Œuvres de Turgot – 201 – L’intérêt de l’argent

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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ŒUVRES DE TURGOT ET DOCUMENTS LE CONCERNANT

CINQUIÈME PARTIE (fin).

TURGOT CONTRÔLEUR GÉNÉRAL (1774-1776)

(Suite et fin).

Abréviations.

D. P. Œuvres de Turgot, édition Du Pont de Nemours.

D. D. Œuvres de Turgot, édition Daire et Dussard.

B. N. Bibliothèque Nationale.

A. L. Archives du château de Lantheuil.

A. N. Archives Nationales.

S. D. Sans date.

Les notes de Turgot sont indiquées par des chiffres ; celles de l’éditeur par des lettres.



1775 (suite et fin).

201. — L’INTÉRÊT DE L’ARGENT

I. Lettre au garde des Sceaux (de Miromesnil) sur la liberté de l’intérêt.

 [A. N., F12 151. — Foncin, 609.]

16 novembre.

Vous m’avez fait l’honneur de me communiquer la lettre de M. le Président de Senaux et l’arrêté du parlement de Toulouse par lequel cette compagnie demande au Roi de permettre à ceux dont les bestiaux ont péri par la maladie épizootique d’emprunter au denier de l’ordinaire et avec exemption des retenues ordinaires. Je vois former cette demande avec d’autant plus de satisfaction qu’étant absolument analogue à mes principes, elle les confirme même par des preuves tirées des faits.

Il est nécessaire que les pays dévastés par l’épizootie soient repeuplés incessamment d’animaux propres à la culture ; sinon la terre y demeurera inculte et sans production. Les propriétaires qui manquent d’argent pour réparer leurs pertes ne peuvent se dispenser d’emprunter. Les emprunts seraient très difficiles et peut-être impossibles sous les conditions légales ; il est pour ces propriétaires d’une nécessité indispensable que le Roi veuille bien déroger à la loi ; et cependant elle ne produit à leur égard que son effet simple et inévitable. Il n’y a pas un seul jour où de grandes entreprises, soit de commerce ou de tout autre genre également intéressant pour l’État, n’exigent des fonds considérables qui se rassemblent par des emprunts. Il n’y aurait pas une seule de ces entreprises qui ne manquât si ces emprunts étaient rigoureusement assujettis à l’aliénation des capitaux et même à l’intérêt fixé par l’ordonnance. Ce n’est que par des infractions à la loi qu’elles se soutiennent et réussissent. La législation actuelle sur le prêt et l’intérêt de l’argent tend à arrêter partout l’activité du commerce et ne lui est favorable en aucun cas. Je pense, d’après ces réflexions, que la demande du Parlement de Toulouse mérite d’être accueillie sans aucune difficulté, qu’il ne suffit même pas de déroger par une dispense particulière à la loi qui règle les conditions des emprunts d’argent, puisque, dans tous les cas où de semblables emprunts sont nécessaires et instants, l’exécution de la loi y forme des obstacles. Je m’en rapporte à votre prudence pour déterminer l’étendue qu’il est utile de donner à la liberté dans cette matière importante.

2. Lettre à de Senaux (Président du Parlement de Toulouse) sur le même objet.

[A. N., F12 151.]

16 novembre.

J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez écrite le 5 du mois dernier, l’Arrêté du Parlement de Toulouse par lequel cette compagnie demande au Roi de permettre à ceux dont les bestiaux ont péri par la maladie épizootique d’emprunter à jour, au denier de l’ordonnance et avec exemption des retenues ordinaires. J’ai vu avec satisfaction que cette demande était fondée sur les meilleurs principes ; je pense même qu’ils doivent être plus généralement appliqués. Il est de la justice du Roi et de l’intérêt de sa province de Languedoc que la permission demandée soit accordée pour réparer autant qu’il sera possible les pertes que cause l’épizootie. La loi qui proscrit indéfiniment tout emprunt portant intérêt sans aliénation du capital ne peut dans la circonstance présente se concilier avec les besoins les plus pressants des habitants de votre province, puisqu’en empêchant des emprunts nécessaires, elle s’opposerait à la réparation des pertes, à la culture des terres et à la subsistance des peuples. Je vous observerai qu’elle produit des effets semblables dans tous les cas où la faculté d’emprunter librement ferait prospérer le commerce des entreprises de tout genre, également avantageuses à l’État ou aux particuliers, et où la nécessité d’aliéner des capitaux rend les emprunts ou difficiles ou même impossibles. Les cas appartiennent à tous les moments parce que la perpétuité des emprunts et l’aliénation des capitaux répugnent à la nature de ces entreprises même. On sait assez que le commerce, ne pouvant se soumettre à cette loi, ne se soutient que par des infractions. Ainsi, l’unique effet de la loi est de rendre illégales dans la forme des opérations indispensables au fond, et il ne peut être utile de la maintenir. S’il est juste et légitime de rendre les emprunts libres pour repeupler d’animaux nécessaires votre province et pourvoir à sa culture, il ne peut pas l’être moins de faire fleurir son commerce par l’usage plus étendu des mêmes moyens. S’ils sont efficaces, comme le Parlement l’a très bien reconnu dans une circonstance particulière, ils le seront dans tous les temps. Vos besoins du moment présent sont absolument analogues aux besoins continuels du commerce ; tout ce qui le borne ou l’affaiblit cause des pertes immenses qui se renouvellent tous les jours. Les motifs qui ont déterminé la demande de votre compagnie et les principes sur lesquels elle est fondée sont ceux que je crois les seuls vrais et vraiment utiles. Je pense qu’ils ne peuvent être appliqués trop généralement et je désire fort que le Parlement de Toulouse en ait la même opinion.

P.-S. — En demandant une pareille loi, le Parlement de Toulouse donnerait un bien bon exemple aux autres Parlements[1].

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[1] Autres lettres :

  1. À De Parazols, sur le même objet (16 novembre).
  2. À Frargier qui propose un moyen de détruire l’usure. (Un procès est pendant devant le Parlement de Provence ; on doit en attendre avec confiance le résultat.) (11 décembre).

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