Œuvres de Turgot – 226 – Douanes et commerce extérieur

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

226. — DOUANES ET COMMERCE EXTÉRIEUR

1. Mémoire au Roi sur les douanes intérieures et la douane de Lyon en particulier.

[A. L., minute en partie autographe. — D. P., VIII, 511. — D. D., II, 358.]

(Réclamation de la Chambre de commerce de Lille contre la perception de droits sur des balles de soie expédiées de Marseille pour Lille. — Les droits de traite à la frontière. — Le Libre échange. — Les droits intérieurs. — Le système de Colbert. — Provinces réputées étrangères. — Acquits-à-caution. — Privilège de la ville de Lyon. — Approbation à donner à la réclamation de la Chambre de commerce de Lille.)

Sire, les droits perçus à Lyon sur deux balles de soies étrangères expédiées de Marseille au Sr Cuvelier, fabricant de Lille, par acquit-à-caution de transit ont donné lieu à la contestation que je vais mettre sous les yeux de V. M. Il s’agit de décider si cette perception est régulière et juste. Ainsi, c’est une question générale, plus intéressante encore pour la ville de Lyon et le commerce de la Flandre que pour le négociant qui a payé des droits sur deux balles de soie.

C’est la Chambre du commerce de Lille qui réclame, en faveur du commerce de la Flandre, l’exemption des droits de Lyon sur les soies ; c’est le corps municipal de la ville de Lyon qui s’oppose à cette exemption.

La réclamation de la Chambre du commerce de Lille est fondée sur un Arrêt du Conseil rendu le 15 juin 1688 par lequel il ordonne que les habitants des pays conquis par le Roi dans les Pays-Bas jouiront de la liberté du transit pour les ouvrages de leurs manufactures et matières servant à leur fabrication, entrant et sortant du Royaume, sans payer aucuns droits d’entrée ni de sortie, péages, octrois ou autres, sous la condition de passer dans lesdits pays conquis par le bureau de Péronne et d’être d’ailleurs soumises aux formalités ordinaires des visites, plombs, acquits-à-caution et autres.

Les titres de la ville de Lyon sont un Édit du mois de janvier 1722 et un autre Édit du mois de juin 1758 qui assujettissent toutes les soies étrangères, même celles d’Avignon et du Comtat, à passer par la ville de Lyon et à y payer au profit de la ville un droit de 3 sols 6 deniers par livre pesant. Le corps municipal oppose à la réclamation de la Chambre du commerce de Lille que ces édits ne renferment aucune exception en faveur de la Flandre et des pays conquis et qu’étant postérieurs à l’Arrêt de 1688, celui-ci ne peut être appliqué aux droits de la ville de Lyon.

La question consiste donc à savoir si la liberté du transit accordée à la Flandre par l’Arrêt de 1688 est applicable aux droits sur les soies établis en faveur de la ville de Lyon comme aux autres droits de traite qui ont lieu dans les États de V. M.

Réduite à des termes aussi simples, la question, Sire, est si facile à décider qu’elle ne mériterait peut-être pas d’occuper vos moments. Aussi, c’est moins à raison de son importance, que je me suis déterminé à vous la présenter, que pour avoir une occasion de fixer les yeux de V. M. sur les droits mêmes qui y donnent lieu.

S. M. sait que les droits connus sous le nom de droits de traite sont un impôt qui se perçoit sur les marchandises transportées, soit à raison de leur valeur évaluée en argent, soit à raison de leur qualité et quantité, suivant des tarifs fixés par différentes ordonnances ou règlements. Ces droits se paient les uns aux entrées et sorties du Royaume, les autres à l’entrée et à la sortie de certaines provinces, d’autres, dans certaines villes, ou dans des lieux déterminés, sur certaines routes.

