l’article XIV du règlement du 13 avril 1751, concernant le recouvrement des droits d’amortissement et franc fief, par lequel, dans la vue de faciliter le retour et la rentrée des dîmes dans les mains des curés des paroisses, il a été ordonné qu’il ne serait payé aucun droit d’amortissement pour raison des transactions, concordats ou acquisitions que les curés pourraient faire au profit de leurs cures, avec les gros décimateurs ou autres ecclésiastiques ou laïques, au sujet des dîmes de leurs paroisses, soit qu’elles fussent ecclésiastiques ou inféodées ; la réponse, faite au cahier présenté par le clergé en l’année 1760, par laquelle, en confirmant l’exemption des droits d’amortissement et de centime denier en faveur des curés ou vicaires perpétuels auxquels la dîme serait abandonnée par des concordats faits entre eux et les gros décimateurs ou curés primitifs, le feu roi a déclaré ne pouvoir étendre cette faveur aux abandons à perpétuité que feraient les curés ou vicaires perpétuels, soit de leurs dîmes, soit des fonds et domaines de leurs cures aux gros décimateurs ou curés primitifs ; ensemble l’arrêt du Conseil du 24 novembre 1774, par lequel S. M. a ordonné que les actes qui seraient faits pendant l’espace de deux années, à compter du 1er janvier 1775, par lesquels les gros décimateurs ou curés primitifs abandonneraient, soit en totalité, soit en partie, aux curés ou vicaires perpétuels qui n’auraient point fait l’option de la portion congrue en conformité de l’édit du mois de mai 1768, les dîmes anciennes ou novales qui leur appartiendraient dans les cantons déterminés de chaque paroisse, et par lesquels les curés ou vicaires perpétuels céderaient en même temps leurs dîmes novales, dispersées dans leurs paroisses, aux gros décimateurs ou curés primitifs, sans qu’il fût payé de part ni d’autre aucuns deniers à titre de soulte ou autrement, seraient et demeureraient par grâce déchargés de tout droit d’amortissement ; S. M. a reconnu qu’il serait utile au bien des paroisses, non seulement que les échanges, mais encore que tous autres actes, concordats transactions et autres arrangements relatifs à la propriété des dîmes, fussent affranchis pour toujours du droit d’amortissement, tant dans le cas où les dîmes seront abandonnées par les gros décimateurs ou curés primitifs, aux curés ou vicaires perpétuels, que dans celui où elles seront cédées par les curés ou vicaires perpétuels aux gros décimateurs ou curés primitifs.

À quoi désirant pourvoir, le Roi ordonne :

Que les dîmes qui seront acquises par les curés des paroisses continueront de jouir de l’exemption de tous droits d’amortissement et de nouvel acquêt ; ordonne en outre, que tous échanges, concordats, transactions et autres actes, par lesquels les curés ou vicaires perpétuels céderont les dîmes aux gros décimateurs ou curés primitifs, seront et demeureront pareillement affranchis de tous droits d’amortissement et de nouvel acquêt ; n’entendant néanmoins que les gros décimateurs ou curés primitifs puissent répéter aucuns droits de ce genre qui auraient été payés avant le présent arrêt.

V. — Droit de marc d’or.

Suppression du droit sur les traitements militaires.

Mémoire au Roi.

 [A. L., copie.]

Janvier.

Le Roi, s’occupant d’établir des principes invariables dans la distribution des charges et emplois militaires, de manière qu’ils ne puissent être remplis à l’avenir que par des officiers qui les auront mérités par l’ancienneté et la distinction de leurs services, et S. M. se proposant d’attacher aux dits emplois un traitement qui ne puisse éprouver par la suite aucune augmentation ni diminution, et qui soit en même temps proportionné à l’importance des charges et aux dépenses qu’elles exigent, a pensé qu’il serait également de sa dignité et de sa justice d’affranchir les dites charges et emplois des impositions ou retenues qui, établies originairement sur des offices de finance ou de judicature, n’auraient jamais dû s’étendre sur des récompenses militaires.

