L’administration et le phylloxera

En 1875, pour parer au mal causé par le phylloxera, l’administration centrale et locale ont édicté des mesures liberticides, en faisant usage de pouvoirs qui sortent de leurs attributions. Pour Michel Chevalier, la proscription du cépage américain, et l’emploi forcé de certains produits chimiques, sont hautement condamnables. C’est d’ailleurs une règle générale, rappelle-t-il, que « l’autorité, dans l’intérêt du public et dans celui de sa propre considération, est tenu de se montrer extrêmement réservée en présence des problèmes qui viennent à être posés dans la sphère des arts utiles, agriculture, manufacture, commerce. Il convient qu’elle tourne sa langue sept fois avant de se prononcer pour une des solutions qui ont pu être proposées. Elle doit favoriser la diversité des tentatives plutôt que de les restreindre. »

L’expansion coloniale

Dans cette court texte inséré dans la Revue économique de Bordeaux, Frédéric Passy rappelle la portée et la signification de son anti-colonialisme, dont la ferveur lui a inspiré par exemple un grand et célèbre discours à l’occasion du Tonkin, en 1885. Sa conviction centrale, c’est, comme il le répète, « la supériorité des moyens pacifiques sur les moyens violents, et, par conséquent, de la pénétration graduelle, par le commerce et par les entreprises privées, sur l’occupation, en apparence plus rapide, en réalité plus longue, parce qu’elle reste contestée, par les armes ».

Conjectures sur l’histoire du droit de propriété

Dans cet article du Journal des économistes, publié en 1878, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil retrace, sur la base des sources historiques et du raisonnement rétrospectif, l’histoire nébuleuse du droit de propriété. Aux âges les plus reculés, la propriété commune seule domine, et c’est au milieu des violences et des ravages de l’époque grecque et romaine que la propriété privée obtient peu à peu de la reconnaissance. La vraie notion de la propriété privée, fondée sur le travail seul et le respect des règles de la justice, doit continuer à être portée par la science, dit-il, jusqu’à ce que la liberté règne dans les institutions et les lois, au même titre que dans les faits.

Leçons d’histoire données à l’École Normale (1795)

Nommé à l’École Normale, Volney trace devant son auditoire ses réflexions sur l’écriture de l’histoire, l’influence des récits historiques, les divers degrés de croyance qu’on doit leur accorder selon les auteurs et les évènements. Dans une démarche prudente et sceptique, il met en garde contre les dangers d’une éducation historique bâclée, des projets évasifs d’histoire universelle, et présente ses plans pour améliorer la production historique portant sur le monde entier.

L’agriculture et l’économie politique, discours prononcé à la Société centrale d’agriculture

En 1875, Louis Wolowski évoque devant la Société centrale d’agriculture de France les lointains accomplissements de l’économie politique sur les questions agricoles. Depuis la fin du XVIIe siècle, rappelle-t-il, les économistes ont défendu la liberté des cultures, l’immunité de la propriété, et l’échange libre des fruits de la terre. Si la condition des populations rurales s’est tant améliorée depuis l’époque de La Bruyère et de Vauban, c’est en grande partie la suite des progrès permis par la liberté du travail et la liberté des échanges.

De l’influence de l’autorité dans les questions d’opinion

Le libre arbitre, la conscience, sont nos outils de savoir ; mais le sage n’est pas celui qui cherche à tout investiguer de lui-même : c’est celui qui approfondit certains sujets et s’en remet pour d’autres à des autorités qu’il juge dignes de foi. Sous cette définition, l’autorité a un rôle nécessaire dans la marche des opinions. Mais entendu comme puissance politique, l’autorité doit rester en retrait, ou manquerait son but. — Devant l’Académie des sciences morales et politiques, Gustave de Beaumont présente en 1853 les observations contenues dans un récent livre de G. Lewis, ainsi que les siennes, sur ces différentes questions.

Les statistiques douanières indiquent-elles avec fiabilité le développement et la décadence du mouvement commercial d’un pays ?

En 1892, certes, les économistes n’en sont plus à scruter les chiffres de la douane pour savoir si leur pays gagne ou perd aux échanges internationaux : mais l’utilité de ces statistiques pose question, comme l’illustre cette discussion de la Société d’économie politique. Ces données, d’abord, sont et resteront sans doute longtemps lacunaires. Pour cette raison, les indications qu’elles donnent sur le volume et la destination des échanges commerciaux doivent être considérées avec précaution. À cette condition, elles peuvent peut-être guider les réformes ou confirmer des mouvements de tendance. 