Les avis sont partagés sur les avantages et les inconvénients des droits de traite, en général, par rapport à la prospérité du commerce, et même par rapport à l’intérêt des souverains qui en tirent un revenu, car, quoique l’existence de ce revenu ne soit pas douteuse, il est très possible que ce ne soit pas la manière la plus avantageuse de procurer au gouvernement ce même revenu. Si les droits de traite sont par leur nature contraires au commerce, s’ils tendent nécessairement à en diminuer l’activité, à le surcharger de frais infiniment plus onéreux que le montant même des droits, s’ils l’écartent des lieux qu’il aurait fécondés, s’ils appauvrissent le sujet, ils ne peuvent enrichir le souverain ; ils le privent bien plutôt de l’accroissement de revenu qu’il eût pu retirer par des voies moins onéreuses de ses sujets devenus plus riches. C’est donc par rapport à l’avantage du commerce qu’on doit disputer et qu’on dispute l’utilité des droits de traite. Quelques personnes prétendent que c’est un moyen de soulager les peuples en faisant payer une partie des impôts aux étrangers par les droits de sortie sur les marchandises qu’ils achètent de nous ; d’autres veulent que ce soit quand les marchandises étrangères payent des droits à leur entrée en France que les étrangers payent une partie de nos impôts. D’autres croient qu’il est nécessaire de charger de droits les marchandises de fabrique étrangère pour favoriser les manufactures nationales, en affranchissant ou chargeant de droits modérés les matières premières qui doivent alimenter nos manufactures, que par une suite du même principe il faut charger de gros droits à la sortie les matières premières du cru du Royaume, et n’imposer que des droits modérés sur les marchandises fabriquées dans le Royaume.

Ces avantages, attribués aux droits de traite, sont révoqués en doute par bien des gens. Ceux-ci soutiennent que l’idée de faire payer nos impôts aux étrangers est une chimère, que l’on achète d’autant moins de marchandises qu’elles sont plus chargées de droits, qu’en croyant encourager les manufactures par des droits diversement combinés sur les marchandises fabriquées et les denrées du cru, on favorise les manufacturiers aux dépens des cultivateurs[1] qu’on prive d’une partie de la valeur des matières premières qu’ils font produire à la terre et auxquels on fait payer plus cher les marchandises ouvrées dont ils ont besoin ; qu’on favorise très peu les manufactures parce qu’en mettant des entraves au commerce, on nuit à leur débit ; que si les droits sur les marchandises sont peu considérables, ils produisent très peu et ne compensent pas, à beaucoup près, le tort que font au commerce les formalités gênantes que nécessite leur perception ; que s’ils sont très forts, la contrebande trouve moyen de les éluder et ajoute à la surcharge de l’impôt tout le poids des désordres attachés à l’existence de la contrebande, la perte pour l’État des hommes qui la font, et de ceux qui l’empêchent et qui sont également enlevés aux métiers honnêtes et utiles, les combats, les crimes, la vie vagabonde que mènent les contrebandiers, et le malheur pour le gouvernement d’avoir à punir un crime excusable en lui-même et auquel ses lois seules ont donné l’existence.

Les partisans de cette opinion ajoutent que tous les avantages de ces combinaisons de droits en faveur du commerce national contre le commerce étranger sont illusoires, que les étrangers emploient les mêmes moyens contre notre commerce, que cette politique mercantile et jalouse nuit à tous les États sans être utile à aucun ; qu’elle fait du commerce qui devrait être le lien des nations une nouvelle source de divisions et de guerre ; que l’intérêt de tous les peuples serait que le commerce fût partout libre et exempt de droits ; ils soutiennent que la première nation qui donnera aux autres l’exemple de cette politique éclairée et humaine et affranchira ses productions, son industrie, son commerce, de toutes prohibitions et de tous droits, s’élèvera rapidement à la plus haute prospérité, et forcera bientôt les autres nations à l’imiter au grand avantage de l’humanité entière.

Ce sont là, Sire, de grandes questions dignes d’occuper V. M., puisque l’opinion qu’elle en prendra doit avoir la plus grande influence sur la prospérité de son royaume et le bonheur de ses peuples[2].

