Murray Rothbard – L’éducation gratuite et obligatoire (6/12)

coverRothbardEducationFin 2015, l’Institut Coppet a dirigé la première traduction française de Education: free and compulsory par Murray Rothbard. Elle a été réalisée conjointement par Nathanael Lavaly, Claude Balança et Marius-Joseph Marchetti. Ce petit livre apporte une critique vigoureuse de l’éducation nationalisée telle qu’on la connaît de nos jours, l’accusant d’être inefficace, injuste et tyrannique. Rothbard y défend la liberté de l’éducation, l’instauration d’un marché de l’éducation où écoles privées et éducation à la maison (homeschooling) pourraient enfin se développer. Le livre est sorti en format papier en mars aux éditions de l’Institut Coppet. Fidèle à notre projet de diffuser les idées, nous accompagnerons la version papier d’une version électronique gratuite (pdf, epub, mobi, doc et html)

Nous diffuserons aussi ce petit livre sur notre site, en 12 courtes parties. Dans la sixième partie, intitulée « Éducation obligatoire vs. éducation libre », Murray Rothbard poursuit sa critique du modèle collectiviste pour l’éducation, dont la finalité inavouée est de modeler intellectuellement la jeunesse dans le respect de l’autorité de l’Etat. B.M.


Table des matières du livre :

  1. L’éducation de l’individu
  2. L’instruction formelle
  3. La diversité humaine et l’instruction individuelle
  4. Le parent ou l’État ?
  5. Les fréquentations de l’enfant
  6. Éducation obligatoire vs. éducation libre
  7. La scolarisation obligatoire en Europe
  8. Le Fascisme, le Nazisme et le Communisme
  9. L’enseignement obligatoire aux États-Unis
  10. Arguments pour et contre l’école obligatoire aux États-Unis
  11. Les objectifs de l’enseignement public : Le Mouvement éducationniste
  12. L’Instruction progressiste et la situation actuelle

 

Éducation obligatoire vs. éducation libre

(Murray Rothbard, L’éducation gratuite et obligatoire)

 

Peu après l’établissement de la scolarisation obligatoire, le révérend George Harris a indiqué en quoi elle avait pour effet d’imposer l’uniformité et l’égalité :

« L’éducation est d’ores et déjà si généralement dispensée aux États-Unis et dans les autres pays [1897] que, sans prévoir des conditions imaginaires, il n’est pas difficile de se figurer le genre d’égalité qu’accorde cette opportunité… La même quantité de temps est accordée à chacun ; les mêmes cours sont prescrits à chacun ; les mêmes professeurs sont nommés pour tous. L’opportunité n’est même pas simplement disponible, mais imposée à chacun. Même dans le cadre d’une organisation socialiste il est difficile d’imaginer un arrangement qui puisse mieux égaliser l’offre d’éducation que ne le fait le système actuel des écoles publiques. Même M. Bellamy [un important socialiste totalitaire de cette époque] imagine les écoles de l’année 2000 formées de la même manière que celles du XIXe siècle. Tout aura changé sauf les écoles… Derrière cinquante tables exactement semblables, cinquante garçons et filles sont assis et récitent une leçon qui leur est prescrite à tous… Toutefois, l’algèbre n’est pas une opportunité pour le garçon qui n’a aucun goût pour les mathématiques… En effet, plus l’opportunité est égale en apparence, plus elle est inégale en réalité. Lorsque la même instruction est apportée pendant le même nombre d’heures par jour et par les mêmes professeurs à cinquante garçons et filles, la majorité de ces enfants n’ont plus aucune opportunité du tout. Les élèves brillants sont freinés… les élèves médiocres sont incapables de suivre le rythme… les élèves moyens se découragent à la vue de la facilité avec laquelle leurs camarades les plus brillants accomplissent leurs tâches. » [1]