Tel est le droit de marc d’or auquel on avait assujetti tous les emplois militaires indistinctement par l’Édit de décembre 1770, et qui ne se perçoit plus que sur ceux dont l’état est ci-joint, depuis l’arrêt du Conseil du 13 avril 1775.

Cette imposition ayant été établie anciennement en considération de l’hérédité accordée aux offices de finance et de justice, on ne voit point de motif, même plausible, pour l’étendre sur des charges qui ne sont données qu’à vie, ou pour un temps, qui n’étant que le prix des services, sont moins des grâces que des récompenses, qui n’accordent d’autre privilège que celui de continuer de servir l’État dans un rang plus honorable ; enfin, qui pour la plupart n’ont point de finance, ou dont la finance, s’il en existe, se perd par la mort de ceux qui en sont pourvus, à moins qu’il n’ait plu à S. M. de leur accorder des brevets de retenue, c’est-à-dire de leur assurer la rentrée d’une partie de leurs fonds.

La retenue du dixième qui se fait annuellement sur les appointements de plusieurs de ces charges, est également une imposition de finance, qui, en occasionnant une réduction considérable sur le traitement que le Roi se propose de leur fixer, détruit la proportion que S. M. est dans l’intention d’établir entre l’emploi, les dépenses qu’il entraîne et le grade de l’officier qui en sera revêtu.

On propose, en conséquence, de supprimer le marc d’or et la retenue du dixième sur les charges comprises dans l’état ci-joint, et de ne laisser subsister que la capitation et les 4 deniers pour livre.

La première de ces deux impositions s’étend sur tous les sujets du Roi, et les officiers de ses troupes doivent y être assujettis en raison du rang qu’ils tiennent dans l’État ; on croit seulement qu’il sera nécessaire d’arrêter un nouveau tarif à leur égard.

Quant aux 4 deniers pour livre, ils ont une destination purement militaire, et il est juste que tous les grades et emplois militaires y contribuent[4].

VI. — Autres impôts et revenus.

1. Droit de contrôle, tabac, domaines.

Turgot voulait aussi fixer plus clairement les droits de contrôle, abaisser le prix du tabac qui donnait trop de prise à la contrebande et réformer la législation en ce qui concernait les substitutions, les droits féodaux, le domaine royal, les prêts d’argent, les douanes à l’intérieur, les péages sur les ports, et préparer la liberté dans les colonies, etc. (Journal de Véri, avril 1776).

2. Eaux et forêts.

Il comptait charger l’assemblée de chaque province de la régie des eaux et forêts comprise dans son territoire et réformer cette administration où les abus dévoraient la plus grande partie des produits. Les économies auraient été consacrées à la diminution des tailles. (D. P., Mém., 339.)

Il ne croyait pas utile de maintenir absolument le principe de l’inaliénabilité du domaine de la Couronne et de conserver indéfiniment une multitude de biens royaux qu’on ne pouvait administrer avec économie. La vente de ces biens aurait fourni au trésor des ressources à appliquer à l’acquittement des dettes de l’État. (D. P., Mém., 398.)

VII. — Droits seigneuriaux.

1. Projet de suppression.

On a beaucoup parlé des principes et des plans de Turgot relativement aux droits féodaux. La seule loi qu’il ait rédigée à ce sujet regardait les droits de banalité. Ces droits ayant été institués seulement sur les denrées destinées à la consommation, Turgot croyait devoir empêcher qu’on les étendît aux produits destinés au commerce et qu’on les élevât au delà de la consommation amiablement estimée.

Il comptait proposer au Roi d’accompagner le règlement à intervenir pour l’exemption de ces droits de toute servitude personnelle pour les vassaux du domaine royal.

Il voulait aussi supprimer les droits de banalité appartenant aux corps municipaux, comme il l’avait fait à Rouen, et trouver dans une meilleure administration des revenus des villes, de quoi compenser la perte peu considérable que causerait l’abolition.