Quoi qu’il en soit, et quand on adopterait tous les principes par lesquels on prétend prouver l’utilité des droits imposés sur les marchandises transportées par le commerce, il est toujours évident qu’ils ne conduiraient qu’à établir des droits d’entrée et de sortie sur la frontière du Royaume. Aucun motif, aucun prétexte ne peut conduire à faire payer des droits à une marchandise, une fois entrée dans le Royaume et que le commerce fait passer d’une province à l’autre. Tout le monde convient que le commerce devrait à cet égard jouir d’une liberté entière.

Mais il n’en est pas ainsi dans le fait. Quelque esprit qu’on ait mis à justifier les droits de traite par des vues politiques plus ou moins justes, il est très certain que, dans l’origine, ils ont été partout établis comme moyen de finance. Ce moyen a été surtout mis en usage lorsque toute l’Europe était divisée en petites principautés dont les souverains même n’avaient qu’une autorité médiate sur les peuples qui n’obéissaient immédiatement qu’à leur seigneur. Tous les seigneurs puissants trouvaient plus facile de charger de droits les marchandises qui passaient par leur territoire que de mettre sur leurs vassaux un impôt auquel ceux-ci auraient résisté beaucoup plus fortement. Les marchands qui payaient ces droits étaient regardés comme étrangers ; ils étaient isolés, sans protection, et dans l’ignorance générale qui régnait alors, les peuples s’imaginaient gagner beaucoup en rejetant sur eux leur fardeau. Les princes plus puissants qui avaient dans leur domaine des villes considérables par leur commerce établissaient, sur les principaux abords de ces villes, des bureaux de douane où tout ce qui passait payait tribut à leur fisc. Telles étaient les douanes de Lyon et de Valence ; les grandes rivières étaient barrées par des droits connus sous différents noms, comme le trépas de la Loire, la traite de Charente. Lorsque les droits étaient excessifs, le commerce se détournait pour les éluder et se frayait de nouvelles routes, mais bientôt le fisc imagina de le poursuivre sur ces nouvelles routes et d’y exiger les mêmes droits. Ainsi, les droits de la douane de Valence se lèvent sur tout ce qui traverse cette partie du Dauphiné qui est entre l’Italie et les provinces intérieures de la France ; ainsi la traite de Charente se paie sur les marchandises voiturées par terre dans des bureaux fort éloignés de la Charente. Par un renversement d’idées plus étrange encore, on a imaginé de forcer les marchands à passer par un certain lieu pour y payer le droit, et telle est l’origine de l’obligation imposée à toutes les soies étrangères et même nationales de passer par la ville de Lyon, obligation qui subsiste encore en grande partie.

Les grands fiefs ayant été successivement réunis à la Couronne, les rois prédécesseurs de V. M. sont entrés successivement en possession de cette multitude de droits, mais au milieu des troubles et des guerres qui n’ont cessé d’agiter ou d’épuiser la monarchie, l’administration ne s’est presque jamais vue, ni assez riche pour renoncer à aucune branche de revenus, ni assez libre de soins pour s’occuper de refondre tous ces droits si multipliés, si confus dans leur perception, et souvent nuisibles au produit les uns des autres.

On a continué de les percevoir parce que cela était plus tôt fait que de les réformer. La facilité d’engager ou d’aliéner des droits particuliers pour des sommes d’argent prêtées au gouvernement a consolidé de plus en plus le désordre qui s’est perpétué jusqu’à nos jours.