Dans les années 1940, l’écrivain et critique anglais Herbert Read mit l’accent sur la diversité humaine en faisant valoir l’objection « psychologique » à un « système d’éducation nationale » obligatoire :

« Le genre humain se distingue naturellement en de nombreux types, et comprimer tous ces différents types à l’intérieur d’un même moule doit mener inévitablement à des déformations et des refoulements. Les écoles devraient être formées selon de nombreux modèles, suivant différentes méthodes et accueillant différentes dispositions. On pourrait soutenir que même un État totalitaire doit reconnaître ce principe, mais la vérité est que la différenciation est un processus organique correspondant à l’association spontanée et intermittente des individus dans des buts précis. Diviser et séparer n’est pas la même chose que joindre et agréger. C’est précisément le processus inverse. Tout le système de l’éducation, en tant que processus naturel que nous avons envisagé, s’effondre si nous cherchons à la transformer en structure artificielle. » [2]

Le grand philosophe Herbert Spencer a signalé le despotisme inhérent à l’éducation obligatoire :

« Qu’entend-on en disant que l’État devrait éduquer le peuple ? Pourquoi devrait-il être éduqué ? À quoi sert l’éducation ? Clairement, elle sert à rendre les gens aptes à la vie en société — à faire d’eux de bons citoyens. Et qui devra juger ce qu’est un bon citoyen ? L’État : il n’y a pas d’autre juge. Et qui devra déterminer comment on produira ces bons citoyens ? L’État : il n’y a pas d’autre juge. De sorte que la proposition peut être convertie en celle-ci : un État doit modeler les enfants pour qu’ils deviennent de bons citoyens… Il doit d’abord se constituer pour lui-même une conception claire de ce que sera le citoyen idéal ; cela étant fait, il doit ensuite établir un système de discipline qui semble le plus approprié pour produire des citoyens conformes à ce modèle. Ce système de discipline, l’État est contraint de l’appliquer avec la plus grande fermeté. S’il agissait différemment, en effet, il autoriserait les hommes à devenir différents de ce que, dans son propre jugement, ils devraient devenir, et échouerait ainsi dans la tâche qu’il s’était missionné de remplir. » [3]

Mme Isabel Paterson a brillamment résumé la tyrannie de l’éducation publique obligatoire et la supériorité du libre choix de l’éducation privée :

« Le pouvoir politique est… par sa nature, condamné à terme à légiférer face à la fois aux faits et aux opinions, en prescrivant les programmes des écoles. À un certain moment, le savoir scientifique le plus exact et le plus susceptible de démonstration deviendra certainement la source de protestations de la part de l’autorité politique, parce qu’il exposera la folie d’une telle autorité et ses effets pervers. Personne ne serait autorisé à montrer l’absurdité incroyable du « matérialisme dialectique » en Russie, en suivant la méthode de l’examen logique… et si le pouvoir politique est présumé compétent dans le contrôle de l’éducation, ce doit être le résultat dans n’importe quel pays.

Les manuels éducatifs sont nécessairement sélectifs quant aux sujets traités, au langage adopté et au point de vue choisi. Lorsque l’enseignement est dispensé par des écoles privées, la variété sera nombreuse entre les établissements ; les parents devront juger de ce qu’ils veulent voir leurs enfants apprendre dans les cursus proposés. De la sorte, chacun sera poussé dans une quête de la vérité objective… Nulle part on ne verra l’incitation à enseigner la « suprématie de l’État » en tant que philosophie obligatoire. Mais chaque système éducatif contrôlé par le pouvoir politique se mettra tôt ou tard à inculquer la doctrine de la suprématie de l’État, soit sous la forme du droit divin des rois, soit sous celle de la « volonté du peuple » de la « démocratie ». Une fois que cette doctrine a été acceptée, la tâche de libérer le citoyen de l’emprise du pouvoir politique devient une tâche herculéenne. Son corps, ses propriétés et son esprit sont tenus entre ses griffes depuis l’enfance. Même une pieuvre serait plus prompte à relâcher sa proie.