Il commença par les droits féodaux sur les grains et farines.

Il voulait ensuite détruire tous les droits qui nuisaient à la réunion des héritages, et les péages sur les terres domaniales et seigneuriales. Il aurait racheté les péages royaux à l’aide d’un fonds créé sur l’excédent de revenus à partir de 1777, et pour les autres droits domaniaux à l’aide de conversions en redevances annuelles.

Le Roi désirait la suppression des droits féodaux. On pouvait donc espérer que les seigneurs, pour mériter ses bontés ou par patriotisme, prendraient l’initiative de la suppression sur leurs terres. C’est ce que firent L’Averdy[5], dans le marquisat de Gambais et Barentin président de la Cour des Aides, dans la Seigneurie de Hardivilliers (Arrêt du Conseil du 14 mars). — [D. P., VIII, 393].

2. Lettres à l’archevêque de Narbonne (Dillon), président des États du Languedoc.

[A. N. H, 925. — Foncin, 608.]

(Droits sur les grains. — Pension du Chevalier de Luxembourg.)

Première lettre, personnelle.

23 février.

Trouvez bon, M., que cette lettre soit de M. Turgot à M. Dillon, soit pour vous seul. Vous pouvez penser que je dois être affligé de la délibération qu’ont prise les États relativement aux articles 10 et 11 des Instructions. Je ne le suis pas moins de vous voir appuyer avec un ton de conviction sur des motifs qui ne me paraissent pas faits pour arrêter le vœu des États et dont je ne me rappelle pas que vous m’ayez paru frappé lors de notre conférence[6]. Il ne s’agit point d’engager les États indéfiniment, mais seulement de mettre en réserve un fonds qui ne forme aucune charge nouvelle sur le peuple et qui provient uniquement des arrangements économiques du Roi. Je ne puis que vous répéter aujourd’hui ce que j’ai eu l’honneur de vous marquer à l’occasion de l’imposition des milices, c’est que dans la position où se trouve le Roi, ayant à réparer les tristes suites des dissipations du dernier règne, tout le monde doit se prêter à ce que les économies qui pourront être faites sur quelques parties que ce soit, tournent au rétablissement de ses finances. Je ne puis comprendre la résistance des États qu’en y supposant un motif secret. Est-ce l’influence des propriétaires des droits sur les grains qui craignent qu’on ne les dépouille de leurs droits ? Vous connaissez la façon de penser du Roi. Son intention est, en soulageant ses peuples, de dédommager avec une entière justice ceux qu’il sera nécessaire de priver d’un revenu pris sur le peuple ; je m’en suis expliqué avec vous. Il est aisé de lever toute inquiétude, en spécifiant que les États seront dans le cas de délibérer sur chaque objet à rembourser, en sorte que la délibération actuelle ne soit qu’une réserve de fonds destinée à une opération qui doit être exécutée avec le temps et non une application actuelle de fonds à un objet précis. Il n’est pas possible que les personnes éclairées des États, convaincues comme elles le sont, des avantages du commerce des grains, ne sentent pas combien tous ces droits locaux y mettent d’obstacles, surtout par la gêne qu’ils mettent dans les spéculations des négociants qui doivent éviter de former des entrepôts dans les lieux où ces droits existent. Il faut ajouter que l’existence de ces droits soudoie dans le Royaume une foule d’entraves à la liberté et au commerce des grains : propriétaires des droits, fermiers, juges fiscaux, employés subalternes, et que toutes ces voix, muettes pendant l’abondance, s’emploient dans les temps de cherté à susciter celle du peuple, pour faire garnir les marchés.

Voilà mes motifs pour désirer cette suppression et pour en presser l’exécution avec la réserve et la lenteur que peuvent exiger d’un côté la sagesse, et l’avantage d’adoucir les inquiétudes trop répandues dans les esprits, et de l’autre l’énormité des sommes qu’il faudrait sacrifier au remboursement si on voulait l’effectuer tout entier à la fois. La province de Languedoc et vous en particulier plus que personne, M., êtes faits pour sentir l’utilité de ces vues.