M. Colbert eut le sage projet de convertir tous ces droits en un seul droit mis à la frontière sur les marchandises entrant ou sortant du Royaume. L’idée de les supprimer en totalité pour affranchir le commerce était trop loin des idées reçues de son temps pour qu’il pût y penser. C’est dans cette vue qu’il fit travailler au fameux tarif de 1664, une des opérations de son ministère qui lui a fait le plus d’honneur, et qui sert encore de base à la perception des droits de traite. Mais, malgré l’avantage qui en eût résulté pour le commerce, la résistance que firent plusieurs provinces à cet établissement engagèrent à ne faire l’opération qu’à moitié. Le tarif, au lieu d’être établi à la frontière ne le fut que sur les limites des provinces soumises aux droits des Aides et qu’on appelle provinces de l’intérieur ou des cinq grosses fermes. Les autres provinces ont conservé leurs droits locaux ; ces provinces sont appelées provinces réputées étrangères, dénomination que V. M. trouvera sans doute assez bizarre, surtout quand elle saura que ces provinces réputées étrangères forment plus de la moitié de son Royaume et qu’une marchandise qui passe de la Marche dans le Berry ou du Berry dans la Marche paye les droits d’entrée ou de sortie du Royaume; ces provinces, même réputées étrangères, n’ont pas pour cela le droit de commercer librement avec les étrangers. On fit en 1667 un tarif des droits d’entrée et de sortie dus sur plusieurs marchandises à la véritable frontière du Royaume, et il fut réglé que les marchandises qui avaient payé ces droits ne paieraient point ceux du tarif de 1664.

Mais depuis 1667, Louis XIV et le feu roi ont encore réuni au Royaume plusieurs provinces qui ont été traitées diversement par rapport aux droits des fermes ; les unes ont continué de commercer librement avec l’étranger et ont été assujetties au paiement de tous les droits de traite dans leur commerce avec l’intérieur du Royaume. Ces provinces sont désignées, dans le langage de la ferme, par le nom de pays étrangers effectifs.

Quelques autres des provinces conquises furent assujetties à des tarifs particuliers et remises par là dans le nombre des provinces réputées étrangères ; de ce nombre sont La Flandre, le Cambrésis, le Hainaut et l’Artois, désignés par le nom de pays conquis et dont les droits de traite furent réglés par un tarif de 1671.

Il suivait de là qu’une marchandise qui allait d’une province réputée étrangère dans une autre en traversant l’intérieur du Royaume payait deux droits, l’un d’entrée, l’autre de sortie, quoiqu’elle ait toujours été sur les terres de V. M. On a senti que cette rigueur serait souvent excessivement dure. On a cru devoir accorder en certains cas la liberté du passage, ou le transit, aux marchandises qui pourraient ainsi aller d’une province du Royaume dans une autre, sans payer aucun des droits qui étaient dus sur la route. Mais pour empêcher qu’on abusât de cette facilité en changeant la destination de la marchandise pour la porter dans quelque autre lieu, l’on établît la formalité des acquits-à-caution. Cette formalité consiste à exiger, dans le lieu du départ de celui qui expédie la marchandise, une caution solvable de l’engagement de payer le quadruple des droits dus, si cette marchandise n’était pas portée dans le lieu pour lequel elle est destinée. On délivre, à cet effet, au négociant un papier qui s’appelle proprement acquit-à-caution, et sur lequel le voiturier est obligé de faire mettre par les commis des fermes du lieu de la destination la mention de l’arrivé de la marchandise.

Cette faculté de transit était rendue générale par l’ordonnance de 1687, mais les fermiers généraux ayant prétendu qu’elle donnerait lieu à beaucoup de fraude contre les droits, ils obtinrent la révocation de cette faveur si naturelle et si juste et le transport des marchandises demeura assujetti à tous les droits intermédiaires. Il fut cependant fait quelques exceptions particulières pour des destinations qui parurent plus favorables. Les pays conquis en obtinrent une particulière qui fut fixée par l’Arrêt du 15 juin 1688 et confirmée par une foule d’autres jusqu’en 1749 pour la sortie des produits de ses manufactures et pour l’entrée des matières qui y étaient employées.

Il est à observer que ces arrêts, même en accordant le transit, ne permettent pas de faire entrer et sortir les marchandises par toutes sortes de routes indifféremment. Elles sont assujetties à passer par certains bureaux exclusivement à tous autres. C’est encore une gêne très onéreuse que les fermiers des droits ont fait imposer au commerce, toujours en prétextant la crainte des fraudes et des abus. Mais il n’est pas question de réclamer contre cette gêne. La ville de Lille ne s’en plaint pas et se borne à demander l’exécution des arrêts qui lui assurent la liberté du transit dans les termes les plus précis. Il est uniquement question de savoir si ces arrêts sont applicables aux droits qui se perçoivent à Lyon sur la soie.

