Communauté et communisme

À la veille du déchaînement révolutionnaire de la Commune de Paris, Frédéric Passy attaque les idées désormais populaires du communisme. Cette théorie lui paraît tout à la fois réfutée par la pratique et la théorie. Elle n’aboutit, en fin d’analyse, qu’au dénuement commun et à l’arrêt du progrès, lequel n’est stimulé, l’espèce humaine étant ce qu’elle est, que par le mobile de l’intérêt personnel. En renversant la propriété et en niant la liberté, le communisme se montre ainsi l’ennemi de la communauté des hommes.

La question des jeux (1872)

« La loterie, quelque bien réglementée qu'on la suppose, a toujours été, elle sera toujours la glorification de la chance, c'est-à-dire la déconsidération du travail et de l’ordre. En détournant de l'application, de l'économie, de la vie régulière, elle accoutume à attendre la fortune, comme une manne, d'autre chose que des efforts qui la conquièrent et la conservent ; elle abaisse les hommes en les poussant à convoiter plus qu'à mériter. Elle les porte à l'oisiveté, à l'impatience, aux comparaisons injustes et envieuses ; à l'irritation quand la roue leur est contraire, à la dissipation quand elle leur est favorable, à l'imprévoyance et à l'irréflexion toujours. Elle engendre, en un mot, les habitudes les plus opposées à la prospérité publique comme à la prospérité particulière, les plus déplorables au point de vue du bonheur domestique et de la tranquillité sociale. »

Jean-Baptiste Say entrepreneur (1805-1812), d’après les travaux d’un historien local

Pendant sept années, Jean-Baptiste Say, écarté de ses fonctions officielles et empêché par Napoléon de publier comme il l’entend la deuxième édition de son Traité d’économie politique, a mené une deuxième vie d’entrepreneur dans une commune reculée du nord de la France, Auchy-lès-Hesdin. Un historien local, qui y est né, vient de consacrer un ouvrage complet à l’aventure de cette ville, anciennement terre d’abbaye, qui s’est transformée ensuite, sous l’impulsion de Say, en centre manufacturier. Son ouvrage, richement illustrée, fait l’état de recherches approfondies sur Say et son expérience entrepreneuriale ; il est d’une lecture intéressante et enrichissante.

L’amélioration des logements d’ouvriers dans ses rapports avec l’esprit de famille

Suite au concours organisé en 1889 par l’Académie des sciences morales et politiques sur la question des logements ouvriers, Henri Baudrillart présente dans son rapport les conclusions de la section de morale, appelée à distribuer le prix. Il les fait précéder d’une longue analyse de cette question, où il s’attache à délimiter les bornes réduites de l’action étatique et à rappeler la supériorité générale des procédés fondés sur l’initiative individuelle, la propriété et la liberté.

L’agitation communiste et révolutionnaire dans les réunions populaires

En 1869, Henri Baudrillart signale comme très dangereuse la fermentation communiste et révolutionnaire qui se développe librement dans les réunions populaires parisiennes, et qui devait aboutir à brève échéance à l’effusion de la Commune de Paris. Non, sans doute, pour réclamer à la loi de sévir, car ces exagérations et cet usage malfaisant de la liberté ne changent pas, dit-il, son adhésion totale au principe de la liberté. Mais du moins ces développements doivent servir d’avertissement, tant aux agitateurs qu’aux classes bourgeoises prises à parti.

Pierre Bayle : tolérance et liberté religieuse

À une époque agitée par des troubles religieux très graves, Pierre Bayle a porté la voix de la concorde et de la tolérance avec force et courage, jusqu'à s'attirer les critiques de son propre milieu protestant. C'est qu'à la différence des premiers défenseurs de la tolérance en Europe, il étend la liberté religieuse à tous. Aujourd'hui, un musée installé dans sa maison natale, à Carla-Bayle (Ariège), retrace cette vie au service de la paix des religions, et cette pensée riche qui a nourrie le siècle des Lumières.

Dans la bibliothèque de Benjamin Constant

Pour un penseur d’envergure, la bibliothèque est à l’image de l’homme. À ce titre, c’est une publication utile que la liste de celle de Benjamin Constant, qui vient d’être dressée pour la série documentaire qui accompagne la grande collection des Œuvres complètes publiées chez De Gruyter. Cette liste, reconstituée à partir de quatre catalogues dressés par Constant lui-même à différentes périodes de sa vie, est malheureusement partielle, comme des indications laissées dans sa correspondance, ou certains manques grossiers, le font apparaître. Elle n’en a pas moins une valeur documentaire très forte, qui légitime sa publication et en fera un outil de travail précieux.

