Le protectionnisme, l’insecte dévoreur des campagnes

En reprenant de son maître Frédéric Bastiat son soin pour les effets visibles et invisibles, mais aussi son sens de la métaphore, Ernest Martineau présente le protectionnisme comme une espèce d’insecte dévorant les cultures et causant la ruine et la cherté.


UN CAMPAGNOL INVISIBLE A L’ŒIL NU

(Journal des économistes, 7e série, tome IV, octobre à décembre 1904, p.79-81)

 

Niort, 5 octobre 1904.

Il en est des campagnols comme des éclipses.

Chacun sait qu’il y a des éclipses invisibles à Paris et en France qui, au contraire, sont visibles en Angleterre et à Londres et réciproquement ; là même où elles sont visibles, pour bien les voir il faut les regarder avec un verre.

De même, les campagnols qui ravagent en ce moment nos campagnes en France ne sont pas visibles en Angleterre mais, à l’inverse, il y a un campagnol d’une espèce particulière qui, actuellement, est invisible en France à l’œil nu mais qui a été visible, et qui a été vu en Angleterre et chassé du pays ; ce campagnol, c’est le protectionnisme.

Les ravages de ce campagnol-là sont considérables, mais ils sont invisibles à l’œil nu ; pour les voir, il faut mettre des lunettes.

Non pas qu’il soit besoin de fortes lunettes : avec des verres ordinaires, un moment d’attention suffit. Il y a même ceci de curieux, c’est que le protecteur en chef de cette espèce de campagnols, M. Méline, fournit obligeamment les lunettes pour les voir.

En effet, qu’est-ce qu’un campagnol, que lui reproche-t-on, et pourquoi cherche-t-on un virus pour s’en débarrasser ?

 Un campagnol est une petite bête qui ravage et détruit les productions de la terre, raisins, légumes, céréales, et qui remplace ainsi l’abondance par la disette : là, par exemple, où un vigneron aurait fait cent barriques de vin, il n’en récolte que cinquante, et ainsi pour les autres récoltes.

De là les souffrances du pays qui voit son marché mal approvisionné, d’où il résulte que par suite de la cherté résultant de la rareté des produits, chacun est insuffisamment pourvu et les pauvres gens, notamment les ouvriers, à cause de la cherté des prix, sont obligés de boire de l’eau.

Cela posé, qu’est-ce que le protectionnisme et comment opère-t-il ? M. Méline va nous l’apprendre :

« Si vous protégez Pierre, dit-il, vous atteignez forcément Paul, C’EST INÉVITABLE : par exemple, la taxe de 3 francs sur l’avoine est payée par Paul, le cultivateur, qui achète de l’avoine pour ses chevaux. » (Voir l’Officiel de mai 1890).

Comment se fait-il qu’un tarif qui joue à la frontière, à la douane, produise son effet sur le marché où se vendent les avoines, le blé, le pain et autres produits et renchérisse les prix, pour l’avoine de 3 francs, pour le blé de 7 francs par 100 kilos ?

Ici, regardons bien, nous allons voir les ravages de ce campagnol.

M. Méline et ses amis, ayant observé les ravages du campagnol ordinaire et autres bêtes malfaisantes de cette sorte, qui changent l’abondance en rareté et par la rareté produisent la cherté, voulant favoriser les producteurs, lesquels veulent vendre cher leurs produits, n’ont trouvé rien de mieux pour arriver à leurs fins, que d’opérer sur le marché une disette artificielle, une rareté qui sera cause de la cherté.

Ces protecteurs ont dit à leurs protégés : nous allons chasser du marché par la barrière des tarifs de douane les produits étrangers qui vous font concurrence : de là une disette, une rareté qui, aux dépens des acheteurs mais à votre profit, corrigera l’abondance ; nous ferons la cherté par la disette.

De là les tarifs du protectionnisme.

La protection, c’est la disette ou ce n’est rien.

Remarquons bien, en effet, que le seul moyen à la disposition des législateurs, pour enrichir leurs protégés à nos dépens, c’est de faire la rareté, la disette sur le marché.

La preuve, c’est que lorsque la récolte est abondante, la concurrence intérieure avilit les prix et les tarifs ne jouent plus, ils font l’effet D’UN CAUTÈRE SUR UNE JAMBE DE BOIS.

De là les gémissements de M. Méline au sujet de la surproduction : cet étonnant homme d’État se plaint sans cesse de ce qu’on produit trop, de la surproduction du coton, de la laine, comme il dit dans son jargon, cet organisateur de la disette.

Le voyez-vous bien, maintenant, le campagnol du protectionnisme ?

Les fermiers d’Angleterre, les cultivateurs du Danemark, ont mis leurs lunettes, l’ont bien vu et bien observé, et ils ont trouvé un virus qui les en a débarrassés.

Dimanche dernier, j’ai réussi à le montrer aux cultivateurs du canton de Surgères : tous ceux-là l’ont vu qui ne se sont pas volontairement bouché les yeux.

Si j’avais eu affaire aux cultivateurs des autres parties de la France, aux fermiers, aux petits agriculteurs, je crois bien qu’ils l’auraient vu aussi, avec les lunettes fournies par M. Méline. Je conseille aux propriétaires, grands et petits, aux grands propriétaires surtout, de prendre le plus tôt possible des lunettes pour le voir et pour se mettre à la recherche d’un virus. Attention, messieurs les propriétaires, c’est ici une espèce de rongeurs toute spéciale.

Ce campagnol-là ronge les racines… DU DROIT DE PROPRIÉTÉ.

E. MARTINEAU.

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