Lettre de Dupont de Nemours à Nicolas Baudeau, 12 mars 1776

Malgré la présence de Turgot au ministère, l’année 1776 est, paradoxalement, une période de tensions et de crises permanentes pour le camp des physiocrates et de leurs affiliés. Quesnay mort, Abeille marchant son propre chemin, restent encore le marquis de Mirabeau, les abbés Baudeau et Roubaud, Dupont de Nemours, Lemercier de la Rivière, et de nombreux adeptes de second rang. Mais la nomination de Turgot, au lieu d’être une consécration et l’arrivée au pouvoir d’une école de pensée toute entière, fait des étincelles : Lemercier de la Rivière, dont les compétences étaient réelles, s’aigrit de s’être vu voler le poste ; Mirabeau signale que Turgot, par son caractère et sa maladresse (« un vrai casse-col », dit-il), n’est pas l’homme de la situation et il prévoit des désastres qui rejailliront sur le parti physiocratique. Dupont de Nemours seul est appelé aux côtés du ministre ; les autres sont de vieilles amitiés disgraciées. Nicolas Baudeau commet lui de multiples maladresses qui apparaissent comme des infidélités, et qui amènent Dupont à lui écrire la lettre inédite qui suit.

Le rôle de la bourgeoisie dans la production

Au milieu de l’agitation socialiste, qui devait mener à brève échéance aux désastres de la Commune, une idée surnageait, que Paul Leroy-Beaulieu analysait en 1870 : c’est que la bourgeoisie, détentrice du capital et dirigeant les principales entreprises, représente une classe inutile de spoliateurs, qui assume des fonctions que la classe ouvrière pourrait très facilement reprendre. Les faits, observe Leroy-Beaulieu dans cet article, prouvent au contraire qu’à moins de vertus d’ordre, d’économie, de gestion, que l’instruction scolaire ne donnera pas seule, les coopératives sont vouées à l’échec et échouent effectivement.

Le libéralisme officiel à l’Académie des sciences morales et politiques

L’Académie des sciences morales et politiques a accompagné la croissance et le développement du libéralisme français pendant près d’un siècle, et aujourd’hui ses volumes de Séances et travaux sont d’une lecture instructive et enrichissante pour ceux qui aspirent à marcher sur les traces des esprits supérieurs qui y siégèrent. Cependant cette histoire et cet héritage n’est pas sans ambiguïtés. Tous ces auteurs qui ont œuvré pour la liberté du travail et de la pensée ont constitué une aristocratie de l’intelligence, à l’abri de privilèges et de dotations publiques. S’ils ont accompagné le progrès, en promouvant de leur place des réformes utiles, ils l’ont peut-être aussi entravé, en donnant à leur libéralisme un caractère officiel, et en limitant les potentialités d’institutions concurrentes, qui auraient mûri sous l’atmosphère vivifiante de la liberté.    

Des largesses de l’État envers les industries privées

Dans un article plein de hardiesse, Louis Reybaud examine tour à tour les différentes formes prises par l'aide publique à l'industrie : primes, subventions, prêts d'argent, garanties d'un minimum d'intérêt, indemnités. S'il les traite une à une, c'est pour les rassembler ensuite dans une condamnation globale, car les largesses de l'État envers les industries privées aboutissent d'un côté, à une dilapidation de l'argent des contribuables, de l'autre à des entreprises mal conçues, mal combinées, et dont on chercherait en vain le principe vivifiant.

Sur le prix des enterrements et l’alternative de la mort à bon marché

« Non seulement la vie coûte cher en France, écrit Gustave de Molinari en 1851, mais la mort même y est renchérie par des monopoles et des privilèges. » Les enterrements, en effet, sont l’objet de multiples règlements et de taxes, qui pèsent d’un poids particulièrement lourd pour le pauvre peuple, obligé d’abandonner les siens dans des fosses communes et d’en accompagner les dépouilles dans un cortège minimaliste. Les concessions même sont révoquées et révocables, et on trouble la propriété privée dans le dernier lieu de sa manifestation ; c’est le communisme jusque dans la mort.

