Œuvres de Turgot – 225 – La caisse d’escompte

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

225. — LA CAISSE D’ESCOMPTE

Arrêt du Conseil portant établissement de la Caisse.

[D. P., VIII, 399. — D. D., II, 341.]

24 mars.

Sur la requête présentée au Roi, étant en son Conseil, par Jean-Baptiste-Gabriel Besnard, contenant : Qu’il désirerait établir dans la capitale une caisse d’escompte dont toutes les opérations tendraient à faire baisser l’intérêt de l’argent, et qui présenterait un moyen de sûreté et d’économie au public, en se chargeant de recevoir et tenir gratuitement en recette et en dépense les fonds appartenant aux particuliers qui voudraient les y faire verser ; qu’à cet effet il supplierait S. M. de vouloir bien l’autoriser à former une compagnie d’actionnaires, aux offres, clauses et conditions ci-après énoncées :

Art. I. Les actionnaires qui composeront ladite Compagnie seront associés en commandite, sous la dénomination de Caisse d’escompte.

II. Les opérations de ladite Caisse consisteront : premièrement, à escompter des lettres de change et autres effets commerçables, à la volonté des administrateurs, à un taux d’intérêt qui ne pourra, dans aucun cas, excéder 4 pour 100 l’an ; secondement, à faire le commerce des matières d’or et d’argent ; troisièmement, à se charger en recette et en dépense des deniers, caisses et payements des particuliers qui le désireront, sans pouvoir exiger d’eux aucune commission, rétribution ou retenue quelconques, et sous quelque dénomination que ce puisse être.

III. La Compagnie n’entend en aucun cas, ni sous quelque prétexte que ce soit, emprunter à intérêt ni contracter aucun engagement qui ne soit payable à vue ; elle s’interdit tout envoi de marchandises, expédition maritime, assurance et commerce quelconque, hors celui qui est précisément désigné en l’article précédent.

IV. Il sera fait par lesdits actionnaires un fonds de 15 millions de livres pour lesquels il leur sera délivré 5 000 actions de 3 000 livres chacune, qu’ils payeront en argent comptant en un seul payement ; desquels 15 millions il y en aura cinq qui serviront à commencer les opérations de ladite Caisse d’escompte, et les autres 10 millions seront déposés au Trésor royal le 1er juin 1776, pour sûreté des engagements de ladite Caisse, ainsi et de la manière qu’il sera expliqué par l’article VI ; lesquels 10 millions S. M. sera suppliée d’accepter à titre de prêt, et de donner pour valeur des quittances de finance du garde dudit Trésor royal, pour 13 millions payables en treize années, afin d’opérer le remboursement du capital et le payement des intérêts de ladite somme de 10 millions ; lesquelles quittances de finance seront divisées et acquittées en 26 payements égaux de 500 000 livres chacun, dont le premier sera échu et payable le 1er décembre 1776, et qui continueront ainsi de six en six mois, les 1ers de juin et de décembre de chaque année, jusque et compris le 1er juin 1789.

V. Pour sûreté desquels payements, tels qu’ils sont stipulés en l’article précédent, S. M. sera suppliée d’affecter les produits de la ferme des postes et d’ordonner au garde de son Trésor royal, en exercice chaque année, de délivrer au caissier de la Compagnie, en payement de la quittance de finance de 500 000 livres qu’il aura à recevoir à chaque époque, une assignation sur l’adjudicataire de ladite ferme des postes.

VI. Les 13 millions de livres qui forment le montant total des quittances de finance ci-dessus mentionnées, ou ce qui en restera dû, eu égard aux payements qui auront été faits, demeureront spécialement affectés à la sûreté et garantie générale des opérations de ladite Caisse. Et ne pourront en aucun cas les administrateurs d’icelle vendre, aliéner, transporter ni hypothéquer la portion des quittances de finance qui se trouvera non remboursée.

VII. Ladite Caisse d’escompte sera ouverte le 1er juin prochain, en tel endroit de la ville de Paris que la Compagnie des actionnaires jugera à propos de fixer…

IX et X. (Nomination du sieur de Mory, comme caissier général, et exigeant la propriété de 25 actions pour avoir voix délibérative.)

XI. Les opérations de ladite Compagnie seront régies par sept administrateurs qui seront élus, à la pluralité des suffrages, dans ladite première assemblée générale ; lesquels seront tenus, dans leur administration, de se conformer à ce qui sera déterminé par les délibérations dans les assemblées générales. Ils nommeront les employés, fixeront leurs appointements et pourront les révoquer, le tout de la manière et ainsi qu’ils le jugeront nécessaire pour le bien et l’avantage de la compagnie.