J’ai soupçonné que l’histoire de la pension du chevalier de Luxembourg avait pu donner de l’humeur ; comme le Roi ne m’en avait point et ne m’en a point encore parlé, j’ai dû l’ignorer lors de la rédaction de l’Instruction, mais je dois vous observer que cette Instruction présentait précisément aux États un moyen de ne pas entendre parler de cette pension, car, ayant destiné à l’objet que je lui indiquais le fonds sur lequel elle était assignée, ils me mettaient dans le cas de chercher à la placer sur quelqu’autre fonds, au lieu qu’à présent, le bon ayant été pris par M. de Malesherbes, sans que j’en aie eu part, je n’ai aucun motif pour la porter sur le Trésor royal, en sorte que la province se trouvera en quelque sorte compromise avec le Roi ; si la délibération, telle qu’elle est, subsiste, j’espère, M., qu’avec la prudence convenable, vous voudrez bien faire valoir celles de ces réflexions qui peuvent être communiquées.

Deuxième lettre, personnelle.

Paris, 14 mars.

J’ai été bien surpris, M., de voir par votre lettre du 1er mars que vous aviez cru voir dans celle que j’ai eu l’honneur de vous écrire le 23 février, des reproches durs et personnels à vous ; je crois pouvoir me plaindre à mon tour d’un peu de vivacité que je n’ai pas plus méritée de votre part que vous n’avez mérité d’essuyer des reproches pour prix des soins, des peines et des fatigues que vous vous êtes donnés pendant cette tenue d’États, et dont je connais le prix mieux que personne.

J’étais bien sûr que la lettre écrite de ma main ne contenait pas un mot qui pût vous blesser, et qu’elle était tout entière sur le ton de confiance, et j’ose dire d’amitié, qui convient entre nous. Elle ne pouvait être autrement, car je n’écris jamais que ce que je pense.

Je me suis fait représenter la lettre[7] du bureau du même jour et j’ai vu que le mot de mécontentement qui a excité votre réclamation ne pouvait en aucune manière s’adresser à vous, ni même aux États, et qu’il ne tombait que sur l’interprétation donnée à l’article des instructions, interprétation que je crois encore contraire au sens de cet article ; je ne m’arrêterai pointà le discuter de nouveau ; je crois les détails dans lesquels je suis entré dans mes deux lettres très suffisants, et d’ailleurs, les États étant finis, nous aurons tout le temps de traiter cette affaire à votre retour, et j’espère que vous me rendrez justice comme je vous l’ai toujours rendue.

VIII. — Monnaies.

Turgot voulait restreindre la tolérance des monnaies en poids et en titre. Il comptait supprimer les monnaies divisionnaires d’argent, qu’il était facile de contrefaire en augmentant la dose de métal non précieux. À Birmingham, il y eut une manufacture presque publique de pièces de 20 sols ; les pièces étaient apportées en contrebande à Calais, à Dunkerque et sur la côte. Turgot voulait ne conserver de monnaie inférieure que celle de cuivre.

Il avait essayé de faire frapper, sous la direction de l’abbé Rochon, des pièces de 2 sols de cuivre portant au milieu une rosette d’argent, mais il fut reconnu que la fabrication en eût été trop chère.

Malgré le droit de monnayage du Roi, les monnaies, au lieu d’être un objet du revenu pour l’État, en étaient un de dépense. On achetait des piastres du Pérou, et on les remettait à la fonte. Turgot songea à demander à la Cour d’Espagne de frapper de suite des pièces d’argent au coin de France dans les monnaies d’Amérique.

Une convention analogue aurait pu se faire avec la Suède pour les monnaies de cuivre.