Honnêteté et tolérance chez Montaigne

Montaigne, penser en temps de guerres de Religion, sous la direction d’Emiliano Ferrari, Thierry Gontier et Nicola Panichi, Paris, Classiques Garnier, décembre 2021. — Fruit de deux colloques successifs, organisés en octobre 2016 (Lyon III) et novembre 2017 (Scuaola Normale Superiore di Pisa, Italia), cet ouvrage collectif apporte des éléments de conceptualisation pour mieux comprendre l’engagement de Montaigne, pratique et théorique, en faveur de la tolérance et de la concorde. Les contributions des meilleurs spécialistes de Montaigne tracent, par touches successives, les contours de l’honnêteté et de la tolérance de l’auteur des Essais.

Exposition de la loi naturelle

Dans ce texte de 1767, reproduit en brochure, le physiocrate Nicolas Baudeau part à la recherche des fondements du droit naturel, et de la vraie base des lois positives. C’est dans le besoin qu’a chaque homme de tirer de son travail sa subsistance de chaque jour, que repose, en dernière analyse, l’origine de la liberté et de la propriété. Ces bases réelles de toute société nécessitent encore une autorité supérieure dont la mission seule et unique est de les protéger des atteintes intérieures et extérieures.

Y aurait-il avantage à établir, par un accord international, une législation fiscale uniforme dans les différents pays ?

En 1887, Léon Say expose devant ses collègues de la Société d’économie politique ses considérations personnelles sur le bienfondé d’une union douanière. Pour réduire la tentation de la contrebande, il recommande l’adoption d’une législation fiscale uniforme. Cette union douanière, ajoutait-il, plus complète que celle proposée par Gustave de Molinari, ne pourrait vraisemblablement voir le jour que couplée à une union politique. La difficulté, alors, serait de rendre désirable le déplacement de l’autorité et du pouvoir, des mains nationales à des mains trans-nationales.

Critique physiocratique d’un collègue libéral : Condillac

En 1776, Turgot est au ministère, mais les physiocrates, loin d’être arrivés au pouvoir, sont en vérité sur la défensive. Turgot lui-même, et nombre autres, tels Condillac,  ou Morellet, quoique passant auprès du grand public pour leurs affiliés en raison de la proximité de leurs doctrines, sont en vérité jugés sévèrement par le petit nombre des fidèles physiocrates, du nombre desquels Baudeau, le premier, est resté. Lui qui vient de faire revivre ses Éphémérides consacre à Condillac un article critique dans lequel il expose quelques-unes des dissemblances de fond que le nouvel économiste, auteur du livre sur Le commerce et le gouvernement, entretient avec la doctrine fixée jadis par François Quesnay.

Réflexions sur la science de l’histoire par Yves Guyot

Dans la préface qu’il donne aux ‘Problèmes de l’histoire’ de Paul Mougeolle (1885), Yves Guyot expose ses vues critiques sur la manière dont l’histoire est considérée par ceux qui s’occupent de l’écrire. L’individu agissant, qui subit les influences de son milieu, mais qui transforme aussi celui-ci par ses choix, lui paraît la fondation d’une vue psychologique de l’histoire, qui doit permettre de produire un récit historique enfin satisfaisant. 

Introduction au Nouveau dictionnaire d’économie politique, par Joseph Chailley-Bert

Dans l’introduction au Nouveau dictionnaire d’économie politique (1891), Joseph Chailley (dit Chailley-Bert, du nom de son beau père décédé — procédé curieux) expose les ambitions et l’économie générale de cette somme qui doit succéder au Dictionnaire de Coquelin et de Guillaumin, paru en 1852-1853. Pour raffermir l’école libérale sur ses bases, Chailley et son adjoint, Léon Say, font le choix d’écarter certains libéraux radicaux ou qui ne s’accordent pas avec eux sur des questions fondamentales comme la colonisation. Ils livrent, de ce fait, une image très précieuse du « nouveau » libéralisme, alors dominant, qui étouffera la tradition héritée de Turgot, J.-B. Say ou Bastiat, avant de périr lui-même, écrasé par le poids croissant de ses propres compromissions.