Un système éducatif obligatoire financé par l’impôt est le modèle global d’un État totalitaire. » [4]

Ici il nous faut ajouter que, dans le système actuel, l’État a trouvé le moyen, aux États-Unis, d’inciter les écoles privées à enseigner la suprématie de l’État sans pour autant interdire les écoles privées comme ce fut le cas dans d’autres pays.

En mettant en place des diplômes mesurant des niveaux minimum, l’État a efficacement, quoique subtilement, étendu sa domination aux écoles privées et les a transformées, dans les faits, en extensions du système éducatif public. Seule la suppression de l’école obligatoire et des niveaux fixés nationalement libérera les écoles privées et leur permettra de fonctionner avec indépendance.

Mme Paterson traite succinctement du problème de l’éducation obligatoire et de l’alphabétisation :

Mais certains enfants ne demeureraient-ils pas analphabètes ? Cela se pourrait, comme c’est le cas de certains enfants de nos jours ainsi que dans le passé. Les États-Unis ont connu un président qui n’apprit à lire et à écrire qu’après qu’il soit non seulement un adulte, mais qu’il se marrie et parvienne à gagner sa vie par ses propres moyens. La vérité est que dans un pays libre, quiconque demeure analphabète pourra très bien s’en contenter ; quoique la simple alphabétisation ne soit pas une éducation suffisante par elle-même, mais une étape élémentaire dans l’initiation à la civilisation. Cependant, cette initiation à la civilisation ne peut en aucun cas être obtenue au travers d’un contrôle politique total des écoles. Elle n’est possible que dans une certaine disposition de l’esprit dans laquelle la connaissance est recherchée de manière volontaire.

Et Mme Paterson répond aux professeurs et éducateurs qui seraient tentés de répondre par des invectives à sa critique :

« Croyez-vous que personne ne vous confiera volontairement son enfant en vous payant pour l’instruire ? Pourquoi devez-vous extorquer votre rémunération et obtenir des élèves par la contrainte ? » [5]

L’une des meilleures manières de considérer le problème de la scolarisation obligatoire est de réfléchir à l’analogie presque exacte qu’il existe dans le domaine de cet autre grand moyen d’éducation qu’est le journal. Que dirions-nous d’une proposition de loi, au niveau national ou local, qui viserait à utiliser l’argent du contribuable pour fonder un journal public diffusé dans tout le pays, et forcerait tous les individus, ou tous les enfants, à le lire ? Que dirions-nous par ailleurs de l’interdiction de paraître que le gouvernement prononcerait envers tous les journaux, ou envers tous ceux qui ne respecteraient pas les « critères » de ce qu’une commission gouvernementale pense que les enfants devraient lire ? Une telle proposition serait généralement considérée avec horreur aux États-Unis, et pourtant tel est exactement le type de régime que l’État a établi dans le domaine de l’instruction scolaire.

Une presse publique d’État serait considérée comme une atteinte à la liberté fondamentale de la presse ; mais la liberté scolaire n’est-elle pas au moins aussi importante que la liberté de la presse ? Ne s’agit-il pas là de deux moyens cruciaux pour l’information et l’éducation du public, pour la recherche libre de la vérité ? Il est clair que la suppression de l’instruction libre doit être considérée avec une horreur encore supérieure que pour la suppression de la liberté de la presse, puisque dans le premier cas il s’agit d’esprits d’enfants, encore peu exercés.

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[1] Harris, Inequality and Progress, pp. 42 – 43.

[2] Herbert Read, The Education of Free Men (Londres, Freedom Press, 1944), pp. 27 – 28.

[3] Spencer, Social Statics, p. 297.

[4] Isabel Paterson, The God of the Machine (Caldwell, Idaho, Caxton Printers, 1943), pp. 271 – 72.

[5] Ibid, pp. 273 et 274, souligné dans l’original.

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