Ce droit dont jouit aujourd’hui la ville de Lyon est un des droits de traite les plus onéreux, et par sa quotité, et par la forme de sa perception, et par la matière même sur laquelle il tombe. Une de celles que consomment en plus grande quantité les manufactures les plus précieuses, — comme pendant longtemps la plus grande partie des soies —, se tiraient du Piémont. La ville de Lyon, placée très avantageusement pour tirer cette matière de l’étranger, en était l’entrepôt naturel et l’on avait profité de cette circonstance pour y lever des droits assez forts pour cette marchandise ; mais ce qui est vraiment incompréhensible, c’est que la ville de Lyon avait obtenu que toutes les soies qui viendraient des pays étrangers seraient assujetties à passer par Lyon. Il paraît même, par les énonciations qu’on trouve dans le préambule de quelques édits, que les droits avaient été perçus à son profit à différentes époques. Ces droits se levaient sous différents noms : l’on comptait la douane de Lyon, perçue sur tout ce qui passe par cette ville ou y est destiné ; la douane de Valence, qui se lève sur ce qui traverse cette partie du Dauphiné qui est entre l’Italie et les provinces de l’intérieur de la France, et un autre droit établi à Lyon, qu’on nommait le tiers sur taux et quarantième.

En 1720, on sentit combien ces droits et l’espèce de monopole qu’on avait laissé usurper à la ville de Lyon nuisaient au commerce général du Royaume et autres villes de manufactures. On s’occupa d’y remédier. Tous les droits sur les soies furent convertis en un seul droit de 20 francs par livre de soie étrangère ; au lieu de faire payer ce droit à Lyon, les fermiers généraux furent chargés de le percevoir à toutes les entrées du Royaume. La ville de Lyon se vit avec peine privée de ce privilège. Sur les instances et les représentations qu’elle fit qu’elle avait contracté des dettes considérables hypothéquées sur ces droits, on eut la malheureuse condescendance de rendre au mois de janvier 1722 un Édit qui lui concéda, pour quarante années qui devaient finir en 1762, le droit sur les soies étrangères réduit à 14 sols par livre et de plus, un droit de 3 sols 6 d. par livre sur les soies nationales.

En 1755, le Conseil fut frappé de l’inconvénient qui résultait de ce droit singulier qui établissait, en vertu d’une loi, un monopole aussi criant en faveur d’une seule ville contre tout le Royaume sur une marchandise aussi précieuse pour les manufactures. L’établissement d’un droit sur les soies nationales qui, dans les principes même de ceux qui regardent les droits de traite comme utiles, devaient être exempts à double titre, soit qu’on les regardât comme le produit d’une culture et de l’industrie des sujets de V. M., soit qu’on les envisageât comme la matière première d’une foule de manufactures, ne parut pas moins absurde et moins préjudiciable. En conséquence, on fit un arrangement avec la ville de Lyon par lequel les fermiers généraux s’engagèrent à donner à cette ville la même somme que son fermier lui rendait de ce droit, et on les autorisa à percevoir le droit sur les soies étrangères à tous les bureaux d’entrée sans obliger ceux qui en faisaient venir à les faire passer par la ville de Lyon.

À l’égard du droit sur les soies nationales, il fut entièrement supprimé ; mais le commerce et le Royaume ne jouirent pas longtemps de ce retour à la liberté. Dès 1758, la ville de Lyon mit de nouveau en usage un moyen dont elle avait plus d’une fois éprouvé le succès. Elle offrit au gouvernement son crédit pour emprunter une somme de 6 800 000 livres et demanda qu’on lui rendît le droit sur les soies pour hypothèque et que cette jouissance fût prorogée jusqu’en 1781. L’administration céda encore à cet appât et, par un édit du mois de juin 1758, tout ce qui avait été fait en 1755 fut détruit et le commerce de tout le Royaume se vit de nouveau assujetti au monopole de la ville de Lyon. Il ne gagna que la suppression du droit sur les soies nationales qui ne fut pas rétabli. Mais je ne dois pas laisser ignorer à V. M., quoique cela ne soit pas de l’affaire dont il est question, que ce droit a été rétabli par des Lettres Patentes relatives à différents arrangements pour la ville de Lyon.