IX. — Loteries et cartes à jouer.

« Lorsque Mme de Pompadour voulut rivaliser avec Mme de Maintenon en fondations glorieuses, elle imagina de fonder l’École militaire pour la jeune noblesse ; pour l’établir, on mit un impôt sur les cartes à jouer et on organisa une loterie, calquée sur celles de Gênes, de Rome, de Naples, de Vienne, etc. À chaque tirage, il sortait 5 numéros sur 90.

« M. de Saint-Germain et ses affiliés voulurent étendre la loterie aux villes principales de France. Turgot, bien loin de vouloir accroître ce jeu, aurait voulu le supprimer. (Véri, Journal, mai.)

Arrêt du Conseil maintenant les règlements sur les cartes à jouer.

[D. P., VIII, 534.]

21 avril.

L’Édit qui supprime les jurandes et établit la liberté générale du travail n’a point dérogé aux nombreux édits et déclarations qui ont établi les droits sur les cartes à jouer et en ont doté l’École militaire, confirme en tant que besoin serait ces édits et déclarations qu’il rappelle. Et en conséquence, fait défense de lever et établir des fabriques de cartes à jouer dans d’autres villes que celles comprises dans l’état annexé. Permet à toutes personnes d’en lever et établir dans lesdites villes, à la charge par ceux qui voudront fabriquer des cartes à jouer de se présenter au bureau de la régie des cartes établie dans la ville où ils voudront fabriquer, à l’effet d’y faire inscrire leurs nom, qualité, demeure et ateliers, à peine pour les contrevenants de 1 000 livres d’amende et de confiscation des outils et ustensiles.

X. — Régie des Messageries.

Circulaire aux Intendants sur les Coches d’eau.

[A. Calvados.]

Le Roi, par Arrêt du 11 décembre dernier, dont vous trouverez ci-joint des exemplaires, a réuni à son Domaine les privilèges des coches et diligences d’eau, établis sur les rivières de Seine, Marne, Oise, Aisne, Yonne, Aube, Loire, Saône, Rhône, canal de Briare, et autres rivières et canaux navigables du Royaume ; et ordonne qu’ils seront exploités à son profit par l’administration des Diligences et Messageries à compter du 1er mars prochain. Comme il est nécessaire que cet Arrêt soit publié avant l’époque fixée pour son exécution, je vous prie de donner les ordres nécessaires pour le faire publier et afficher dans l’étendue de votre Généralité, et m’informer de ce que vous aurez fait à ce sujet[8].

XI. — Les emprunts des États et des villes. — Impôts locaux.

1. Arrêt du Conseil autorisant un emprunt des États du Languedoc.

[D. P., VIII, 381.]

19 février.

Vu par le Roi, étant en son Conseil, le traité fait entre les commissaires de S. M. et les commissaires députés par l’assemblée des États de Languedoc, le 3 du présent mois, dont la teneur suit :

Art. I. « …… Aussitôt que l’emprunt de 15 millions pour lequel les États ont prêté leur crédit à S. M. sera rempli, il en sera ouvert un, pareillement pour le compte de S. M., au denier 25, dans lequel ne seront reçues que les sommes nécessaires pour rembourser ce qui reste dû des emprunts ci-devant faits par la province pour le compte de S. M., et dont les intérêts seront encore payés sur le pied du denier 20.

2. Arrêt du Conseil relatif à un emprunt des États de Provence[9].

[D. P., VIII, 392.]

10 mars.

Ces dispositions sont les mêmes que celles des Arrêts du 16 novembre 1775 et du 19 février 1776, relatifs aux emprunts des États de Bourgogne et du Languedoc. Il y est fait toutefois une exception en faveur de créanciers génois, qui ne devaient être remboursés qu’aux époques formellement convenues avec eux. L’emprunt fait à 4 p. 100 fut destiné à rembourser des dettes à 5 p. 100.

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[1] Plus exactement le 21 décembre 1774 (tome IV, p. 169).