XII. (Chaque administrateur sera propriétaire de cinquante actions déposées.)

XIII. Aucun des administrateurs ne pourra être destitué, si ce n’est par les suffrages des deux tiers des actionnaires présents dans une assemblée générale, ou par la voix unanime des six autres administrateurs ou en cessant de conserver au dépôt de la Compagnie cinquante actions, conformément à l’article précédent.

XIV. (Les administrateurs n’auront point d’honoraires, tant que les bénéfices seront au-dessous de 150 000 livres par semestre ; à ce terme et au-dessus, le dixième des bénéfices leur sera alloué.)

XV. Il sera tenu tous les ans deux assemblées générales des actionnaires, dans les mois de janvier et de juillet, pour délibérer sur les affaires de la Compagnie ; pour recevoir et examiner le compte du semestre qui aura précédé l’assemblée, lequel compte sera certifié véritable et signé par les administrateurs, et pour statuer sur la fixation du dividende à répartir aux actionnaires pour les six mois écoulés…

XVII. Il sera ouvert à la dite Caisse un dépôt d’actions, tant pour celles que les actionnaires désireront y placer à l’abri de tous accidents, vols, incendies ou autres, et d’où ils pourront les retirer toutes les fois qu’ils le voudront, que pour celles qu’on aurait intention d’y remettre en vertu d’actes devant notaire, et enfin pour celles dont le dépôt serait ordonné par justice.

XVIII. La dite Caisse d’Escompte sera réputée et censée être la Caisse personnelle et domestique de chaque particulier qui y tiendra son argent ; et elle sera comptable envers lesdits particuliers, de la même manière que le seraient leurs caissiers domestiques.

XIX. Vu la dite requête, les offres faites et les conditions proposées, le Roi autorise ledit Jean-Baptiste-Gabriel Besnard, à former l’établissement de ladite Caisse d’Escompte, sous les conditions ci-dessus énoncées, sans néanmoins entendre par ladite autorisation apporter aucun changement à la liberté dont ont joui et continueront de jouir les banquiers, négociants et autres, d’escompter, de faire le commerce des matières d’or et d’argent, et de recevoir les deniers des particuliers qui désireraient les leur remettre.

(La Caisse d’escompte devait prêter au Trésor 10 millions de livres à 4% remboursables en 13 ans, avec garantie sur les produits de la ferme des postes. C’était, dit Du Pont, en y comprenant les intérêts et l’amortissement, la même dépense annuelle que celle qu’on accordait communément aux rentes viagères, lesquelles ont de 29 à 30 ans de durée moyenne. Outre ce fonds, à fournir le 1er juin 1776, la Caisse devait constituer, pour escompter des billets à trois signatures, un autre fonds de 5 millions de livres, lequel devait s’accroître tous les 6 mois à mesure que l’avance de 10 millions serait remboursée par le Trésor, à raison de 500 000 francs par terme.

La Compagnie devait : 1° faire l’escompte au taux de 4% au plus ; 2° faire le commerce des matières d’or et d’argent ; 3° recevoir les dépôts en comptes courants, sans rémunération ; 4° émettre du papier à vue.

Turgot prévint la Compagnie qu’il n’empêcherait personne de les imiter et que l’arrêt du Conseil ne contiendrait rien d’exclusif.

La proposition de prêter à l’État et de mettre en circulation dans le commerce un gros capital à 4% ne pouvait que hâter la diminution générale de l’intérêt de l’argent, déjà sensible par la facilité avec laquelle le Clergé, les États du Languedoc, de Bourgogne et de Provence avaient emprunté.

La Caisse d’escompte ne tint pas les engagements qu’elle avait pris ; soit qu’elle eût trop présumé de ses forces, soit que le rehaussement qui se fit sentir dans l’intérêt de l’argent après la disgrâce de Turgot, et qui arrêta la conclusion de l’emprunt de Hollande, eût empêché les entrepreneurs de rassembler, au prix qu’ils s’étaient flattés d’obtenir, les fonds qu’ils avaient promis, soit que la rapidité avec laquelle ils virent détruire un grand nombre d’opérations de Turgot, et cette espèce de plaisir que tout nouveau ministre semble avoir de contredire son prédécesseur, les ait enhardis à demander à être dispensés de fournir au Trésor des fonds qui pouvaient avoir plus d’activité dans leur propre caisse. Ils obtinrent, avec assez de facilité, d’être dégagés de leur parole, quoique consignée dans un arrêt du Conseil.

Le reste de leur établissement a subsisté ; il est devenu le germe de la Banque de France.) (D. P., Mém., 322.)

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