Comment combattre le vagabondage et la mendicité ?

Pour résoudre la question du vagabondage et de la mendicité, disent Paul Leroy-Beaulieu, Arthur Raffalovich et quelques autres membres de la Société d’économie politique en 1889, il convient d’abord de déterminer précisément la nature du mal. Les individus sans travail, victimes d’accidents ou de maladies, et tombés ainsi dans le dénuement, forment en effet une catégorie bien différente des désœuvrés rétifs à tout travail, qu’on ne saurait sauver ou réhabiliter d’une quelconque manière. Ensuite, il est impératif de reconnaître que la solution tient tout entière dans l’initiative individuelle et la charité privée ; l’assistance publique généralisée, dont il a déjà été fait quelques essais, ne fait au contraire qu’envenimer le mal, le répandre, en proclamant d’avance une aide sans conditions et universelle.

Documents inédits relatifs à l’exil des physiocrates Baudeau et Roubaud suite au renvoi de Turgot (juillet-septembre 1776, 28 pièces.)

Après le renvoi de Turgot, le 12 mai 1776, les physiocrates sont emportés dans la débâcle. Les abbés Baudeau et Roubaud, qui déplaisaient par leur plume acerbe et libre, sont exilés, le premier en Auvergne, le second en Berry (actuelle Indre). Les vingt-huit documents inédits publiés ici, issus des Archives de la Bastille, racontent la réalité de cette proscription qui devait attiédir les esprits que les physiocrates et les philosophes étaient accusés de tenir dans un dangereux bouillonnement.

Les populations agricoles de la Toscane, étude d’économie rurale

Dans une livraison de la Revue des Deux Mondes, Paul Leroy-Beaulieu analyse le caractère économique de la Toscane. Région fortement montagneuse, propice à la culture des terres, mais troublée par des miasmes dangereux, cette terre intéresse aussi bien par son mode de culture que par les mœurs rustiques de ses habitants. Elle offre à l’auteur le visage de l’authenticité rurale, que la grande industrie va transformant à marche forcée.

De l’instruction secondaire en France, de ses défauts, de leurs causes, et des moyens d’y remédier

En 1846, Frédéric Passy entre dans la carrière de l’économie politique en suivant les traces de son père, Hippolyte Passy, contributeur habituel du Journal des économistes et membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Avec mesure et même une sorte de timidité, qui tranche avec ses prises de position audacieuses de la suite de sa carrière, il étudie alors les réformes à introduire dans l’instruction secondaire, vantant notamment l’introduction des sciences et des langues vivantes.

La métaphore sociale

Le langage politique est de plus en plus rempli, dit Yves Guyot en 1894, des métaphores et de l’épithète de « social ». Par ces mots et ces images d’une subtilité mal placée, ces hommes politiques pensent dire quelque chose ; en vérité ils ne font que montrer le grand défaut de précision de leurs idées.

Compte rendu de Fresnais de Beaumont, Essai pour concilier les avantages de l’exportation des grains avec la subsistance facile.

En 1778, Nicolas Baudeau rend compte d’une énième brochure écrite dans le but d’organiser par des règlements contraignants le commerce des grains. Si son auteur, dit-il, avait compris le fonctionnement d’un marché libre et concurrentiel, il n’aurait pas pris cette peine. Il n’a eu en vue, à l’évidence, que les abus d’un système vicieux fait de vendeurs commissionnés et achetant avec de l’argent public : aussi s’est-il mépris, et a-t-il eu l’impolitesse de méprendre les autres par sa brochure.

De l’antisémitisme et du rôle des Juifs dans les sociétés modernes

À la fin du XIXe siècle, la montée en puissance de l’antisémitisme au sein de la population française, comme ailleurs en Europe, interroge les intellectuels libéraux, qui plaident pour la liberté religieuse et les droits individuels. À la Société d’économie politique, l’unanimité (chose assez rare) est obtenue sur ce thème : ce sont des préjugés et un protectionnisme d’une nouvelle sorte, affirme-t-on, qui favorisent l’antisémitisme. Toutefois, si tous les membres qui s’y expriment en 1893 en portent la condamnation formelle, l’avenir n’est pas conçu par tous dans les mêmes termes : certains espèrent un apaisement, voyant la liberté et la tolérance l’emporter ; d’autres anticipent des tragédies futures.