D’après cet exposé, Sire, les prétentions et les moyens des parties sont faciles à établir. La Chambre du Commerce de Lille prétend que le transit accordé à la Flandre par l’Arrêt du 15 juin 1688 confirmé par ceux de 1689, 1702, 1713, 1720, 1739, 1744 et 1749 pour toutes les matières propres aux manufactures doit exempter les soies comme les autres marchandises. En conséquence elle demande la restitution des droits perçus par la ville de Lyon sur deux balles de soie qu’un fabricant de Lille faisait venir de Marseille, après avoir pris un acquit-à-caution dans cette ville.

La ville de Lyon prétend, au contraire, que l’Édit de 1722 étant postérieur aux arrêts qui ont établi en premier lieu le transit de la Flandre, ce transit ne peut avoir lieu pour un droit qui n’existait pas lors de ces arrêts ; que les arrêts postérieurs, tels que ceux de 1739, 1744 et 1749 ne faisant que confirmer celui de 1688 et ne faisant pas nommément mention du droit établi en 1722 sur les soies étrangères ne peuvent en procurer l’exemption et que si, contre toute apparence, on voulait soutenir que cette confirmation postérieure à l’Édit de 1722 emporte l’exemption du droit établi par cet Édit, la ville de Lyon tirerait de la concession nouvelle qui lui a été faite par l’Édit 1758 un nouveau titre auquel aucune loi postérieure n’a dérogé.

AVIS

Sire, le jugement de la contestation soumise à la décision de V. M. ne paraît susceptible d’aucune difficulté.

Le droit de la Flandre, par rapport au transit, est complètement établi par l’Arrêt du 15 juin 1688 et par tous ceux qui l’ont suivi. Les soies sont certainement comprises dans le nombre des marchandises qui doivent jouir de ce transit. Elles sont même nommément exprimées dans quelques-uns des premiers arrêts. L’Édit de 1722 n’a rien changé à cet égard. Il n’est point vrai que cet édit ait créé un nouveau droit ; il n’a fait que concéder à la ville de Lyon celui qui était fixé par l’Édit de 1720 en le modérant, mais sans en changer la nature, et cet édit de 1720 n’a fait que convertir les droits de douane de Lyon, de douane de Valence, et de tiers sur taux et quarantième en un droit unique qui les représente tous. On ne peut nier que l’Arrêt de 1688 ne fût applicable à ces différents droits, il l’est donc au nouveau droit qui les représente. L’intention des prédécesseurs de V.M. est même si précise pour que les manufactures de Flandre jouissent de l’exemption qui est assurée, tant par les arrêts dont je viens de parler que par celui du 24 août 1717, sur les représentations qui furent faites que les négociants de la Flandre abusaient du transit, qui n’avait été accordé qu’en faveur de leurs manufactures en faisant passer à l’étranger en exemption de droits les soies qu’ils tiraient du Royaume et de l’Italie et qui auraient dû servir uniquement à l’aliment de leur manufactures, le Roi ordonne que les soies qui sortiront par les portes et bureaux de la Flandre pour l’étranger acquitteront tous les droits que ces soies auraient payés en traversant les provinces qu’elles étaient obligées de traverser pour y parvenir.

D’après des titres aussi certains et aussi multipliés en faveur des pays conquis, on ne peut douter de son droit. Et l’Édit de 1720, celui de 1722, ni celui de 1758, ne contenaient aucune dérogation à ce droit. Il me paraît que V. M. ne peut se dispenser d’ordonner la restitution des droits dont il est question et que les manufactures de Flandre, de Cambrésis, de Hainaut et d’Artois, continueront de jouir de l’exemption des droits de la ville de Lyon sur les soies qu’ils tireront en transit pour l’aliment de leurs manufactures.