[2] L’intendant de Champagne avait écrit le 10 janvier 1775 qu’il n’y avait pas eu de bruit dans sa province Mais dans l’enquête ouverte par lui, et dont A. Neymarck a publié les résultats, on prétend que, d’après quelques subdélégués, l’ouvrage de Richard des Glasnières et la crainte d’une réforme dans les impôts avaient provoqué de l’émotion parmi les financiers et les employés de la ferme générale (commencement de 1775) et que, d’après les directeurs des fermes s’était développé une fermentation dans le public contre les commis (en 1775 et en 1776), fermentation qui se traduisit par des violences et une augmentation de la contrebande.

[3] Les bois appartenant à la ville de Salins lui furent rendus et le Roi se chargea en outre de fournir aux habitants 1 500 cordes au prix de 1 l. 4 s. la corde.

Cependant, pour construire la saline nouvelle, il fallut prendre quelques arpents de terre à un gentilhomme. On lui proposa de l’indemniser à dire d’experts, avec 1/5 en sus. Il refusa toute indemnité et prétendit qu’on ne pouvait toucher à son terrain. Il vint à la Cour, trouva des protecteurs ; on raconta que Turgot s’emparait d’une propriété en la payant fort cher pour se livrer à des idées nouvelles. (D. P., Mém., 279.)

[4] Charges militaires assujetties au droit de Marc d’Or en conséquence de l’Édit de décembre 1770 et de l’Arrêt du Conseil du 13 avril 1775.

Les gouverneurs généraux, lieutenants, généraux et lieutenants du Roi des provinces, les gouverneurs des places :                      Le cinquième de leur traitement et les 8 sols pour livre en sus.

Droit principal non compris.

Les huit sous pour livre.

Les maréchaux de France                                         2 400 livres.

Le colonel général de la cavalerie          2 500 —

Le maître de camp général                                        2 000 —

Le commissaire général                                             1 000 —

Le colonel général des dragons                               3 200 —

Le maître de camp général                                        1 500 —

Le colonel général des Suisses                                 13 000 —

Les capitaines lieutenants des gendarmes et des chevau- légers, chacun             5 000 —

[5] Sa générosité n’empêcha pas les paysans de le dénoncer au tribunal révolutionnaire qui l’envoya à l’échafaud.

[6] Turgot avait demandé aux États du Languedoc de continuer une imposition de 50 000 livres précédemment destinée aux dépôts de mendicité et une autre de 60 000 livres retranchées sur le traitement du gouverneur pour les appliquer aux intérêts et à l’amortissement d’un emprunt de 4 p. 100 à émettre pour indemnités aux titulaires de droits seigneuriaux sur les grains.

Les États chargèrent leur trésorier d’avancer les dépenses indispensables pour la mendicité, sans imposition, et continuèrent à retrancher les 60 000 livres du traitement du gouverneur. Turgot en fut informé par lettre de l’Intendant du 14 février 1776.

[7] Dans cette Lettre officielle, Turgot avait écrit :

23 février.

… Je ne peux vous dissimuler que S. M. à qui j’en ai rendu compte a vu avec surprise et mécontentement que ses intentions aient été aussi mal interprétées par l’assemblée…

[8] « Les déclamations n’ont cessé de se faire entendre sur les Messageries jusqu’au renvoi de Turgot. Maurepas lui-même en objectait sans cesse les inconvénients. M. d’Oigny, détracteur secret de Turgot, demanda la réunion des Messageries aux Postes ; Maurepas a discuté ce projet devant moi, en raison du profit que le Trésor y trouverait, et il est entré en pour-parlers avec les fermiers de la Poste pour leur joindre le droit des Messageries en exigeant d’eux une augmentation considérable de revenu. Necker va retirer des Messageries 2 millions par an (Journal de Véri).

[9] On trouve aux A. N. (F12 152), une lettre au duc de Gramont qui avait demandé pour les États du Béarn l’autorisation d’emprunter.

Aux archives du Calvados plusieurs lettres à l’Intendant de Caen relativement aux impôts locaux.

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