Le Japon. L’éveil d’un peuple oriental à la civilisation européenne

À la fin du XIXe siècle, le Japon, de même que la Chine, se réveille, porté par une population laborieuse et les acquis techniques, économiques et industriels de l’Occident. Tandis qu’à l’ouest on débat de la journée de 8 heures et de droits sociaux étendus, cette concurrence nouvelle prépare de grandes déconvenues, écrit Paul Leroy-Beaulieu en 1890. « Dans quelques dizaines d’années, ces deux méconnus [le Japon et la Chine], pourvus enfin de nos connaissances techniques et de nos machines, montreront aux nations européennes amollies ce que peuvent les peuples qui n’ont pas perdu la tradition du travail. »

Réponse à M. Léon Say

Dans le Journal des économistes de septembre 1884, Ernest Martineau avait réclamé contre le libellé d’une question à la Société d’économie politique, portée par Léon Say, sur le motif qu’elle se fondait sur le postulat erroné que la liberté produit des torts, qu’il peut être dès lors souhaitable ou nuisible de combattre. Léon Say ayant répondu entre temps que son opinion n’était pas que la liberté produit des torts, Martineau peut se féliciter de cet accord sur ce point qu’il considère comme important.

La question de la paix

Dans cet article, Frédéric Passy revient sur les nouveaux développements des idées de pacifisme et d’arbitrage, qui lui sont chères et qu’il a défendues toute sa carrière durant. En 1895, la question de l’Alsace-Lorraine, qui a fait naître des tensions réelles mais dont il ne faudrait pas, dit-il, s’exagérer la portée, est surtout posée, et elle doit être résolue comme les autres par l’arbitrage. La concorde et la paix européenne, surtout, sont à fonder, si l’on veut éviter un embrasement généralisé.

Du paupérisme et des secours publics dans la ville de Paris

Dans cet article du Journal des économistes, M. Vée, maire du Ve arrondissement de Paris, étudie les formes de l'assistance publique dans la capitale. Il ne cache pas, toutefois, sa préférence pour les mécanismes variés et progressifs de la charité légale. « Aux rapports libres, généreux, spontanés, qui ennoblissent celui qui donne et moralisent par la reconnaissance dont ils le pénètrent celui qui reçoit », clame-t-il aux philanthropes maladroits, « ne substituez pas imprudemment et sans nécessité l'action compassée et si souvent aveugle de la charité légale ou administrative, de cette charité prétendue qui enrégimente les citoyens sur les rôles de parias qu'elle appelle des indigents. »

La profession d’avocat est-elle constituée en France en conformité des principes de l’économie politique ?

En 1887, la Société d’économie politique examine la question de la liberté du métier d’avocat, pour savoir s’il relève d’une activité économique comprise dans la sphère privée, ou si c’est un ministère tenant de si près à la magistrature, que des règles spéciales doivent impérativement l’encadrer. Selon certains membres, comme Alphonse Courtois ou Frédéric Passy, les justifiables auraient tout avantage à tirer parti de la liberté du métier d’avocat ; d’autres membres, cependant, tiennent pour le maintien des règles, qui permettent, disent-ils, d’éviter qu’un avocat libre, sans mœurs ni savoir, ne vienne perturber le fonctionnement de la justice, bien public par excellence.

La Russie et les États-Unis au point de vue économique

En 1854, Gustave de Beaumont a perdu la passion de l’écriture, et ses années de voyages et de complicité avec Tocqueville, qui furent pour lui fructueuses, sont désormais derrière lui. Pour la Revue des Deux Mondes, il livre toutefois un article comparant la situation de la Russie et des États-Unis. Les deux nations sont entreprenantes, conquérantes même. Leur principe d’action, toutefois, est précisément opposé : si les Américains s’accroissent, fondent des villes, défrichent des terres sous l’impulsion de la liberté et de l’initiative individuelle, tout se fait en Russie au rythme de la machine bureaucratique. Cette société figée et silencieuse n’est pas plaisante à observer, juge Beaumont, et le développement de son influence en Europe est même une source de crainte.

Défense de la liberté du travail

Après Vincent de Gournay et la poignée d’auteurs qu’il mit à l’œuvre sur ce thème, les Physiocrates furent de grands défenseurs de la liberté du travail, condamnant le système des corporations et les innombrables règlements qui entravaient l’activité productive en France. Dans un chapitre de sa Première introduction à la philosophie économique (1771), Nicolas Baudeau reprend cette critique des règlements et défend dans toute sa rigueur une politique de liberté du travail.

La bibliothèque nationale et le communisme

Dans un passage de ses Soirées de la rue Saint-Lazare (1849), prochainement rééditées dans le volume 6 de ses Œuvres complètes, Gustave de Molinari offre une critique très vive de la Bibliothèque nationale et des institutions culturelles publiques ou subventionnées. La gratuité des bibliothèques, écrit-il, c’est du communisme, et dans l’intérêt même de la diffusion des lumières, il est urgent de fermer les bibliothèques publiques.