Mais ayant eu occasion de remettre sous les yeux de V. M. les inconvénients qui résultent de la concession de ce droit fait à la ville de Lyon et de l’obligation de faire passer par cette ville toutes les soies étrangères, je ne doute pas que V. M. ne m’ordonne de m’occuper des moyens de revenir à l’arrangement qui avait été fait en 1775 et, à cet effet, de prescrire à cette ville de justifier du produit qu’elle tire de ce droit afin de le faire percevoir, comme sur toutes les autres marchandises, à toutes les entrées du Royaume, en lui faisant tenir compte de la même somme par les fermiers généraux.

Je compte aussi, si V. M. l’approuve, chercher tous les moyens possibles de procurer à la ville de Lyon une autre perception pour la dédommager du droit rétabli en 1772 sur les soies nationales que je proposerai à V. M. de supprimer.

2. Lettre au Ministre des Affaires étrangères (de Vergennes) au sujet de droits de douane perçus en Espagne sur les toiles blanchies à Troyes[3].

23 avril.

J’ai l’honneur de vous envoyer, M., l’extrait d’une lettre de la dame Veuve Camusat et fils, de Troyes, par laquelle ils se plaignent de ce qu’on perçoit à Valence en Espagne sur les toiles de Laval, blanchies à Troyes, des droits plus forts que ceux qui se perçoivent sur les mêmes toiles de Laval blanchies, soit à Laval, soit à Lyon. Ces négociants réclament la protection du Gouvernement à ce sujet. Cette différence ne pouvant, ainsi qu’ils l’exposent, que préjudicier infiniment à la vente en Espagne de ces toiles blanchies à Troyes, il me paraît convenable de faire des représentations sur cet objet. Si vous en pensez de même, j’espère que vous voudrez bien charger l’Ambassadeur du Roi en Espagne d’employer ses bons offices pour obtenir de cette cour, que les droits sur les toiles blanchies à Troyes soient les mêmes que sur celles blanchies à Laval.

3. Arrêt du Conseil permettant aux négociants des ports de Saint-Brieuc, Binic et Portrieux, de faire le commerce des toiles et celui des colonies d’Amérique[4].

[D. P., VIII, 394.]

14 mars.

(Arrêt analogue à celui qui avait été rendu pour le port de Rocheport).

La joie, les fêtes et les réjouissances publiques éclatèrent à Rocherport et à Saint-Brieuc quand l’arrêt fut connu (Journal de Véri).

Turgot comptait rendre bientôt aux commerçants qui sont dans les Grandes Indes la liberté de revenir dans un port quelconque sans toucher à Lorient, qui avait obtenu lors de la suppression de la Compagnie des Indes le monopole des retours (Même Journal).

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[1] Turgot s’exprime ici en physiocrate. Au lieu de parler seulement des cultivateurs, il faudrait parler des consommateurs.

[2] L’intention de Turgot était de supprimer ces droits. Du Pont et Véri sont formels à ce sujet. Il espérait, explique Du Pont, placer la France dans une position supérieure à celle de l’Angleterre qui tirait des droits de traite 72 millions et surchargeait ainsi son commerce. (D. P., Mém., 388)

[3] Aux Archives Nationales est une lettre du 20 janvier au Ministre des Affaires étrangères relative à des droits d’entrée perçus en Belgique sur les fabriques de la Lys. Il résulte des mémoires des fermiers généraux que la question n’est pas assez intéressante pour motiver une intervention du ministre de France.

[4] Autres lettres :

  1. — 15 avril : Au Ministre des Affaires étrangères, recommandant une affaire de saisie de navires faite par les Portugais en 1774.
  2. — 3 mai : À Sartine au sujet d’un industriel de Nantes qui demande de la poudre de guerre pour armer un navire destiné à la traite des nègres.

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